Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 448b-453a - ans 725-727

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)

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PRÉCISIONS GÉNÉALOGIQUES ET « ENFANCES DE DOON » (III)

Ans 725-727 -  Myreur, II, p. 448b-453a

 

* A. Précisions, notamment d'ordre généalogique, sur divers personnages, en particulier Charles Martel (II, p. 448b-451a - an 725)

* B. Suite du récit (Section III) des « Enfances de Doon » (II, p. 451b-453a - ans 726-727)


 

A. Diverses précisions sur des personnages

 

Précisions généalogiques concernant Charles Martel, mort en 725, où il est question de ses trois fils (Pépin le Bref, Carloman et Griffon Martel) et de ses trois filles (Erebour, Ermengarde et Aigletine) - Mention de Jeanne, épouse de Griffon Martel, soeur de Guy de Mayence, le père de Doon, et mère de Guy de Hamptone

Mention aussi de personnages liés à la Bourgogne (notamment Aubry le Bourguignon) et à la Bavière (Naime) - Charles Martel se rattache à la lignée de Clovis, le premier roi chrétien des Francs

 


 

Précisions généalogiques concernant Charles Martel, mort en 725, où il est question de ses trois fils (Pépin le Bref, Carloman et Griffon Martel) et de ses trois filles (Erebour, Ermengarde et Aigletine) - Mention de Jeanne, épouse de Griffon Martel, soeur de Guy de Mayence, le père de Doon, et mère de Guy de Hamptone - Considérations généalogiques (notamment sur Blitilde, Ansbert, Arnould, Anségisel)

[II, p. 448b] [L’an VIIc et XXV - Char-Martel morit chi] Item, l'an VIIc et XXV, le XI kalende de novembre, morut Char-Martel, li roy de Franche, à Loion ; mains ilh fut remporteis à Paris, et fut ensevelis en l'engliese Sains-Denys. Chis Char-Martel fut mult valhans hons, et conquist terre X journeez de long sour les Sarasins.

[II, p. 448b] [L’an 725 - Charles Martel mourut] En l'an 725, le onzième jour des calendes de novembre, Charles Martel, le roi de Francie, mourut à Laon. Il fut transporté à Paris et enseveli dans l'église Saint-Denis. Ce Charles Martel fut un homme valeureux, qui conquit sur les Sarrarins des terres s'étendant sur une distance de dix jours de trajet.

[Char-Martel donnat Erebour, sa filhe, et Bealwier à Uris, portant qu’ilh prist baptemme]e] Et conquist Bealwier, car ly roy Uris, le fis Udelon, soy fist baptisier quant son peire fut mors, et Char-Martel li donnat Erebour, sa filhe de sa promier femme, dont Aymeir, li duc d'Aquitaine, avoit la parelhe.

[Charles Martel donna sa fille Erebour en mariage et la Bavière à Ouri, car il s'était fait baptiser] Charles Martel conquit la Bavière, et du fait que le roi Ouri, fils d'Odilon, s'était fait baptiser après la mort de son père, Charles Martel lui donna en mariage Erebour, la fille de sa première femme [Madane, cfr II, p. 393 et p. 401], dont Amaury, le duc d'Aquitaine, avait épousé la soeur jumelle [Ermengarde, cfr II, p. 406].

Filles de Charles Martel, Erebour et Ermengarde seraient donc des soeurs jumelles, la première aurait épousé le roi Ouri, fils d'Odilon de Bavière, et la seconde, Amaury, duc d'Aquitaine.

[Des trois fis Char-Martel et de ses II filhes - Pipin fut li promier fis Char-Martel] Char-Martel oit trois fis et lesdit II filhes, et encors une filhe : promirs ilh oit Pipin le nain, qui fut son anneis fis, de cuy mult de hystoires dient qu'ilh fut faite de chire que ons ne doit croire nullement. Chis fut roy de [II, p. 449] Franche apres Char-Martel, son pere, et regnat XXVII ans.

[Les trois fils de Charles Martel et ses deux filles - Pépin fut le premier fils de Charles Martel] Charles Martel eut trois fils, et les deux filles susdites ainsi qu'une autre fille [= Aigletine, cfr infra]. D'abord, il eut Pépin le Bref, son fils aîné, dont beaucoup d'histoires, que l'on ne doit nullement croire, racontent qu'il fut fait de cire. Ce Pépin fut roi de [II, p. 449] Francie après son père Charles Martel, et régna pendant vingt-sept ans.

[Karolomannus li II fis. Chis fut moyne en monte Cassin - Pipin li petit fut coroneis à roi de Franche li XXIIIIe] Ly altre fis Char-Martel oit a nom Karolomannus ; chis s'en alat à Romme visenteir les sains lieu com pelerins, et puis fist al pape Zacharie confirmeir la coronation le roy Pipin, portant que Char-Martel son pere avoit esteit bastars, si ne poioit eistre roy de Franche. Mains quant ilh fut coroneis, nuls ne l'oisat debatre por sa forche et proieche. Apres s'en alat en monte de Serap, où ilh devint moyne. Et maintes fois l'ont les Franchois, qui là sont passeit, visenteit ; mains portant que les barons l'aloient visenteir illuc, si fut translateit à mont de Cassin, et là ilh demorat jusques en la fin de sa vie.

