Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 370b-379a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Divers : Occident et Judée - Les trois successeurs d'HÉrode [Myreur, p. 370b-379a]

Ans 7-8

 

Introduction [texte]

À l'exception d'une guerre entre la Hongrie et le Danemark et du retour de la Sainte-Famille à Nazareth en Galilée plutôt qu'à Bethléem en Judée par crainte d'Archélaüs, ce fichier ne traite que des affaires de Judée, plus exactement du règlement ‒ combien difficile ‒ de l'héritage d'Hérode. C'est, en dernière analyse, Auguste qui décide mais, en Judée, les affaires s'enveniment très vite.

En effet, avant même d'être investi par Rome, Archelaüs réprime cruellement à Jérusalem des Juifs qui avaient malmené dans le Temple un grand-prêtre nommé par Hérode ; on compte au moins neuf mille victimes (p. 371-372). Archélaüs doit en outre affronter l'opposition de son frère, Hérode Antipas. Arrivés à Rome, les deux frères, fils de Malthacé la Samaritaine, se présentent devant Auguste, revendiquant chacun le pouvoir sur la Judée. Mais la succession se complique suite à l'intervention d'un troisième frère, Philippe, fils d'une autre épouse, Cléopâtre de Jérusalem. Trois fils d'Hérode sont désormais en lice, avec des prétentions soumises à l'arbitrage de l'empereur romain.

Lorsque la décision tombe, Auguste n'accorde pas aux fils d'Hérode le titre de roi qu'il avait donné à leur père. Archelaüs reçoit la plus grosse part : il devient tétrarque de Judée, de Samarie et d'Idumée, avec le titre d'ethnarque des Juifs. Il est donc supérieur aux autres. Il fut un souverain plus cruel encore qu'Hérode le Grand. Hérode Antipas est tétrarque de la Galilée et de la Pérée. C'est lui qui intervient dans le récit évangélique du procès de Jésus, que Pilate lui envoie parce que il était un Galiléen. Sur la part du troisième, Philippe, appelé parfois par les Modernes Hérode Philippe II, les sources anciennes divergent : selon l'évangéliste Luc, il est tétrarque d'Iturée et de Trachonitide ; selon Flavius Josèphe, il est tétrarque de Batanée, avec la Gaulanitide, la Trachonitide, et l'Auranitide. Quoi qu'il en soit, on note ici encore que le vocabulaire de Jean est plus médiéval que romain. Pas question chez lui de tétrarque et d'ethnarque, mais de roi, de prince, de seigneur. Il n'utilise toutefois pas les termes de vassal et de suzerain. Jean ne signale pas non plus que l'empereur se désista, « au profit des enfants du roi, des présents qu'il avait reçus d'Hérode à titre personnel » (M. Hadas-Lebel, Rome, Judée, Paris, 2009, p. 61).

Jean insère dans l'histoire de la succession des épisodes comme celui des quatre usurpateurs qui se proclament rois de Judée, ou celui de Nemrod de Sidon, qui tente de se faire passer, jusqu'auprès de l'empereur, pour Alexandre, fils d'Hérode le Grand et frère d'Aristobule, une manoeuvre qui fut déjouée avec beaucoup de perspicacité par l'empereur lui-même. Sur tous ces événements qui se passèrent en Judée après le départ d'Archélaüs, Jean passe très rapidement. Un seul exemple : le nom de Varus, gouverneur romain de Syrie, figure bien dans son récit (p. 374), mais aucun lecteur ne peut en déduire que le proconsul dut faire face à une véritable insurrection qu'il réprima d'une manière impitoyable.

Jean termine (p. 378) par quelques informations complémentaires sur la cruauté d'Archélaüs et sur ses deux mariages, notamment sur sa seconde épouse, Glaphyra, dont il reparlera (p. 382).

La mention de Nicolas de Damas (p. 372) est intéressante. Né à Damas en Syrie, cet historien et philosophe de langue grecque fut le secrétaire, le professeur et l'ami d'Hérode Ier. Il écrivit une œuvre abondante et variée dont seuls quelques fragments ont été conservés mais qui fut beaucoup exploitée par la suite, notamment par Flavius Josèphe, qui s'en inspire directement dans ses Antiquités judaïques.

Nous terminons par une brève observation. En présentant (p. 373) les épouses d'Hérode et leurs enfants, Jean se trompe. Cléopâtre de Jérusalem n'est pas la mère d'Hérode Antipas. En effet, ce dernier est le fils de Malthacé la Samaritaine et le frère d’Archélaüs. Mais tant d'autres remarques resteraient à faire. Les récits de Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, II, 1-7, et Antiquités judaïques, XVII, 10, 4-10, comme d'habitude, sont infiniment plus détaillés.

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Sommaire

* Guerre meurtrière entre la Hongrie et son vainqueur le Danemark - Yborus roi de Danemark et Porus, époux d'Alexandrine de Danemark, roi de Hongrie (7)

* Archélaüs, fils d'Hérode, réprime cruellement dans le Temple des Juifs qui ont malmené un grand-prêtre nommé par Hérode (7)

* À Rome, Archélaüs et Hérode Antipas revendiquent chacun l'héritage de leur père - Un rappel sur les épouses et les fils d'Hérode (7)

Usurpateurs et brigands en Judée - Le proconsul Varus - Philippe Hérode se rend lui aussi Rome pour obtenir sa part d'héritage (7)

* Une anecdote : Nemrod de Sidon, sosie d'Alexandre, le fils aîné d'Hérode, exécuté avec son frère Aristobule (7)

César Auguste règle la succession des trois fils survivants d'Hérode (an 7)

* Sous le règne du cruel Archélaüs, qui épouse Glaphyra, Joseph et Marie retournent à Nazareth en Galilée (7-8)

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Guerre meurtrière entre la Hongrie et son vainqueur le Danemark - Yborus roi de Danemark et Porus, époux d'Alexandrine de Danemark, roi de Hongrie (7)

 

[p. 370] [L’an VII] [Guere des roys Hongrois et Dannemarche] Item, l’an VII del incarnation Jhesu-Crist, le XIIIe jour de mois de may, muet une grant guerre entre le roy Ogens de Dannemarch, d’unne part, et le roy Sedroch de Hongrie, d’autre part. Si vos diray porquoy. Ogens, li roy de Dannemarche, avoit une filhe qui fut nommée Alexandrine, et li roy de Hongrie avoit I fis qui oit nom Mereomes. Si en fut parleit de mariage tant, que li roy de Hongrie dest qu’ilh n’avoit plus d’enfant que Mereomes, si qu’ilh li donnoit le royalme de Hongrie en dit mariage awec Alexandrine ; mains ilh voloit oussi que li roy Ogens donnaste le moitié de son royalme contre Yborus, son fis, qui roy devoit estre apres luy, à sa filhe en dit mariage. Mains ly roi Ogens n’en vot riens faire, et dest que son fis Yborus seroit roy apres luy tout entirement. Enssi soy departirent corochés li uns de l’autre.

