Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 523b-535a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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SOUS  HADRIEN : Varia concernant notamment La papauté et saint materne

Ans 118-130 

Ce fichier comporte quatre parties, précédées d'une introduction générale

Myreur, p. 523b-529a (A. Ans 118-126  : Activité de saint Materne - L'empereur Hadrien succède à Trajan - Les papes Alexandre et Sixte) [sommaire] [texte]

Myreur, p. 529b-532a (B. Ans 124-126 : Intermède danois pour Materne - Retour à Tongres) [sommaire] [texte]

Myreur, p. 532b-534a (C. Ans 125-126 : Romains et Gaulois - Romains, Athéniens et chrétiens) [sommaire] [texte]

Myreur, p. 534b-535a (D. Ans 127-130 :  Mort de saint Materne - Sort de sa dépouille) [sommaire] [texte]

 


 

Introduction générale aux quatre parties

[sommaire] [texte]

En ce qui concerne l'histoire de la Papauté, la biographie du pape Alexandre, dont le début a déjà été présenté  (p. 513-514), se termine ici avec une notice de la p. 524, dont l'analyse montre différentes modifications apportées par Jean d'Outremeuse au texte de son modèle, Martin d'Opava.

À propos d'abord du mélange de l'eau et du vin à la messe. Martin précisait clairement le sens de ce mélange : ad designandum unionem Christi et ecclesiae « pour signifier l'union du Christ et de l'Église ». Jean n'a pas retenu cette phrase. 

On note aussi des transformations relativement plus importantes, notamment là où il est question des chrétiens martyrisés en même temps que le pape, sous Hadrien. Martin d'Opava écrivait : Hic [= Alexander] sub Adriano imperatore missus est in carcerem, et Hermes prefectus Vrbis, qui per eum crediderat, atque Euencius presbiter et Theodulus diaconus. Qui cum papa Alexandro et cum pluribus aliis diversis penis afflicti martirio coronantur « Sous l'empereur Hadrien, furent envoyés en prison Alexandre ainsi qu'Hermès, le préfet de la Ville, converti par le pape, et aussi le prêtre Evencius et le diacre Théodule. Tous ces gens, avec le pape Alexandre et plusieurs autres encore, endurèrent diverses peines et reçurent la couronne du martyre ». Eventius, présent chez Martin et dans le Liber Pontificalis, a disparu chez Jean. Quant au personnage d'Hermès absent du Liber Pontificalis, mais présent chez Martin avec le titre de prefectus Vrbis, il a perdu son titre officiel chez le chroniqueur liégeois, qui le décrit comme « converti à notre religion par la prédication d'Alexandre et ordonné prêtre ».

On ne sait d'ailleurs pas à quoi correspond l'introduction de cet Hermès par Martin : y aurait-il eu, sous Hadrien, un préfet de la ville, converti par Alexandre ? Ou nous trouvons-nous devant un « dédoublement » du personnage qui apparaît sous Pie I, vingt-quatre ans plus tard selon le comput de Jean (p. 549), sous le nom d'Hermes (Hermas) et qui est, lui, bien attesté dans le Liber Pontificalis ? Mais tout ce qui concerne l'auteur du livre Le Pasteur n'est ni clair ni simple. Cette question sera reprise  dans l'introduction aux p. 542-550.

Bref,  constatation déjà faite à plusieurs reprises à propos des rapports entre Martin et Jean,  la traduction de Jean n'est pas souvent fidèle ni précise ; il modifie et adapte son original latin. Mais une fois les modifications repérées, il est difficile, voire impossible, de déterminer si elles sont dues à Jean lui-même ou empruntées à des textes antérieurs qui nous sont inconnus. Pour chaque détail, un travail minutieux de comparaison s'imposerait que nous ne pouvons évidemment pas faire ici. Nous en resterons là.

Quoi qu'il en soit, Alexandre est remplacé par Sixte I, pape de 115 à 125 de notre ère. Ici encore la question des modifications revient. La présentation de Jean (p. 524) frappe par son originalité :  « Le nouveau pape, écrit-il, nommé Sixte, était originaire de Rome. Son père s'appelait Badoza et était berger dans la région Via Lata. Sa mère, Gada, venait d'Athènes ». Le texte de Martin (éd. Weiland, p. 411) dit simplement : natione Romanus, ex patre Pastore, de regione Via lata : « C'est un Romain, son père s'appelle Pastor, et il habite la région Via lata ». Ainsi Martin se conforme aux usages des textes anciens qui, au début de leur présentation d'un pape, ne donnent généralement que le nom de son père et son origine géographique. Jean en l'occurrence va beaucoup plus loin, en indiquant également la profession de son père ainsi que le nom et l'origine de sa mère, précisions qui ne se trouvent ni chez Martin ni dans le Liber Pontificalis. Ce sont manifestement des additions du chroniqueur liégeois qui s'expliquent d'ailleurs assez facilement. Jean, ayant pris Pastore pour un nom de métier (pastor en latin veut dire « berger »), s'est trouvé devant une difficulté : le père de Sixte avait un métier, mais pas de nom. Il lui en a inventé un, Badoza, qui n'apparaît nulle part ailleurs dans Ly Myreur. Et, pour « continuer sur sa lancée », il a ajouté des informations sur la mère du pape, en lui donnant un nom (Gada) et une origine géographique (Athènes).

Un nom, Gada, qui n'est pas rare dans Ly Myreur. Nous n'en donnerons pas les attestations concrètes. Il suffira de rappeler que chroniqueur liégeois témoigne d'une indiscutable aptitude à l'invention onomastique. Comme Virgile dans son Énéide, le chroniqueur liégeois puise en effet, pour les personnes et les noms de lieux du Myreur, dans un réservoir de noms dont il n'a pas peur à l'occasion de modifier la graphie et dont il multiplie les apparitions.

Que dire des Yborus, des Alexandre, des Franco, des Énéas, des Hector dispersés aux coins de l'Europe ? On trouve par exemple quarante-deux Hector différents dans Ly Myreur. Mais en voilà assez sur les noms. Revenons à la notice sur Sixte I.

Par ailleurs, la traduction de Jean suit de très près le texte latin de la Chronique de Martin. Notons toutefois, en ce qui concerne le traitement des objets sacrés et des rites, que la formulation du Liber Pontificalis reprise textuellement par Martin, à savoir et ministeria sacrata non tangerentur, nisi a ministris, a été explicitée par Jean, une première fois, très légèrement, à la p. 524, et une autre fois, plus longuement, aux p. 526 et 527. Seule l'ordonnance sur la nature et la couleur des linges de l'autel semble être une addition de Jean, qui a également omis ici un développement sur Pérégrin présent chez Martin, mais absent du Liber Pontificalis. Peut-être ce Pérégrin a-t-il été introduit plus loin par Jean (p. 536) ? Par contre l'ordonnance du pape Sixte sur l'obligation de dire la messe sur un autel consacré signalée par Jean (p. 527) ne se trouve ni dans le Liber ni dans la Chronique de Martin.

Concernant la succession impériale, Trajan est mort et Hadrien a pris le pouvoir. La notice sur l'empereur défunt ne manque pas d'intérêt, si l'on se souvient que Jean en avait fait un « persécuteur » des chrétiens : la mission confiée à Pline en Bithynie (p. 511), le martyre du pape Clément (introduction aux p. 489ss), celui de saint Ignace (p. 509). Mais la biographie légendaire de saint Grégoire fait état des prières qu'il adressa avec succès à Dieu pour sauver l'âme de Trajan. ‒ Hadrien est présenté sobrement comme un grand érudit (en latin et en grec), un homme sage et un vaillant guerrier.

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Une bonne partie de ce long fichier est consacrée à l'évangélisation par saint Materne du royaume de Tongres. Il y est question de résurrections, de conversions, de fondations d'églises, et l'auteur du récit promène son lecteur dans toute la région de la future Principauté de Liège : Huy, Amay, Cheratte, Dinant,  Namèche, Namur, Ciney. C'est en fait la suite de l'histoire (légendaire), commencée beaucoup plus haut (p. 452), d'Euchaire, Valère et Materne, trois grands saints régionaux (Trèves, Tongres, Cologne). Notre introduction aux p. 450-457 comporte quelques indications sur les sources utilisées à ce sujet. Tous les événements rapportés ici sur l'activité de saint Materne dans cette région relèvent de la légende hagiographique. Une fois de plus, nous renverrons le lecteur à l'étude détaillée que nous avons consacrée ailleurs (fascicule 37 janvier-juin 2019 des Folia Electronica Classica) au personnage de Materne et à son évolution dans l'hagiographie médiévale.

Ce que nous appelons l'intermède danois est un élément à relever. Son zèle d'évangélisateur pousse saint Materne jusqu'en Frise, terre danoise, ce qui ne plaît guère au roi Ogens du Danemark. Materne est capturé, ce qui entraîne, pour le délivrer, la création d'une puissante force expéditionnaire de Tongres menée par le duc d'Ardenne Trémus, et le duc de Lorraine Henri. Tout se termine bien pour les Tongrois : les Danois, battus et faits prisonniers, reçoivent la vie sauve en échange d'une importante rançon en argent qui sera ramenée au pays et ultérieurement utilisée par Materne  pour poursuivre son travail d'évangélisation dans la région du Rhin, de la future Liège, de Maastricht.

Ce morceau épique est certainement une création originale de Jean d’Outremeuse, comme c'est le cas de plusieurs autres pièces du même type que nous avons signalées ailleurs (FEC 35-2018) dans notre analyse des structures narratives du Myreur (cfr J. Poucet, Le « Myreur des Histors » de Jean d'Outremeuse. Essai de typologie des structures narratives). Il est également traité dans la Geste de Liège où il se déroule sur près de 200 vers (v. 3375-3575). On ne dispose dans la tradition hagiographique médiévale d’aucun passage parallèle à ce combat  des Tongrois pour la libération de Materne.

Le récit de la mort de Materne et du sort de sa dépouille est entouré d'éléments relevant du miracle. D'abord, une apparition de saint Euchaire et de saint Valère, ses prédécesseurs, avertit Materne de la date et du moment de sa mort. Celui-ci s'y prépare soigneusement et, au lever du jour, une voix céleste perçue par toute l'assistance se fait entendre et l'appelle par son nom. Il communie et aussitôt son âme est emportée au ciel par des anges. Materne avait demandé à être enterré à Trèves, mais Trèves, Cologne et Tongres se disputent son corps. On décide alors de mettre sa dépouille sur un bateau sans équipage et de confier au fleuve le soin de choisir un emplacement. « Un miracle de Dieu fit naviguer la barque jusqu'à ce qu'elle arrive à Trèves, tout près de l'église où ses deux prédécesseurs avaient été ensevelis, c'est-à-dire dans l'église de Saint-Jean l'Évangéliste » (p. 534-535). La dépouille fut transférée beaucoup plus tard dans l'église Saint-Lambert à Liège. Le récit se termine par quelques précisions sur la famille de saint Materne et rappelle qu'il avait été baptisé par saint Pierre et envoyé par lui à Trèves en même temps qu'Euchaire et Valère. C'est la fin d'un long récit, commencé à la p. 452 et livré par morceaux au lecteur.