[Carloman, le second fils, fut moine au mont Cassin - Pépin le Bref fut couronné vingt-quatrième roi des Francs] L'autre fils de Charles Martel eut pour nom Carloman ; il se rendit à Rome en pèlerinage, pour visiter les saints lieux, et puis il fit confirmer par le pape Zacharie le couronnement du roi Pépin, parce que leur père, Charles Martel, étant un bâtard, ne pouvait être roi des Francs. Mais une fois Pépin couronné, plus personne n'osa lui contester ce titre, vu sa force et ses faits d'armes. Ensuite, Carloman se rendit sur le Mont Soracte, où il devint moine. Les Francs qui passaient par là lui rendirent maintes fois visite ; mais comme les barons allaient souvent l'y visiter, il fut transféré au Mont Cassin, où il vécut jusqu'à la fin de sa vie.

[Griffons le thirs fis Char-Martel] Ly thirs fis Char-Martel oit à nom Griffons, qui fut conte de Tresche que son pere li donnat : chis oit une femme plus noble de ly asseis, qui oit à nom Johanne. Son frere charneis fut Guyon de Maienche. Se vos regardeis desus de cuy ilh estoit, si ne trovereis en cel monde miedre de li de pere et de mere.

[Griffon, le troisième fils de Charles Martel] Le troisième fils de Charles Martel, appelé Griffon, fut comte de Tresche, un comté donné par son père. Ce Griffon épousa une femme plus noble que lui, nommée Jeanne, soeur de sang de Guy de Mayence (cfr infra). Si vous regardez ci-dessus d'où provenait ce Guy, vous ne trouverez personne au monde plus noble de père et de mère.

[La plus grant mervelhe de monde del filhe Char-Martel Erebour] Nos vos volons dire clerement droit chi une des plus grant mervelhe qu'ilh avint onques à monde por la royne Erebour, la filhe Char-Martel, et femme al roy Oury de Beawier.

[Erebour, fille de Charles Martel, la plus grande merveille du monde] Nous voulons vous dire clairement ici qu'une des plus grandes merveilles jamais survenues dans le monde, ce fut grâce à la reine Erebour, fille de Charles Martel et épouse du roi Ouri de Bavière.

Mais pourquoi Erebour mérite-t-elle ce titre ? Cette fille de Charles Martel pourrait-elle être un personnage inventé (littéraire ?). Quel rapport entretiendrait-elle avec Ermengarde, un nom plus répandu ? En tout cas, il n'est question d'Erebour que dans les présentes notices, on ne reparlera plus d'elle ailleurs dans la suite du Myreur.

Mention aussi de personnages liés à la Bourgogne (notamment Aubry le Bourguignon) et à la Bavière (Naime) - Charles Martel se rattache à la lignée de Clovis, le premier roi chrétien des Francs - Considérations généalogiques (notamment Blitilde, Ansbert, Arnould, Anségisel)

[Gerart duc de Borgongne et Tybals, son frere] Promirs vos dis qu'ilh oit unc duc en Borgongne qui oit à nom Erchebals ; chis oit II fis qui furent nommeis Gerars et Tybals. Chis Gerars fut duc de Borgongne, et Tybals fut conte de Borgongne, qui voloit (valoit) miés que la ducheit.

[Gérard, duc de Bourgogne, et Thibaut, son frère] D'abord, je vous dirai qu'il y eut en Bourgogne un duc nommé Archibald, qui eut deux fils, Gérard et Thibaut. Gérard eut le titre de duc de Bourgogne, et Thibaut celui de comte de Bourgogne, un comté valant plus qu'un duché.

[Abris ly mies ameis des dammes de paiis] Chis Tybals oit unc fis aloseit, qui oit à nom Abris le Borgongnon, qui fut bon chevalier et ly miés ameis des dammes qui fust par tous paiis. Si oit I cusin qui fut nommeis Gasselin, fis de sa suere. Par cel Abris et son cusin Gasselin furent les paiiens qui avoient gangniet Bealwier fours osteis de Bealwier, et qui avoient ochis le roy Ouri.

[Aubry, le mieux aimé par les dames du pays] Ce Thibaut eut un fils réputé, qui portait le nom d'Aubry le Bourguignon. Ce fut un bon chevalier et le plus aimé des dames dans tout le pays (cfr II, p. 465). Il avait un cousin, Gasselin, le fils de sa soeur. Cet Aubry et son cousin Gasselin chassèrent de Bavière les païens qui s'y étaient introduits et avaient tué le roi Ouri.

Auberi le Bourgoing est un personnage de la Geste des Lorrains (ou Geste des Loherains). Il s'agit d'un cycle de cinq chansons de geste anonymes (quelque 70.000 vers au total) datant des XIIe et XIIIe siècles et racontant l'opposition sans fin de deux grandes lignées : les Lorrains et les Bordelais.