[p. 370] [An 7] [Guerre entre les rois de Hongrie et de Danemark] En l'an sept de l'incarnation de Jésus-Christ, le 13 mai, une grande guerre éclata entre le roi Ogens de Danemark (p. 220) d'un côté, et le roi Sedroc (p. 334) de Hongrie de l'autre. Je vous en dirai la cause. Eugène, roi de Danemark, avait une fille nommée Alexandrine, et le roi de Hongrie un fils nommé Mereomes. On parla de leur mariage, et un jour le roi de Hongrie déclara qu'il n'avait plus comme enfant que Mereomes, et qu'il lui donnait le royaume de Hongrie s'il épousait Alexandrine ; mais il voulait aussi que le roi Ogens donne à sa fille la moitié de son royaume lors de ce mariage, au détriment de son fils Yborus, son successeur comme roi. Mais le roi Ogens ne voulut rien faire et dit que son fils Yborus serait roi à part entière après lui. C'est ainsi qu'ils se séparèrent, fâchés l'un contre l'autre.

[Grant batalhe] Lesdis roy soy defiarent pour chest cause, et mandat cascon ses hommes. Mereomes ardit une vilhe qui oit nom Audoxa, que li roy Audax avoit fondeit à son visquant ; et li roy de Dannemarche, awec ses gens, entrat en Hongrie à bannier desploié, si ardit pluseurs vilhes. Mains li roy Sedroch vient contre luy à grans gens, et la oit grant batalhe, et mains hommes [p. 371] mors d’ambdois parties. En la fin vient Meromes par la batalhe vers le roy Ogens, et le ferit teile coup de son espée que ilh le fendit jusques al baldreit.Quant Yborus le veit, si escriat ses gens et corit sur ses annemis, et tant qu’ilh les reculat mult grandement, et les cachat toudis tant qu’ilh les at desconfis. Adont fuirent les Hongrois ; et dist li escripture saint Eusebe que ilh fust ochis de la partie le roy de Hongrie IXxx chevaleirs et XXm hommes ; et de la partie des Danois fut ochis li roy Ogens, et XIIII chevaleirs et IIc hommes.

[Grande bataille] C'est pour cette raison que ces deux rois s'affrontèrent ; chacun convoqua ses troupes. Mereomes incendia une ville, nommée Audaxa, fondée de son vivant par le roi Audax ; et le roi de Danemark avec son armée pénétra en Hongrie, bannière déployée, et incendia de nombreuses villes. Mais le roi Sedroc contre-attaqua avec des forces nombreuses et une grande bataille causa une quantité de [p. 371] morts dans les deux camps. Et à la fin de la bataille, Mereomes attaqua à l'épée le roi Ogens et le frappa si fort qu'il le pourfendit jusqu'au baudrier. Quand Yborus le vit, il appela ses gens et courut sus à ses ennemis, les fit fortement reculer, les poursuivit et finit par les vaincre. Alors les Hongrois s'enfuirent. Le texte de saint Eusèbe rapporte que du côté du roi de Hongrie, dix-huit cents chevaliers et vingt mille hommes furent tués, et du côté danois, le roi Ogens, quatorze chevaliers et deux cents hommes périrent.

Item, en cel batalhe furent pris com prisonirs le roy Sedroch et son fis Mereomes, qui furent enmyneis en Dannemarche. Et voirent les barons de paiis que li roy fuist lassiés fours par teile convent, que son fis Mereomes seroit roy de Hongrie et s’aroit Alexandrine à femme. Enssi le vot bien faire le roy Sedroch. Mains Yborus dest qu’ilh prenderoit venganche de son père le roy Ogens, ne jà sa soreur n’auroit chuluy qui li avoit son pere ochis. Atant les fist ambdois coupeir leurs tiestes, puis soy fis coroneir à roy des Dannois et des Hongrois, et fut roy des Danois VIII ans ; mains la royame de Hongrie donnat à sa sereur Alexandrine, et li donnat I chevalier à marit, qui fut nommeis Porus, qui astoit li fis Troialus, le duc de Galle.

Au cours de cette bataille, le roi Sedroc et son fils Mereomes furent faits prisonniers et emmenés au Danemark. Et les barons du pays décidèrent de relâcher le roi à la condition que son fils Mereomes devienne roi de Hongrie et épouse Alexandrine. Le roi Sedroc y consentit. Mais Yborus déclara qu'il vengerait son père le roi Ogens, et que jamais sa sœur n'appartiendrait au meurtrier de son père. Alors il fit couper la tête de Sedroc et de son fils, puis se fit couronner roi des Danois et des Hongrois. Il fut roi des Danois pendant huit ans ; par ailleurs, il laissa le royaume de Hongrie à sa sœur Alexandrine, à qui il donna pour époux un chevalier, nommé Porus, fils de Troïlus, le duc de Gaule.

[Porus le XIe roy Hongrois] Chi Porus fut ly XIe roy de Hongrie et regnat XL ans.

[Porus XIe roi Hongrois] Ce Porus fut le onzième roi de Hongrie et régna quarante ans.

 

Archélaüs, fils d'Hérode, réprime cruellement dans le Temple des Juifs qui ont malmené un grand-prêtre nommé par Hérode (7)

 

[p. 371] [De Archelaus, le fis Herode] Item, en cel an enmut grant discorde entre Archelaus, le fis Herode, et une partie de ses gens ; car ilh soy complendoient mult de son pere Herode, qui les avoit esteit trop fel et crueux. Si en ablamoyent son arme, car ilh les avoit fait ochire les dois grans maistres de la loy por l'aigle d'oir qu'ilh avoient abatue, et leurs avoit instaublit contre raison une evesque de leur loy ; si voloient que chis evesque fut oisteis, porqu'en ilh n'avoit li digniteit rechuite de par Dieu, mains de part Herode. Ches novelles alerent tant que le jour de leur sabba, et quant ly peuple fut assembleis en temple, se ne vorent pais souffrir les Juys que chis evesque, que Herode avoit mis, rechusse les offrandes, ne que ilh fesisse le serviche de Dieu. Et finablement ilhs le jettarent fours de temple par forche.

