FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 23 - janvier-juin 2012

 


 

Le Virgile de Jean d’Outremeuse :

le panier et la vengeance (XVIII)

 

Appendice 4 : Aeneas Silvius Piccolomini (1444) et
Juan Alfonso de Baena et son Cancionero (XVe siècle)

 

par

 

Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet

 


 

    Les deux extraits suivants n'ont pas été intégrés dans les fichiers de base, d'abord parce que nous les avons découverts trop tard, ensuite parce qu'ils ne concernent pas les deux épisodes, mais uniquement celui du panier. Nous n'avons toutefois pas voulu les omettre complètement.

 

Aeneas Silvius Piccolomini (1444)

            Devenu pape en 1458 sous le nom de Pie II, Aeneas Silvius Piccolomini a laissé une importante œuvre poétique et historique, où il manifeste une grande dévotion humaniste pour les classiques. Une dizaine d’années avant son élection au pontificat, en 1444, il avait composé en latin une nouvelle intitulée Historia de duobus amantibus, connue également comme Historia de Euryalo et Lucretia, du nom des deux protagonistes. L’œuvre raconte l’histoire d’un amour adultère entre Euryalus, un militaire de haut rang, et Lucretia, la belle et vertueuse épouse d’un noble. La section 15 contient une mention de Virgile dans son panier :

 

Aspice poetas : Virgilius per funem tractus ad mediam turrim pependit, dum se muliercule sperat usurum amplexibus. Excuset quis poetam ut laxioris vitae cultorem.

Regarde les poètes : Virgile, tiré par une corde, suspendu à mi-hauteur de la tour, espérant bénéficier des étreintes d’une simple femme. On excusera un poète d’adopter un genre de vie plus libre.

 

            On peut penser que l’épisode de la vengeance, avec les détails très crus qu’il comportait, pouvait heurter certaines sensibilités et que c’est une des raisons pour lesquelles il a été moins raconté que l’autre.

 

Texte : Aeneas Silvius Piccolomini, De duobus amantibus historia, ed. J.I. Dévay, Budapest, 1904, utilisé à travers VT, 2008, p. 889.

 

Juan Alfonso de Baena et son Cancionero (XVe siècle)

            Le Cancionero de Baena est la plus ancienne et la plus importante anthologie de poésies de cour en castillan. Elle fut compilée entre 1426 et 1430 pour le roi Juan II de Castille (1405-1454) par son scribe Juan Alfonso de Baena. L’unique copie existante (vers 1461-1462) rassemble quelque 600 poèmes dus à plus de 50 auteurs, s’étendant de la fin du XIVe jusqu’à la première moitié du XVe siècle (d’après VT).

            Deux poèmes, qu’il n’est pas possible de dater avec précision, font allusion à l’épisode du panier. La pièce n° 533 s’adresse aux femmes et vise leur méchanceté et leur traîtrise :

 

     Et pour que vous puissiez comprendre que je dis la vérité, je veux vous montrer par des livres et des textes la véritable portée de votre grande méchanceté et combien d’hommes ont perdu leur âme pour cela. Le sage Virgile, vous l’avez suspendu dans un panier sur le mur d’une tour, abandonné là et poussé à la folie par cette grande fourberie que vous lui avez préparée. (trad. sur le texte anglais de VT, 2008, p. 1001)

 

            Dans la pièce n° 377 deux poètes débattent : vaut-il mieux voir une femme et ne jamais lui parler, ou lui parler et ne jamais la voir. Un certain Diego de Valencia est amené à trancher. Dans son « verdict » (vers 17-40), il se plaint qu’en voulant intervenir dans une question où il ne se sent pas compétent, il ne s’expose à un péril comparable à celui de Virgile :

 

     Pardonnez, Messieurs, […] de m’être ainsi placé sur un si haut piédestal : je pourrais en tomber et sauter plus bas encore que ne le fit le Mantouan dans son malheur.

     Nous avons lu comment Virgile, qui était un grand poète, fut terriblement trompé. À Rome, par une ruse astucieuse, il fut hissé tout en haut de la Ponceleta par une belle et pure demoiselle qui était gardée dans cette tour près de laquelle court le grand fleuve Tibre. Puisse le fou apprendre à ne pas se mêler de ce qui ne le regarde pas !

     Si une pareille autorité en astrologie pouvait être abusée par une demoiselle, que fera maintenant celui qui s’engage dans un duel mortel et une joute terrible ? Aussi, Messieurs, en ce qui me concerne, je vous dirai que je suis fou d’intervenir dans votre discussion, ne connaissant rien sur le sujet en cause. (trad. sur le texte anglais de The Virgilian Tradition)

 

            Nous n’avons rencontré qu’une seule fois Virgile sautant du panier pour se libérer : c’était dans le Virgilesrímur islandais. Dans la version hébraïque du Livre de Mémoire, on l’en avait fait tomber. À chaque fois, il en était sorti blessé. Ce rapprochement n’autorise évidemment aucune conclusion pour ce qui est d’une éventuelle influence de ces deux textes sur l’auteur du Cancionero.

 

Texte : Juan Alfonso de Baena, Cancionero, éd. Brian Dutton y Joaquín González Cuenca, Madrid, 1933 (Biblioteca filológica hispana, 14) ; Juan Alfonso de Baena, Cancionero, éd. José Maria Azáceta, Barcelone, 3 vol., 1966, utilisé à travers VT, 2008, p. 1000-1002.

 

 

[Accueil]


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 23 - janvier-juin 2012

 

<folia_electronica@fltr.ucl.ac.be>