Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 476b-479 - ans 735-741 Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023) [BCS] [FEC] [Accueil JOM] [Fichiers JOM] [Pages JOM] [Table des Matières JOM] AUTOUR DE DOON - LA SUCCESSION DE PÉPIN LE BREF MORT DU FILS AÎNÉ DE PÉPIN LE BREF - LE FUTUR CHARLEMAGNE VEUT ÉLIMINER SES FRÈRES BÂTARDS POUR PRENDRE LE POUVOIR - IL ÉCHOUE ET SE RÉFUGIE EN ESPAGNE - MENTION DES EMPEREURS LÉON ET CONSTANTIN Ans 735-741 - Myreur, II, p. 476b-479
Sommaire
* Mort du pape Zacharie et consécration d'Étienne II sacré pape (752-757 n.è.) - Mort de Charles Pépin (fils aîné légitime de Pépin III) lors de la guerre entre les Lorrains et les Bordelais (cfr la Chanson de geste Garin le Lorrain) (II, p. 476b-477a - an 735-737) * Griffon de Hautefeuille suscite une dispute pour la succession de Pépin entre les fils de celui-ci, à savoir le Charles survivant (fils cadet légitime de Pépin III et futur Charlemagne) et ses deux frères bâtards (Rainfroi et Hondris) - Charles veut les faire pendre (II, p. 477b - an 737) * La plupart des princes, soudoyés, ne veulent pas suivre Charles mais quelques personnes toutefois (dont Griffon Martel et Doon de Mayence) lui restent fidèles (II, p. 477b-478a - an 737) * La guerre est ouverte entre Charles et les bâtards, avec des résultats variables - Après leur avoir repris Orléans, Charles poursuit les bâtards en Savoie, où, malgré l'aide de l'empereur Léon (tué et remplacé par l'empereur Constantin), Charles est battu et rentre en Francie - Les deux bâtards assiègent Paris, et Charles, sur la suggestion de Doon de Mayence, les chasse et l'emporte - Paris est reprise et les bâtards s'enfuient à Orléans (II, p. 478 - ans 737-738) * Doon, qui guerroyait avec Charles, dut rentrer à Mayence-la-Restaurée, car il avait appris que le roi de Saxe s'y était rendu et que les Saxons avaient assiégé Montoyer, la cité la plus importante du pays ; cependant, avertis de son arrivée, les Sarrasins avaient quitté les lieux (II, p. 478b-479a - an 739) * Pendant l'absence de Doon, Charles, trahi et battu par les Francs ralliés aux bâtards, s'enfuit en Espagne, où il sert longtemps le roi Galaffre sous un faux nom - Griffon Martel retourne à Mayence et fait un sombre rapport de la situation de Charles à Doon, qui veut partir le venger mais n'en fait rien (II, p. 479 - an 740)
* Finalement l'empereur Constantin,
[oncle de Charles],
reprend Paris, vainc les deux bâtards retirés à Orléans et fait rechercher Charles,
en vain (II, p. 479b - an 741) |
|
Mort du pape Zacharie (741-752 n.è.) et consécration d'Étienne II (752-757 n.è.) |
|
[II, p. 476b] [Estienne pape li XCVIe] En cel an, le XXe jour de fevrir morut ly pape Zacharie, si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire. Et apres son decesse vacat li siege I mois et XI jours, et puis fut consacreis à pape Estiene, li secon de cel nom, qui fut de la nation de Romme, fis à Constantin le senateur, qui tient le siege XIIII ans et XVIII jours. |
[II, p. 476b] [Étienne, 96e pape] Cette année-là [735], le vingt février, le pape Zacharie (cf II, p. 464) mourut, et fut enseveli dans l'église Saint-Pierre. Après son décès, le siège resta vacant un mois et onze jours ; puis Étienne, le second de ce nom, fut consacré pape. Il était de la région de Rome, fils du sénateur Constantin, et il occupa le siège quatorze ans et dix-huit jours. |
Mort de Charles Pépin (fils aîné légitime de Pépin III) lors de la guerre entre les Lorrains et les Bordelais (cfr la Chanson de geste Garin le Lorrain) |