[Nalme de Beawier dont ilh issit] Chis Abris prist à femme damme Erebour, et chis Gasselin prist la filhe Ysent, dont ilh issit unc fis qui oit à nom Nalmon ; et chis Nalmon oit à femme Andelis, la filhe Guys de Provenche, desqueis issit Ydaine la belle qui estoit damme de Bealwier, quant les enfans Doyelin de Maienche rengnoient. Et cel oit à femme [II, p. 450] Widelon, ly anneis après Gaufrois des enfans Doyelin : de ches dois issit Nalme, ly dus de Bealwier, qui fut conselhier à roy Charlemangne. Ilh sont mult de gens qui quident que Nalme, qui fut conselhier al roy CharIe, fust li fis Gasselin, et c'est mal penseir, car chis Nalme fut neis l'an VIIc et XXVI, et si morut à Borbon à unc tournoy l'an XVIII de sa rengnation, si demorat enchainte sa femme adont d'on fis qui oit à nom Widelon, sicom dit est, qui fut ly pere Nalme, le conselhier Charle le Gran.

[De qui est issu Naime de Bavière] Cet Aubry épousa dame Erebour, et Gasselin épousa sa fille Iseult, dont il eut un fils, nommé Naime ; ce Naime épousa Andelis, la fille de Guy de Provence, de qui naquit Ydaine (Ide) la belle, qui fut dame de Bavière, au temps où régnait Doon de Mayence. Et cette Ydaine épousa [II, p. 450] Odilon, l'aîné des enfants de Doon après Geoffroy ; de ce couple naquit Naime, le duc de Bavière, qui fut le conseiller de Charlemagne. Nombreux sont ceux qui croient que Naime, le conseiller du roi Charle(magne), était le fils de Gasselin, mais c'est une erreur. Le Naime (dont il est question ici) naquit en 726, et mourut à Bourbon dans un tournoi, au cours de sa dix-huitième année ; sa femme était enceinte et donna naissance à un fils, nommé Odilon, dont on vient de parler. C'est ce dernier, qui fut le père de Naime, conseiller de Charlemagne.

1. Erebour : on notera qu'un peu plus haut (II, p. 448b), Jean mentionnait qu'Aubry avait épousé Ermengarde, la soeur jumelle d'Erebour.

2. Andelis : Andelis (avec les variantes Andalis, Andolis, Andeline) est un prénom féminin très répandu dans Ly Myreur où il sert à désigner (cfr l'Index Bormans) neuf personnes différentes, ainsi, parmi d'autres, la femme de Hongris (I, p. 188), la femme d'un comte de Namur (IV, p. 213),  la fille d'un roi d'Angleterre (II, p. 493) ‒ et c'est le cas ici ‒ la fille de Guy de Provence et l'épouse du Naime n° 1.

3. Les deux Naime : sur les deux Naime, cfr aussi II, p. 409-410. Il sera aussi question en II, p. 483, du premier Naime, comte de Namur, qui éliminera Rainfroi et Hondis, les bâtards de Pépin le Bref.

[De Erchebal, ly fis Doyelin de Maienche] Apres vos dis que li croniques parolle d'on altre Abri longtemps apres, qui dist qu'ilh fut fis Basin, li fis Erchebal de Geneve, et duc de Burgongne, et ch'est voire ; mains la mateire qu'ilh met à chis Abris à temps Pipin, le fis Char-Martel, si fut al temps Pipin qui fut li fis Charle le Gran. Car Erchebal fut li fis Doyelin de Maienche, et Basin son fis si oit la filhe Oudon de Lengre, qui fut mere à Abris. Et deveis savoir qu'ilh oit bien cent ans et plus entres ches II Abris, dont ly promier fut li fis Tybaut, et li derain fut ly fis Basin. llh n'y at altre differenche que les dois Abris orent cascon unc neveur qui oit nom Gasselin ; et orent ches dois Gasselins dois femmes, dont ly une oit à nom Ysent et li altre Senehut ; et que ilh n'y at altre marimenche que li plus del matere est el derain Abri, sique nos en parlerons plainement à son temps, et dirons adont liqueis fut al promier et liqueis al derain, quant nos serons là tourneis.

[Archibald, le fils de Doon de Mayence] Je vous dis ensuite que la chronique parle d'un autre Aubry, qui vécut longtemps plus tard ; elle dit qu'il fut le fils de Basin, fils d'Archibald de Genève et duc de Bourgogne ; et c'est exact. Mais les faits que la chronique attribue à l'Aubry du temps de Pépin, le fils de Charles Martel, se passèrent au temps du Pépin fils de Charlemagne. En effet, Archibald était le fils de Doon de Mayence, et son fils Basin épousa la fille de Odon de Langres, la mère d'Aubry. Vous devez savoir que plus de cent ans séparent ces deux Aubry : le premier était le fils de Thibaut, et le second celui de Basin. Une autre différence est que les deux Aubry eurent chacun un neveu, nommé Gasselin, mais que ces deux Gasselin eurent des épouses, appelées l'une Iseult et l'autre Senehut. Le seul regret est que la matière concerne essentiellement le second Aubry, dont nous parlerons largement en son temps (cfr II, p. 521). Quand nous en serons là, nous dirons alors ce qui revient au premier et ce qui revient au dernier.