[p. 371] [Archélaüs, le fils d’Hérode] Cette année-là éclata une grande discorde entre Archélaüs, fils d’Hérode, et certains de ses sujets, qui se plaignaient beaucoup de la fourberie et de la cruauté de son père Hérode à leur égard. Ils le maudissaient, parce qu'ils lui reprochaient d'avoir fait mourir les deux grands docteurs de la loi à cause de l’aigle d’or qu’ils avaient abattu (p. 367-368). Hérode leur avait aussi imposé contre toute raison un grand-prêtre, dont ils voulaient la démission, parce qu'il n’avait pas reçu sa dignité de Dieu, mais d’Hérode. Ces propos se répandirent jusqu’au jour du sabbat et, une fois le peuple assemblé dans le Temple, les Juifs ne supportèrent pas que le grand-prêtre installé par Hérode reçoive les offrandes et accomplisse le service divin. Finalement, ils le jetèrent de force hors du Temple.

Quant ilh fut fours jetteis, ilh vint à Archelaus, et li demonstrat le honte et le [p. 372] desplaisanche que les Juys ly avoient fait. Dont Archelaus fut mult corochiés, car ilh ly sembloit que chu astoit honte à ly et despis, car son pere li avoit donneit l'evesqueit. Adont envoiat Archelaus son senescal awec l'evesque al temple, por ensaiier se ilh poroit metre acorde entre eaux ; mains ilh n'en pot à chief venir ; si soy corochat, et leur commandat de part Archelaus que ilhs lassassent al evesque son saingnorie, enssi qu'ilh avoit al temps Herode esteit. Quant les Juys oirent chu, se batirent vilainement le senescal, si que ilh fut fortement navreis. Atant s'enfuit ly senescal et vint à son sangnour, et li monstrat les plaies et les batures que les Juys ly avoient faite en son despit.

Le grand-prêtre alors se rendit chez Archélaüs et lui fit part de l'affront et du désagrément [p. 372] que les Juifs lui avaient causés. Archélaüs en fut très irrité. Il avait l’impression que l'affront et le dépit retombaient sur lui, car c’était son père qui lui avait attribué la charge épiscopale. Alors Archélaüs envoya au Temple son sénéchal avec le grand-prêtre, pour essayer de trouver un accord entre eux. Mais ce ne fut pas possible. Le sénéchal alors se fâcha et leur ordonna, de la part d’Archélaüs, de laisser au grand-prêtre son pouvoir, comme il l’avait du vivant d'Hérode. Quand les Juifs entendirent cela, ils malmenèrent vilainement le sénéchal, qui fut grièvement blessé. Celui-ci s’enfuit et vint montrer à son maître les plaies et les coups portés par les Juifs pour l’humilier.

[Archelaus ochist IXm Juys en temple]De chu fut si fort corochiet Archelaus, qu'ilh sembloit bien que ilh dewist forsenneir, en disant s'ilh ne soy redrechoit à celle promire honte, dont n'astoit digne qu'ilh tenist terre ne sengnorie. Atant at-ilh fait armeir ses chevaliers et ses gens, car ilh en avoit asseis en sa maison, car volentirs les tenoit chiers et pres de luy ; et les commandat d'aleir en temple, et ochire tous cheaux qui avoient forfait al evesque et à son senescal. Atant vinrent en temple, et corurent sus les Juys et en ochirent bien IXm, et le remanant s'enfuyrent en leurs maisons. Et fist proclameir Archelaus qu'ilh n'y awist nuls qui entendist à la fieste à faire. Enssi remanit la fieste de sabba que ons devoit faire par grant reverenche.

[Archélaüs tue neuf mille Juifs dans le Temple] Archélaüs en fut si irrité qu’il crut devoir se comporter durement, se disant que s’il ne réagissait pas à ce premier affront, il n’était pas digne de posséder des terres ou une seigneurie. Il fit alors armer ses chevaliers et ses gens, car il en avait beaucoup chez lui. Ils lui étaient chers et il les gardait volontiers près de lui. Il leur ordonna d’aller au Temple et de tuer tous ceux qui avaient fait tort au grand-prêtre et à son sénéchal. Ils arrivèrent alors au Temple et attaquèrent les Juifs. Ils en tuèrent au moins neuf mille. Les survivants s’enfuirent dans leurs maisons. Archélaüs fit proclamer que personne n'entende faire la fête. Le sabbat qu’on devait célébrer avec beaucoup de respect fut ainsi suspendu.

 

À Rome, Archélaüs et Hérode Antipas revendiquent chacun l'héritage de leur père - Un rappel sur les épouses et les fils d'Hérode (7)

 

[p. 372] [De Archelaus comment ilh allat à Romme] En cel an meismes, en mois de jule, montat Archelaus sour mere, por alleir à Romme por prendre la possession de son rengne et la coronne de la main Augustus Cesar. Et emynat awec ly Nycholas et Ptholomes, qui avoient esteit conselhirs priveis à Herode son pere, et Salomé son antain et ses enfans ; et chu faisoit-ilh por tesmongnier les convenanches qui avoient esteit entre ly et Herode son pere. Et quant ilh duit monteir sour mere, si appellat Philippe Herode son frere, et ly recommendat sa terre à gardeir tant que ilh revenist.

[p. 372] [Archélaüs se rend à Rome] Cette même année, au mois de juillet, Archélaüs embarqua pour se rendre à Rome afin d'y recevoir sa terre et sa couronne de la main d’Auguste César. Il emmena avec lui Nicolas (de Damas) et Ptolémée, les conseillers particuliers de son père Hérode, ainsi que sa tante Salomé et ses enfants. Il faisait cela pour respecter les accords conclus entre l'emperur et son père Hérode. Au moment de prendre la mer, il appela Philippe Hérode, son demi-frère [le fils de Cléopâtre de Jérusalem], pour lui confier la garde du pays jusqu’à son retour.

Archelaus nagat tant qu'ilh vient à Romme, si trovat Herodes Antipas, son aultre frere, qui astoit jà devant venus, et avoit priiet al emperere qu'ilh li fesist avoir son parchon el rengne son pere.

Archélaüs navigua jusqu’à Rome, où il trouva Hérode Antipas, son autre frère. Celui-ci, qui l’y avait précédé, avait déjà demandé à l’empereur de lui accorder sa part du royaume paternel.