|
[II, p. 476] [Des enfans Aigletine, la filhe Char-Martel, dont ilh fut grant guere] En cel an fut ochis li conte Beggon, le frere le duc de Loheraine Garin, qui estoient enfans Guys de Loheraine, de Aigletine filhe Char-Martel ; de laqueile mort ilh fut la plus crueux mort de monde et dont il morut plus de gens. |
[II, p. 476] [Les enfants d'Aigletine, la fille de Charles Martel, cause d'une grande guerre] Cette année-là [735], le comte Beghon, le frère du duc Garin de Lorraine, fut tué ; tous deux étaient les enfants de Guy de Lorraine et d'Aigletine (cfr II, p. 450), la fille de Charles Martel ; cette mort fut la plus cruelle au monde, causant beaucoup d'autres morts. |
[Charle-Pipin awec les Loherains furent mors et desconfis] Item, l'an VIIc et XXXVI, orent une grant batalhe le Loherains Garin contre cheaux qui li avoient ochis son frere ; si fut Froimoins desconfis. Et Char-Pipin, li fis Pipin le roy de Franche, si aidoit en la guere Garin le Loherain, qui estoit fis de son antain. Si orent trois grandes batalhes en cel année, où toudis furent desconfis les Frumendiens. Et sour l'an VIIc et XXXVII orent une batalhe, et là fut mors Charle-Pipin et Ies Loherains desconfis. [II, p. 477] De cel mort tournat à Charle le Grant, son frere, gran tourment, car en mois de may vinrent dois chevaliers flamens à Paris, qui dessent à Karle le fait, qui fut mult corochiés de son frere ; si mandat ses barons et fist faire ses exeques, et furent faites aux Innocens à Paris. |
[Charles Pépin et les Lorrains moururent vaincus] En l'an 736, le Lorrain Garin mena une grande bataille contre ceux qui avaient tué son frère ; et Fromont fut battu. Charles Pépin, le fils du roi de Francie Pépin (le Bref), était l'allié de Garin le Lorrain, fils de sa tante. Trois grandes batailles se déroulèrent cette année-là et, chaque fois, les gens de Fromont furent défaits. En 737, il y eut une bataille, au cours de laquelle Charles Pépin mourut et les Lorrains furent vaincus. [II, p. 477] Cette mort causa une grande peine à son frère Charles le Grand, quand au mois de mai deux chevaliers flamands vinrent à Paris la lui annoncer. Charles fut très affecté ; il convoqua ses barons et les obsèques furent célébrées en l'église des Innocents à Paris. |
En II, p. 450, Jean d'Outremeuse avait déjà cité les noms d'Aigletine, fille de Charles Martel, du mari de celle-ci, Guy de Lorraine, et de leurs deux enfants, le duc Garin de Lorraine et le comte Beghon. Nous avons dit alors que le chroniqueur liégeois s'inspirait des personnages et des événements d'une chanson de geste du XIIe siècle, intitulée Garin le Lorrain (Garin le Loherain), rapportant une longue guerre entre Lorrains et Bordelais. Il fournit ici quelques précisions supplémentaires sur cette guerre. En 735, dit-il, le comte Beghon fut tué par un Bordelais. En 736, le frère de Beghon, Garin de Lorraine, voulut venger son frère, ce qui ouvrit une longue guerre entre Lorrains et Bordelais. Garin le Lorrain avait comme allié Charles Pépin, fils de Pépin le Bref. En fait, trois grandes batailles eurent lieu cette année-là, entraînant à chaque fois la défaite des Bordelais de Fromont. Mais en 737, retournement de situation : les Lorrains furent vaincus et Charles Pépin, le fils de Pépin le Bref, mourut. Cette mort causa une grande peine à son frère Charles le Grand, le Charlemagne de l'histoire. |
|