[Aglatine, la filhe Char-Martel]  Mains chi nos en tayrons, si dirons des enfans Char-Martel, dont j'ay encors à dire de la belle Aigletine, qui fut filhe à Char-Martel, qui oit Guys de Loheraine à marit, si en oit II fis, Garin et Beghon, qui puis orent grant guere à vielh Froymont.

[Aigletine, la fille de Charles Martel] Mais nous abandonnerons ce sujet pour vous entretenir des enfants de Charles Martel. J'ai encore à vous parler de sa fille, la belle Aigletine,  épouse de Guy de Lorraine et mère de deux fils, Garin et Beghon, qui menèrent grande guerre contre le vieux Fromont.

1. À propos d'Aigletine, Jean d'Outremeuse fait intervenir ici les personnages et les événements d'une chanson de geste du XIIe siècle, dont il n'avait pas encore été question dans le Myreur. Intitulée Garin le Lorrain (Garin le Loherain) et longue de quelque 16.000 décasyllabes, cette chanson fait partie du Cycle des Lorrains et raconte, pour l'essentiel, la naissance d'une longue guerre qui éclata entre les Lorrains et les Bordelais, et qui vit la mort de deux grands Lorrains : Bégon et Garin. Le « vieux Fromont », qui apparaît ici,  est le chef des Bordelais. On trouvera en II, p. 476 quelques détails complémentaires sur cette guerre. On retrouvera les noms  d'Aigletine, de Guy de Lorraine, de Garin, de Beghon et de Fromont, et on apprendra aussi que Charles Pépin, le fils de Pépin III, allié de Garin, fut tué au combat.

2. Jean d'Outremeuse ne cite pas nécessairement toutes les filles de (ou attribuées à) Charles Martel. Citons par exemple le cas de sainte Hadeloge de Kitzingen,  présentée sur la Toile.

 [De lynage Pipin et Char-Martel] Ons dist que la lignie Clovis, le promier roy de Franche cristien, fallit à Pipin et à Char-Martel son pere ; mains chu n'est pais veriteit, car Char-Martel oit la filhe le roy de Franche Hildebert, dont ilh issit Pipin.

[La généalogie de Pépin et de Charles Martel] On dit qu'une parenté avec Clovis, le premier roi chrétien de Francie, fait défaut à Pépin et à son père Charles Martel. Mais ce n'est pas vrai, car Charles Martel eut pour épouse la fille du roi de Francie Childebert, de qui Pépin est issu.

Les épouses de Charles Martel : on fera observer que ni Rotrude, ni Swanahilde, les deux épouses de Charles Martel, n'étaient  filles de roi.

 Et encors issit Pipin et son pere Char-Martel d'altre costeit del roy Cloveis, car li roy Clotaire, ly fis CIoveis, oit une filhe qui fut nommée Blitilde, laqueile oit à marit Albert le senateur de Austrie ; si en oit I fis qui oit à nom Adulphe, qui fut prevoste d'Austrie : et chis fut li pere sains Arnuls l’evesque de Mes, qui avoit esteit mariés et prevoste d'Austrie awec Pipin, [II, p. 451] le fis Farlamant, duc de Campangne, al temps le secon Clotaire, roy de Franche ; lyqueis sains Arnuls oit de sa femme, qui oit à nom Doda, et en oit II fis, assavoir Clodulphe, qui fut evesque de Mes apres son pere, et Ansegis qui oit à femme sainte Beghe : si en issit Pipin le Gros, le peire Char-Martel. Enssi appert que Char-Martel issi de propre sanc Cloveis, qui fut ly promier roy cristien de Franche.

Pépin et son père Charles Martel descendent aussi de Clovis par un autre côté, car le roi Clotaire (I), le fils de Clovis, eut une fille nommée Blitilde (cfr II, 306 et II, 322), qui eut pour mari Ansbert, sénateur d'Austrasie ; elle en eut un fils, nommé Arnould, qui fut prévôt d'Austrasie : il était le père de saint Arnould, l'évêque de Metz, qui avait été marié et fut prévôt d'Austrasie avec Pépin, [II, p. 451], le fils de Farlament, duc de Champagne, au temps de Clotaire II, roi de Francie ; ce saint Arnould eut de sa femme, nommée Doda, deux fils, à savoir Clodulphe, qui fut évêque de Metz après son père, et Anségisel, qui épousa sainte Begge, de qui naquit Pépin le Gros (Pépin II, de Herstal), le père de Charles Martel. Ainsi il apparaît évident que Charles Martel est issu du sang de Clovis, qui fut le premier roi chrétien de Francie.