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Une autre section du fichier traite de conflits entre Romains et Gaulois, puis entre Romains et Athéniens, dans les deux cas pour des questions de tribut. Dans le premier conflit, les Gaulois sont vainqueurs, dans le second, les Romains ne remportent la victoire que grâce à la participation active des chrétiens, une intervention d'abord vigoureusement refusée par l'empereur romain. Elle valut aux chrétiens la protection de l'empereur. Dans chacun des cas, les batailles sont décrites sur le mode épique et n'appartiennent pas à l'histoire, malgré la présence d'éléments qui tendraient à créer l'illusion : il n'existe pas à Rome de colonne Hadrienne (p. 533) et Hadrien n'a jamais eu deux fils, dénommés Trajan et  Nerva (p. 532). Hadrien n'a d'ailleurs jamais combattu ni contre les Gaulois et ni contre les Athéniens. On se trouve intégralement dans le monde de la légende épique et, pour le second conflit, dans une perspective chrétienne. La guerre d'Hadrien contre les Gaulois se terminera plus loin (p. 536) par une grande bataille, une défaite romaine et un accord entre les deux parties, selon lequel le duc épouserait Trajana, la fille de l'empereur, et serait exempt de tribut, tant que vivrait l'empereur.

 


 

A. L'activité de saint Materne  - L'empereur Hadrien  succède à Trajan - Les papes Alexandre et Sixte [Myreur, p. 523b-529a]

 

 Ans 118-126 ?

 

 

Sommaire

* Mort de Trajan - Avènement d'Hadrien - Eustache rentre à Rome (118)

* Saint Materne fonde des églises dans ses évêchés de Tongres, Cologne et Trèves (118-119)

* Divers : Pluie diluvienne - Le pape Alexandre est martyrisé avec d'autres par Hadrien - Le pape Sixte (120)

* Dans le royaume de Tongres, saint Materne convertit Huy et fonde l'église Notre-Dame - Ponts de pierre devant Amay et Cheratte (121-122)

Saint Materne délivre les habitants de Dinant d'un serpent qui les terrorise et les dévore - Il les délivre aussi d'idoles locales, en particulier du dieu Nam - Il convertit tous les habitants dont le comte Agilfo et la comtesse Agrippine - Fondation de deux églises - Origine du nom Dinant, anciennement Arche (122 -123)

* Une ordonnance du pape Sixte sur les linges d'autel (122)

Saint Materne convertit les habitants de Sédroch qu'il délivre de leurs idoles et de Nam - Fondation d'une église - Origine du nom Namur (123)

* Ordonnances du pape Sixte (123)

* Saint Materne convertit Namèche - Il jette Nam dans la Meuse - Origine du nom de Namèche - Fondation d'église (123)

Saint Materne convertit Ciney, anciennement Halois, après avoir ressuscité les cinq enfants du seigneur Clément - Il retourne à Namèche (123)

Revenu à Namèche, saint Materne construit en un an une église en l'honneur de saint Étienne et y célèbre la première messe (123)

Saint Materne convertit Les Awirs - Fondation d'une église - Retour à Tongres (123)

* Saint Materne poursuit son apostolat (prédications et fondations) dans le comté de Looz et la Hesbaye - Visites pastorales à Cologne et à Trèves (124)

 

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Mort de Trajan - Avènement d'Hadrien - Eustache rentre à Rome (118)

 

[p. 523] [L’an C et XVIII] [L’arme Trajain l’emperere fut d’enfier delivrée]En l'an que Eustause loghoit en Judée, quant ilh retrovat ses enfans et sa femme, assavoir l'an C et XVIII, le VIIe jour de junne, morut Trajain l'emperere, qui astoit ly XVe emperere de Romme. Chis emperere fut mult proidhons solonc la loy, car ons true en escript en la vie sains Grigoire que l'arme de chesti emperere, qui oncques n'avoit rechut baptesme, ne Dieu aoré, ne Sainte-Engliese honoré, fut delivrée des paines d'ynfeir par les priiers et les grandes habundanches de larmes que sains Grigoire fist à Dieu por luy, qui fut pape de Romme apres la mort de chesti emperere IIIIc et IIIIxx ans ou là entour.

[p. 523] [An 118] [L’âme de l'empereur Trajan délivrée de l'enfer] L'année où Eustache résidait en Judée, après avoir retrouvé ses enfants et sa femme, c'est-à-dire en 118, le 7 juin, mourut Trajan, le quinzième empereur de Rome. Il fut un très grand sage selon la loi. En effet, on trouve écrit, dans la vie de saint Grégoire, que l'âme de cet empereur, qui n'avait jamais reçu le baptême, ni adoré Dieu, ni honoré la Sainte-Église, fut délivrée des peines de l'enfer, grâce aux prières faites à Dieu pour lui et grâce à la grande abondance des larmes versées pour lui par saint Grégoire, qui fut pape de Rome, environ quatre cent quatre-vingts ans après la mort de cet empereur.

[Adriain, le XVIe emperere de Romme] Apres Trajain fut emperere de Romme XVIe Adriain Helius, le fis del parente Trajain, lyqueis regnat XXI an VIII mois et XX jours. Chis Adriain fut mult bien endoctrineis en latin et en grigois, et proidhons et hardis en armes.

[Hadrien, seizième empereur de Rome] Après Trajan, le seizième empereur de Rome fut Hadrien Aelius, fils d'un membre de la famille de Trajan. Il régna vingt et un an, huit mois et vingt jours. Il était très instruit en latin et en grec ; c'était aussi un homme sage et un vaillant guerrier.

[Sains Eustause revint à Romme] En cel an revient à Romme Eustause et ses gens awec ; si trovarent que Trajain l'emperere estoit mors, et estoit Adriain emperere. En cel an, en mois de fevrier, fist l'emperere Adriain refaire la citeit d'Alixandre que les Romans avoient destruite.

[Saint Eustache revient à Rome] Cette année-là, Eustache revint à Rome avec ses gens. Ils apprirent que Trajan était mort et qu'Hadrien était empereur. Cette même année, Hadrien fit reconstruire la cité d'Alexandrie que les Romains avaient détruite.

 

Saint Materne fonde des églises dans ses évêchés de Tongres, Cologne et Trèves (118-119)

 

[p. 523] [Sains Materne fondat des englises] En cel an fondat sains Materne, ly promier evesque de Collongne et de Tongre et le IIIe de Trive, dois englieses en la citeit de Collungne : l'une en l'honeur de sains Pire, qui maintenant at à nom sains Victors, et l'autre en l'honeur de Dieu et de la Virgue Marie, qui maintenant est apellée l'engliese Sainte-Cicile.

[p. 523] [Saint Materne fonde des églises] Cette année-là, saint Materne, premier évêque de Cologne et de Tongres, et troisième évêque de Trèves, fonda deux églises dans la ville de Cologne : l'une en l'honneur de saint Pierre, qui est aujourd'hui celle de Saint-Victor, et l'autre en l'honneur de Dieu et de la Vierge Marie, appelée maintenant l'église de Sainte-Cécile.

[Grant myracle de sains Materne] En cel an, le jour de la Nativiteit Nostre-Saingnour, et les aultres escrient le jour del Pentechostes, fut sains Mateme porteis par les angles aux trois englieses dont ilh astoit evesque, assavoir : Trive, Colongne et Tongre ; si qu'ilh fist et y celebrat la divine offiche mult devoltement et saintement.

[Grand miracle de saint Materne] Cette année-là, le jour de la Nativité de Notre-Seigneur - d'autres écrivent le jour de la Pentecôte -, saint Materne fut transporté par les anges dans les trois églises dont il était évêque, c'est-à-dire Trèves, Cologne et Tongres. Il y célébra l'office divin avec une grande dévotion et très saintement.

Item, l'an C et XIX, fondat sains Materne une engliese en la vilhe de Treit-sour-Mouse en l'honneur de sains Pire l'apostle, en lieu c'on dist en la voie royale. En cel an, commenchat sains Materne à edifier en la citeit de Tongre une mult belle engliese en l'honeur de la benoite virge Marie ; et true-ons en escript que chist engliese fut la promiere fondée en [p. 524] toutes ches parties en l'honeur de la virge Marie. Et est voire que toutes les englieses, que sains Materne fondat en la citeit et dyoceise de Tongre, furent toutes consecrées en l'honeur de la virge Marie principalment, excepteit II ou III.

L'an 119, saint Materne fonda une église dans la ville de Maastricht sur la Meuse, en l'honneur de l'apôtre saint Pierre, en un lieu dit Sur la voie royale. Cette année-là encore, saint Materne commença à édifier dans la cité de Tongres une très belle église en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie. On trouve dans les textes qu'elle fut la première à être fondée dans [p. 524] ces contrées en l'honneur de la Vierge Marie. Et il est vrai que les églises fondées par saint Materne dans la ville et le diocèse de Tongres furent toutes, sauf deux ou trois, consacrées surtout à la Vierge Marie.

 

Divers : Pluie diluvienne - Le pape Alexandre est martyrisé avec d'autres par Hadrien - Le pape Sixte (120)

 

[p. 524] [L’an CXX - Gran plove] Item, l'an C et XX, le XXI le jour de mois de junne, commenchat à plovoir, et plovoit tous les jour jusques à la Sains-Bertremeir ; si furent les aighe plus grant qu'ilh n'avoient oncques esteit depuis le deluve.

[p. 524] [An 120 - Grande pluie] En l'an 120, le 21 juin, il commença à pleuvoir, et il plut tous les jours jusqu'à la Saint-Barthélemy ; les eaux furent plus abondantes qu'elles ne l'avaient jamais été depuis le déluge.

[Alixandre le pape morit - Del aighe que ons met en calix] Item, en cest an, le XIIe jour de mois d'awoust, morut ly pape Alixandre, si fut ensevelit deleis la sepulture sains Pire. Chis pape Alixandre fut uns sains proidhons, et fist mult de belles chouses que ons tient encor à jourd'huy. Chis pape ordinat que ons metist del aighe awec le vin unc pau à faire l'oblation de la messe. Chis fut mys en chartre à commandement Adriain ; et Hermes, qui soy convertit par sa predication à nostre loy et fut fais priestre, et Theodolus dyaque, qui avec le pape Alixandre et pluseurs aultres, quant ilhs oirent esteit grandement tourmenteis, furent tous martyrisiés le jour deseurdit.

 [Mort du pape Alexandre - De l'eau qu'on met dans le calice] Cette même année [120], le 12 août, mourut le pape Alexandre, qui fut enseveli près de la tombe de saint Pierre. Ce pape fut un saint homme et un sage ; il institua beaucoup de belles choses, encore en vigueur aujourd'hui. C'est lui qui ordonna de mettre un peu d'eau dans le vin pour faire l'offrande à la messe. Il fut emprisonné sur l'ordre d'Hadrien. Hermès, converti à notre religion par la prédication d'Alexandre et ordonné prêtre, ainsi que Théodule ordonné diacre, furent, tout comme le pape et plusieurs autres personnes, durement torturés et martyrisés le jour mentionné ci-dessus.

[Sixte pape VIIIe fut consecreis] Apres la mort Ii pape Alixandre, vacat le siege XXXV jours, et puis le XVle jour de septembre fut consacreis à pape de Romme unc proidhons que ons nomat Sixte, lyqueis fut de la nation de Romme ; si oit nom son pere Badoza, qui fut unc pastorais de la region de la large voie, et sa mere fut nommée Gada, qui fut d'Athenes. Et tient le siege IX ans V mois et XI jours.