Griffon de Hautefeuille suscite une dispute pour la succession de Pépin entre les fils de celui-ci, à savoir le Charles survivant (fils cadet légitime de Pépin III et futur Charlemagne) et ses deux frères bâtards (Rainfroi et Hondris) - Charles veut les faire pendre |
|
[II, p. 477] [Chi commenchat grant discors entre Charle et ses II freres bastars] Et apres Charle, par devant les dois bastars ses freres, resumat en li le droit de tous les tenemens de Charle-Pipin, si com chis à cuy ilh devoit succeder com son frere germain et legitimes ; ne onques les bastars n'y misent debat, ains soy fisent grant fiest ensemble ; mains anchois XV jour y ovrat ly dyable teilement qu'ilh en vint grant mal. Car I trahitre que ons nommait Griffon d'Aultrefuelhe, qui estoit jovene, mains de mult malvais trais il savoit, chis vient aux dois bastars, et leur dest que cascon d'eaux avoit à la royalme gran droit. Tant bressat chis trahitre, que les bastars ont tant donneit aux prinches des jugement d'or et d'argent, et fait as altres par priieres qu'ils les tournont à leur volonteit. Et quant ilh furent monteis de tout, si manderent à leur frere Charle mainneit qu'ilh avoit accepteit malement le royalme de Charle-Pipin, et que en acceptant usurpat fausement leur droit del loy ; si li requirent qu'ilh les rende ou mals en venrat, car ly roy Pipin leur peire avoit leur meire anchois esposeit c'onques awist Bertaine vehue, et ilh sont enssi anneis, se le doient avoir par droit. |
[II, p. 477] [Ici commence une grande dispute entre Charles et ses deux frères bâtards] Après cela, en présence de ses deux frères bâtards, Charles s'octroya le droit de disposer de toutes les propriétés de Charles Pépin, à qui il devait succéder, en tant que frère germain et légitime du défunt. Les bâtards ne mirent pas la chose en question ; ils firent ensemble une grande fête. Mais moins de quinze jours plus tard, le diable oeuvra si bien qu'il en résulta beaucoup de malheur. En effet, Griffon de Hautefeuille, un traître qui était jeune mais expert en mauvais coups, vint dire aux deux bâtards qu'ils avaient chacun beaucoup de droits sur le royaume. Le traître machina fort bien les choses : les bâtards comblèrent les juges d'or et d'argent et prièrent tellement les autres princes qu'ils les amenèrent tous à adopter leur point de vue. Et quand l'affaire fut bien au point, ils firent savoir à Charles, leur frère cadet, qu'il avait reçu à tort le royaume de Charles Pépin et s'était approprié injustement leur droit à eux. Ils exigèrent qu'il le leur rende ; sinon cela tournerait mal. En effet Pépin leur père avait épousé leur mère bien avant d'avoir porté son attention sur Bertaine ; dès lors, ils étaient les aînés, et le royaume leur appartenait de droit. |
(Griffon mist grant discors entre Charle et ses II freres) Quant Charle entendit chu, si fut mult corochiés et si les remandat : « Faux trahitres, bastars, par le sacrement de la crois à mal heure fut chel fauseteit onques penseit ; vos en seireis pendus ambdois, quant ma mere aveis reproveis de putaige qui est la plus noble de monde. » Quant les baystars [oiirent] le mandement, si regardont Griffon d'Altrefuelhe, qui asseis les enchaffat. Mains li dus de Borgogne, et ly dus de Nante, et li conte d'Avergne et de Flandre, vont entre deux par amisteit por eaux acordeir. Et dist l'histoire que les bastars soy fussent bien accordeis, mais Charle estoit si plains d'yreur, qu'ilh at jureit qu'il n'y aura aultre acorde, qu'ilh seront pendus en despit de tous les prinches de christiniteit qui les voroient aidier. |