1. Blitilde : autre tentative ‒ fort compliquée et discutable elle aussi ‒ de rattacher Charles Martel à Clovis à partir cette fois de la reine Blitilde, fille de Clotaire, épouse d'Ansbert de Poitiers (II, p. 306, et  II, p. 322)  et mère d'Arnould (orthographié ici en Adulphe et Arnuls). Les généalogies de Jean d'Outremeuse sont toujours sujettes à caution. En II, p. 306, Blitilde esr présentée comme la fille de Clotaire II. Elle serait à ranger dans la liste des « Faux Mérovingiens », c'est-à-dire des princes et des reines inventées au Moyen Âge (cfr Wikipédia). Cfr aussi L. Theis, Dagobert, Paris, 1982, p. 74-82.

2. Anségisel : ce personnage (à la graphie variable : Ansegise, Ansegisel, Ansegisèle) apparaît à plusieurs reprises dans le Myreur : cfr II, p. 306, p. 322, p. 324, p. 329, et p. 340.

En revenant à nostre matere, Johanne, la soreur Guys de Maienche, antain de Doelin, et Griffons Martel sy orent unc fis qui fut nommeis Guyon de Hastongne, et prist awec sa femme Hastongne qui [estoit] la filhe Aymeir de Hastogne, si orent unc fis qui oit à nom Bueve de Hastogne, qui fut uns bons chevalier qui oit asseis à souffrir par trahison.

Pour revenir à notre sujet, Jeanne, la soeur de Guy de Mayence, la tante de Doon, eut de Griffon Martel, un fils, appelé Guy de Hamptone, du nom de sa femme Hamptone, qui était la fille d'Amaury de Hamptone, lesquels eurent un fils, Beuve de Hamptone, qui fut un bon chevalier, et eut beaucoup à souffrir de trahison.

Beuve de Hamptone : héros qui a donné son nom au titre d'une chanson de geste (cfr Beuve de Hamptone. Chanson de geste anglo-normande de la fin du XIIe siècle. Édition bilingue établie, présentée et annotée par Jean-Pierre Martin, Paris, Champion, 2014, 524 p.). Comme l'auteur de cet ouvrage, nous avons uniformisé en Hamptone les Hastongne, Hastogne, et autres variations graphiques (Hanstongne, Haustongne, etc...) qu'on rencontre chez Jean d'Outremeuse (cfr II, p. 474-475).


B. Les « Enfances de Doon » (Section III) - (II, p. 451b-453a - ans 726-727

 

Ans 726-727 -  Jeanne, épouse de Griffon Martel et soeur de Guy, arrive à Mayence - Influencée par la version d'Ernebaut, elle pousse avec rage au châtiment de sa belle-soeur la comtesse. Pour convaincre totalement Jeanne et aussi peut-être pour respecter les formes, Ernebaut organise une réunion des barons qu'il pense acquis à sa cause

* Entrent alors en scène des témoins inattendus, à savoir les deux fils de Baudouin de Beauplain qui avaient échappé au massacre - Ceux-ci racontent d'abord à Samson, un chevalier fidèle au comte de  Mayence ce qui s'est réellement produit - Samson, très étonné de la malhonnêteté d'Ernebaut, les croit et tente d'expliquer la vérité - Les barons inclinent à croire Ernebaut coupable mais Jeanne n'est pas convaincue et exige à nouveau la mort de sa belle-soeur

* Pour se défendre, Ernebaut ment honteusement en rejetant sur Samson toute la responsabilité de l'affaire - Alexandre, un des fils de Baudouin, outré, répète avec force son premier témoignage et défie Ernebaut au combat - Les barons estiment que la question doit se régler par un combat singulier - Mais Ernebaut, par peur du jeune Alexandre, propose à Samson qu'on en revienne à la formule du combat singulier opposant le champion de la comtesse à deux adversaires, Ernebaut et son frère Drohar


 

Ans 726-727 -  Jeanne, épouse de Griffon Martel et soeur de Guy, arrive à Mayence - Influencée par la version d'Ernebaut, elle pousse avec rage au châtiment de sa belle-soeur la comtesse. Pour convaincre totalement Jeanne et aussi peut-être pour respecter les formes, Ernebaut organise une réunion des barons qu'il pense acquis à sa cause

[II, p. 451b] [L’an VIIc et XXVI - Jehanne, la soreur Guys, vint à Maienche] Item, l'an VIIc et XXVI oiit Jehanne, la femme Griffon Martel, novelle à Treschie dont elle estoit contesse, que la contesse de Maienche avoit murdrit son marit Guys, frere à ladite Jehanne ; si est venus awec grans corois à Maienche, et est montée en palais, où elle trovat Ernebaut qui li at racompteit tout le fait enssi qu'ilh l'avoit bastit. Quant Jehanne l'oiit, si le creit et demandat porquoy elle n'estoit arse sens attendre.  Et dest Ernebaut : « Damme, je feray assembleir tous les hauts barons de paiis, si vos plaindeis à eaux de lée et requereis que justiche en soit faite, car elle at malvaisement murdrit monseignour Guys, vostre frere, dont li cuer moy part que je n'en puy avoir venganche. » Puis fist semblant de ploreir, et la damme l'accolat à dois bras.

