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Anthologie Palatine : Présentation générale - Biographies des poètes

Anthologie Palatine - Livre XII : Avant-propos - Plan - Table des matières - Biographie des poètes

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS

 

 

Anthologie Palatine

Livre XII

La Muse Garçonnière

(1-100)

 

 

 Traduction Philippe Renault (2005)

 

Plan

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101-200 - 201-258


XII, 1

Straton, Prologue

C'est par Zeus qu'il convient de commencer :

C'est Aratos 1 qui nous l'a ressassé.

Mais aujourd'hui, ô Muses, je vous laisse,

Car des garçons je suis fort amoureux

N'aimant rien moins que coucher avec eux :

Aussi, plus bas, rien qui vous intéresse !

1. Straton trouve assez spirituel de commencer son recueil en usant de la célèbre formule tirée des Phénomènes d'Aratos. 


XII, 2

        Straton, Je ne parle que d'amour

Ne cherche pas dans ce recueil

Ni Priam prosterné à côté des autels,

Ni Médée et son deuil,

Ni Niobé, ni Itys en ses appartements,

Ni même un rossignol dans le feuillage.

Non, car sur tout cela, depuis longtemps, 

Les poètes ont écrit maintes pages !

Moi je chante l'Amour, les Charites rieuses

Et Bromios ! Une voix trop sérieuse

Pour en parler ne serait point d'usage.


XII, 3

        Straton, Le sexe des garçons

Le tuyau des garçons, Diodore, a trois aspects :

Voici leurs noms : lorsque le jeune bout

Est vierge encore, on l'appelle «Lalou».    

Verge gonflée : «Coco». «Lézard» : le nom de celle

Qu'une première main secoue.

Enfin, tu sais le nom de la queue la plus belle.


XII, 4

        Straton, De douze à dix-sept ans

J'aime à douze ans : c'est un joli portrait.

Mais l'enfant de treize ans possède plus d'attraits.

Deux fois sept et l'amour fleurit subtilement.

Le garçon de quinze ans est vraiment plus charmant.

Dix-sept ans, pas pour moi ! Chasse gardée de Zeus !

Être épris d'un garçon au-delà de cet âge,

C'est vouloir rechercher son propre personnage.


XII, 5

        Straton, Goûts divers

J'aime les garçons au teint pâle,

Des bruns aussi je me régale,

Les blonds comme le miel, j'adore,

Les yeux clairs, je les vénère,

Mais les yeux noirs, je leur préfère.


XII, 6

        Straton, Cul et or

Cul et or : stricte égalité !1

C'est le même nombre de lettres !

Un jour, par hasard, j'ai compté

Et j'ai fait cette découverte.

1. Les lettres numérales de «cul» et «or» font en grec 1570. L'épigramme veut signifier que ce garçon se prostitue et vend son corps au plus offrant.


XII, 7

        Straton, Inconvénients de l'amour féminin

Chez une fille il n'y a point l'étau

Qui vous enserre, ni de baisers naturels, 

Ni le parfum si simple de la peau,

Ni ces mots sensuels,

Ni ces yeux ingénus ;

Et ne parlons pas de la fille prévenue !

Une fois enculée, c'est un glaçon suprême !

Mais le pire pour moi, c'est que, chez une fille,

Nul organe où poser ma main qui se promène...


XII, 8

        Straton, Le marchand de fleurs

Je vis un gamin qui tressait

Des superbes guirlandes

Alors que je passais

Sur les marchés où ces choses se vendent.   

Or je fus stupéfait. Je dis avec douceur :

«Combien vends-tu ta couronne de fleurs !»

Plus rouge qu'un bouton de l'un de ses bouquets

Il répondit : «Va-t-en sinon

Mon père va te remarquer !»

J'achetai pour la forme une de ses couronnes.

Rentré à la maison,

Je les offris aux dieux, les priant qu'ils me donnent

Cet élégant garçon.


XII, 9

        Straton, L'impossible renoncement

Diodore, ô beauté : pour l'amour, tu es mûr.

Si tu veux te marier,

Soit ! Mais ne plus te voir est une chose dure,

Je ne peux t'oublier...


XII, 10

        Straton, Malgré les poils

Le poil a beau courir jusqu'à la chevelure,

Un blond duvet a beau pousser le long des joues,

Non, je ne veux point de rupture :

Avec poils, avec barbe, il est mien avant tout.


XII, 11

        Straton, Grande fatigue

Philostrate, cette nuit,

Vint me tenir compagnie.

Hélas, je n'ai pu rien faire,

Bien qu'il fît tout pour me plaire. 

Allons, s'il en est ainsi,

Fuyez, enfants, mon amour

Et sans le moindre souci,

Devenu Astya-nax,1

Jetez-moi d'une tour !2

1. Calembour étymologique : «qui ne peut entrer en érection».

2. Vers tirés de l'Andromaque d'Euripide


XII, 12

Statyllius Flaccus, Trop vite !

Dès le premier duvet, le beau Ladon,

Terrible à ses amants,

S'est épris d'un garçon :

Némésis fait les choses promptement !


 XII, 13

         Straton, Un remède à l'amour

Je vois quelques garçons ivres de tentation

Préparant un remède afin de se guérir1,

Remède naturel... Dans leurs ébats surpris,

Ils me disent : «Silence !» Et moi je leur réponds :

«Faites-moi partager ce remède si bon !»