(Griffon provoqua une grande dispute entre Charles et ses deux frères) Quand Charles entendit cela, il fut très en colère et leur répondit : « Faux traîtres, bâtards, par le sacrifice de la croix, cette fourberie a été imaginée à un très mauvais moment. Vous serez tous les deux pendus pour avoir traité ma mère de putain, elle, la femme la plus noble du monde. » Quand les bâtards entendirent cette annonce, ils regardèrent Griffon de Hautefeuille, qui les avait beaucoup échauffés. Mais le duc de Bourgogne, le duc de Nantes et les comtes d'Auvergne et de Flandre s'interposèrent par amitié afin de trouver un accord. L'histoire dit que les bâtards l'auraient bien accepté, mais que Charles était si furieux qu'il jura qu'il n'y aurait pas d'accord, qu'ils seraient pendus, même si tous les princes de la chrétienté voulaient les aider. |
La plupart des princes, soudoyés, ne veulent pas suivre Charles mais quelques personnes (dont Griffon Martel et Doon de Mayence) lui restent fidèles |
|
[II, p. 477] [Les prinches soy departent de Charle par yreur] De cel parolle ont oyut les prinches grant displaisanche, car ilh sonat mult mal, mains yreur le sourmontat, si soy partirent tous enfraieis. Atant mandat Charle Griffon Martel, son oncle, et Doon de Maienche et Garin de Acquitaine, qui puis conquist Monglanne, et le conte de Flandre et les altres prinches. Charle li Gran les requist qu'ilh li veulhent aidier com ses amis loials, ou par fiés ou par homaige, et prendre la guere awec ly. |
[II, p. 477] [Les princes en colère se séparent de Charles] Quand les princes entendirent ces paroles, elles leur déplurent beaucoup, car elles sonnaient très mal, mais la colère fut la plus forte et ils s'en allèrent tous inquiets. Alors Charles convoqua Griffon Martel, son oncle, Doon de Mayence et Garin d'Aquitaine, qui par la suite conquit Monglane, ainsi que le comte de Flandre et les autres princes. Charles le Grand leur demanda, en tant qu'amis loyaux ou vassaux fidèles, de l'aider et de faire la guerre à ses côtés. |
[Ons refusat Charle por avoir d’argent] [II, p. 478] Son oncle Griffon ly respondit et ly dest : « Sires, por Dieu merchi ! acordeis-vos, vou n'en vaureis jà pies. » Et Charle jurat Jhesu-Christ qu'ilh n'en ferat rien, et dest que les bastars seront pendus. La plus grant partie des prinches soy vont departir de Charle et l'ont refuseit à demoreir deleis li, car ly avoir qu'ilh avoient rechut les faisoit faire. Et les proidhons si com Griffon, Doon, Turpin, li comte de Flandre, le conte d'Avergne, Nalme de Beawier, le fis Gasselin, tous cheaux sont demoreis deleis Charle. |
[On refusa d'aider Charles pour obtenir de l'argent] [II, p. 478] Son oncle Griffon (Martel) lui répondit en disant : « Sire, pour l'amour de Dieu ! Mettez-vous d'accord, vous n'en serez jamais estimé davantage. » Mais Charles jura, par Jésus-Christ, qu'il n'en ferait rien et que les bâtards seraient pendus. La plupart des princes se séparèrent de Charles et refusèrent de rester avec lui, parce qu'ils avaient été soudoyés. Et les sages, comme Griffon, Doon, Turpin, les comtes de Flandre et d'Auvergne, Naime de Bavière, le fils de Gasselin, restèrent tous près de Charles. |
La guerre est ouverte entre Charles et les bâtards, avec des résultats variables - Après leur avoir repris Orléans, Charles poursuit les bâtards en Savoie, où, malgré l'aide de l'empereur Léon (tué et remplacé par l'empereur Constantin), Charles est battu et rentre en Francie - Les deux bâtards assiègent Paris, et Charles, sur la suggestion de Doon de Mayence, les chasse et l'emporte - Paris est reprise et les bâtards s'enfuient à Orléans |