[Consécration de Sixte, le huitième pape] Après la mort du pape Alexandre, le siège resta vacant trente-cinq jours. Le 16 septembre eut lieu la consécration comme pape d'un homme sage, nommé Sixte et originaire de Rome. Son père s'appelait Badoza et était berger dans la région Via Lata. Sa mère, Gada, venait d'Athènes. Sixte fut pape durant neuf ans, cinq mois et onze jours.

[Ordinat sanctus, sanctus, sanctus] Chis ordinat en son promier que ons desist en la messe les Sanctus, Sanctus, Sanctus, et que nuls ne touchast les administrations de sacrament, fours que les ministres à chu ordineis et specialment deputeis.

[Il prescrit le 'sanctus, sanctus, sanctus'] Son premier décret fut que l'on dise à la messe le Sanctus, Sanctus, Sanctus et que personne n'intervienne dans l'administration des sacrements, à l'exception de ceux qui avaient été ordonnés et spécialement chargés de le faire.

 

Dans le royaume de Tongres, saint Materne convertit Huy et fonde l'église Notre-Dame - Ponts de pierre devant Amay et Cheratte (121-122)

 

[p. 524] [Sains Materne alat à Huy. La fondation de Huy] Item, l'an CXXI, soy partit sains Materne de la citeit de Tongre, et commenchat à prechier par sa terre de la royalme de Tongre de tous les costeis ; et allat visenteir pluseurs vilhes, awec ly sa maisnie.

[p. 524] [Saint Materne se rend à Huy - Fondation de Huy] En l'an 121, saint Materne quitta la ville de Tongres et se mit à prêcher un peu partout dans le territoire du royaume de Tongres. Avec sa suite, il alla visiter beaucoup de villes.

Se avient que ilh vient à Huy promierement, qui astoit une belle vilhe qui seioit sour le rivier de Mouse, qui astoit mult anchiene ; car elle fut fondée anchienement, devant l'Incarnation Nostre-Saingnour Jhesu-Crist LX ans et plus, assavoir apres la grant victoire que Julius Cesar oit contre cheaux de Galle, enssi comme le tesmongne Beda, li venerable priestre, dedens les [p. 525] hystors des Engles. Et fut la vilhe enssi là fondée entre les thiers et roches sour Mouse, par cheaux qui s'enfuirent de la desconfiture de Galle ; si l'appellarent Huy, solonc le nom de one rivière qui court parmy, laqueile est nommée Hoyoul.

Il arriva tout d'abord à Huy, une belle cité sur la Meuse, très ancienne, puisqu'elle avait été fondée il y a très longtemps. C'était plus de soixante ans avant l'Incarnation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est-à-dire après la grande victoire que Jules César remporta contre les Gaulois, comme le raconte Bède, le vénérable prêtre, dans les [p. 525] Histoires des Anglais. Elle fut alors établie, entre des collines et des rochers dominant la Meuse, par ceux qui s'étaient enfuis après la défaite de la Gaule. Ils l'avaient appelée ainsi, d'après le nom d'une rivière qui la traverse et qui s'appelle le Hoyoux.

Sur les origines de Huy, Jean d'Outremeuse reviendra en II, p. 277, où il fait intervenir l'empereur Antonin. Le titre exact du livre auquel Jean fait ici allusion est Historia ecclesiastica gentis Anglorum, écrite vers 731. Il s'agit d'une histoire de l'Angleterre qui s'intéresse tout particulièrement à sa christianisation.

[Sains Materne convertit Huy, et y fondat Nostre-Dame] Cesti vilhe convertit sains Materne à nostre loy par ses predications, car ilhs istoient adont tous sarasiens ; en laqueile vilhe de Huy sains Materne y edifiat une engliese en l'honeur de la virge Marie. Et deveis savoir que ilh le commenchat, et laisat les ovriers à ses despains faire avant l'ovraige ; si en allat prechier aultre part jusqu'à tant qu'elle fuist parfaite, et adont ilh revient et le consecrat.

[Saint Materne convertit Huy et y fonde Notre-Dame] Par sa prédication, Saint Materne convertit cette ville à notre religion, car à cette époque tous ces gens étaient païens. C'est dans cette ville que saint Materne édifia une église en l'honneur de la Vierge Marie. Il faut savoir qu'il ne fit que commencer les travaux, laissant aux ouvriers le soin de les continuer, à ses propres frais. Il s'en alla prêcher ailleurs jusqu'à la fin de la construction. Alors seulement il revint et consacra l'église.

[L’an CXXII - Des II pons sour Mouse] Item, l'an CXXII, fisent cheaux de Tongre sour Mouse II pons, assavoir onc devant Cherat et l'autre devant Amain, et furent de pire.

[An 122 - Les deux ponts sur la Meuse] En 122, les gens de Tongres construisirent deux ponts : l'un devant Cheratte, et l'autre devant Amay, tous deux en pierre (cfr II, p. 484).

 

Saint Materne délivre les habitants de Dinant d'un serpent qui les terrorise et les dévore - Il les délivre aussi d'idoles locales, en particulier du dieu Nam - Il convertit tous les habitants dont le comte Agilfo et la comtesse Agrippine - Fondation de deux églises - Origine du nom Dinant, anciennement Arche (122)

 

[p. 525] [Sains Materne vint à Dicnam ou Arche] En cel an vient sains Materne en la vilhe d'Arche, où ons aoroit les ydolles, entre lesqueiles ydolles ilh y avoit une en laqueile ilh creioient mult fortement ; si avoit à nom Nam. Et y avoit là unc serpent, qui faisoit mult de maul à cheaux de la vilhe ; car ilh en devoroit tant et les tenoit si pres, que nuls n'oisoit issir de la vilhe, se ilh n'astoit garnis solonc chu. Cesti serpent quidoient cheaux de la vilhe mettre affin par le vertu de leurs ydols et par elles depriier ; mains tant plus prioient à leurs ydolles, tant plus astoient greveis de serpent. Atant vint là sains Materne, et commenchat à faire sa predication, et voloit le peuple à ly convertir ; mains ilhs soy moquoient et faisoient de luy leurs derisions, et tant que sains Materne dest que oncques ilh n'avoit troveit sy cornues gens ne si estrangnes. Ilh recommenchat lendemain sa predication, et enssi l'onc jour apres l'autre à continueir ; mains toudis soy mockoient de luy.

[p. 525] [Saint Materne arrive à Dinant ou Arche] Cette année-là, saint Materne arriva dans la ville d'Arche, où l'on adorait les idoles, particulièrement une, nommée Nam, en laquelle les habitants croyaient très fort. Il y avait là aussi un serpent, qui faisait grand mal : il en dévorait beaucoup de monde et s'approchait si près que personne n'osait sortir de la ville sans une protection particulière. Les habitants pensaient s'en débarrasser grâce aux pouvoirs de leurs idoles et aux prières qui leur étaient adressées ; mais plus ils les priaient, plus le serpent les accablait. C'est alors qu'arriva saint Materne. Il commença à prêcher et voulut convertir le peuple. Mais les habitants se moquaient de lui et le tournaient en dérision, au point que saint Materne déclara n'avoir jamais rencontré des gens si bornés et si étranges. Il recommença sa prédication le lendemain et continua jour après jour ; mais les citadins se moquaient toujours de lui.

[Ly serpent ochist à Dicnam VIxx et X personnes] Si avint que unc jour ly serpent vient, si entrat en la vilhe et assalhit les gens, si en ochist IIIIxx et VIII ; puis entrat en la synagoge des ydolles, si en ochist XLIII qui là aoroient les ydolles, et jettat par terre toutes les ydolles si roidement que ilh les defroissat toutes.

[Le serpent tue à Dinant cent trente personnes] Un jour, le serpent arriva, entra dans la ville et attaqua les habitants. Il en tua quatre-vingt-huit. Puis il pénétra dans le temple des idoles, tuant quarante-trois personnes qui se trouvaient là en adoration. Quant aux idoles, il les jeta toutes à terre si violemment qu'il les brisa.

[Sains Materne ochist le serpent, porquoy cheaux de Dinant prisent baptemme] Atant vient là sains Materne, qui tenoit son baston pastoraul ; si assalhit le serpent tout seul, par-devant tout [p. 526] le peuple, si l'ochist et le mist à fin par le vertu de Dieu. Et quant ly peuple veit chu, se criat merchi et prisent baptemme tous ensemble. Et ly conte d'Arche, qui avoit à nom Agilfo, et la contesse avoit à nom Agripine, si prisent baptemme ; et fut ly conte nommeis Materne, et la contesse Marie.

[Saint Materne tue le serpent, ce qui pousse les habitants de Dinant à se faire baptiser] Alors saint Materne arriva, tenant son bâton pastoral. Seul en présence de tout [p. 526] le peuple, il attaqua le serpent, le frappa et le tua par la vertu de Dieu. Voyant cela, les habitants crièrent merci et reçurent tous ensemble le baptême. Le comte d'Arche, Agilfo, et la comtesse, Agrippine, se firent également baptiser. Le comte reçut le nom de Materne et la comtesse celui de Marie.

[Sains Materne fondat Nostre-Damme et Sains-Estienne à Dynant] Puis fundat sains Materne en la vilhe de Dynant dois englieses : l'une en l'honeur de la virge Marie, et l'autre en l'honeur de sains Estiene que ons apelle maintenant l'engliese Sains-Memmy, portant que sains Memmeus fut al fondeir, uns evesque.

[Saint Materne fonde Notre-Dame et Saint-Étienne à Dinant] Ensuite, saint Materne fonda dans la ville de Dinant deux églises : l'une en l'honneur de la Vierge Marie, et l'autre en l'honneur de Saint-Étienne, appelée aujourd'hui église Saint-Menge, parce que saint Memmius, un évêque, assista à la fondation.

[Porquoy Arche fut appelée Dicnam] Et fondat sains Materne l'englise Nostre-Damme, en lieu où ly synagoge estoit ; mains anchois ilh vint à Nam, le dieux qui astoit en cely temple, et ly dest : Dic, nam, ad quid hic sta[s], c'est-à-dire en franchois : « Dis, Nam, à quoy stas chi ? tu n'y demora plus. » Adont le frappat de son baston pastoraul unc coup, si chaiit tout en pieches ; et ly dyable s'en allat bruant et criant com tonnoir et tempeste. Et portant fut la vilhe d'Arche dedont en avant nommée Dicnam, que sains Materne l'avoit enssi araisoneit en disant : Dic nam. Et fut longe temps nommée enssi ; mains li usaige des gens changat, car où ilh devoient dire Dicnam ilh disoient Dynant, si que ch'est Dynant-sour-Mouse.

[Pourquoi Arche fut appelée Dinant] Saint Materne fonda l'église Notre-Dame, à l'endroit même du temple ; mais, avant cela, il vint vers Nam, le dieu du temple et lui dit : Dic, nam, ad quid hic stas, c'est-à-dire, en français : « Dis, Nam, pourquoi es-tu ici ? Tu n'y habites plus. » Alors, de son bâton pastoral, il asséna un coup à la statue qui tomba en morceaux. Le diable s'en alla dans un bruit de tonnerre et de tempête. C'est pourquoi la ville d'Arche fut dorénavant appelée Dicnam, vu que saint Materne avait interpellé (le dieu) en disant Dic Nam. La ville fut longtemps appelée ainsi, mais l'usage changea : au lieu de Dicnam, les gens dirent Dinant. Il s'agit de Dinant-sur-Meuse.