Adont vinrent les dois freres devant l'emperere ; mains Archelaus astoit annéis, si parlat promirs, [p. 373] et dest que ilh devoit avoir le rengne, enssi com son pere l'avoit tenus par pluseurs raisons : promirs portant que ilh astoit troveis anneis fis, secondement portant que son pere Herode ly avoit donneit à son visquant et instaublit roy devant les plus grans de Judée ; et par ches dois raisons ilh demandoit à avoir le rengne, se le court imperials disoit que drois fust, car tout chu ilh voloit par bons tesmons suffissament proveir.

Les deux frères se présentèrent devant l’empereur. Comme Archélaüs était l’aîné, il parla le premier, [p. 373] disant qu’il devait obtenir le royaume de son père, et cela pour plusieurs raisons : premièrement parce qu’il était le fils aîné ; deuxièmement, parce que son père le lui avait donné de son vivant, et l’avait établi roi en présence des plus grands personnages de Judée. Pour ces deux raisons il réclamait le trône, si la cour impériale trouvait cela juste. Il voulait prouver tout cela à suffisance avec de bons témoins.

[Herode Antipas demande parchon al regne] A chu respondit Herode Antipas enssi que le regne ne devoit pas avoir Archelaus por chouse qu'ilh euwist encore dit ; car à jour que leur pere avoit fait le don del regne à Archilaus, ilh gisoit à lit dont ilh morit, et astoit si sourpris de maladie que ilh avoit perdut son sens et ne savoit chu qu'ilh faisoit, car celle jour propre que ilh fist le don, se soy vot-ilh ochire de unc cutel que ilh tenoit en sa main ; et por chest raison ne doit yestre de nulle valoir chu que ilh fist adont. Et, d'aultre part, se ilh astoit enssi, qu'ilh ne confessoit nient, que Archelaus awist droit el rengne, si l'avoit-ilh fourfait, car ilh avoit sens cause raisonable jà mis à mort IXm Juys des plus proidhommes de la terre ; et plus avant ilh avoit oussi priese la possession de la sengnorie sens le congiet de l'emperere, et par celle meffait ilh devoit bien eistre ataint de perdre tout chu qu'ilh y poioit demandeir, se le court imperial disoit que chu fust loy.

[Hérode Antipas demande sa part du royaume] À cela Hérode Antipas répondit qu’Archélaüs ne devait pas obtenir le royaume parce que leur père l'aurait dit. En effet, le jour où leur père avait fait le don de son royaume à Archélaüs, il gisait sur son lit de mort, si accablé par la maladie qu’il avait perdu sa raison et ne savait plus ce qu’il faisait. Ainsi, le jour même où il fit ce don, il avait voulu se suicider avec un couteau qu’il tenait en main. C’est pourquoi la décision prise à ce moment-là ne devait avoir aucune valeur. Et d’autre part, si vraiment Archélaüs, ce que lui (= Antipas) n'admettait pas, avait eu droit au trône, il avait désormais perdu ce droit suite à une faute ; en effet, sans raison valable, il avait fait mourir neuf mille Juifs, parmi les plus sages du royaume. De plus il avait pris possession du pouvoir sans l’aval de l’empereur. Suite à ce méfait, il devait être condamné à perdre tout ce qu’il pouvait demander, si la cour impériale disait que telle était la loi.

Quant l'emperere Cesaire les oit oiis, si appellat ses barons et leur dest que ilh conselhassent le melheur de ceste busongne comment ilh en debvroit faire : ou del tout donneir à unc, ou cascon son parchon. Atant sont les hommes trais à I conselhe ; et dementant entrat en palais I messagier, et dest à Archelaus que Matathie, sa mere, astoit morte. Et quant Archelaus l'oiit, si en fut mult dolens, si fut remeneis à son hosteil, si que ilh ne fesist mie son duelhe devant l'emperere ; enssi demorat li jugement.

Quand l’empereur César les eut entendus, il appela ses barons et leur demanda de le conseiller au mieux dans cette affaire. Que devait-il faire ? Tout donner à l’un, ou une part à chacun ? Les conseillers se retirèrent pour délibérer. Pendant ce temps, un messager arriva au palais et dit à Archélaüs que sa mère Malthacé était morte. Quand Archélaüs l'apprit, il fut très peiné. Il fut reconduit à son hôtel, et ainsi ne manifesta pas sa douleur devant l’empereur. Le jugement resta en suspens.

[Les femmes Herode] Alcuns poroient demandeir, puisque Archelaus alat vers son hosteil por sa mere qui astoit morte, pourquoy puisque Herode Antipas astoit son frere ne astoit oussy retrais. Nos respondons enssi que ilh astoient freres de unc pere, mains ilhs astoient de dois meres, car Herode oit pluseurs femmes ; mains l'Escripture n'en parolle que de quatres, dont ilh oit ses enfans qui visquarent, c'est assavoir : la promier, Dolside, le mere Antipater ; [p. 374] le seconde, Mariane, le mere Alixandre et Aristoble ; le tirche, Matathie, le mere Archelaus ; et Cleopatre, la quarte, le mere Philippe Herode et Herode Antipas.

[Les femmes d’Hérode le Grand] Archélaüs étant rentré à son hôtel, à cause de la mort de sa mère, certains pourraient se demander, pourquoi, vu qu’il était son frère, Hérode Antipas ne s’était pas retiré lui aussi. La réponse est qu’ils avaient le même père, mais des mères différentes. En effet Hérode eut plusieurs femmes ; les textes en citent quatre, dont il eut des enfants qui lui survécurent, c’est-à-dire : la première, Doris, mère d’Antipater ; [p. 374] la seconde Mariamne, mère d’Alexandre et d'Aristobule ; la troisième, Malthacé, mère d’Archélaüs, la quatrième, Cléopâtre, mère de Philippe Hérode et d'Hérode Antipas.

 

 Usurpateurs et brigands en Judée - Philippe Hérode se rend lui aussi à Rome pour obtenir sa part d'héritage (7)

 

[p. 374] [Des IIII hommes qui soy firent coroneir en Judée : Ester et Zonas et Judas et Baldaza] Enssi com ches chouses astoient, avient qu'en la terre de Judée avoit dois chevaliers qui tousjours avoient esteit de la court Herode, si furent nommeis Ester et Zonas ; se soy fisent roys de Judée ambdois, car li uns coronat l'autre. Et disoient qu'ilhs astoient riches et puissans asseis por eistre roys ; et la terre de Judée astoit remese sens conselhe qui alast contre eaux. Et avoit oussi en la terre de Judée unc laron qui avoit nom Judas de Galilée, qui avoit esteit fis à cheli laron que Herode ochist quant ilh revient de Romme, quant Cesaire li avoit rendue sa terre. Chis Judas soy fist oussi coroneir, et chevalchoit par le terre sicom roy. Et en la terre oultre le fluis Jordan avoit I hons qui avoit esteit de l'osteil Herode, qui mult astoit preux et hardis ; et avoit nom Baldaza de Jadiel. Chis chevalchoit par la terre à grant gens, et se soy faisoit cremir com roy en tous lieu où ilh venoit ; se le nommoit-ons le roy des pastours.