|
[II, p. 478] [Charle fut desconfis par ses II freres, et l’emperere ochis et son aide] Et tant que Charle alat assegier la citeit d'Orlins à Cm hommes, et li dus Ranfrois qui estoit ly uns des bastars, et qui avoit awec luy les plus poisans prinches de Franche ; et y seit devant IIII mois et le prist, et puis s'enfuit Ranfrois vers Savoie. Et Charle s'en alat apres, et mandat à Lyon l'emperere de Romme, son ayon, qu'ilh ly venist aidier en la conteit de Savoie ; et Lyon l'Emperere le vient aidier à XLm hommes. |
[II, p. 478] [Charles fut battu par ses deux frères, et l’empereur venu à son aide fut tué] Finalement, Charles, avec cent mille hommes, alla assiéger la cité d'Orléans du duc Rainfroi, l'un des bâtards, soutenu par les princes les plus puissants de Francie. Charles fit le siège de la cité durant quatre mois, puis s'en empara. Rainfroi s'enfuit vers la Savoie. Charles le poursuivit et demanda à son aïeul Léon, l'empereur de Rome, de venir l'aider dans le comté de Savoie. L'empereur Léon vint avec quarante mille hommes. |
[L’an VIIc et XXXVIII] Si orent batalhe al conte Hondris en septembre l'an VIIc et XXXVIII, où li emperere fut ochis et Charle desconfis, et perdit tant de gens qu'ilh s'en dolit longtemps, si revient vers Franche. |
[An 738] Ils eurent aussi avec le comte Hondris, en septembre 738, une bataille où l'empereur fut tué et où Charles fut défait. Ce dernier perdit tant d'hommes qu'il s'en plaignit longtemps et revint en Francie. |
[Paris fut assegiet] Et les dois bastars vinrent apres à grant gens, et assegarent Paris. Et Charle estoit à Monlaon, se ly dest Doon que ilh alast desegier Paris, mains Charle rasemblat ses gens. |
[Paris fut assiégée] Par après, les deux bâtards vinrent assiéger Paris avec une foule de gens. Charles était à Mauléon. Doon lui dit d'aller faire lever le siège de Paris. Charles rassembla alors ses troupes. |
[Constantin emperere le LXXIIe] Item, les Romans ont fait I novel emperere de Constantin, le fis Lyon Sanson ; et fut le VIe de cheli nom, et regnat XXV ans III mois et XV jours. En cel an oit une pestilenche en Constantinoble, où ilh morut bien IIIc M personnes. |
[Constantin, le 72e empereur] Les Romains firent de Constantin [V Copronyme], le fils de Léon Samson, leur nouvel empereur. Il fut le sixième de ce nom et régna vingt-cinq ans, trois mois et quinze jours. Cette année-là il y eut à Constantinople une épidémie de peste, dont moururent au moins trois cent mille personnes. |
[L’an VIIc et XXXIX - Charle desconfist ses freres] Item, l'an VIIc et XXXIX alat Charle dessegier Paris à grant gens ; et quant ilh vient là, si corut sus ses freres et oit à eaux batalhe, si furent disconfis ; et Charle entrat dedens Paris, et les bastars s'enfuyrent leur voie à Orlins. |
[An 739 - Charles battit ses frères] En l'an 739, Charles alla faire lever le siège de Paris avec de nombreuses forces. Dès son arrivée, il attaqua ses frères, se battit contre eux et les défit. Charles entra dans Paris et les bâtards s'enfuirent vers Orléans. |
Doon, qui guerroyait avec Charles, dut rentrer à Mayence-la-Restaurée, car il avait appris que le roi de Saxe s'y était rendu et que les Saxons avaient assiégé Montoyer, la cité la plus importante du pays ; cependant, avertis de son arrivée, les Sarrasins avaient quitté les lieux |
|