[II, p. 451b] [L’an 726 - Jeanne, la soeur de Guy, vint à Mayence] Et en l'an 726, Jeanne, l'épouse de Griffon Martel, comtesse de Tresche, apprit que son frère, Guy, avait été assassiné par son épouse, la comtesse de Mayence. Elle arriva avec une suite nombreuse à Mayence, monta au palais, où elle trouva Ernebaut qui lui raconta toute l'affaire, telle qu'il l'avait inventée. Quand Jeanne l'entendit, elle le crut et demanda pourquoi on ne brûlait pas la comtesse sans attendre. Ernebaut lui dit : « Dame, je ferai rassembler tous les hauts barons du pays, à qui vous vous plaindrez d'elle en exigeant que justice soit faite, car elle a injustement tué monseigneur Guy, votre frère, au point que mon coeur se fent de ne pouvoir obtenir vengeance. » Puis Ernebaut fit semblant de pleurer, et la dame le serra dans ses bras.

[Les barons furent mandeis] Atant mandat Ernebaut tous les barons de pays, et ilhs vinrent tous en palais en Maienche : si fut là Sanson et les dois fis Baldewin de Bealplain.

[Les barons furent convoqués] Alors Ernebaut convoqua les barons du pays, qui vinrent tous au palais de Mayence. Il y avait là Samson et les deux fils de Baudouin de Beauplain.

Entrent alors en scène des témoins inattendus, à savoir les deux fils de Baudouin de Beauplain qui avaient échappé au massacre - Ceux-ci racontent d'abord à Samson, un chevalier fidèle au comte de  Mayence ce qui s'est réellement produit - Samson, très étonné de la malhonnêteté d'Ernebaut, les croit et tente d'expliquer la vérité - Les barons inclinent à croire Ernebaut coupable mais Jeanne n'est pas convaincue et exige à nouveau la mort de sa belle-soeur

[L’an VIIc et XXVII - Les II fis Baldewin ont dit la trahison] Et chu fut le XXVIIe jour de jule l'an VIIc et XXVII.  Sanson veit les dois fis Baldewin de Bealplain, Alixandre et Garin, se les emenat de costeit et dest : « Comment oiseis chi venir ? Vos saveis bien que vostre peire vos obligat del ameneir le champion la damme, et ilh ne vint onques, ains le ratendis trois jours que Ernebaut estoit, luy et son frere, atendans tous apparelhiés por combatre, se li champion la damme et vostre peire fussent venus. »  Quant les enfans entendirent chu, si desent : « Sires, sachiés la veriteit de faite, car ilh est tout contrahie à chu dont vos esteis infourmeis. Et tout maintenant le[II, p. 452] volont proveir, car vos saveis comment ilh fut ordineit par vos et les altres que, al chief de VI mois, proprement en Valgensi devoient estre ma damme et mon pere et nos et ameneir I champion, enssi com dit aveis. Et chu jurarent les parties, et que en cel fait ilh ne cacheroient nulle trahison, le terme durant, et ne soy mefferoient riens. De coy les trahitres sc sont parjureis, car unc mois devant le jour ilhs assemblarent leurs amis, se prisent et castels et citeis, et tout chu qu'ilh apartient à la conteit de Maienche.

[L’an 727 - Les deux fils de Baudouin dénoncèrent la trahison] Cela se passa le vingt-septième jour de juillet de l'an 727. Lorsque Samson vit les deux fils de Baudouin de Beauplain, Alexandre et Garin, il les prit à part et leur dit : « Comment osez-vous venir ici ? Vous savez bien que votre père vous a chargés d'amener le champion de Madame, qui n'est jamais venu et qu'on a attendu trois jours ; pendant ce temps,  Ernebaut et son frère étaient là, tout équipés pour le combat et attendaient l'arrivée du champion de Madame et de votre père. »  Quand les fils de Baudouin entendirent cela, ils dirent : « Seigneur, sachez la vérité à ce propos, vérité tout à fait contraire à ce dont vous avez été informé. Et maintenant [II, p. 452] nous voulons vous le démontrer. En effet, vous le savez, vous et les autres avez décidé que Madame la comtesse, notre père et nous, devions nous présenter six mois plus tard à Valgensi même, et amener un champion, comme vous avez dit. Les parties jurèrent que durant ce temps, aucune trahison ne serait ourdie et aucun méfait ne serait commis. Sur ces points, les traîtres se parjurèrent, car un mois avant le jour fixé, ils rassemblèrent leurs amis et s'emparèrent des châteaux, des cités et de tout ce qui appartenait au comté de Mayence.