[p. 374] [Quatre hommes se font couronner en Judée : Ester, Zonas, Judas et Baldaza] Les choses en étant là, un jour, en Judée, deux chevaliers, qui avaient toujours fait partie de la cour d’Hérode et qui étaient dénommés Ester et Zonas, se proclamèrent tous deux rois. Chacun couronna l’autre. Ils se disaient assez riches et assez puissants pour être rois ; et la terre de Judée était restée sans un conseil pour s’opposer à eux. Il y avait aussi en terre de Judée un brigand, nommé Judas de Galilée, le fils de ce brigand qu’Hérode avait tué à son retour de Rome, quand César lui avait rendu la possession de sa terre. Ce Judas se fit couronner lui aussi et sur sa monture, il parcourait le pays comme s'il en était le roi. Et dans le territoire situé au-delà du Jourdain, un homme, membre aussi de la maison d’Hérode, homme preux et hardi, s’appelait Baldaza de Jadiel. Cet homme chevauchait à travers le pays avec une grande escorte, et se faisait acclamer roi partout où il allait. On le nommait le roi des bergers.

Enssi furent estaublis en la terre de Judée IIII roys, qui soy fasoient nommeir roys, et se n'y avoient riens ; mains ilhs quidoient que les enfans Herode se dewissent entre eaux destruire, dont la terre demorast sens heures.

Ainsi quatre rois furent établis en Judée, se faisant nommer rois sans aucun droit ; mais ils croyaient que les enfants d’Hérode devraient se détruire entre eux, et que dès lors, le pays resterait sans héritiers.

[p. 374] [Philippe Herode vat à Romme] Quant Varus, qui astoit adont prinche de Surie, soit chu, si envoiat quere Philippe Herode, le frere Archelaus, en cuy main la terre astoit remese à gardeir, et ly commandat qu'ilh s'en allast à Romme et desist ches novelles à l'emperere. Chis dest que volentirs yroit, sy s'en allat ; mains chu fut plus portant que l'emperere departoit la terre à ses freres que por aultre chouse, car ilh en voloit oussi avoir son part.

[p. 374] [Philippe Hérode va à Rome] Quand Varus, alors prince de Syrie, apprit cet état de choses, il envoya chercher Philippe Hérode, frère d’Archélaüs, qui s'était vu confier la garde du pays. Il lui ordonna d’aller à Rome et d’informer l’empereur de ces événements. Il répondit qu’il acceptait avec plaisir. Mais s'il se rendit à Rome, c'est essentiellement parce que l’empereur partageait le pays entre ses frères : lui aussi voulait obtenir sa part de territoire.

En teile manere alat Philippe Herode à Romme, et en alerent awec ly LIIII Juys des plus hauls hommes de la terre. Et quant ilhs vinrent à Romme, ilh trovarent bien VIIm Juys qui là astoient venus comme chaitif, et astoient affuis de la terre de Judée. Ches VIIm Juys alerent à Romme awec Philippe.

Philippe Hérode se rendit donc à Rome, accompagné de cinquante-quatre Juifs, parmi les plus importants du pays. Arrivés à Rome, ils trouvèrent au moins sept mille Juifs qui, en victimes, avaient fui la terre de Judée et étaient arrivés là. Ces sept mille Juifs se rendirent à Rome avec Philippe.

[Des mauls que Herode fist en Judée] Mains quant Cesaire soit qu'ilh voloient venir devant luy, ilh entrat en temple Apolien, et awec ly son conselhe, portant qu'ilh les [p. 375] voloit veoir tous apparamment. Quant ilh furent tous venus en temple, se criarent les Juys merchi al emperere, et là li racomptarent les grans mauls que Herode avoit faite en Judée, et des enfans que ilh avoit ochis, dont ilh en fut VIIxx et IIIIm tous innocens marles ; et Archelaus, son fis, avoit ochis IXm Juys des plus hauls hommes de la terre. Si voloient priier, com cheaux qui trop longement avoient esteit en subjection, qu'ilh les vosist mettre desous le sengnour de Surie, queis qu'ilh fuist, et que ches dois terres fussent d'unne sengnorie, ou que aulcun des prinches de Romme venist en Judée por la terre à governeir. Quant li emperere entendit chu, se dest qu'ilh auroit sour chu si bon conseilhe qu'ilh n'en seroit point blameis.

[Maux accomplis par Hérode en Judée] Ayant appris qu’ils voulaient se présenter à lui, César s'installa dans le temple d’Apollon avec son conseil, car il [p. 375] voulait les voir tous en public. Quand ils furent tous arrivés dans le temple, les Juifs implorèrent la pitié de l’empereur. Ils racontèrent les grands maux causés par Hérode (le Grand) en Judée, et évoquèrent les quatre mille cent quarante enfants qu’il avait tués, tous enfants mâles innocents (p. 355-356). Ils dirent aussi que son fils Archélaüs avait tué neuf mille Juifs, parmi les plus importants du pays (p. 372). Eux, ayant été soumis trop longtemps, voulaient le prier de les placer sous les ordres du seigneur de Syrie, qui qu’il fût. Ainsi les deux pays dépendraient d'un seul pouvoir, ou alors un prince de Rome pourrait venir gouverner la Judée. Après ce discours, l’empereur se dit qu'il prendrait à ce sujet une excellente décision, qu'on ne lui reprocherait pas.

 

Une anecdote : Nemrod de Sidon, sosie d'Alexandre, le fils aîné d'Hérode, exécuté avec son frère Aristobule (7)

 

[p. 375] [De Nembroth de Sydoine] A cel temps avoit en la terre de Sydoine unc bacheleir qui astoit Juys, qui oit nom Nembroth ; chis resembloit si parfaitement Alixandre, le fis Herode qui Herode fist ochire awec son frere Aristoble, que nuls hons ne posist dire que nul riens y falist que chu ne fust Alixandre. A cheli vint uns Juys qui astoit nommeis Herode Liber, qui savoit mies toutes les rentes et les esplois de la terre de Judée que nuls hons qui fust en vie ; et li dest que, s'ilh voloit, ilh le mainroit à Romme et ly feroit avoir le rengne de Judée, car ilh resembloit parfaitement Alixandre, le fis le roy Herode, qui mors astoit et astoit anneis de Archelaus. Que feroit-ons long compte ? Ilhs se sont accordeis et aleis à Romme, et entrarent en la citeit le propre jour que Philippe y entrat, sicom j'ay dit ; et chu fut sor l'an deseurdit, le XXVIe jour d'awost.