 

Une ordonnance du pape Sixte sur les linges d'autel (122)

 

[p. 526] [Les corporels del alteit doient eistre de fihl de lin et blans] En cel an ordinat ly pape Sixte que les corporeils de l'alteit fussent fais de fil de lin et tous blans, sens teinture et nient de soie.

[p. 526] [Les linges de l'autel doivent être de fil de lin et blancs] Cette année-là [122], le pape Sixte ordonna que les linges de l'autel ne soient pas faits de soie mais de fil de lin ; il fallait aussi qu'ils soient blancs, sans teinture.

 

Saint Materne convertit les habitants de Sédroch qu'il délivre de leurs idoles et de Nam - Fondation d'une église - Origine du nom Namur (123)

 

[p. 526] [Sains Materne vint à Nammut et le convertit à Dieu, et les baptizat] Item, quant sains Materne oit convertit Dynant, se vient aval Mouse jusqu'à la vilhe de Sedroch, où ilh avoit une ydolle en quoy Nam estoit regnant, enssi bien com à Dynant ; mains, quant ilh astoit à Dynant, ilh donnoit en l'ydolle response aux gens chu que ons ly demandoit, et à Sedroch ne donnoit pointe de parolle. Sains Materne vient là awec ses disciples et pluseurs gens de Dynant, qui dessent à cheaux de la vilhe comment sains Materne avoit mis à mort le serpent et avoit destruit toutes leurs ydolles, et les avoit tous baptisiés. Que vos diroie tant ? Cheaux de Dynant dessent et fisent tant, que cheaux de Sedroch fisent grant fieste et reverenche à sains proidhons sains Materne.

[p. 526] [Saint Materne vient à Namur,  convertit les gens et les baptise] Après avoir converti Dinant, saint Materne descendit la Meuse jusqu'à la ville de Sédroch, où se trouvait une idole dans laquelle résidait Nam, comme à Dinant. Mais quand il était à Dinant, Nam répondait par l'intermédiaire de l'idole à ce que les gens lui demandaient, tandis qu'à Sédroch, Nam ne parlait pas. Saint Materne vint à Sédroch avec ses disciples et plusieurs personnes de Dinant. Elles expliquèrent aux habitants de Sédroch que saint Materne avait mis à mort le serpent, détruit toutes leurs idoles et baptisé tout le monde. Que dire de plus ? Les Dinantais furent si convaincants que les habitants de Sédroch firent grande fête et témoignèrent beaucoup de respect au saint homme qu'était Materne.

[Grant myracle - L'an CXXIII] Adont sains Materne les commenchat devoltement à prechier en leur synagoge où leurs ydolles astoient. Mains, enssi com ilh prêchoit, fist et [p. 527] demonstrat Dieu grant myracle là-endroit ; car toutes les ydolles soy levarent, com ilhs fussent vives, et soy combatirent en jostant ly une à l'autre, tant com ilh furent toutes combrisiés en pieches, et ardirent là meismes toutes les pieches en poure menue. Adont quant cheaux de la vilhe veirent chu, se criarent merchi à sains Materne, tant furent-ilhs espireit del amour de Dieu, el dessent que ilhs se voloient baptisier et croire en Jhesu-Crist, qui astoit ly soverans Dieu de monde et sires de paradis. Adont furent tous baptiziés mult devoltement ; et fut chu sour l'an del Incarnation C et XXIII, en mois d'avrilh, le XIXe jour.

[Grand miracle - An 123] Saint Materne commença alors à leur prêcher avec ferveur, dans le temple même où étaient leurs idoles. Mais tandis qu'il prêchait, Dieu se manifesta [p. 527], là aussi, par un grand miracle. Toutes les idoles se levèrent, comme si elles étaient vivantes et se battirent entre elles, tant et si bien qu'elles se brisèrent en morceaux, lesquels brûlèrent jusqu'à être réduits en fine poussière. En voyant cela, les gens de la ville remercièrent saint Materne et furent tellement inspirés par l'amour de Dieu, qu'ils finirent par dire qu'ils voulaient être baptisés et croire en Jésus-Christ, dieu souverain du monde et seigneur du paradis. Alors, ils furent tous baptisés très pieusement. Cela se passa en l'an 123 de l'Incarnation, le 19 avril.

[L’engliese de Namur par sains Materne] Quant tous furent baptisiés, si commenchat sains Materne à fondeir et edifiier, en propre lieu où ly synagoge des ydolles estoit, une mult belle engliese en l'honeur de la benoite virge Marie. Mains sains Materne, anchois que ilh fondast son engliese, vint à la grant ydolle où Nam astoit, se le conjurat et ly demandat qu'ilh queroit là ; mains ilh ne respondit pointe. Portant dest sains Materne : Nam mutum, c'est-à-dire en franchois : Nam est mueais, ou nammute ; mute c'est mueais. Si ont portant appelleit leur vilhe Nammutum, c'est Namute ; mains ons l'apelle maintenant plus communement Namur. Mains chu sont gens ignorans qui enssi l'apellent, car cheaux de chi paiis-Ià et les aultres qui le cognussent l'apellent tous Namute.

[L’église de Namur (fondée) par saint Materne] Quand ils furent tous baptisés, saint Materne entreprit de fonder et d'édifier, là même ou se trouvait le temple des idoles, une très belle église en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie. Mais avant de la fonder, saint Materne s'approcha de l'idole où se trouvait Nam, le maudit et lui demanda ce qu'il voulait ; mais Nam ne répondit pas. Saint Materne dit : Nam mutum, c'est-à-dire en français : « Nam est muet », ou « nammute », « mute » signifiant « muet ». C'est pour cela que les gens ont appelé leur ville « Nammutum ». C'est « Namute », qu'on l'appelle aujourd'hui plus généralement « Namur ». En fait, ce sont des gens ignorants qui lui donnent ce nom, car ceux de l'endroit et ceux qui connaissent bien (l'histoire) l'appellent tous « Namute ».

 

Ordonnances du pape Sixte (123)

 

[p. 527] [La femme ne mie estre secretaire à l’auteit] En cel an constituat ly pape Sixte que nulle femme ne fust secretaire entour l'auteit, et n'atouchast les vasseals sacreis. Item, ilh ordinat que quiconques evesques, qui soit citeis ou appelleis à Romme, ne soit jamais recheus en son engliese, jusqu'à tant que ilh aporterat bulles et lettres papailes sour chu qui astoit bien comparus à jour de la citation.

[p. 527] [La femme ne peut avoir de fonction à l’autel] Cette année-là [an 123], le pape Sixte décréta qu'aucune femme ne devait exercer de fonction autour de l'autel ni toucher les vases sacrés. Il décida aussi que tout évêque, qui avait été cité ou appelé à Rome, ne devait plus jamais être reçu dans son église avant d'y avoir apporté la bulle ou la lettre papale attestant qu'il avait bien comparu le jour de la citation.

[Les ordinanches de pape Sixte] Item, ordinat encors que nus preistre ne celebrast messe fours que sour uns alteit sacreis, et encor pluseurs aultres choses.

[Les ordonnances du pape Sixte] Il décréta en outre, entre beaucoup d'autres choses, que les prêtres ne devaient célébrer la messe que sur un autel consacré.

 

 Saint Materne convertit Namèche - Il jette Nam dans la Meuse - Origine du nom de Namèche - Fondation d'église (123)

 

[p. 527] [Sains Materne convertit Nameche - Porquoy el oit nom Nameche] Item, l'an C et XXIII, astoit sains Materne aleis en la vilhe de Emordas-sour-Mouse ; là ilh prechat la foid, et convertit le peuple et leur saingnour, qui astoit sire de la vilhe, qui estoit nomeis Mege, et les baptizat tous. Adont at sains Materne conjureit Nam, par tous les hauls noms Jhesu-Crist, qu'en l'aighe là devant se soit flastris et que toudis y demeurt et ne s'en part jamais. Adont ly dyable Nam est en l'aighe salhis, et ly aighe referit encontre com tonoir, et ondat à grandes ondes ; et at depuis toudis ondeit, jà soit Ii temps si pasieble. Et sains Materne at la vilhe nomeit solonc les noms de leurs dieux et de leur saingnour ; si l'apellat Nammege. [p. 528] Et siet sour Mouse devant unc casteal qui est nomeis Sansons, qui puis fut là fondeis sour une haulte roche deseur Mouse. Alcuns vuelent dire qu'ilh oit à nom Namege por chu que sains Materne disait, quant Nam fut salhis en l'aighe : Nam submersum, c'est-à-dire en franchois : Nam noiés.

[p. 527] [Saint Materne convertit  Namèche - Pourquoi le nom de  Namèche] En l'an 123, saint Materne s'était rendu dans la ville de Emordas-sur-Meuse. Il y prêcha la foi et convertit le peuple et leur seigneur, le maître de la ville, nommé Mège. Il baptisa tout le monde. Alors saint Materne somma Nam, en invoquant tous les hauts noms de Jésus-Christ, de se précipiter dans l'eau toute proche, d'y rester toujours et de ne jamais plus en sortir. Alors le diable Nam sauta dans l'eau. En le recevant, l'eau fit comme un bruit de tonnerre et fut agitée de grandes vagues : depuis lors elle a toujours bouillonné, même par temps calme. Saint Materne a donné à la ville les noms de son dieu et de son seigneur : d'où Namège. [p. 528] Elle est située le long de la Meuse, devant un château nommé Samson, fondé par la suite, à cet endroit, sur une haute roche surplombant la Meuse. Certains auteurs prétendent que l'endroit a pour nom  Namèche, parce que saint Materne dit, lorsque Nam se précipita dans l'eau : Nam submersum, soit en français : « Nam est noyé ».

[Le jour de la Triniteit fut consecrée Nostre-Damme à Namut] Sains Materne commenchat là une engliese à edifiier, et puis en ralat à Namute, là ly engliese Nostre-Damme estait parfaite ; si le consecrat et le benit. Et y fut la promier messe dit et celebrée, de part sains Materne, le jour de la Triniteit. Puis en ralat à Namege, et benit l'engliese et le consecrat anchois qu'elle fust parfaite, par le cause que je diray.

[Notre-Dame est consacrée le jour de la Trinité à Namur] Saint Materne commença à construire une église à  Namèche, puis retourna à Namur, où l'église Notre-Dame était achevée ; il la consacra et la bénit. La première messe y fut dite et célébrée par saint Materne, le jour de la Trinité. Puis il retourna à  Namèche, bénit l'église et la consacra avant qu'elle soit terminée, pour la raison que je vous expliquerai.