Et vinrent à Bealplain, où ma damme estoit, et si l'escalerent et prisent ma damme et mon peire, et puis ardirent tout le castel et dedens trois de nos freres, et nos escapames à grant mechief. Et puis emenarent en prison ma damme et mon pere, sique al jour ilh ne porent eistre devant vos par faire chu dont ilh estoient obligiés. Et chu vollons proveir suffissament. »

Ils se rendirent au château de Beauplain, où se trouvait la comtesse. Ils y montèrent par une échelle, s'emparèrent d'elle et de notre père, puis mirent le feu au château où se trouvaient trois de nos frères. Nous, nous avons échappé à un grand malheur. Ensuite les traîtres mirent en prison la comtesse et notre père, qui ne purent se présenter devant vous au jour dit pour respecter leur engagement. C'est ce que nous voulons prouver très clairement. »

[Sanson at grant mervelhe del iniquiteit Ernebaus] Quant Sanson entendit le fait, si soy sengnat et dest : « Je suy dechus et trahis, mains par ma foid ilh yrat tout altrement, car ilh moront tous, ou je seray ochis, ou la journée del champ serat rassenée. » Atant s'en vat en palais et dest aux barons, devant Jehanne meismes qui disoit sa plainte et ploroit en requerant que la putain qui avait murdrit son frere fust arse, car ilh estoit bien proveit ; « si le me weulhiés livreir et viereis chu que je en feray. »

[Samson fut très étonné de la malhonnêteté d'Ernebaut] Quand Samson entendit cela, il se signa et dit : « J'ai été trompé et trahi, mais, par ma foi, il en ira tout autrement : ou bien Ils mourront tous, ou bien je serai tué et la date du combat sera reportée. » Alors, il se rendit au palais pour parler aux barons. Il y trouva Jeanne en personne, qui se plaignait et pleurait. Elle exigeait que la putain qui avait tué son frère soit brûlée vive, car le meurtre était bien prouvé. Et elle ajoutait : « Si vous vouliez me le livrer, vous verriez ce que j'en ferais. 

[Sanson demonstrat tot la trahison à la contesse Jehanne] Quant Sanson entendit chu, si parlat et dest : « Certe, ma damme, metteis chu en respit, si vos dirons porquoy Ernebaut m'at trahit malement, et je le deserveray si loialement que je n'en seray jà blameis. Et chu que je dis qu'ilh m'at trahit, je le proveray : vos saveis et esteis infourmée comment monsaingnour Guys, vostre frere, soy absentit de chis pays et tout chu que depuis est advenus, et comment Ernebaut, qui voloit avoir ma damme à femme, portant qu'elle le refusat se li impoisat qu'elle avoit murdrit son marit et l'avoit ensevelit en son vergier, et emenat à la sepulture les barons de pays, si qu'elle fut jugié por ardre ; mains Baldewinde Bealplain le socorit. Adont je ving à l’estour et mis accord entre eaux tellement que, al jour de VI mois, la damme venroit devant mon castel de Valgensi et ameneroit I champion qui defenderoit ma damme encontre Ernebaut et son frere Drohar. Tot chu fut confirmeit, jureit et ploges livreit.

[Samson raconta toute la trahison à la comtesse Jeanne] Quand Samson entendit cela, il prit la parole et dit : « Assurément, madame, oubliez cela un moment. Nous allons vous dire pourquoi Ernebaut m'a méchamment trahi, et je prouverai ses torts, loyalement, sans que jamais personne ne me blâme. Et quand je dis qu'il m'a trahi, je le prouverai. Vous savez que monseigneur Guy, votre frère, a quitté ce pays et vous êtes informée aussi de tout ce qui est arrivé ensuite, c'est-à-dire qu'Ernebaut, parce que la comtesse qu'il voulait épouser le refusait, l'accusa d'avoir assassiné son mari et de l'avoir enseveli dans son verger ; qu'ensuite Ernebaut emmena les barons du pays à l'endroit de la sépulture et qu'ainsi la comtesse fut condamnée à être brûlée vive. Cependant Baudouin de Beauplain est venu à son secours. Alors j'ai proposé un combat singulier et je les ai mis d'accord. Il fut ainsi décidé que, dans un délai de six mois, à un jour dit, la comtesse viendrait à mon château de Valgensi avec un champion, qui se battrait pour elle contre Ernebaut et Drohar. Tout cela fut confirmé sous serment et avec des garanties.

Mains Ernebaut at tout fauseit, car ilh est veriteit que tantost apres, anchois qu'ilh fust le jour venus de la batalhe, qu'il saisit tout le paiis et entrat par nuit à escalles, luy et cheaux [II, p. 453] qui sont de son faux linage trahitre, en castel de Bealplain, et le gangnat et l'ardit ; si ardit dedens III beals escuwiers, enfans à Baldewin, dont ilh en avoit V, si en sont chi les dois ; et prist ma damme et Baldewin qui estoient là present et les mist en prison, si qu'elle ne pot gardeir sa journée.  Apres soy vint, en moy trahissant, poroffrir par-devant moy en accusant la damme par III jours : ilh ratendoit bien en pais, car ilh savoit bien que ma damme ne poioit venir. El fin des trois jours je ly donnay congier, sique trahitement infourmeit. » A chu respondit Jehanne : « Chu n'y wat riens, car la putain sera arse. »