1. Ces garçons se masturbent mutuellement tant et si bien que notre poète demande tout simplement à participer à leurs ébats.


XII, 14

Dioscoride, Un baiser merveilleux

Si, une fois adolescent,

Démophile offre à ses amants

Les doux baisers qu'il m'a donnés,

Bien qu'il ne soit qu'un simple enfant,

Sa mère ne pourra jamais

Vivre chez elle calmement.


XII, 15

Straton, Le bois qui s'excite

Une planche a mordu Graphicos au derrière :

Ah ! si le bois en vient à s'exciter,

Que va-t-il m'advenir, moi un être de chair ?


XII, 16

Straton, Un garçon trop tiède

Ô Philocrate, ne cache pas tes sentiments :

Quand il piétine notre cœur,

Éros nous suffit largement.

Allons, embrasse-moi avec plus de ferveur !

Un jour viendra où tu demanderas

À ton aimé cette même faveur.


XII, 17

Asclépiade, Force de l'amour masculin

Dans mon cœur, je n'ai plus

Le goût du féminin.

Non, c'est pour le garçon

Que brûle ma passion.

Or ce feu est terrible :

Autant l'homme dépasse

En puissance la femme,

Autant la mâle grâce

Amplifie les désirs1

Au détour de mon âme

Qui se laisse séduire.

1. Comme nous l'avons vu dans l'avant-propos, Asclépiade considère l'amour garçonnier - il suit en cela une idée communément admise - comme un amour d'essence supérieure.


XII, 18

Alphée de Mytilène, Sans amour...

Malheureux ceux qui vivent sans amour :

Toute occupation,

Tout propos sont pénibles

Quand de la passion

Vous n'êtes plus la cible.

Quant à moi, je traîne mes jours...

Mais que je vois celui que je vénère :

J'irai vers lui plus vite que l'éclair.

Aussi, ne fuyez pas le merveilleux amour :

À la face du monde je proclame :

Le dieu Éros est l'aiguillon de l'âme.


XII, 19

Anonyme, Un garçon compliqué

Bien que je le désire, il refuse l'amour.

Il ne demande jamais rien.

Quand je demande, moi, c'est «non» tout court !

Et quand c'est moi qui donne il ne prend point.


XII, 20

Léonidas d'Alexandrie, Zeus aurait-il changé ?

Zeus fit très bonne chère auprès des Ethiopiens ;

Puis, changé en pluie d'or, il ravit Danaé.

Aussi, voyant le beau Périandre,

Serait-il étonnant qu'il n'aille point le prendre ;

À moins que les garçons ne l'intéressent plus.


XII, 21

Straton, Impatience

Ces baisers si furtifs, ces signes trop secrets

Qui sont tous échangés avec un œil discret,

Jusqu'à quand ?

Jusqu'à quand ces propos qui resteront vacants,

Ces vains délais succédant aux délais ?

Or nous tardons : la beauté prend la fuite.

Aussi Phédon, avant que les ans trop jaloux

Arrivent jusqu'à nous,

Des paroles, d'accord, mais des actes ensuite !


XII, 22

Scythinos, Consomption

Un malheur implacable en ce jour m'a saisi :

Un brasier qui s'étend, un combat sans merci !

Illisos, seize ans, bel âge, maturité.

De petites et de grandes qualités.

Et des lèvres aussi... et quelle voix pour lire !

Il est parfait quand il lui faut vous accueillir.

Mais hélas ! il me dit : «Tu regardes, c'est tout !»

Aussi, voyez mes nuits où s'agitent mes mains

Qui livrent un combat

Avec une Cypris1 qui ne se conçoit point !

1. Cypris agissant sans partenaire, l'auteur s'adonne donc à la masturbation.


XII, 23

Méléagre, Pris !

Moi qui, jadis, narguais mes proches amoureux,

Je me suis laissé prendre à ces funestes feux.

Puis Éros m'a mené jusque vers ton adresse

Avec ces mots : «Butin soustrait à la sagesse !»


XII, 24

Tullius Lauréa, Promesse de sacrifice

Si Polémon, le garçon que j'adore,

Revient tel qu'il était, ô Apollon,

Je t'offrirai le crieur de l'aurore.

Telle est donc ma décision.

Mais s'il arrive qu'il revienne autrement,

Cette promesse ne tient plus.

Or Polémon est arrivé barbu !

Et s'il en est heureux,

Si c'est là son désir,

Ordonne-lui d'offrir

À ton autel l'homme qui fit ce vœu.


XII, 25, 26 et 27

Statyllius Flaccus, Le vœu trahi

I

«Que Polémon revienne en son intégrité.»

J'adressai cette prière à Phébos

Et lui promis un coq en sacrifice   

S'il exauçait ma volonté.

Certes, j'ai revu Polémon,

Mais, hélas, sa joue n'est plus lisse :

Il a des poils sur le menton !

Non, Apollon, il n'est pas revenu !

Malheureux que je suis ! Il m'a vite échappé !

Quant à ce coq, ô dieu, n'y crois plus guère !

Surtout, ne cherche pas à me tromper

En faisant un épi d'une paille vulgaire !1

 II

 S'il revenait ici , mon tendre Polémon,

Lui que j'ai vu partir,

Je t'aurais immolé un coq, ô Apollon !

Bien sûr, il est sauf, mais ne crois pas en finir !

Il est barbu : pour moi, il n'est pas sauf du tout !

Peut-être a-t-il voulu de l'ombrage à ses joues ?