[II, p. 478] En cel an oiit novelle ly roy de Saxongne que Charle avoit guere à ses freres, et que Doon de Maienche estoit awec ly ; si mandat ses gens, et dest qu'ilh soy venroit vengier del despit que Doon ly avoit fait. Si vient à Maienche le restaurée, et Montoier ont assegiet, la principal citeit de la terre. Et les borgois ont mandeit le fait à Doon por II messagiers qui l'ont troveit à Paris, se li ont dit la veriteit. De quoy Doon fut corochiet. Car ilh laissoit envis Charle et ilh ne poioit lassier son pays perdre. Et finablement Charle soit, si renvoiat tantost Doon qui chevalchat tendamment, tant qu'ilh revint en son pays en mois d'octembre l'an deseurditt [II, p. 479] ; si n'y trovat nulluy, car II despies avoient dit aux Sarasins que Doon revenoit, si qu'ilh deslogarent tantost ; mains les borgois de la vilhe les corurent sus al derier aux cowes, si en furent pluseurs mors, et en prisent XXXVIII prisonniers. |
[II, p. 478] Cette même année [739], le roi de Saxe apprit que Charles était en guerre contre ses frères et que Doon de Mayence était avec lui. Il convoqua ses gens et dit qu'il se vengerait de l'humiliation que Doon lui avait fait subir. Le roi se rendit à Mayence-la-Restaurée et les Saxons allèrent assiéger Montoyer, la cité la plus importante du pays. Les habitants envoyèrent à Doon deux messagers, qui le trouvèrent à Paris et lui apprirent la vérité. Doon en fut très contrarié. Car il abandonnait Charles à contrecoeur mais ne pouvait pas laisser se perdre son pays. Finalement Charles le sut et renvoya aussitôt Doon. Celui-ci chevaucha diligemment et arriva dans son pays en octobre de l'an susdit [II, p. 479]. Il n'y trouva personne ; deux espions avaient signalé son retour aux Sarrasins, qui avaient quitté aussitôt les lieux ; mais les bourgeois de la ville poursuivirent ces hommes à queue [les Saxons], en tuèrent beaucoup et firent trente-huit mille prisonniers. |
Pendant l'absence de Doon, Charles, trahi et battu par les Francs ralliés aux bâtards, s'enfuit en Espagne, où il sert longtemps le roi Galaffre sous un faux nom - Griffon Martel retourne à Mayence faire à Doon un sombre rapport sur la situation de Charles - Doon veut partir le venger mais n'en fait rien |
|
[II, p. 479] [L’an VIIc et XL - Les Franchois ont trahit Charle et refuseit] Item, l'an VIIc et XL avient à Charle grant contraire, car tous ses prinches l'ont trahis por bienfais ; et Paris fut prise, et Laon et tout Franche soy traire aux bastars, et Charle s'enfuit parmy les bois. II ne seit où aleir, et ne seit dont chu li vint ; si s'en alat en Espangne, où ilh servit à Galaffre longtemps, et soy celoit et s'appelloit Mainnes. Et Griffon Martel fuyt de Franche, et s'en ralat en sa conteit de Treschie. Apres s'en alat à Maienche où ilh l'at tou plorant racompteit comment ilh estoit avenus à Charle, et comment les prinches de Franche ont donneit aux bastars la possession de la region. Quant Doon l'etendit, à pou qu'ilh ne perdit ses sens, et jurat Dieu que Charle aurat encors des champions, et en serat parleit altrepart. « Et par ma foid je seray dedens II ans emmy Franche armeis à XXm hommes. » Enssi disait Doon, mains ilh n'en fist rien, combien qu'ilh le prometist. |