Mais Ernebaut n'a rien respecté de l'accord. En effet peu de temps après, bien avant le jour fixé pour le combat et c'est la vérité , il s'empara de tout le pays, et de nuit, avec les [II, p. 453] traîtres de son lignage, il pénétra avec des échelles dans le château de Beauplain, s'en empara et l'incendia. À l'intérieur, trois beaux écuyers, des enfants de Baudouin, furent brûlés. Ernebaut saisit alors la comtesse ainsi que Baudouin, et les mit en prison, si bien qu'elle ne put se présenter au jour dit. Puis Ernebaut vint, traîtreusement, se présenter devant moi, en accusant la comtesse d'avoir trois jours (de retard). Il attendait très sereinement, car il savait bien que la comtesse ne pouvait venir. À la fin des trois jours, je lui donnai congé, puisque j'avais été traîtreusement informé. » À cela Jeanne répondit : « Cela ne fait rien, car la putain sera brûlée. »

[Sanson respondit sagement contre Jehanne por la comtesse et Baldewin] Et Sanson li dest : « Damme, abassiés vos parlers car, par le foid que je doy Dieu, anchois qu'ilh avengne chu que vos dit en moroit IIm hommes. » Atant soy leverent tous les nobles barons et escauderent le coroche en disant à Ernebaut qu'il avoit fait trahison, s'ilh estoit enssi que Sanson dist.

[Samson répondit avec habileté à Jeanne pour défendre la comtesse et Baudouin] Et Samson lui dit : « Madame, modérez vos paroles, car par la foi que je dois avoir en Dieu, avant qu'advienne ce que vous annoncez, deux mille hommes seront morts. » Alors tous les nobles barons se levèrent et, brûlant de colère, accusèrent Ernebaut de trahison, si ce que disait Samson était vrai.

Pour se défendre, Ernebaut ment honteusement en rejetant sur Samson toute la responsabilité de l'affaire - Alexandre, un des fils de Baudouin, outré, répète avec force son premier témoignage et défie Ernebaut au combat - Les barons estiment que la question doit se régler par un combat singulier - Mais Ernebaut, par peur du jeune Alexandre, propose à Samson qu'on en revienne à la formule du combat singulier opposant le champion de la comtesse à deux adversaires, Ernebaut et son frère Drohar

[Faux alliganche que Ernebaut fist] Quant Ernebaut oiit chu, si dest à Sanson : « Sires, vos nos donnast congiet et nos abandonas les corps de ma damme et de Baldewin son ploge à prendre et del mettre en prison. Nos revenus de ladite journée, et nyent devant, nos avons pris et saisit leur biens et tout le pays entyrement, et le corps de la damme et de Baldewin avons mis en prison ; et s'ilh est nuls qui oise dire le contraire, je suy prest del defendre. »

[Ernebaut fit une fausse affirmation] Quand Ernebaut entendit cela, il dit à Samson : « Seigneur, vous nous avez permis d'arrêter et de mettre en prison la comtesse et son garant Baudouin. Une fois arrivés à ce jour, et pas avant, nous nous sommes emparés de leurs biens et du pays tout entier, et nous avons emprisonné la comtesse et Baudouin. Si quelqu'un ose dire le contraire, je suis prêt à me défendre. »

[La hardie respons Alixandre contre Ernebaut] Quant Alixandre entendit chu, si salt sus et dest : « Par cheli Dieu qui en l'arbe de la crois morut, qui fut trahis ! Et enssi ont esteit trahis ma damme et mon pere. » Et là recitat tout chu qu'ilh avait dit à Sanson, et dest qu'ilh le voloit proveir, por tout le pays et « par mon corps contre le trahitre Ernebaut. » Adont furent les barons tous enbahis, si ont (corr. pour oit) dit : « Ilh convient cel trahison determineir par champ. »

[L'audacieuse réponse d'Alexandre à Ernebaut] Quand Alexandre (le fils de Baudouin, cfr supra) entendit cela, il se leva et dit : « Par ce Dieu qui mourut sur le bois de la croix, et qui fut trahi ! Ainsi furent trahis la comtesse et mon père. » Et là il répéta tout ce qu'il avait dit à Samson, assurant qu'il voulait le prouver devant tout le pays et « dans un corps à corps contre le traître Ernebaut. » Alors les barons furent tous stupéfaits et dirent : « Il faut régler cette trahison par un combat singulier. »

Ernebaut ordinat le camp encontre Alixandre] Mains Ernebaut, quant il veyt chu, si dobtat mult Alixandre, et s'avisat en disant qu'ilh otrirat à Sanson que luy et son frere feront le champ com devant. Et Sanson li dest : « Ernebaut, vos parteis et si prendeis, mains par ma foid ilh ne vos valrat riens, car j'aray venganche de vos. Mandeis vostre frere ; ilh moy plaist que vos soyés en champ com devant. »

[Ernebaut organisa le combat contre Alexandre] Mais quand Ernebaut vit cela, il redouta beaucoup Alexandre et, après réflexion, proposa à Samson que le combat, convenu auparavant, ait lieu, contre lui et son frère. Samson lui répondit : « Ernebaut, partez et arrangez-vous, mais, ma foi, cela ne vous vaudra rien de bon. Je me vengerai de vous. Appelez votre frère ; il me plaît que vous soyez sur le champ comme prévu. »


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