Qu'il sacrifie donc, lui, et ce sera très bien

Puisque ses vœux furent à l'opposé des miens.

 III

Comme les tiennes, Apollon

Vierges étaient les joues de Polémon.

Il s'en alla. Mais je promis à son retour

De te sacrifier un volatile.

Polémon me revint un jour,

Hélas, tout hérissé de poils hostiles.

Non, ce n'est pas pour ce visage austère

Que j'avais fait une telle prière.

1. C'est-à-dire que l'être aimé est passé du stade du fin duvet au poil dru. Le poil est, on le sait, l'obsession des amants. Ces trois épigrammes, sortes de variations sur un même thème, sont typiques de ces exercices de rhéteurs qui pullulent dans l'Anthologie grecque.


XII, 28

Numésios de Tarse, À deux lettres près !

Ce Cyros est mon tendre sire...

À deux lettres de différence1 !    

Mais, après tout, je ne lis pas l'adolescence !

Il me suffit que je l'admire.

1. Confusion volontaire entre deux mots grecs, dont l'un signifie «jeune homme» et l'autre «maître».


XII, 29

Alcée de Messénie, L'aimé hésitant

Il ne désire pas :

Or Protarchos est beau !

Peut-être un autre jour

Sera-t-il près de moi ?

Mais la jeunesse court

Et passe le flambeau.  


XII, 30

Alcée de Messénie, Précaution

Nicandre, ta jambe est poilue :

Un jour, sans faire attention,

Ta fesse aussi sera velue.

Ton cortège d'amants s'enfuira.

Aussi, dis-toi que ta beauté,

Impassible lueur, fondra,

Comme si n'ayant jamais été... 


XII, 31

Phanias, Profitons malgré tout !

Par ce vin doux, par la Justice,

Comme il est bref le temps des passions.

Déjà les poils ont recouvert ta cuisse ;      

Une barbe légère est là sur ton menton ;   

Le Désir te conduit vers une autre folie ;

Mais de ta peau charmante,

Foin de l'économie !

Profitons de l'instant ainsi qu'il se présente !


XII, 32

Thymoclès, Les fleurs éphémères

Rappelle-toi ce que j'ai déclaré ;

Il s'agissait de paroles sacrées :

«Beauté, rien de plus noble et de plus fugitif.»

Beauté, idéal vers lequel

Même l'oiseau le plus fort, le plus vif,

Ne saurait se hisser dans la cime du ciel.

Maintenant, regarde par terre

Les pétales fanées de tes fleurs éphémères...


XII, 33

Méléagre, Jeunesse est passée !

Héraclite était beau... quand il avait encor

La beauté des garçons. Or jeunesse n'est plus.

Désormais, voyez donc cette chair trop velue,

Hostile à qui veut l'enfourcher.

Ne sois pas violent devant la vérité,

Ô Polyxinidos, car la Fatalité

Jusqu'en son cul arrive à se nicher.


XII, 34

Automédon, L'heureux homme

Démétrios m'invita à dîner.

Ce veinard, si vous l'aviez vu !

Sur lui, un garçon était étendu,

Et contre son épaule, un autre se tenait ;

Un troisième lui donnait à manger ;

Un dernier lui versait un vin léger.

Bientôt, je lui dis, non sans ironie :

«Sont-ils aussi zélés quand le soir est tombé1

1. Les rapports parfois équivoques qu'entretenaient les pédagogues avec leurs élèves ont nourri les railleries de nombreux poètes de l'Anthologie tels que Lucillius dans le Livre XI. 


XII, 35

Dioclès, Le bel indifférent

Un jour qu'il n'adressait point de salut,

Quelqu'un lui dit : «Beauté, tu ne nous salues plus ?

Attends un peu notre vengeance.

Un jour, devenu fort poilu,

Le premier, tu nous parleras

Mais à ce moment-là,

Nous ne serons qu'indifférence !»


XII, 36

Asclépiade, Le blé en herbe

Tu viens me réclamer alors qu'un fin duvet

Se glisse sur ta tempe et que sur tes mollets

Un poil bien dru te pousse. Ensuite tu me dis :

«Pour moi, c'est volontiers !» Voyons, quel est celui

Qui estime plaisant de trouver dans son lit

Des roseaux secs plutôt que de tendres épis.


XII, 37

Dioscoride, De belles fesses

La fesse de Sosarchos

M'est apparue modelée

Par le redoutable Éros,

Fléau de l'humanité1.

Elle a tant de moelleux

Que, devant elle, les dieux

S'émoustillent soudain.

La fesse de Ganymède,

Autant de charme n'a point.

1. C'est plutôt Arès qui est habituellement affublé de ce titre de «fléau des humains».


XII, 38

Phanias, Éloge d'une fesse

Les Heures ont sur toi, fesse douce et jolie,   

Versé l'huile suave au point que l'insomnie

Guette jusqu'au vieillard. Pur joyau, dis-moi donc,

À qui appartiens-tu ? Je veux savoir son nom !

«À Ménécrate enfin !», notre fesse répond.


XII, 39

Anonyme, Maudits poils !

Nicandre a tant perdu de sa fraîcheur

Et la fleur de sa peau s'est envolée.

De ses charmes, de son nom, plus rien ne demeure.

Jadis, c'était pour nous une divinité.

Mes bons amis, n'ayons pas de pensée

Dépassant les lois de l'humanité :

Les poils, nul ne saurait les éviter.