 

Saint Materne convertit Ciney, anciennement Halois, après avoir ressuscité les enfants du seigneur Clément - Il retourne à Namèche (123)

 

[p. 528] [Del vilhe de Chynée - De sire de Chynée - Sedros, roy de Tongre, fondat Chynée] Or, vos diray le cause par lequeile sains Materne consecrat l'engliese de Namege ains qu'elle fuist parfaite : chu fut partant que, en temps que ons le faisait, si vint unc prinche parleir à sains Materne, et ly criat merchi et li dest : « Très-sains hons, amis de Dieu, j'avoie hier al matin V beais fis tous viefs (vivants) de ma femme, tous de une seul porture ; si les amoy tant que je en nomoy ma vilhe Chynée, en la ramembranche des V enfans qui astoit d'onne née. Or avient que ilh soy bangnoient en une petit rivière, là ons aboivre les chevals, qui est defours ma vilhe ; si furent soupris de dyable et noyés. Se vos nos les poleis rendre vief, nos prenderons baptesme et creierons en Jhesu-Crist, je et eaux et tout le peuple de mon paiis. Sire, dist ly prinche qui avait nom Clement, je suis sire de Chynée, se le tient de roy de Tongre, Sedros, le noble roy de Tongre, le fondat et le nomat Halois ; mains el restauration je y ay fondeit unc casteal qui at à nom enssi Halois ; si en veneis, je vos en proie, awec moy. »

[p. 528] [La ville de Ciney - Le seigneur de Ciney - Sédros, roi de Tongres, avait fondé Ciney] Je vais maintenant vous dire pourquoi saint Materne consacra l'église de  Namèche avant qu'elle soit terminée. Au moment où on la construisait, un prince vint trouver saint Materne et implorer sa pitié en disant : « Très saint homme, très bon ami de Dieu, j'avais hier matin cinq beaux fils, bien vivants, nés de ma femme en une seule portée. Je les aimais tellement que j'ai appelé ma ville Ciney, en souvenir des cinq enfants nés d'une seule femme. Il se fit qu'ils étaient allés se baigner dans une petite rivière, où s'abreuvent les chevaux et qui coule à l'extérieur de ma ville ; ils y furent surpris par le diable et se noyèrent. Si vous pouvez nous les rendre vivants, nous recevrons le baptême et croirons en Jésus-Christ, moi, eux et tout mon peuple. Seigneur, dit le prince nommé Clément, je suis le seigneur de Ciney. Je tiens ma ville du roi de Tongres, Sédros, qui l'avait fondée et appelée Halois (p. 244-245). En la remettant en état, j'y ai ajouté un château, nommé aussi Halois. Venez-y avec moi, je vous en prie. »

[Sains Materne suscitat V enfants à Chynée, et y fondat l’englise Nostre-Damme] Et sains Materne s'en vat vers Chynée, et là fist Dieu par luy teile myracle : que les V enfans sont resusciteis devant tout le peuple, qui en at rendut grasce à Dieu ; si se sont tous convertis à Dieu et baptisié. Et sains Materne fondat là une engliese en l'honeur de Nostre-Damme, en la vilhe de Chynée, aux despens de dit chevalier, qui le voult payer ; mains sains Materne fondat les aultres englieses de gran tresour que ly roy de Tongre ly laisat. Puis revient sains Materne à Namege.

[Saint Materne ressuscite cinq enfants à Ciney et y fonde l’église Notre-Dame] Saint Materne se mit en route vers Ciney, où Dieu, par son intermédiaire, fit un miracle : les cinq enfants ressuscitèrent devant tout le peuple, qui en rendit grâces à Dieu. Tous les gens se convertirent et reçurent le baptême. Saint Materne fonda alors une église en l'honneur de Notre-Dame, dans la ville de Ciney, aux frais du chevalier en question qui voulut la payer ; mais les autres églises, saint Materne les fonda avec le grand trésor que lui avait laissé le roi de Tongres. Ensuite, saint Materne revint à  Namèche.

 

Revenu à Namèche, saint Materne construit en un an une église en l'honneur de saint Étienne et y célèbre la première messe (123)

 

[p. 528] [Sains Estiene dest en vision à sains Materne qu’ilh ly fesist une engliese] Puis avient que sains Materne astait une nuyt cuchiet et dormait ; et en son dormant s'aparut à luy sains Estiene, lyqueis ly dest qu'ilh edifiast une englese en son honour, en la vilhe de Namege, où ilh avait fondeit une engliese de Nostre-Damme. Al [p. 529] matin, quant sains Materne fut leveis, ilh fist edifiier ledit engliese, et y celebrat la promier messe sour l'an deseurdit.

[p. 528] [Saint Étienne dit en songe à saint Materne de lui construire une église] Une nuit où saint Materne était couché et dormait, il advint que saint Étienne lui apparut dans son sommeil et lui dit de construire une église en son honneur, à  Namèche, où il en avait déjà fondé une, consacrée à Notre-Dame. Dès le [p. 529] matin, à son lever, saint Materne la fit construire et, cette année-là, il y célébra la première messe.

 

Saint Materne convertit Les Awirs - Fondation d'une église - Retour à Tongres (123)

 

[p. 529] Apres desquendit sains Materne à Awir-sour-Mouse (Les Awirs), et y convertit le peuple ; se y voult edifier une engliese en l'honeur de Nostre-Damme, en laqueile ilh celebrat messe de la Triniteit, l'an C et XXVI, le IXe jour de may. Apres chu que sains Materne oit chu fait, se revient à Tongre por ses gens prechier plus sovens.

[p. 529] Saint Materne descendit ensuite Aux Awirs, sur la Meuse, et y convertit les gens. Il voulut y construire une église en l'honneur de Notre-Dame, dans laquelle il célébra la messe de la Trinité, le 9 mai de l'an 126. Après cela, il revint à Tongres, pour prêcher plus souvent aux siens.

 

Saint Materne poursuit son apostolat (prédications et fondations) dans le comté de Looz et la Hesbaye - Visites pastorales à Cologne et à Trèves (124)

 

[p. 529] [Sains Materne convertit le conteit de Louz et Hesbay] L'an C et XXIIII, commenchat sains Materne à prechier parmy le paiis de la conteit d'Osterne, c'est à present la conteit de Louz en hault paiis que ons apelle maintenant Hesbay ; si convertit tant de vilhes que chu fut mervelhe, et y faisoit dedens pluseurs des englieses en l'honeur de Nostre-Damme.

[p. 529] [Saint Materne convertit le comté de Looz et la Hesbaye] En l'an 124, saint Materne se mit à prêcher à travers le comté d'Osterne, qui est à présent le comté de Looz, dans le haut du pays qu'on appelle maintenant la Hesbaye. Il y convertit un nombre impressionnant de cités et y construisit beaucoup d'églises en l'honneur de Notre-Dame.

[Sains Materne fondat ches vilhes : Waremme, Puchey, Oley, Kemexhe, Foux, Berses, Selins et Fexhe, Glons, Othey, Rokelenge, Bachenge, Bors et Enbemmes] Et enssi ilh fondat ches vilhes et leurs englieses, assavoir : Waremme, Puchey, Blarée, Oleye, Kemexhe, Foux, Berses, Selins et Fexhe, deleis Foux à halt cloquier. Et fondat encor des aultres : Glons, Othey, Rokelenge, Bachenge, Bors, Enbemmes et pluseurs aultres là-entour.

[Saint Materne fonde les villes suivantes : Waremme, Pousset, Oleye, Kemexhe, Fooz, Bleret, Slins et Fexhe, Glons, Othée, Roclenge, Bassenge, Boir et Ébeine] Ainsi il fonda les villes suivantes et leurs églises, c'est-à-dire : Waremme, Pousset, Bleret, Oleye, Kemexhe, Fooz, Bleret, Slins et Fexhe, près de Fexhe-le-Haut-Clocher. Il en fonda d'autres aussi : Glons, Othée, Roclenge, Bassenge, Boir, Ébeine et d'autres, dans les alentours. [cfr Bo, p. 529, notes]

Apres s'en allat sains Materne à Colongne et à Trieve por visenteir son peuple...

Après cela, saint Materne alla à Cologne et à Trèves, pour visiter son peuple.

 


 

 

B. Intermède danois pour materne - retour à tongres [Myreur, p. 529b-532a]

 

 Ans 124-126

 

Sommaire

Saint Materne, parti prêcher en Frise, y est capturé par le roi de Danemark - Les Tongrois envoient au Danemark une armée menée par Trémus, duc d'Ardenne, et Henri, duc de Lorraine, pour libérer leur évêque (124-125)

Des batailles épiques opposent aux Tongrois le roi de Danemark Ogens et son fils Mélion - Les Tongrois, finalement vainqueurs, épargnent la vie des Danois prisonniers en échange d'une très importante rançon en argent, que Materne utilisera pour ses fondations et dotations

* De retour à Tongres, saint Materne poursuit ses constructions d'églises et ses conversions (région rhénane, future Liège, Maastricht) (vers 125-126)

 

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Saint Materne, parti prêcher en Frise, y est capturé par le roi de Danemark - Les Tongrois envoient au Danemark une armée menée par Trémus, duc d'Ardenne, et Henri, duc de Lorraine, pour libérer leur évêque (124-125)

 

[p. 529] ... et puis s'en allat en Friese por prechier la loy Jhesu-Crist ; mains ilh astoit à roy de Dannemarche qui passoit là à cel heure qu'ilh prechoit.

[p. 529] Puis il alla prêcher la loi de Jésus-Christ en Frise, une possession du roi de Danemark. Celui-ci passait par là à l'heure où Materne prêchait.

[Ly roy de Dannemarche prist sains Materne et l’emynat en prison] Et quant ilh l'oiit parleir et veit qu'ilh faisoit tourneir les gens al loy Jhesu-Crist, sy en oit grant despit. Si at faite trosseir sains Materne sour unc cheval, et l'emynat en son paiis en Dannemarche, et là le mist en prison.

[Le roi de Danemark se saisit de saint Materne et le met en prison] En l'entendant parler, le roi se rendit compte que Materne détournait la population vers la religion de Jésus-Christ. Il en fut très mécontent, le fit attacher sur un cheval et l'emmena au Danemark, où il le mit en prison.

Adont oit là uns Sarasiens qui Dieu espirat, si chevalchat vers Tongre et les vat dire le fait. Quant les Tongrois l'entendirent, sy commencharent à crier : Venganche, Venganche ; et se sont trais à conselhe ; si passat entre eaux qu'ilh ayment miés à morir que ilh ne reconquestent leur evesque. Si orent teile conselhe qu'ilh ont mandeit le duc d'Ardenne et le duc de Lotrenge à XLm hommes. Et sont en leur chemyn entreis, en jurant Dieu qu'ilh raveront leur evesque, et serat amendeit la grant injure, ou tout Dannemarche serat mies en exilh ; en teile manere disant vinrent en Dannemarche.

Alors un païen, bien inspiré par Dieu, chevaucha vers Tongres où il raconta ce qui s'était passé. En apprenant la chose, les Tongrois se mirent à crier : Vengeance, Vengeance, se retirèrent en conseil et estimèrent entre eux qu'il valait mieux mourir qu'abandonner leur évêque. Ils décidèrent d'envoyer le duc d'Ardenne et le duc de Lorraine avec quarante mille hommes. Ceux-ci se mirent en route, jurant par Dieu qu'ils reprendraient leur évêque et laveraient ce grand outrage ; sinon ils détruiraient tout le Danemark. C'est en s'exprimant ainsi qu'ils arrivèrent dans le pays.

