Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 520b-523a - an 778

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)

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LES DOUZE FILS DE DOON

LEUR REQUÊTE À CHARLEMAGNE, QUI LES CHARGE DE CONQUÉRIR DES TERRES SARRASINES ET LES ARME CHEVALIERS

 

 Myreur, II, p. 520b-523a - an 778 de l'Incarnation


Résumé

Présentation des douze fils de Doon, de leurs armes et d'une partie de leur descendance (II, p. 520b-522a)

La requête que les douze fils présentent à Charlemagne (on insiste notamment sur Geoffroy et sur Gérard del Fraite) - Charlemagne les charge de conquérir toutes les terres occupées par les Sarrasins et les arme chevaliers (II, p. 522b-523a)


Présentation des douze fils de Doon, de leurs armes et d'une partie de leur descendance

[II, p. 520] [L’an VIIc et LXXVIII - Doon envoiat ses XII enfans demandeir terre à Charle sour les Sarasins] Item, l'an VIIc et LXXVIII s'avisat Doon de Maienche et saingnour de Vaucleir qu'ilh avoit XII beais fis, desqueis li plus jovenes chevalchoit radement et avoit d'eage XIII ans, qu'ilh les envoiroit à roy Charle por demandeir terre ; si les at fait des robes parties, et sus XII chevals les at monteis et delivreit bonnes gens et plantiveux awec eaux, et les at envoiet à roy Charle por demandeir terre sur les paiiens. Et se sont noblement achemyneis, tant qu'ilh vinrent à Paris le merquedis devant la Triniteit ; parmy Paris s'envont tous ordineis. Et Charle li roy estoit en son palais aux fenestres, se le monstrat al duc Turpin d'Ardenne et demandat à cuy puet eistre celle belle compangnie.

[II, p. 520] [An 778 - Doon envoya ses douze enfants demander à Charles des terres à conquérir sur les Sarrasins] En l'an 778, Doon de Mayence et seigneur de Vauclère, pensant qu'il avait douze beaux garçons, dont le plus jeune, âgé de treize ans, était (déjà) un preux chevalier, eut l'idée de les envoyer au roi Charles pour lui demander une terre. Il leur fit faire des vêtements semblables, leur donna pour montures douze chevaux et leur fournit une escorte de personnes braves et riches avant de les envoyer demander à Charles des terres à conquérir sur les païens. Ils s'avancèrent avec noblesse jusqu'à Paris où ils arrivèrent le mercredi avant la Trinité ; ils traversèrent tous la ville en bon ordre. Le roi Charles, qui était aux fenêtres de son palais, les montra au duc Turpin d'Ardenne, en lui demandant à qui pouvait appartenir cette belle compagnie.

Et les enfans sont desquendus à degreis de palais, puis se sont monteis en palais. Rollant d'Angleir est aleis à l'encontre, si les cognut tantost que ch'astoient les freres de sa femme de remariage, si les festiat et les at meneis devant le roy Charle.

Les fils de Doon arrivèrent aux marches du palais qu'ils gravirent. Roland d'Angleir alla à leur rencontre. Il reconnut aussitôt qu'ils étaient les frères de sa seconde femme, leur fit fête et les introduisit auprès du roi Charles.

 Roland d'Angleir est aussi mentionné en II, p. 488, p. 523-524 et p. 528.

[Les noms des XII fis Doon et leurs armes - Gaufroit - Les XII fis Doon de Maienche ly promier fut Gaufrois, le peire Ogier] Ors vos welhe dire tos les nons des XII fis Doon et queiles armes ilh portoient en batalhe. Ly plus anneit oit à nom Gaufrois, chis portoit I escut d'azure à I lyon rampant sourdenteit de geule.

[Les noms des XII fils de Doon et leurs armes - Geoffroy - Des XII fils de Doon de Mayence, le premier fut Geoffroy, le père d'Ogier] Maintenant je voudrais citer les noms des douze fils de Doon, et dire quelles armes ils portaient dans la bataille. L'aîné s'appelait Geoffroy et portait un écu d'azur avec un lion rampant surdenté de gueules.