XII, 40

Anonyme, La rose parmi les épines

N'ôte pas mon manteau !

Fais comme si j'étais

Une idole de bois

Dont les extrémités

Sont en marbre. Tu vois !

À force de quêter

Ma tendre nudité,

Sous ce buisson d'épines,

Tu verras s'échapper

La rose la plus fine.


XII, 41

Méléagre, Trop poilu !

Dire qu'Apollodote est un joli garçon,

Je ne le dirai plus ! De même le frisson

Que j'avais pour Théron est aujourd'hui tison.

J'aime l'amour subtil. Aussi, les noirs étaux1,   

Les laissé-je aux bergers qui baisent les chevreaux.

1. Les bergers avaient la réputation de chevaucher leurs chèvres. C'est un lieu commun littéraire qu'on retrouve dans de nombreuses épigrammes comiques.


XII, 42

Dioscoride, Le garçon public

À Hermogène accorde un regard avenant ;

Mais surtout, viens avec de l'argent dans les mains.

Bientôt, toi qui es mené par ton seul instinct,  

Tu obtiendras, heureux, le bel adolescent

Qui terrifie tes nuits. Démuni de hameçon,

Tu ne remonteras que de l'eau et rien d'autre.

Aussi, point de pudeur pour ce coûteux garçon.


XII, 43

Callimaque, Le dégoûté 

Le poème banal, je ne l'apprécie point ;     

J'ai horreur du sentier où marche le commun,

Comme je hais l'amant qui s'offre à tout venant.

Je ne bois pas à la source de tout le monde :

Tout ce qui est public me paraît chose immonde ;

Bien sûr, Lysanias, j'avoue : tu es joli !

Mais avant de le dire, un écho m'a jeté :

«Il est au lit...»

Et avec un autre, pardi1 !

1. Épigramme très ironique de Callimaque, avec un double-sens que j'ai tenté de reproduire en français.


XII, 44

Bianor, Le bon temps

Il y a bien longtemps,

Il était fort aisé,

Pour nous, de courtiser

Les garçonnets charmants.

Caille, balle cousue

Et quelques osselets :

Aujourd'hui, ce qui plaît :

Un consistant dîner

Et surtout la monnaie !

Les joujoux n'ont plus cours.

Amateurs de garçons,

Pour leur faire la cour,

Recherchez autre chose !


XII, 45

Posidippe, Des archers incroyables !

Amours, lancez vos traits !

N'en soyez pas lassés !

Vous êtes des milliers

Pour une unique cible.

Poursuivez, insensés !

Mais s'il vous est possible

De me faire plier,

Vous aurez les faveurs

Des divins souverains,

En tant que possesseurs

D'un carquois surhumain.


XII, 46

Asclépiade, Un homme désabusé

Je n'ai pas vingt-deux ans, ma vie est un fardeau !

Pourquoi me torturer et pourquoi me brûler ?

Si le malheur survient, que ferez-vous, Amours ?

Eh bien, comme toujours,

Impassiblement vous jouerez aux osselets !


XII, 47

  Méléagre, Éros et les osselets

Jouant aux osselets dans les bras de Cypris,

Éros, terrible enfant vient de jouer ma vie.


XII, 48

Méléagre, Vaincu !

Vois ! je suis effondré à terre, humilié !

Tu peux, affreux démon, m'écraser de ton pied !

Par les dieux, ô malheur ! je ne connais que toi !

Je sais quel est ton poids.

De même, j'ai perçu la force de tes flammes.

Mais il faut le comprendre,

Tu ne peux désormais incendier mon âme :

Ce n'est qu'un tas de cendre.


XII, 49

Méléagre, Boire pour oublier

Amant, bois pur ce vin :

Bromios endormira

Ton amour masculin

Car il verse l'oubli.

Bois pur le vin, remplis

Ta coupe et vide-la !

Rien de tel pour chasser

Les amoureux tracas.


XII, 50

Asclépiade, Consolation à soi-même

Allons, bois, Asclépiade, et assèche tes larmes. 

Tu n'es pas ici-bas le seul que la déesse

Destine à ses filets et le seul dont les charmes

Érotiques nous blessent.

Cesse de gigoter le nez dans la poussière,

Bois plutôt la liqueur du dieu qui désaltère,

Le jour est encor là... Mais faudra-t-il attendre

Que brille de nouveau la flamme de ta lampe ?

Mais buvons, pas de temps à perdre, malheureux,

Car bientôt, la nuit va s'étendre1...

1. Mélancolie devant l'adversité de la mort, si typiquement grecque.


XII, 51

Callimaque, Seul à voir la Beauté !

Dis-le : «À Dioclès !» et verse-nous du vin.

Or mon propos est vain :

Achéloos se rit des coupes qu'on lui porte.

Je l'affirme sans fin :

«Dioclès est fort beau : sa beauté nous importe !»

Qu'on dise le contraire,

Tant pis... J'admirerai le Beau en solitaire.


XII, 52

Méléagre, Regret

À la plus grande joie de l'équipage

Le Vent du Sud, tristes amants,   

Vient d'emporter celui que j'aimais tant.

Pour les vaisseaux et pour les flots du large

Et même pour le vent, quel bonheur éclatant !

Ah ! si j'étais dauphin !

C'est moi, moi seul qui t’accompagnerais

Vers l'île des Rhodiens1

Où les garçons ont de si beaux apprêts.