 

Des batailles épiques opposent aux Tongrois le roi de Danemark Ogens et son fils Mélion - Les Tongrois, finalement vainqueurs, épargnent la vie des Danois prisonniers en échange d'une très importante rançon en argent que Materne utilisera pour ses fondations et dotations

 

[Les Tongrois destruent Dannemarch por sains Materne, leur evesque] Si ont commenchié la guerre, car ilh ont arse Argalon, Gemdelach [p. 530] et Sourgaine, trois riches et nobles citeis ; puis ont assegiet Ligane, la citeit, dont la novelle vient al roy. Si at ses hommes assembleit, si vient à LXm hommes à Ligane. Et quant les Tongrois le soirent, sy en orent grant joie ; se fisent lendemain trois batalhes, en non del Triniteit : ly bons dus Henris de Lotringe conduisit le promier, et Guichars, conte d'Osterne, la seconde, qui avoient à femmes dois des filhes le roy Pire de Tongre jadit ; et la tirche conduisoit Tremus, ly dus d'Ardenne. Et les Dannois ont faite II batalhe : la promier guiat Ogens, ly roy Dannois, et Melion son fis l'autre.

[Les Tongrois ravagent le Danemark à cause de saint Materne, leur évêque] Ils commencèrent la guerre, en incendiant Argalon, Gemdelach [p. 530] et Sourgaine, trois cités riches et illustres. Puis ils assiégèrent la ville de Ligane. Quand le roi en fut informé, il rassembla ses troupes et arriva à Ligane avec soixante mille hommes. En apprenant cela, les Tongrois furent très satisfaits. Le lendemain trois batailles se déroulèrent, au nom de la Trinité. Le bon duc Henri de Lorraine mena la première, Guichars, comte d'Osterne, la deuxième ; ils avaient pour épouses deux des filles du roi Pierre de Tongres, dont on a parlé plus haut (cfr I, p. 509ss). Quant à la troisième, c’était Trémus, duc d’Ardenne, qui la conduisait. Du côté danois, il y en eut deux : le roi Ogens menait la première, son fils Mélion l'autre (cfr II, p. 70).

[Tongrois ont la victoir, et ont reconquesteit sains Materne] Les batalhes se sont aprochiés et sus corue ; mains al promier, en orent les Tongrois del peiour et furent grandement reculeis. Tremus, ly dus d'Ardenne, tient l'espée en son pongne, et a sa batalhe guée d'amont, et se fiert gentyment entre les Dannois, et coupent chiefs, bras, et espandent ches cerveals ; si at ochis Culpin, le cusin de roy. Et Melion, le fis de roy, le voit, se fiert Tremus sus son hayme, sy coup tout jusqu'en la chair : s'ilh ne fust gerenchis, ilh fust mors. Tremus refirt Melion, mains ilh fausat, si consuit le cheval, si fut ochis. Et Melion chiet à terre, et Tremus l'assalt. Mains les Dannois l'ont soucorrut et remonteit, et Tremus soy refiert en l'estour.

[Les Tongrois remportent la victoire et récupèrent saint Materne] Les rangs se sont rapprochés et ont foncé les uns sur les autres. Tout d'abord les Tongrois prennent peur et reculent beaucoup. Trémus, le duc d'Ardenne, l'épée au poing, s'avance à travers les rangs, s'introduisant vaillamment parmi les Danois. On coupe têtes et bras, on répand les cervelles. Trémus tue Culpin, le cousin du roi Ogens. Mais Mélion, le fils du roi, voit Trémus ; il le frappe et fend son heaume jusqu'à la chair : si Trémus ne s'était pas  déplacé, il était mort. Trémus frappe Mélion en retour, mais il le rate, atteint son cheval et l'abat. Mélion tombe et Trémus l'attaque. Mais, secouru et remis en selle par les Danois, Trémus se lance à nouveau dans la bataille.

[Les armes de duc d’Ardenne Tremus, c’est Bulhon] Là monstrat son escut qui fut roge à une fause d'argent ; c'est maintenant Bulhon, et chu astoit adont Ardenne, mains puis Ardenne fut la ducheit de Lembour, et encor est.

[Les armes du duc d’Ardenne Trémus, c’est Bouillon] Là Trémus montra son écu, qui était rouge à fasce d'argent ; c'est maintenant Bouillon, c'était alors Ardenne, et ensuite Ardenne devint le duché de Limbourg, et il l'est encore.

[Les armes de duc de Lotringe - Les armes de Viane] Et Lotringe portoit l'escut d'argent, à une fause roge de geule, qui sont maintenant les armes le conte de Viane ; ilh les oit par succession.

[Les armes du duc de Lorraine - Les armes de Vianden] De son côté, le duc de Lorraine portait un écu d'argent, à fasce rouge de gueule. Ce sont maintenant les armes du comte de Vianden ; il les acquit par succession.

Puis apres soy provat Tremus si bien, qu'ilh rendit cuer et corage ses gens, si fort et teilement qu'ilh ont reculleis les Dannois. Et Tremus encontrat le roy Ogens, se le fiert sour son bayme si fort qu'ilh l'at tout desros, si l'at fendut jusqu'en pis. Mains Melion, son fis, qui fut bons chevaliers, le fait compareir aux Tongrois, car ilh at ochis Jafroy de Lembor et Clement son fis, Arnadin le palade, Tybaux et Vincent l'orgulheux.

Trémus se comporta ensuite si vaillamment qu'il rendit coeur et courage à ses hommes au point qu'ils firent reculer les Danois. Trémus rencontra le roi Ogens, frappa si violemment sur son heaume qu'il le brisa complètement, fendant l'homme jusqu'à la poitrine. Mais Mélion, le fils d'Ogens, qui était un vaillant chevalier, mérite d'être comparé aux Tongrois, car il tua Geoffroy de Limbourg et son fils Clément, Arnadin le paladin, Thibaut et Vincent l'orgueilleux.

Et Pharons, le fis Tremus, chis at [p. 531] ochis Gucidos de Malpont, qui fut à roy parens, Gebas, Andelos, Nyquars et Guisdens del Altretins et Pales. Puis at regardeit, si at aperchut Mylion qui ochioit les Tongrois. Si prent une lanche, se le vat lanchier, si qu'ilh le navrat en costeit mult parfont, si qu'ilh chaiit à terre pasmeit. Adont les Tongrois l'ont pris et retenus ; et les Danois sont desconfis, car ilhs n'ont nuls chiefs ; si en ont pris XXXc des plus grans. Adont les Tongrois vinrent à leurs trefs mult lasseis, si se sont repoiseis tout la nuit.

Pharons, le fils de Trémus [p. 531], tua Gucidos de Malpont qui était apparenté au roi, ainsi que Gébas, Andélos, Nyquars, Guisdens del Altretins et Pales. Puis il regarda autour de lui et aperçut Mélion qui massacrait les Tongrois. Il prit une lance et la lança si bien sur lui qu'elle le blessa profondément au côté et qu'il tomba à terre, évanoui. Alors les Tongrois prirent Mélion et le retinrent. Désormais privés de chef, les Danois furent battus. Trois cents, parmi les plus grands, furent capturés. Puis, les Tongrois retournèrent à leurs tentes, très fatigués, et ils se reposèrent toute la nuit.

Et lendemain vient Tremus aux prisonniers, si leur dest : « Tous perdereis le chief et tout pour l'amour de nostre evesque cuy vos aveis enprisonneis, qui la tres-sainte loy Jhesu-Crist alloit prechant par tous paiis ; vous en moreis tous, et puis arderay tout le royalme des Dannois. » « Sires, respont Melion, vos fereis chu qu'ilh vos plairat ; mains, puisque nos summes prisonniers rendus et rechus, ilh n'est mie raison que nos rechivons mort, mains devons passeir et escappeir par ranchon ou en perpetuel prison. Beais sires, s'ilh vos plaiste, vous avereis por moy et por tous les aultres X sommiers tous chargiés de monoie, et ravereis vostre evesque ; prendeis l'avoire, beais sire. »

Le lendemain, Trémus vint trouver les prisonniers et leur dit : « Tous vous allez perdre votre tête et tout (ce que vous avez) parce que nous aimons notre évêque, votre prisonnier, qui allait prêcher partout la très sainte doctrine de Jésus-Christ. Vous allez tous mourir et après je mettrai le feu à tout le royaume des Danois. » Mélion répondit : « Seigneur, vous agirez à votre gré ; mais, puisque nous sommes vos prisonniers,  que nous nous sommes rendus et que notre reddition a été acceptée, vous n'avez pas de raison de nous mettre à mort. Nous pouvons l'éviter moyennant une rançon ou la prison à vie. Beau seigneur, s'il vous plaît, recevez pour moi et tous les autres, dix bêtes de somme chargées d'argent et récupérez votre évêque. Prenez l'argent, beau sire. »

Quant Tremus l'entendit, si fut l'avoir convoitans et s'acordat à la paix. Ensyment ont les Tongrois reconquesteit leur evesque awec le grant avoir ; se soy sont retourneis à Tongre et ont rameneit l'évesque sains Materne, se ly ont donneit l'avoir de X summiers por fondeir des englieses et acquerir rentes por doyer.

Quand Trémus l'entendit, il désira avoir l'argent et conclut un accord de paix. Ainsi donc les Tongrois retrouvèrent leur évêque ainsi que beaucoup d'argent. Ils retournèrent à Tongres et y ramenèrent l'évêque Materne. Ils lui donnèrent les richesses portées par les dix bêtes de somme pour fonder des églises et obtenir des rentes pour faire des dotations.

 

De retour dans son pays, Materne poursuit de nombreuses réalisations, notamment des conversions et des constructions d'églises (région rhénane, future Liège, Maastricht) (vers 125-126)

 

[p. 531] Apres avient que sains Materne, en mois de septembre, en allat sus le Riens, et y prechat tant qu'ilh y convertit mult grant gens. Et y edifiat IX englieses en l'honeur de la virge Marie, et les commenchat endit mois, et laisat là II siens disciples por parfaire l'ovrage.

[p. 531] Après cela, saint Materne partit en septembre dans la région du Rhin, où il prêcha tellement qu'il convertit des gens en foule. Il y édifia neuf églises en l'honneur de la Vierge Marie. Il les commença ce mois-là, en laissant sur place deux de ses disciples pour terminer le travail.

[Sains Materne edifiat une capelle à Liège où est li engliese Sains-Servais] Si revient arire à Tongre, si edifiat une engliese enssi com capelle en Publemont en l'honeur sains Pire, sour unc thier qui siet deleis Liege maintenant et à Liege, car ilh dure de Sains Giele tout aval jusqu'à la thour le officiaul, et en amont jusqu'à Sainte Walbure en desquendant par Sains-Serval jusques en Marchiet de Liege. En celle capelle alloit oreir mult sovent sains Servais, qui venoit de [p. 532] Treit, à lieu où Liege siet maintenant, qui astoit unc gran bois adont, et longtemps apres quant sains Servais visquoit.

[Saint Materne édifia une chapelle à Liège, où se trouve aujourd'hui l'église Saint-Servais] En revenant à Tongres, il édifia, en l'honneur de saint Pierre, une église, sous forme d'une chapelle, sur le Publémont, une colline près de Liège. Cette colline se trouve aujourd'hui dans Liège, car le Publémont s'étend de Saint-Gilles en aval jusqu'à la Tour de l'Official et, en amont jusqu'à Sainte-Walburge, en descendant par Saint-Servais jusqu'au Marché de Liège. Quand il venait de Maastricht [p. 532], saint Servais allait souvent prier dans cette chapelle, où se trouve maintenant Liège. À cette époque, c'était un grand bois qui subsista longtemps encore après saint Servais.