[Widelhon li secon et oit li fis, Bueve et Seguin] Ly secon oit [II, p. 521] nom Widelhon, qui fut peire à duc Nalme de Bealwier qui fut conselhier al roy Charle, apres chu qu'ilh oit la terre de Borgongne, et puis fut duc de Bealwier ; et encor oit Widelhon li altres fis : Buve à la barbe, et l’autre Seguin, qui fut sire de Chisanne deleis Behangne ; ches trois fis oit-ilh de Ydaine, sa femme. Chis Widelhon portat escut d'or à I lyon rampant de geule.

[Odilon, le second, avait deux fils, Beuve et Seguin] Le second avait [II, p. 521] pour nom Odilon. Il fut le père du duc Naime de Bavière, le conseiller du roi Charles, obtint par la suite la terre de Bourgogne, puis devint duc de Bavière (cfr II, p. 410). Odilon eut encore deux autres fils : Beuve le Barbu, et Seguin qui devint le seigneur de Chisanne près de la Bohême. Il eut ces trois fils de Ide, son épouse. Cet Odilon portait un écu d'or avec un lion rampant de gueules.

[Buevon li IIIe, et oit à fis Vivoiens et Magi l’enchanteur] Ly thirs fis oit à nom Buevon, qui fut ly plus beais chevalier de Franche, qui fut sires d'Aigremon, et fut peire à Viviens et Magis, qui savoit tant de la scienche de nygromanche ; chis portoit I escut de geule à III rouses d'or.

[Beuve, le troisième, eut comme fils Viviens et Maugis l’enchanteur] Le troisième fils eut pour nom Beuve ;  il fut le plus beau chevalier des Francs, seigneur d'Aigremont. Il fut le père de Vivien et de Maugis, qui était très savant en magie. Il portait un écu de gueules avec trois roses d'or.

[Aymon, le IIIIe, oit IIII fis : Renars, Alars, Guichars et Richars] Ly quars fut nomeis Aymon, qui fut duc d'Ardenne, et en fist les paiens vuidier ; chis portat l'escut d'azure à I lyon d'argent ; chis oit IIII fis : Renars, Alars, Guichars et Richars.

[Aymon, le quatrième, eut quatre fils : Renaud, Alard, Guichard et Richard] Le quatrième avait pour nom Aymon. Il fut duc d'Ardenne, qu'il débarrassa des païens. Il portait un écu d'azur avec un lion d'argent. Il eut quatre fils : Renaud, Alard, Guichard et Richard.

[Carneis, li Ve, et oit Agart qui fut roy] Et li Ve fis fut Carneis, qui conquist Escoche et prist Engleterre awec Blancheflour, la filhe de roy ; et portoit l'escut de geule à III lupars d'or passans, et oit le roy Agart de sa femme.

[Carneis, le cinquième, père d'Agart qui fut roi] Le cinquième fils fut Carneis, qui conquit l'Écosse, et s'empara de l'Angleterre et de Blanchefleur, la fille du roi. Il portait un écu de gueules avec trois léopards d'or passants ; de sa femme il eut le roi Agart.

[Bernart li VIe, et oit à fis Salomon et Huge et Bertaine et Anseis, roy d’Espangne] Ly VIe oit nom Bernart, chis fut roy de la Petit Bretangne, car ilh ochist le roy Groncus et sa femme, et Flour sa filhe oit-ilh à femme ; chis portat escut d'or à I lyon rampant de synable (sic) et oit li fis : ly un oit nom Salmon et li altre fut Huge, peire à Jobar, et oit I filhe, que Charle oit puis à femme, et oit nom Bertaine : de eaux li issit Anseais, qui puis fut roy d'Espangne.

[Bernard, le sixième, eut pour descendants Salomon, Hugues, Bertaine et Anseis, roi d’Espagne] Le sixième eut pour nom Bernard. Il fut roi de Petite Bretagne, car il tua le roi Groncus et sa femme, et épousa Flore, sa fille. Il portait un écu d'or avec un lion rampant de sinople. Il eut deux fils : l'un fut appelé Salomon, et l'autre Hugues, père de Jobar. Il eut aussi une fille, Bertaine, que Charles épousa plus tard : de leur couple naquit Anselme, qui fut plus tard roi d'Espagne.