1. Rhodes avait la réputation dans l'Antiquité de posséder les jeunes gens les plus séduisants du monde grec.


XII, 53

Méléagre, Le Message 1

Vaisseaux marchands qui passez le détroit d'Hellé,

En accueillant au nord une brise subtile,

Si vous longez Cos et que vous voyiez sur l'île    

Phanion scrutant la mer, donnez-lui, ô navires,    

Le message qui suit : «Sur l'aile du désir,

Je viens vers mon aimée, par terre et non par mer.»

Si vous lui rapportez ces mots, je vous l'assure,

Sans perdre de temps, Zeus gonflera les voilures.

1. Cette épigramme consacrée à une certaine Phanion «petite torche» - d'où la confusion avec le phare scrutant la mer - a été classée parmi les poèmes garçonniers par un copiste qui a cru qu'il s'agissait d'un nom masculin.


XII, 54

Méléagre, Plus beau qu'Éros !

Depuis qu'elle est éprise

D'Antiochos, chair exquise,

Cypris dit et redit :

« Éros n'est point mon fils !»

Aussi, noble jeunesse,

Soyez en allégresse,

Louez l'amour nouveau,

Un Éros bien plus beau !


XII, 55

Artémon, Le bel Athénien

Fils de Latone, ô vénéré Phébos,

Ô rejeton de Zeus, oracle fantastique,

C'est toi le possesseur du rocher de Délos.

Mais sur la Cécropée domine Echédémos,

Ce Phébos de l'Attique,

Belle fleur qu'éblouit Éros aux cheveux clairs :

Athènes, sa patrie qui était la maîtresse

De la mer et des terres,

La voici de nouveau qui domine la Grèce

Par sa beauté altière.


XII, 56 et XII, 57

Méléagre, Les deux Praxitèles

                        I

Dans le marbre pur de Paros,

Praxitèle fit cet Éros1.

De son côté, ce joli dieu

Créa cette statue de chair

Lui donnant ses traits radieux

Et le surnommant Praxitèle.

Ainsi, le premier dans l'éther,

Et le second sur cette terre,

Arbitres de la volupté 

Sont devenus, car les Amours,

Au ciel et dans l'humanité,

Doivent gouverner sans détour.

Vous, les Méropes bienheureuses,

Vous avez nourri cet enfant,

Ce nouvel Amour triomphant :

Vous pouvez en être orgueilleuses.

    II

Praxitèle sculpta une fort douce image,

Une statue sans vie, muette expression

De la beauté. De nos jours, Praxitèle, autre mage

A sculpté dans mon âme, Éros, ce polisson !

Ce Praxitèle-là n'a rien de comparable

Au premier, mais il a ce don bien supérieur :

Ne taillant pas la pierre il travaille les cœurs.

Ah ! que sa douce main modèle tout mon être !

Qu'il fasse un lieu d'Amour dans son bel intérieur !

1. Il s'agit de la statue d'Éros sculptée par Praxitèle qui fut offerte par leur auteur au temple de l'Amour à Thespies.


XII, 58

Phanias, Le plus beau des garçons

Trézène a des garçons d'une parfaite allure,

Et l'on peut, sans erreur, les louer tous ensemble.

Empédocle est pourtant le plus beau, il me semble,

Comme parmi les fleurs, la rose est la plus pure.


XII, 59

Méléagre, Un soleil

Tous les garçons dont Tyr est la nourrice

Ont un corps radieux.

Myiscos, ce soleil, pour moi, éclipse

Les astres dans les cieux.


XII, 60

Méléagre, Pareil aux cieux

Lorsque je vois Théron, je contemple les cieux :

C'est un astre vivant.

Mais quand l'immensité se présente à mes yeux,

Je ne vois que néant.


XII, 61 et 62

Anonyme, Le beauté brûlante d'Aribaze

 I

Aribaze, il faut redouter

Que ton sempiternel brasier

Ne brûle Cnide en sa totalité :

Par la chaleur ce marbre a éclaté.

II

Mère des Perses, beaux, oui, beaux les enfants

Qui naissent de vos flancs.

Mais sans nul doute, Aribaze est le plus charmant !


XII, 63

Méléagre, Deux garçons fatals

Héraclite, muet, lâche un cri percutant

Mais avec son regard : «Oui, le céleste éclair,

Je peux le consumer.» De son torse éclatant

Diodore me dit : «Je fais fondre la pierre

Avec ma peau brûlante.» Ah ! je suis désespéré

De voir au même instant un homme qui subit

Les yeux remplis de feu d’un bel adolescent,

Et un mioche brûlant d'un besoin si ardent.


XII, 64

Alcée, Le fils de Cypris

Ô Zeus, seigneur de Pise, il est un nouveau fils

De Cypris, Peithénor, que tu dois couronner

Devant le fier Kronion. Et si tu le désires

Comme échanson, et que tu t'élèves au ciel

Sous la forme d'un aigle, alors, ne le prends point,    

Ô dieu, à la place du charmant Dardanile.

Et si mon chant te plaît, offre-moi ce gamin

À la grâce subtile.


XII, 65

Méléagre, Enfant à protéger

Si Zeus enleva bien le jeune Ganymède

Pour qu'il soit tout entier à son divin service,

Il faut donc, Myiscos, que je te vienne en aide

De peur que notre dieu en aigle te ravisse.


XII, 66

Anonyme, Aux Amours de décider

Ô Amours, c'est à vous de juger quel amant

Doit prendre cet enfant.