[II, p. 479] [An 740 - Les Francs ont trahi Charles et refusé de le suivre] En l'an 740, Charles fit face à une grande contrariété, car tous ses princes le trahirent à cause des avantages qu'ils avaient reçus. Paris fut prise ; Laon et toute la Francie passèrent du côté des bâtards, tandis que Charles s'enfuyait à travers bois. Il ne savait où aller ni pourquoi cela lui était arrivé. Alors il s'en alla en Espagne, où il servit longtemps Galaffre, se cachant sous le nom de Mainnes. Griffon Martel s'enfuit de Francie et retourna dans son comté de Treschie. Ensuite, il se rendit à Mayence où il raconta en pleurant ce qui était arrivé à Charles et comment les princes francs firent des bâtards les maîtres de la région. Quand Doon l'entendit, il fut près de perdre ses sens et jura devant Dieu que Charles aurait encore des champions, ce dont il sera question ailleurs. « Et par ma foi, dans les deux ans, je serai en Francie, avec une armée de vingt mille hommes. » C'est ce que dit Doon, mais il n'en fit rien, malgré sa promesse. |
Finalement l'empereur Constantin, [oncle de Charles], reprend Paris, vainc les deux bâtards retirés à Orléans, et fait rechercher Charles, en vain |
|
[II, p. 479] [L’an VIIc et XLI - L’emperere assegat Paris et fut prise] Item, l'an VIIc et XLI assemblat Constantin l'emperere XLm Romans, et descendit à Paris por sourcorir Charle, le fis de sa soreur Bertaine, et vient devant Paris et l'asegat. Adont les dois bastars estoient dedens, qui estoient hardis chevaliers ; si issirent fours à gras gens et soy combatirent aux Romans, mains les Franchois furent desconfis et perdirent la citeit, et s'en alerent à Loon. |
[II, p. 479] [An 741 - L’empereur assiégea et prit Paris] En l'an 741, l'empereur Constantin rassembla quarante mille Romains et descendit vers Paris pour secourir Charles, le fils de sa soeur Bertaine. Il arriva devant Paris et en fit le siège. Alors les deux bâtards, qui étaient de hardis chevaliers, étaient dans la ville ; ils en sortirent avec un grand nombre d'hommes et se battirent contre les Romains, mais les Francs furent vaincus, perdirent la cité et partirent pour Laon. |
[L’emperere at desconfis les bastars] Et ly emperere assegat Paris de plus pres qu'ilh pot, et y seiit III mois, dedens lequeile temps les bastars assemblarent grant gens et vinrent à Paris, et corurent sus les Romans devant Paris : là oit grant batalhe, où Ranfrois oit creveit I oelhe et coupeit le senestre espalle, dont à toujours ilh fut affolleis, et Hondris oit copeit le neis et II dois delle destre main ; et s'enfuirent, car ilh furent desconfis. Et quant cheaux de Paris veirent chu, ilhs orent teile conselhe qu'ilh rendirent leur citeit à l'emperere. Et ly emperere entrat ens, et dest qu'ilh n'en isteroit jamais, si aurat Charle son neuveur, car ilh voloit por li la gerre maintenir. Adont at envoyet par tous pays apres Charle, mains ilh ne fut mie troveis. |
[L’empereur défit les bâtards] L'empereur assiégea Paris du plus
près possible. Le siège dura trois mois, pendant lesquels les
bâtards rassemblèrent de nombreuses troupes et attaquèrent les
Romains devant Paris. Il y eut là une grande bataille au cours
de laquelle Rainfroi eut un oeil crevé et l'épaule gauche coupée, ce dont il resta
mutilé
pour toujours. Hondris eut le nez coupé ainsi que deux
doigts de sa main droite. Ils s'enfuirent tous les deux,
car ils étaient vaincus. Quand les Parisiens virent cela, ils
tinrent conseil et rendirent la cité à l'empereur. L'empereur
y entra et dit qu'il n'en sortirait jamais, et que son
neveu Charles aurait la ville, car il voulait poursuivre la
guerre pour lui. Alors il envoya rechercher Charles dans tous les pays, mais on ne le retrouva
pas.
|
[Texte précédent II, p. 472b-476a] [Texte suivant II, p. 480-484a]