[p. 375] [Nemrod de Sidon] En ce temps, il y avait au pays de Sidon un jeune bachelier juif, nommé Nemrod. Il ressemblait à Alexandre, le fils d’Hérode, qui avait été tué avec son frère Aristobule par leur père ; la ressemblance était si parfaite que nul n'aurait pu dire ce qui lui manquait pour être Alexandre. Un certain Juif, nommé Hérode Liber, vint le trouver ; il connaissait mieux que personne toutes les ressources et les avantages du pays de Judée. Il lui proposa, s’il le voulait, de le mener à Rome et de lui faire obtenir le trône de Judée, car il ressemblait parfaitement au fils du roi Hérode, Alexandre, qui était mort et qui était le frère aîné d’Archélaüs. Que dire de plus ? Ils se mirent d’accord et se rendirent à Rome, où ils arrivèrent le même jour que Philippe, comme je l’ai dit (p. 374). Cela se passa en l’année ci-dessus, le 26 août.

[Merveilleux avis de Nembroth] Quant ilhs furent venus à Romme, les Romans qui cognissoient Alixandre voient Nembroth, si soy missent de sa part, et dessent que chis astoit anneis, si devoit eistre roy ; si qu'ilh oit grant compangnie des Romans awec luy qui li faisoient fieste, car Alixandre avoit en sa jovente demoreit à Romme awec son freire Aristoble. De chu alat la novelle par tout Romme que Alixandre le fis le roy Herode astoit venus. Et quant Archelaus le soit, si oit grant paour, car ilh savoit bien que ilh astoit anneis de luy, et devoit avoir la singnorie, et le convenroit iestre en sa subjection.

[Merveilleux jugements sur Nemrod] Quand ils furent arrivés à Rome, les Romains qui connaissaient Alexandre virent Nemrod et prirent son parti, disant que c’était lui l’aîné et qu’il devait être roi. Il y avait d’ailleurs de nombreux Romains autour de lui qui lui faisaient fête, car Alexandre dans ses jeunes années avait vécu à Rome avec son frère Aristobule. Dès lors, la nouvelle de l'arrivée d'Alexandre, le fils du roi Hérode, se répandit dans tout Rome. Archélaüs l’apprit et il eut très peur, car il savait qu’Alexandre était son aîné et devait donc avoir le pouvoir et que lui, Archélaüs, lui devrait soumission.

Celle nuyt alerent as hosteis tous les Juys, et lendemain vinrent al court Archelaus, Philippe et Antipas, les trois freres ; mains ilh fut dit à l'emperere que Alixandre, li anneis fis Herode [p. 376], astoit venus à Romme, et quant Cesaire l'entendit, se le mandat devant luy. Quant ilh fut venus, si soy jettat aux piés l'emperere, et li priat com à son sangnour droit qu'ilh li rendist le rengne, enssi com son pere Herode l'avoit tenue. Atant le fait lever Cesaire, puis ly demandat comment ilh astoit escappeit de la prison Sebaste, où ilh avoit esteit, luy et Aristoble son frere. A chu li respondit que « chis qui nos devoit coupeir les chief oit merchis de nos, et nos li jurammes que, se nos poiens jamais revenir à nos honneures, que nos li remerisseriens la bonteit que ilh nos faisoit. Enssi astons escappeis, et coparent les chiefs à dois aultres qui astoient en prison awec nos. Et quant nos fumes escappeis, mon frere Aristoble s'en alat en Gresse, sique je ne sçay s'ilh est mors ou vis ; je ne le vey oncques depuis. »

Cette nuit-là, tous les Juifs rentrèrent dans leurs auberges. Le lendemain, Archélaüs, Philippe et Antipas, les trois frères (survivants), vinrent à la cour. Mais l’empereur, ayant appris qu’Alexandre, le fils aîné d’Hérode [p. 376], était arrivé à Rome, le convoqua devant lui. Une fois arrivé, Alexandre (Nemrod) se jeta aux pieds de l’empereur et lui demanda comme à son vrai seigneur de lui rendre le royaume de son père. Alors César le fit se lever puis lui demanda comment il s’était échappé de la prison de Sébaste, où lui et son frère Aristobule avaient été incarcérés. À cela Nemrod répondit : « Celui qui devait nous couper la tête a eu pitié de nous et nous lui avons juré, si nous pouvions un jour retrouver notre honneur, de le remercier de sa bonté pour nous. Ainsi nous nous sommes échappés ; ils ont coupé la tête de deux autres hommes emprisonnés avec nous. Après notre délivrance, mon frère Aristobule est allé en Grèce et je ne sais pas s’il est mort ou vivant ; je ne l'ai plus jamais revu depuis ».

Quant Cesaire entendit chu, si le commenchat à regardeir mult parfaitement, com chis qui mult bien soloit cognoistre Alixandre, car ilh le cognissoit de son enfanche, et quant ilh plaidiat à Herode son pere devant luy ; et tant le regardat, qu'ilh li fut avis que chu n'astoit pais Alixandre, jasoiche que ilh le resembloit mult bien. Atant le prent par le main, se le mynat en une chambre, et li dest en teile manere : « Ilh toy covient dire veriteit, car je sçay bien que tu n'es mie Alixandre ; et se tu moy cognois veriteit et par cuy conselhe tu as chu fait, ta vie serat salvée ; et se tu ne le cognois, tu en moras. » Et chis, qui se dobtoit, respondit qu'ilh diroit veriteit par teile convent que nuls mauls n'en venroit à ly. Et l'emperere li oit enconvent que jà n'en perderoit la vie ne membres.

Quand César entendit cela, il commença à le regarder avec très grande attention, car il avait très bien connu Alexandre. En effet, il le connaissait depuis l’enfance et à l'époque où il parlait devant lui à Hérode son père. Il le regarda très attentivement et fut convaincu qu’il n'était pas Alexandre, bien qu’il lui ressemblât très fort. Il le prit alors par la main et le mena dans une pièce en disant : « Il faut que tu me dises la vérité, car je sais bien que tu n’es pas Alexandre. Si tu me l’avoues et si tu m’indiques celui qui t’a conseillé d’agir ainsi, tu auras la vie sauve ; si tu ne le reconnais pas, tu mourras ». Pris de peur, celui-ci répondit qu’il dirait la vérité à condition qu'aucun mal ne lui advienne. Et l’empereur convint avec lui qu’il ne perdrait ni la vie ni ses membres.