Si vous les destinez aux dieux, ainsi soit-il !

Car pour combattre Zeus je ne suis point habile.

Mais s'il reste aux mortels un petit quelque chose

À qui faut-il qu'il se dispose ?

À qui doit-il donner son cœur ?

On le dit ouvertement : j'aurai ses faveurs.

Mais va ! Plus question que tu viennes en vain

En ayant de nouveau la beauté pour dessein.


XII, 67

Anonyme, Enlevé ?

Ce Dionysios, je ne le vois plus guère !

L'aurais-tu enlevé, Zeus, notre divin père,

Pour l'emmener au ciel devenir échanson ?

Aigle, lorsque tu pris ce gracieux garçon,

Comment le portais-tu

Quand tes ailes battaient d'une intrépide allure ?

De tes griffes pointues,

Ne conserve-t-il point certaines éraflures ?


XII, 68

Méléagre, Abandonné à Zeus

Charidamos, non, non, je ne veux pas de lui !

Et déjà le garçon croit servir le nectar

À Zeus. Je l'ai bien dit ! Je laisse à sa victoire

Le puissant roi du ciel. Moi, ce qui me suffit ?

Que l'enfant, en montant l'olympienne cime

Baigne ses pieds de pleurs, ce souvenir intime ;

Ensuite, ô Zeus, agis selon ta fantaisie !

Pourrais-je, malgré tout, goûter à l'ambroisie ?


XII, 69

Anonyme, Laisse-le moi...

Laisse-moi mon Dexandre, admire-le de loin ;

Oui, Zeus, profite donc de ton seul Ganymède.

Bien entendu, ô dieu, je ne l'interdis point ;

Mais si, en le forçant, tu veux qu'il se soumette,

Tu auras commis là un acte despotique,

Et je ne voudrai plus t'obéir, méchant maître !


XII, 70

Méléagre, Peur de Zeus

Je combattrai Zeus, s'il avait l'attention

De te ravir pour que tu sois son échanson.

Mais il m'a rassuré, Myiscos, maintes fois

Et m'a dit :  «Je ne te lancerai point de traits,

J'ai pitié : Moi-même ai connu le désarroi.»

Voilà ses mots. Et pourtant, qu'une mouche vole,

Je suis fou ! Et s'il mentait... Ah ! je me désole !


XII, 71

Callimaque, Les mêmes symptômes

Cléonicos de Thessalie, pauvre homme, hélas !

Par le soleil qui me brunit, serait-ce toi ?

Comme tu as maigri !

Est-ce quelque démon qui vient te posséder ?

Sur le même fléau ton cœur a-t-il buté ?

Je crois avoir compris :

Ton âme, il te l'a prise en venant par ici.

Ô cœur si malheureux,

C'est sur ce beau garçon que se portent tes yeux.


XII, 72

Méléagre, Insomnie

Déjà la douce aurore !

Damis, qui n'a pas dormi de toute la nuit,

Exhale un souffle encor

Pour avoir contemplé Héraclite, ses yeux,

De la cire lancée

Sur du feu ! Damis, réveille-toi, malheureux !

Vois-tu, je fus blessé,

Moi aussi, par Éros : sur tes pleurs, je ne peux

Que des larmes verser.


XII, 73

Callimaque, La moitié de mon âme

La moitié de mon âme est seule bien vivante ;    

L'autre moitié, Éros, peut-être Hadès, 

Me l'ont prise ! En tout cas, elle est absente.

Serait-elle partie vers quelque beau garçon ?

Or je le dis souvent :

«N'accueillez pas la fugitive, adolescence !

Chez toi, n'est-t-elle pas allée ?

Elle est par là, c'est sûr, ô gibier de potence !

Ô folle d'amour, écervelée !»


XII, 74

Méléagre, En cas de malheur

S'il m'arrive malheur, ô Cléobule, moi

Qui me suis effondré sous d'amoureux émois,

Moi qui suis faible, voilà ce que tu dois faire :

Au vin mêle ma cendre avant que l'on m'enterre,

Puis, sur la stèle, inscris :  «Don d'Éros aux Enfers !»


XII, 75

Asclépiade, Confusion (I)

Si tu avais des ailes, si ta main

Tenait l'arc et les traits, ce ne serait Éros

Mais toi, ô beau garçon, que l'on eût peint1.

1. Cette épigramme qui s'inspire d'une peinture célèbre a servi en quelque sorte de canevas aux trois pièces qui suivent.


XII, 76

Méléagre, Confusion (II)

Non, sans son attirail favori, je veux dire

Sans son arc, ses ailes et son carquois,

S'il ne possédait pas les flammes du Désir,

Tu n'eus pas distingué - c'eût été difficile -

Le physique d'Éros de celui de Zoïle.


XII, 77

Asclépiade, Cypris confondue !

Si l'on collait sur ton dos deux ailes dorées,

Si, sur ta douce épaule, on suspendait des traits,

Et si tu t'installais près d'Éros scintillant,

Cypris reconnaîtrait-elle son propre enfant ?


XII, 78

Méléagre, Interversion

Si Éros n'avait point de traits et de carquois,

S'il portait la tunique étincelante et belle

Du tendre adolescent, alors mon Antiochos

Serait Éros et de fait, Éros Antiochos !


XII, 79

Anonyme, Regain d'amour

Antipatros m'a embrassé !

Alors que mon amour semblait fini,

De nouveau, la flamme s'est élancée

De la cendre tiédie.