[Sains Materne fondat II englieses en Chievremonte - L’an CXXV] Item, ilh fondat II englieses en Chievremont-le-Casteale : ly une estoit en l'honeur de Nostre-Damme et l'autre de Sains-Johans ewangeliste. Et mettit en chascune XX canoynes, lesqueiles ilh arentat grandement de ses biens. Et chu fist-ilh sour l'an CXXV et XXVI.

[Saint Materne fonda deux églises à Chèvremont - An 125] Materne fonda en outre deux églises à Chèvremont-le-Château : l'une consacrée à Notre-Dame et l'autre à saint Jean l'Évangéliste. Dans chacune d'elles, il installa vingt chanoines, auxquels il accorda de fortes rentes sur ses propres biens. Il fit cela en 125 et en 126.

Puis s'en allat à Treit repoiseir car ilh amoit la vilhe de Treit ; et edifiat à Treit pluseurs englieses, sicom dit est, entres lesqueiles ilh celebroit volentier messe en l'engliese Sains-Bertremere, que ons dist maintenant Sains-Servais à Treit.

Puis il se rendit à Maastricht pour se reposer, car il aimait cette ville. Il y édifia plusieurs églises, comme on l'a dit. Parmi ces églises il aimait célébrer la messe en l'église Saint-Barthélemy, maintenant appelée église Saint-Servais à Maastricht.

 

 


 

 

C. Romains ET Gaulois - ROMAINS, Athéniens ET chrétiens [Myreur, p. 532b-534a]

 

 Ans 125-126

 

 

Sommaire

Hadrien attaque les Gaulois qui avaient négligé de payer leur tribut - Des batailles épiques et meurtrières pour les deux camps sont remportées par les Gaulois - Franco devint duc de Gaule (125)

Conflits entre  Romains et Athéniens - Les Romains, d'abord vaincus et  assiégés par les Athéniens,  l'emportent en fin de compte, grâce aux chrétiens qui gagnent ainsi la protection d'Hadrien (126)

 

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 Hadrien attaque les Gaulois qui avaient négligé de payer le tribut - Des batailles épiques et meurtrières pour les deux camps sont remportées par les Gaulois - Franco devint duc de Gaule (125)

 

[p. 532] [Adriain l’emperere s’en vat en Galle por conquesteir] En cel an C et XXV, assemblat l'emperreur Adriain son oust por alleir sour cheaux de Galle, car ons ly avoit dit que ilhs soloient payer et rendre tregut aux Romans ; mains ilhs l'avoient lassiet dès al temps Nero l'emperere de Romme. Atant s'achemynat et entrat en paiis de Galle, et commenchat à destruire la terre de duc Ector, lyqueis assemblat ses gens quant ilh le soit ; si vient encontre l'emperere qui avoit II hommes encontre unc, et le corrit sus tres-valhamment et puissamment.

[p. 532] [L’empereur Hadrien part conquérir la Gaule] En 125, l'empereur Hadrien rassembla son armée pour aller attaquer les Gaulois. On lui avait dit en effet que ceux-ci devaient payer un tribut aux Romains mais qu'ils avaient négligé de le faire depuis Néron, l'empereur de Rome. Hadrien prit donc la route, entra en Gaule et commença à dévaster la terre du duc Hector. Celui-ci, dès qu'il fut informé, rassembla ses troupes et marcha contre l'empereur. Possédant deux fois plus d'hommes, il fonça sur lui avec beaucoup de vaillance et de force.

La batalhe fut de forte assemblée aux lanches et puis aux espées : là oit tant d'abatus d'unne partie et de l'autre que la terre en estoit coverte. Là furent mors II des fis l'emperere, qui avoient à nom Trajain et Nerva ; et l'emperere ochist le duc Ector d'unne lanche à josteir, dont ses gens furent mult dolans ; mains por chu ne furent-ilh mie desconfis, ains prisent cuer en eaux, et assalhirent les Romans par teile ahir, qu'ilh en abatirent plus de Xm à celle empointe.

La bataille, qui rassembla beaucoup de gens, se fit à la lance et puis à l'épée. Tant d'hommes furent abattus que la terre en était couverte. Là, deux des fils de l'empereur, Trajan et Nerva, moururent. De son côté, l'empereur tua au combat, d'un coup de lance, le duc Hector, très pleuré par les siens. Les Gaulois ne furent cependant pas défaits : ils reprirent courage et attaquèrent les Romains avec une telle ardeur qu'ils en abattirent plus de dix mille lors de cette charge.

Atant vinrent par la batalhe Ector et Franco, les dois fis al duc Ector qui mors estoit, por vengier leur peire. Là furent Romans ochis et reculeis, et là furent ochis XVIII des plus grans senateurs de Romme ; et ochisent le cheval desous l'emperere, et l'ewissent ochis, si ne fust là grant poioir de ses gens qui le remontarent. Cesti batalhe dura tant que la nuit les departit, si que cascuns retraiit ses gens aux trefs.

Alors Hector et Franco, les deux fils du duc Hector qui avait été tué, s'engagèrent dans la bataille pour venger leur père. Là les Romains furent battus et mis en déroute ; dix-huit des plus grands sénateurs de Rome y périrent. Ils abattirent aussi le cheval de l'empereur, qu'ils auraient tué aussi, si ses gens n'avaient pu le remettre en selle. La bataille dura jusqu'à la nuit, qui sépara les combattants, et chacun fit rentrer ses troupes dans les tentes.

[Ly dus de Galle at desconfis Romans] Et lendemain al matin les Sycambiens fisent duc Ector, ly anneis fis le duc, lyqueis regnat jusqu'à medis. Apres soy rengarent les Romans et les Sycambiens, et soy corurent sus, et là fut mains coups donneis et rechus. Qui adont veist les Sycambiens assalhir les Romans et faire fuyr devant [p. 533] eaux ! que vos diray-je long chouse ? Les Romans sont reculeis plus de trois bonniers ; et adont les cachat ly jovene dus Ector si avant, qu'ilh fut d'eaux enclous et ochis. Mains chu ne valut riens, car les Romans furent desconfis, et en fut mors XVm. Adont s'enfuyrent vers Romme ; et quant ilhs vinrent là, si furent petitement festoiés et recolhis par cheaux qui avoient leurs amis perdus en la batalhe deseurdit.

[Le duc de Gaule défait les Romains] Le lendemain matin, les Sicambres élurent comme duc Hector, le fils aîné du duc, qui régna jusqu'à midi. Après quoi, Romains et  Sicambres se rangèrent (en bataille) et s'affrontèrent. Beaucoup de coups furent échangés. On vit alors les Sicambres attaquer les Romains et les pousser à fuir [p. 533] devant eux ! Que vous dirais-je de plus ? Les Romains reculèrent sur plus de trois bonniers ; le jeune duc Hector les poursuivit si loin qu'il fut encerclé par les Romains et tué. Mais cela ne valut rien aux Romains : ils furent vaincus, et quinze mille d'entre eux moururent. Ils se replièrent alors sur Rome. Mais une fois rentrés, ils furent très peu fêtés et accueillis par ceux qui avaient perdu leurs amis dans la bataille évoquée ci-dessus.

[Franco fut fais duc de Galle] Et les Sycambiens retournarent à Lutesse, et fisent leur saingnour de Franco, qui astoit noble chevalier, si astoit drois heurs de la terre, lyqueis regnat XXV ans.

[Franco est désigné duc de Gaule] Les Sicambres retournèrent à Lutèce et choisirent pour seigneur Franco, un noble chevalier, héritier direct de cette terre. Ce Franco régna pendant vingt-cinq ans.

 

Conflits  entre les Romains et les Athéniens - Les Romains, d'abord vaincus et assiégés par les Athéniens, l'emportent en fin de compte grâce aux chrétiens qui gagnent ainsi la protection d'Hadrien (126)

 

[p. 533] [L’an CXXVI] Item, l'an CXXVI, fist faire l'emperere à Romme une columpne, laqueile ilh apellat Adriain, enssi com Trajanus avoit à son temps fait une qu'ilh apellat Trajana, en laqueile columpne Trajanus fut ensevelis.

[p. 533] [An 126] En l'an 126, l'empereur fit constuire à Rome une colonne, qu'il appela Hadrienne, comme Trajan, en son temps, en avait fait une, qu'il avait appelée Trajane et dans laquelle il avait été enseveli.

[Guerre entre Romans et ches d’Athennes] En cel an oit grant batalhe entre l'emperere de Romme et Esache, le roy d'Athennes, por leur tregut payer. Et furent les romans desconfis, et perdirent mult de gens et se revinrent à Romme fuant. Et ly roy Esach et ses hommes les ont siwet, et ont assegiet la citeit de Romme. Si avient que ly emperere issit fours unc jour à grant gens, et oit batalhe à ses anemis ; mains les Romans furent encors desconfis, de quoy la novelle en vient à Romme.

[Guerre entre Romains et Athéniens] Cette année-là eut lieu une grande bataille entre l'empereur de Rome et Esache, le roi d'Athènes, à propos du payement du tribut. Les Romains furent vaincus, perdirent beaucoup d'hommes, s'enfuirent et rentrèrent à Rome. Le roi Esache et ses troupes les suivirent et assiégèrent Rome. Un jour l'empereur fit une sortie avec un grand nombre d'hommes et livra bataille à ses ennemis. Mais les Romains furent défaits une fois encore, et la nouvelle parvint à Rome.

[Grant myracle des cristiens] Et quant les cristiens qui astoient à Romme entendirent chu, si orent grant paour que ilhs ne fussent soupris et ochis en la citeit ; si desent entre eaux que ilh voloit mies que ilhs morissent à honneur en la batalhe, que à honte en la citeit. Adont s'ont tous les cristiens par accord armeis et sont issus de Romme ; si en fut bien jusqu'à VIIIc. Là fist Dieu gran myracle por l'amour des cristiens ; car oussitoist com les cristiens entrarent en la batalhe, leurs anemis furent desconfis et soy mysent al fuyr, et en fuyant ilhs chaioient mors par la volenteit de Dieu, enssi espès com gresilh chiest.

[Grand miracle des chrétiens] Quand les chrétiens qui vivaient à Rome apprirent cela, ils eurent très peur d'être pris et mis à mort dans la cité. Ils se dirent entre eux que mieux valait mourir avec honneur dans la bataille que périr honteusement dans la ville. Alors, d'un commun accord, tous les chrétiens s'armèrent et sortirent de Rome ; ils étaient au moins huit cents. Et là Dieu accomplit un grand miracle par amour des chrétiens. Car dès qu'ils furent entrés dans la bataille, les ennemis furent défaits et se mirent à fuir et, dans leur fuite, par la volonté de Dieu, ils tombaient morts, serrés comme des grelons.

[Cristiens orent la victoir] Quant les Romans veirent chu qu'ilh s'enfuoient com desconfis, si sont tantoist retourneis et ont racompteit à l'emperere comment les cristiens ont leurs annemis desconfis.