[De Herode Liber qui avait conselhiet Nembroth] Adont ly dest Nembrolh que vraiement ilh n'astoit mie Alixandre, ains astoit I Juys de la terre de Sydoine ; mains ilh astoit venus demandeir le rengne, enssi com I Juys li avoit conselhiet et fait entendant que ilh resembloit bien Alixandre le fis Herode, et mies ne pot oncques hons resembleir l'autre. « Et astoit chis Juys chevalier de la terre de Judée, qui avoit longtemps servit Herode, et sceit tout l'estat de luy et de sa terre, si qu'ilh moy informat de chu que j'ay dit par-devant vos. Et est nommeis li chevalier Herode Liber. »

[Hérode Liber avait conseillé Nemrod] Alors Nemrod lui dit qu’en réalité il n’était pas Alexandre, mais un Juif du pays de Sidon. Il était venu prétendre au royaume, sur le conseil d’un autre Juif, qui lui avait fait entendre qu’il ressemblait bien à Alexandre, le fils d’Hérode, et qu'un homme ne pouvait en aucune façon mieux ressembler à un autre. « Ce Juif était un chevalier de Judée, qui avait longtemps servi Hérode, et qui connaissait tout de lui et de son royaume. C’est cet homme qui m’informa de ce que j’ai dit devant vous. Et ce chevalier se nomme Hérode Liber. »

Atant est issus l'emperere de la chambre, et se fist prendre chis Herode Liber, et le fist tantost metre à mort, portant [p. 377] que ilh avoit donneit conselhe à Nembroth d'entreir en l'honeur où ilh n'avoit nulle droiture. Et quant ilh oit chu fait, ilh appellat cheluy Nembroth et le retient de sa maisnie ; et le fist portier de son palais, portant qu'ilh astoit plaisans de corps et apiers, et oussi portant qu'ilh li avoit dit et cognut tout veriteit.

Alors l’empereur sortit de la pièce et envoya saisir Hérode Liber. Il le fit mettre aussitôt à mort, pour [p. 377] avoir conseillé à Nemrod de revendiquer un honneur auquel il n’avait aucun droit. Après cela, il appela Nemrod et le garda dans sa maison. Il fit de lui un portier de son palais, parce qu’il était plaisant physiquement et ouvert, mais aussi parce qu’il lui avait dit et avoué toute la vérité.

 

César Auguste règle la succession des trois fils survivants d'Hérode (7)

 

[p. 377] Chi jour meismes apellat Augustus-Cesaire son conselhe, et dest qu'ilh voloit delivreir les enfans Herode, et voloit faire à cascon d'eaux raison et droiture. A cheluy conselhe oit teils qui dest que Archelaus devroit eistre sire de tout la terre, et teils y oit qui dest que ly anneis des dois altres l'ewist, car Archelaus le devoit perdre portant qu'ilh astoit atains des dois dis forfais ; et si oit des aultres qui jugarent que li uns en devoit avoir ortant com l'autre, car ilh leur estoit esqueyut ensemble de leur anneit frere Antipater, en cuy main ilh avoit esteit.

[p. 377] Ce même jour, César Auguste convoqua son conseil. Il dit qu’il entendait régler le cas des enfants d’Hérode et les traiter chacun selon la raison et le droit. Lors de ce conseil, quelqu’un dit qu’Archélaüs devait être le seigneur de tout le pays. Un autre estima que c'était l’aîné des deux autres qui devait l’être, car Archélaüs, accusé des deux crimes précités, n'y avait plus droit. D’autres encore pensèrent que les trois enfants devaient tous obtenir une part égale, car ils avaient reçu le pays ensemble de leur frère aîné Antipater, qui avait tenu le pouvoir en ses mains.

[De jugement Augustus Cesaire] Mains quant ilh oirent tous parleit, si parlat l'emperere et dest : « Signours, je ne m'acorde à chouse que vos aiiés dit, ains en voray dire et jugier à droit loy. Et portant que Archelaus est demoreit anneis heures apres la mort Herode, je dis en mon jegement qu'ilh soit roy de tout la terre que Herode tenoit à son visquant, si en ait la sengnorie et la coronne ; mains ilh n'aurat pais toutes les rentes, ains en aurat tant seulement le motié, et les dois altres freres en auront l'autre motié ; et serat cascon d'eaux sire de sa part del regne, com prinche et nient com roy, car ilh n'aurat en tout la terre altre roy que Archelaus, qui est ly anneis, qui le tenrat de moy et del empire ; et ses dois freres tenront de luy leur parties, et ilh serat leur saingnour. Enssi remanront-ilhs bons amis. »

[La décision de César Auguste] Quand ils eurent tous parlé, l’empereur prit la parole : « Seigneurs, je ne suis pas d’accord avec ce que vous avez dit ; je voudrais parler et juger selon une loi juste. Puisque Archélaüs est resté l’héritier aîné après la mort d’Hérode, je décrète en mon jugement qu’il soit le roi de l’ensemble du pays que possédait Hérode de son vivant, et qu’il en détienne la seigneurie et la couronne. Mais, il aura seulement une moitié de tous les revenus, et ses deux autres frères se partageront l’autre moitié. Chacun d’eux sera seigneur de sa partie du royaume, en tant que prince, et non comme roi. L'ensemble du pays n'aura d’autre roi que l'aîné, Archélaüs ; il tiendra sa royauté de moi et de l’empire ; ses deux frères tiendront leur part de lui, qui sera leur seigneur. Ainsi resteront-ils bons amis. »

[Archelaus fut roy de Judée après Herode, son père] Puis que Cesaire oit chu dit, nuls ne l'oisat contredire, ains s'i acordarent tous. Atant appellat l'emperere Archelaus, et li donnat la vesture de tout le regne entirement com roy et drois sire,

[Archélaüs devient roi de Judée après Hérode, son père] Lorsque César eut dit cela, nul n’osa le contredire et ils furent tous d’accord. Alors l’empereur appela Archélaüs et lui donna l’investiture entière sur tout le royaume en tant que roi et seigneur de plein droit.