Deux fois, je retrouvai cette fureur ardente.

Aussi, mes chers amis,

Fuyez, car, vous aussi, un brasier va vous prendre !


XII, 80

Méléagre, Le feu qui couve

Ô mon âme éplorée, pourquoi te consumer

De nouveau ? Et pourtant le mal se refermait.

Mon âme dévoyée, ne va pas, par les Dieux,

Ne va pas activer sous la cendre le feu !

Toi qui oublies déjà les anciennes plaies vives,   

Je te préviens d'un mot : une fois retrouvée,

Éros te punira, sois sûre, ô fugitive !


XII, 81

        Méléagre, Appel au secours

Vous, les cœurs abusés, amoureux fort aigris,

Vous qui vous délectiez

De ce miel trop amer, le désir garçonnier,

Donnez-moi, je vous prie,

De l'eau fraîche, oui, de l'eau de neige et versez-la

Sur le cœur que voilà !

Sur Dionysios, j'ai porté mon regard.

Compagnons d'infortune,

Avant que mon corps par le feu ne se consume,

Éteignez sans retard !


XII, 82

Méléagre, La fuite impossible

Je voulais fuir Éros mais cet affreux marmot

Réussit dans la cendre à créer ce flambeau :

Fort chétif à vrai dire, il parvint cependant

À trouver ma cachette. Et le voilà jetant

Sur moi un peu du feu que sa main vient d'extraire :

Une flamme en jaillit et dévore ma chair !

Un immense brasier est issu du brandon.

Oh ! Mon petit flambeau, terrible Phanion !


XII, 83

Méléagre, La femme-flambeau

Éros, pour une fois,

N'a pas jeté ses traits

Et vidé son carquois,

Ni mis quelque brandon

Dans mon coeur éploré.

Il a tout simplement

Rapporté cette torche

Petite et vacillante,

Compagne assurément

Des Désirs les plus fous,

Une enfant de Cypris

Parfumée et brillante.

Or Éros, d'un seul coup,

Me jeta dans les yeux

La pointe de sa flamme.

Ô Phanion, ô feu

Terrible de mon âme

Qui me brûle et me damne !


XII, 84

Méléagre, Nouvelle épreuve

À l'aide ! Je suis à peine remis

De cette traversée première

Que le fourbe Éros me saisit

Dès que je mets le pied à terre.

Telle une grande flamme, il m'a fait découvrir

Un garçon gracieux. Je le suis à la trace,

J'aime sa vision que mes lèvres embrassent.

Pourquoi diantre survivre à la mer ennemie

Si c'est pour traverser les vagues de Cypris1.

1. Le thème du naufragé survivant qui  trouve la mort sur la terre ferme est très conventionnel dans la littérature épigrammatique.


XII, 85

Méléagre, Naufrage sur terre

Buveurs, accueillez-moi : je reviens de la mer :

Je suis le survivant des flots et des corsaires.

Or je meurs une fois arrivé sur la terre.

Je quittais le vaisseau quand je vis un garçon :

Je le suivis malgré moi, saisi de frissons,

Je courus le cœur plein, non de vin mais de feu.

Mes hôtes, aidez-moi je viens vous en prier !

Aidez-moi par le nom d'Éros hospitalier,

Je me meurs ! Sauvez-moi ! Je supplie l'amitié.


XII, 86

Méléagre, Choix

Cypris jette les feux de l'amour féminin,

Éros, lui, pourvoit au désir masculin.    

Qui dois-je préférer ? La mère ou bien l'enfant ?

Cypris me dit : «Pour toi, Éros est triomphant.»


XII, 87

Anonyme, Obsession

Éros, si je n'avais que le désir des femmes !

Or, dans mon cœur, tu as lancé un mâle feu.

Isménos et Démon, tous ces garçons m'enflamment,

Souffrances infinies ! Et s'il n'y avait qu'eux !

Mais je regarde aussi la foule adolescente :

Vers elle on voit traîner ma prunelle démente.


XII, 88

Anonyme, Le partage

Ah ! mon cher Eumachos,

J'ai deux amours qui me font perdre haleine,

Deux amours qui me tiennent dans leurs chaînes :     

Je me sens attiré tantôt vers Asandros,

Tantôt je suis comblé par le doux Téléphos         

Au regard plein d'attraits. Aussi, découpez-moi !

Pesez avec dextérité !

Partagez-moi ! Tirez au sort, puis emportez !


XII, 89

Anonyme, L'incendie

Pourquoi ces trois flèches sur mon âme, Cypris ?

Oui, pourquoi trois flèches pour une même cible ?

Ici, je brûle et là mon mal est indicible !

Où pencher ? Je ne sais ! Et ce feu qui m'a pris !


XII, 90

Anonyme, Le triple désir

L'amour est gavauldé ! Mon désir est triplé !

Voilà : je brûle pour une prostituée,

Une vierge, un garçon. L'insigne conséquence

De tant de passions : des pleurs, de la souffrance...

D'abord la courtisane : ayant eu connaissance

De mes ennuis d'argent, elle ferme sa porte.

Au seuil de la fillette, on me voit étendu,

Je ne peux lui donner ce baiser attendu.

Que dire du garçon ? J'ai croisé son regard

Mais l'espoir est perdu !


XII, 91

Polystrate, Double amour

Un double amour qui brûle une seule et même âme!