[Les chrétiens remportent la victoire] Quand les Romains virent les ennemis fuir comme des vaincus, ils arrêtèrent aussitôt leur propre fuite et racontèrent à l'empereur que les chrétiens avaient écrasé l'ennemi.

[Les Cristiens furent mult honnoreis et afranquis] Adont revient ly emperere à Romme, et fist des cristiens grant fieste ; et commandat ly emperere à tous ses prinche, qui astoient desous luy, et par toutes les provinches de son empire, qu'ilh ne fust nuls que de cheli jour en avant mesfesist riens aux cristiens, et que nuls cristiens ne fust mys à mort, s'ilh n'astoit accuseit et bien proveit de alcon cas dont ilh deservist la mort. En teile manere furent les [p. 534] cristiens plus francs que oncques n'avoient devant esteit.

[Les chrétiens sont très honorés et affranchis] Alors l'empereur rentra à Rome et fit grande fête aux chrétiens. Il ordonna à tous les princes qui lui étaient soumis, dans toutes les provinces de son empire, d'interdire dorénavant à quiconque de faire aucun mal aux chrétiens, et de mettre à mort un chrétien, quand il n'avait pas été accusé et reconnu coupable d'un fait qui méritait la mort. Ainsi les [p. 534] chrétiens devinrent plus libres qu'ils ne l'avaient jamais été auparavant.

 


 

 

D. Mort de saint Materne - Sort de sa dépouille [Myreur, p. 534b-535a]

 

 Ans 127-130

 

Sommaire

Bataille entre Danois et Frisons (127)

À Cologne, saint Materne, averti de sa mort, s'y prépare et demande à être enseveli à Trèves - Son âme est emportée par les anges au paradis (127-130)

Trèves, Cologne et Tongres se disputent le corps de saint Materne, miraculeusement emporté à Trèves, où il est enseveli - Il sera transféré en 830 dans l'église Saint-Lambert à Liège

Précisions sur l'histoire de Materne, fils du comte de Pavie, grand clerc, baptisé par saint Pierre

 

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Bataille entre Danois et Frisons (127)

 

[p. 534] [CXXVII] Item, l'an C et XXVII, oit ly roy Myleons de Dannemarche grant batalhe aux Frisons, qui astoient rebelles encontre luy. Si furent les Frisons desconfis ; et astoient grans gens.

[p. 534] [An 127] En l'an 127, le roi Mélion de Danemark livra une grande bataille contre les Frisons, qui se rebellaient contre lui. Les Frisons furent vaincus ; et ils étaient très nombreux.

 

À Cologne, saint Materne, averti de sa mort, s'y prépare et demande à être enseveli à Trèves - Son âme est emportée par les anges au paradis (127-130)

 

[p. 534] [Sains Materne veit sains Euchars et Valeir en vision] Item, en cel an, estoit sains Materne en la citeit de Colongne ; si avient que une vesprée ilh estoit en l'engliese, où ilh disoit ses heures, droit enssi que à meynut qu'ilh endormit ; et en dormant s'aparurent devant luy sains Euchars et sains Valeir, ses predicesseurs, qui rendoient grant clarteit, en disant : « O Materne, apparelhe-toy, les XXX ans sont portent (pres, B) passeis que Dieu toy donnat derainnement por vivre, ilh toy covient morir à siècle, le XIXe jour de septembre, et venir en la gloire de paradis deleis nous. » Adont estoit ly XVIe jour de novembre, si que ilh le covenoit morir le thier jour apres. Et les alcuns dient que ilh morut l'an C et XXX, le XVIIIe kalende d'octembre, chu est ly XIIIIe jour de septembre.

[p. 534] [Saint Materne voit en rêve les saints Euchaire et Valère] Cette même année [127], saint Materne se trouvait à Cologne. Un soir où il priait dans l'église, à minuit exactement, il s'endormit. Pendant son sommeil, saint Euchaire et saint Valère, ses prédécesseurs, lui apparurent, dégageant une grande lumière. Ils lui dirent : « Materne, prépare-toi. Les trente ans que Dieu te donna à vivre la dernière fois sont presque passés ; tu dois mourir à ce siècle le 19 septembre et venir nous rejoindre dans la gloire du paradis. » C'était alors le seizième jour du mois ; il devait donc mourir dans les trois jours suivants. Certains disent qu'il mourut en l'an 130, le dix-huitième jour des calendes d'octobre, qui correspond au 19 septembre.

[Le trepas sains Materne] Et droit lendemain ilh ordinat et dispoisat tout chu que à sainte Engliese apartinoit, et dest à ses disciples qu'ilh le covenoit morir ; mains ilh leur priat que son corps fust ensevelis à Trieve, deleis ses dois predicesseurs. Et quant chu vient à la nuit, sains Materne soy cuchat entres ses amis et ses disciples, qui tout nuyt voilont entour luy. Et enssi droit al ajournant vint là une vois que dest, si que cascon l'oiit : « Or, t'en viens, Materne, chiers et bien ameis de Dieu. » Adont quant sains Materne l'oiit, ilh rechut et usat le corps Jhesu-Crist, et atant l'arme tantost soy partit, laqueile les angeles l'enportarent en chiel tout chantant.

[La mort de saint Materne] Dès le lendemain, il mit en ordre et régla tout ce qui appartenait à la Sainte-Église. Il dit à ses disciples qu'il devait mourir et les pria de l'ensevelir à Trèves, près de ses deux prédécesseurs. Et quand la nuit fut venue, il se coucha au milieu de ses amis et disciples, qui veillèrent toute la nuit près de lui. Et juste au lever du jour survint une voix qui disait ce que chacun entendit : « Maintenant, viens, Materne, chéri et bien aimé de Dieu. » Quand saint Materne l'entendit, il reçut en communiant le corps de Jésus-Christ. Son âme aussitôt s'en alla, emportée au ciel par les anges qui chantaient.

 

Trèves, Cologne et Tongres se disputent le corps de saint Materne, qui est miraculeusement emporté à Trèves, où il est enseveli - Il sera transferé en 830 dans l'église Saint-Lambert à Liège

 

[p. 534] [Coment ly corps sains Materne s’en alat à Trive sens marnier] Adont oit mult grant discors entres cheaux de Trieve et de Colongne et de Tongre, pour avoir le corps sains Materne et ensevelir en leurs englieses. Enssi com ilh estoient en teile discors, vint là uns proidhons qui fut nomeis Clemens, qui mult astoit saige ; se dest que ons presist le corps de sains evesque Materne, et si fust tantoist mys en une nave dedens la rivier del Riens, et à cheluy à cuy Dieu otriroit à avoir le corps, se l'awist. Adont fut-ilh enssi faite, et fut la nave mise en le Riens, et le corps sains Materne dedens. Mains oussitoist que chu fut fais, [p. 535] la nave, en laqueile ilh n'avoit ne homme ne femme, fours que le sains corps qui n'avoit point de vie en ly, s'en alat contremont et contre le courant del aighe, et nagant tant par le myracle de Dieu qu'ilh arivat à Trieve, asseis pres delle engliese où ses dois predicesseurs furent ensevelis, assavoir en l'engliese Sains-Johans ewangeliste.

[p. 534] [Le corps de saint Materne gagne Trèves sans batelier] Une violente dispute opposa alors les habitants de Trèves, de Cologne et de Tongres, qui voulaient tous détenir le corps de saint Materne pour l'ensevelir dans leurs églises. Alors qu'ils étaient en plein désaccord, un homme survint, qui s'appelait Clément et était un grand sage. Il dit de prendre le corps du saint évêque Materne et de le placer immédiatement  dans un bateau sur le Rhin : que celui à qui Dieu attribuerait sa dépouille la conserve. On procéda ainsi : le bateau contenant le corps de saint Materne fut lancé sur le Rhin. Cela fait, [p. 535] l'embarcation, sur laquelle ne se trouvait personne, ni homme ni femme, mais seulement le corps sans vie du saint, remonta le fleuve, à contre-courant. Un miracle de Dieu la fit voguer jusqu'à son arrivée à Trèves, tout près de l'église où ses deux prédécesseurs avaient été ensevelis, c'est-à-dire l'église de Saint-Jean l'évangéliste.

[L’egliese de Plorement, où sains Materne giet] En droit lieu où ilh arivat ches de Trieve edifiarent une engliese, laqueile engliese ilhs appellarent Plorement, portant que cheaux de Cologne et de Tongre, qui là astoient venus, ploroient si tenrement de chu qu'ilhs avaient enssi perdut le sains corps de sains Materne et que cheaux de Trieve l'avaient. En teile manere fut ensevelis ly corps de glorieux confesse, sains Materne, deleis ses dois predicesseurs.

[L’église de la Déploration, où git saint Materne] À l'endroit exact où aborda le bateau, les habitants de Trèves édifièrent une église qu'ils appelèrent l'église de la Déploration, tant les habitants de Cologne et de Tongres, venus sur place, pleuraient d'avoir été privés du corps de saint Materne qui se trouvait aux mains des gens de Trèves. Ainsi fut enseveli le corps du glorieux confesseur, saint Materne, près de ses deux prédécesseurs.

[Coment li corps sains Materne fut translateit à Liège] Mains ons trueve dedens les croniques de Trieve que, sour l'an del incarnation VIIIc et XXX, fut-ilh translateit à Liege en l'engliese Sains-Lambert, en laqueile engliese ilh est encor ajourd'huy.

[Le corps de saint Materne est transféré à Liège] Mais on trouve dans les chroniques de Trèves qu'en l'an 830 de l'Incarnation, le corps de saint Materne fut transféré à Liège, dans l'église Saint-Lambert, où il est encore aujourd'hui.

 

Précisions sur l'histoire de Materne, fils du comte de Pavie, grand clerc, baptisé par saint Pierre

 

[p. 535] [Le lynage et les armes sains Materne] Chis sains Materne fut très-nobles hons ; car ons ne faisait mie nuls clers, s'ilh n'estoit fis d'emperere, de roy, dus, conte, marchis ou banereches. Et ilh fut le fis de conte de Pavie, en Lombardie, qui puis fuit royalme. Et portoit Ii conte de Pavie adont unc escut d'argent à une aigle d'asure. Et sa mere, qui fut nommée Materne, et fut la filhe le saingnour de Moide, en Lombardie, lyqueis portoit tout teils armes, adjosteit une estoil de geule.

[p. 535] [Le lignage et les armes de saint Materne] Ce saint Materne fut un homme très noble, car nul ne devenait clerc, s'il n'était fils d'empereur, de roi, de duc, de comte, de marquis ou de porteur de bannière. Materne était le fils du comte de Pavie, en Lombardie, un comté qui devint ensuite un royaume. En ce temps-là, le comte de Pavie portait un écu d'argent orné d'un aigle d'azur. Sa mère, appelée Materne, était la fille du seigneur de Moide, en Lombardie, lequel portait les mêmes armes, ornées d'une étoile de gueule.

Les ancesseurs Materne furent tous payens, mains sains Materne soy fist baptisier par sains Pire l'apostle. Et ilh astoit si grant clers que por sa clergerie sains Pire l'envoiat à Trieve awec Euchar et Valeir.

Les ancêtres de Materne étaient tous païens, mais saint Materne se fit baptiser par l'apôtre saint Pierre. Il était si grand clerc que saint Pierre l'envoya à Trèves avec Euchaire et Valère précisément pour ses qualités de clerc.

 

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