[Noble ordinanche que Cesar fist des III enfans Herode] et se le coronnat par teile condicion que ilh li dest qu'ilh n'auroit que la motié des rentes, assavoir : la terre de Judée et la terre de Ydumée, et ses dois frerez auroient les rentes de l'autre motié ; assavoir que Herode Antipas auroit les rentes et seroit prinche desous luy de la terre oultre le fluis Jordain, et de toute la terre de Galilée ; et Philippe Herode auroit les rentes et seroit prinche desous luy de tout la terre Ycnite et Traconite. Enssi rechuit Archelaus de Cesar [p. 378] la coronne et la sengnorie de tout le rengne que son pere avoit tenut ; et là meismes ilh donnat à tenir de luy à cascon de ses freres la partie de la terre en teile manere que Cesair l'avoit jugiet.

[Noble décision prise par César concernant les trois enfants d'Hérode] Il le couronna, en précisant comme condition qu’il n’aurait que la moitié des revenus, c’est-à-dire ceux des terres de Judée et d’Idumée, ses deux frères ayant ceux de l’autre moitié. Hérode Antipas, soumis à Archélaüs, aurait les revenus et la seigneurie du territoire au-delà du Jourdain et de toute la Galilée. Philippe Hérode, également soumis à Archélaüs, aurait les revenus et la seigneurie de l’Auranitide et de la Trachonitide. Ainsi Archélaüs reçut de César [p. 378] la couronne et le pouvoir sur tout le royaume qu’avait détenu son père. Dans la foulée, il accorda à chacun de ses frères de tenir de lui la part de territoire prévue par le jugement de César.

Apres soy deplaindirent les trois freires devantdit à Cesaire des laurons qui chevalchoient parmy leur terres, et se soy faisoient clameir roys. Et Cesaire leurs donnat congiet de les mettre tous à mort, s'ilh les poioient avoir ; et leur priat li emperere qu'ilhs soy maintenissent loialment envers l'empire de Romme, et humblement envers leurs peuples. Atant sont partis les trois freres, et sont alleis cascons en son paiis que ilh avoit à governeir. Et tantoist qu'ilh y furent venus, assamblarent leurs gens, et chacarent tant les IIII roys qu'ilh les prisent et le misent à mort tous quattres.

Après cela, les trois frères se plaignirent devant César des brigands qui chevauchaient sur leurs terres en se proclamant rois. César leur donna la permission de les mettre tous à mort s’ils pouvaient les capturer. L'empereur les pria aussi de se montrer loyaux envers l’empire de Rome, et respectueux à l'égard de leurs peuples. Alors les trois frères repartirent chacun dans le pays dont ils avaient la charge. Aussitôt arrivés, ils rassemblèrent leurs troupes et poursuivirent les quatre rois jusqu’au moment où ils les saisirent tous et les mirent tous à mort.

 

Sous le règne du cruel Archélaüs, qui épouse Glaphyra, Joseph et Marie retournent à Nazareth en Galilée (7-8)

 

[Del crualteit Archelaus] Apres chu vint Archelaus en sa terre, et regnat com roy IX ans : chis Archelaus fut mult fel et crueux, et mult soy pennat de greveir cheaux qui à Romme avoient esteit contre luy. Et se Herode son pere avoit esteit dures et sens piteit aux gens de la terre, chis le fut ortant, car à casconne desloialteit que Herode son pere avoit fait, chis en faisoit dois fois plus. Enssi furent-ilhs ambdois malvais.

[Cruauté d’Archélaüs] Ensuite, Archélaüs arriva dans son pays où il régna neuf ans en tant que roi. Il fut très fourbe et très cruel, se donnant beaucoup de mal pour nuire à ceux qui, à Rome, s'étaient montrés ses adversaires. Et si Hérode son père avait été dur et impitoyable, Archélaüs le fut tout autant, car pour chaque fourberie commise par le père, le fils en faisait deux fois plus. Ils furent tous les deux de mauvais rois.

[p. 378] [Joseph ramynat Marie et Jhesus vers la terre Israël] Al promier an que Archelaus fut coroneis, assavoir l'an deseurdit, en mois de jenvier, envoiat Dieu I angle à Joseph, et li mandat que ilh en ralaist ariere vers Bethleem, et ilh le fist.

[p. 378] [Joseph ramène Marie et Jésus en terre d’Israël] La première année du couronnement d’Archélaüs, c’est-à-dire en l’an précisé ci-dessus, au mois de janvier, Dieu envoya un ange à Joseph, et lui donna l’ordre de retourner à Bethléem. Ce qu’il fit.

[Jhesus et Marie vinrent demoreir en Nazareth] Et entendit luy et Marie que Archelaus tenoit la terre de Judée, cuy Joseph tenoit mult fel ; se ne vot aleir plus avant, car ilh dobtoit mult la felonie de Archelaus. Adont revint li angle et dest à Joseph qu'ilh s'en allast en Galilée. Atant s'en alat Joseph awec Jhesus et Marie en Galilée demoreir, en la citeit de Nazareth, où ilh avoient promiers demoreit.

[Jésus et Marie vont habiter à Nazareth] Mais lui et Marie apprirent qu’Archélaüs était le maître de la Judée. Comme Joseph le tenait pour très fourbe, il ne voulut pas aller plus loin, car il redoutait beaucoup sa traîtrise. L’ange revint et dit à Joseph de se rendre en Galilée. Alors Joseph avec Jésus et Marie allèrent demeurer en Galilée, dans la cité de Nazareth, où ils avaient habité précédemment.

[p. 378] [L'an VIII - Archelaus encachat sa femme Mariane] Item, l'an del incarnation Jhesu-Crist VIII, en mois de julet, encachat Archelaus sa promiere femme Mariane, qui avoit esteit la filhe Aristoble, son frere. Et chu fist-il par fellonie, et en despit de ses dois freres, portant qu'elle estoit leur neiche, car ilh les haioit grant de fait de Romme. En cel an meismes, prist Archelaus à femme la filhe Theoduin, le roy de Capadoche, qui avoit nom Galaffre, qui avoit [p. 379] esteit la femme Alixandre, son frere. Et quant Alixandre fut mors, si oit à maris I roy qui oit nom Goras, le roy de Nubie.

[p. 378] [An 8 - Archélaüs chasse sa femme Mariamne] En l'an huit de l'incarnation de Jésus-Christ, au mois de juillet, Archélaüs chassa sa première femme, Mariamne, fille de son frère Aristobule. Il agit par méchanceté et au mépris de ses deux frères puisqu'elle était leur nièce ; en effet, il les haïssait terriblement, à cause de ce qui s'était passé à Rome. Cette même année, Archélaüs épousa la fille de Théoduin, le roi de Cappadoce ; elle s'appelait Glaphyra (p. 384-385), et avait été [p. 379] l'épouse d'Alexandre, frère d'Archélaüs. Après la mort d'Alexandre, elle avait épousé Goras, le roi de Nubie.

 

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