Ô vous, mes yeux qui regardez partout,

Vous connaissez celui dont les Grâces se pâment,

Antiochos, le plus beau des garçons dans leur fleur ;

Cela suffit, pourquoi donc voulez-vous

Que je m'attache encore à cet être si doux,

Stasicratès, rejeton d'Aphrodite,

La déesse couronnée de violettes ?

Allons, consumez-vous ici et tout de suite :

Pour deux amours, mon âme n'est pas prête.


XII, 92

Méléagre, Les yeux maudits

Mes yeux, ô maudits yeux, ô chiens jamais lassés

Par les beaux garçons, vous, mes yeux, qui ne cessez

D'être couverts de glu, vous aimez de nouveau :

Et comme l'agneau, vous vous êtes laissé prendre.

Vous étiez ce tison qui couvait sous la cendre.

En toute liberté, vous vous laissez mener.

Allons ! pourquoi pleurer, puisque vous revenez

Aussitôt vers l'aimé pour vous abandonner :

Alors consumez-vous, brûlez-vous doucement !

Éros est bien celui qui rôtit les amants.


XII, 93

Rhianos, Le labyrinthe des garçons

Les beaux garçons : un labyrinthe sans issue ;

Regarde toute part !

Il semble que la glu passe dans ton regard.

Ainsi, ce Théodore

L'attirer vers sa chair et ses membres en fleur ;

Cet autre, Philoclès, vers ses traits séduisants

Et sa grâce divine,

Bien qu'il ne soit pas grand.

Tu contemples Leptine :

Tout mouvement semble impossible :

Tu es cloué par le fer infrangible.

Tel est le feu que ces beaux personnages,

Du doigt jusqu'aux cheveux,

Font crépiter jusqu'au fond de vos yeux.

Salut, ô beaux adolescents,

Vite, courez vers la force de l'âge :

Bientôt, vos poils seront tout blancs.


XII, 94

Méléagre, Attention !

Diodore et son torse, Héraclite et ses yeux,

Dion et sa voix d'or, Ouliadès et son dos.

De l'un, ami, tu peux goûter la belle peau ;

De l'autre savourer le regard plein de feu ;

Quant au dernier garçon, fais-en ce que tu veux...

Je ne suis pas jaloux ! Attention cependant !

Puisses-tu ignorer à jamais la beauté

Si sur mon Myiscos ton œil est insistant.


XII, 95

Méléagre, Un amant bien entouré

Si tu es, Philoclès,

Le chéri des Désirs,

Et, si tu es ensuite

Sous le charmant empire

Des suaves Charites,

Puisses-tu dans tes bras

Serrer Diodoros,

Contempler le visage

Du fin Dorothéos,

Avoir sur tes genoux

Le joli Callistrate,

Laisser faire la main

Du merveilleux Dion

Qui touche à ton engin,

- Un arc qui vise bien -

Puis, entendre Théron,

En goûtant au baiser

Que te donne Philon.

Si Zeus te fait le don

De tous ces mets exquis,

Quel plat de beaux garçons

Va t'ouvrir l'appétit !


XII, 96

Anonyme, Handicap

Je dis que ce proverbe est excellent :

«Les dieux n'ont pas tout donné aux vivants.»1

Certes, ton corps est magnifique,

Ton torse est joliment fleuri,

Ton regard est pudique,

En un mot, tu es beau,

Tu n'as point de rivaux.

Mais le ciel ne fut pas généreux pour ton pied2.

Allons, pour le cacher, il te faut ce soulier :

Tu devrais, ô Pyrrhos, en être satisfait.

1. Expression homérique, réponse donnée par Nestor à Agamemnon (Iliade, IV, 320).

2. On devine que le garçon en question a un pied-bot et qu'il lui faut une chaussure orthopédique.


XII, 97

Antipater de Sidon, Le garçon déclinant

Eupalamos à la rousse blondeur

Vient nourrir Mérion1, des Crétois le pasteur.

Enfin, de Mérion, il nourrit Podylire :

L'aurore va mourir.

Que chez mère Nature

L'envie paraît fertile !

Car si, chez lui, le haut avait même facture

Que le bas, il serait plus fort, je vous assure,

Que le bouillant Achille. 

1. Calembour sur le nom et le mot «mêrion» : cuisse.    


XII, 98

Posidippe, Une autre préoccupation

La cigale lyrique au doux nom de Désir,

L'a lié sur un lit où des ronces foisonnent,

Cherchant à l'endormir.

Autrefois, il peinait sur de savants écrits

Mais aujourd'hui, c'est autre chose qu'il moissonne;

N'empêche ! Il maudit fort le dieu qui le poursuit !


XII, 99

Anonyme, Otage d'Éros

Moi, l'otage d'Éros ! Jamais je n'ai rêvé

De la sensation que je viens d'éprouver :

Caresser un garçon, le chauffer à mon cœur.

Otage, c’est le mot ! Mais rien de dégradant,

Non, c'est un regard pur qui m'a fait si ardent.

Adieu, la poésie, ô labeur qui m'épuise,

Mon esprit est en feu ! Quelle souffrance exquise !


XII, 100

Anonyme, Cruelle Cypris !

Cypris, vers quel port inhospitalier,

Et vers quels désirs me conduis-tu maintenant?

N'auras-tu nulle pitié,

Toi qui connais si bien pourtant de tels tourments ?

Veux-tu que la souffrance m'use

Pour que je puisse dire :

«Cypris seule a blessé le tendre ami des Muses.»


Trad. 101-200 201-258

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