[Gerart li VIIe] Ly VIIe fut rosseals, fels et orgulheux, si oit à nom Gerart de Fraite, qui conquist tot Prusse awec Rossie, mains ilh le donnat à I sien baron qui fut nommeis Bertran ; ly dit Gerart prist à femme EmeIyne, la filhe Solimant, le conte d'Avergne eL de Borgongne ; chis portat l'escut d'argent à I casteal de sable.

[Gérard, le septième] Le septième était roux, cruel et orgueilleux ; il s'appelait Gérard del Fraite. Il conquit toute la Prusse avec la Russie, mais donna cette terre à un de ses barons, nommé Bertrand. Ce Gérard épousa Émeline, la fille de Soliman, comte d'Auvergne et de Bourgogne. Il porta un écu d'argent orné d'un château de sable (cfr II, p. 437 et la note).

[Doon li VIIIe, et oit I fis, Garin] Ly VIIIe fut Doon ; chis conquist sour les Sarasins la terre de Nantuel et de Brandeborch ; chis oit grant gerre à roy Charle, si en perdit sa terre, mains ilh prist depuis à femme Sibilhe, le filhe le conte de Lovay, si fut conte de Lovay ; chis oit I fis qui oit nom Garin, chis portat l'escut de geule à une crois d'argent.

[Doon, le huitième, eut un fils, Garin] Le huitième fils fut Doon. Il conquit sur les Sarrasins la terre de Nanteuil et de Brandebourg, qu'il perdit après avoir mené une grande guerre contre Charles. Par après,  il épousa Sibylle, la fille du comte de Louvain, et devint comte de Louvain. Il eut un fils, nommé Garin. Il porta un écu de gueules avec croix d'argent.

[Erchebal, le IXe fis Doon ; ses fis furent Basin et Abris] Ly IXe fis Doon oit à nom Erchebal, qui fut hardis hons, si conquestat Portingal sour les Sarasins et Genevre sour mere, et ochist le roy Aquilant, si esposat Corbual, sa filhe ; Basin, li dus de Genevre, fut son fis et Abris ly Borgengnon, mains chu ne fut pais chis Abris qui conquist Bealwier, car cely qui conquist Bealwier fut li fis Tybaut de Genevre qui siiet en la conteit de Savoie : chis portat escut d'or à I lyon pasant à III roge.

[Archibald, le neuvième fils de Doon ; ses fils furent Basin et Aubry] Le neuvième fils de Doon, nommé Archibald, fut un homme audacieux, qui conquit le Portugal sur les Sarrasins ainsi que Gênes, dont il tua le roi Aquilant et épousa Corbual, sa fille. Il eut pour fils Basin, le duc de Gênes, et Aubry, le Bourguignon ; mais cet Aubry n'était pas l'Aubry qui conquit la Bavière, car ce dernier était le fils de Thibaut de Gênes, qui se trouve dans le comté de Savoie. Archibald porta un écu d'or, orné d'un lion passant avec trois liserés de couleur rouge.

Sur Archibald, Aubry et Thibaut, cfr aussi II, p. 449 et p. 450

[Garin li Xe, son fis fut Richar sans paour et une filhe, Florenche] Ly Xe [II, p. 522] oit nom Garin ; chis conquist Normendie : son escut fut d'or à III fleurs de lis de sable. Et de Natalie, sa femme, oit-ilh Richar sens paour, et fut chis qui fist fondeir abbie de Fesquant et oit chis Garin une filhe qui oit nom Florenche, qui oit à marit Renier de Geneve, si en issit Olivier et Belande, sa soreur.

[Garin, le dixième, eut un fils, Richard sans peur, et une fille, Florence] Le dixième [II, p. 522] eut pour nom Garin ; il conquit la Normandie. Son écu était d'or avec trois fleurs de lis de sable. De son épouse Nathalie, Garin eut un fils, Richard sans peur ; il fit fonder l'abbaye de Fécamp ; ce Garin eut une fille, nommée Florence, qui épousa Renier de Gênes, dont sont issus Olivier et sa soeur, Belande.

[Baldewien ly XIe, son fis Widelhon] Ly XIe fut Baldewien, qui conquestat la terre de Hollande ; si oit à femme Dyane, la filhe Anseal, conte de Flandre, et fuit puis conte de Flandre ; si en oit unc fis qui oit à nom Widelhon, et Ogier le fist puisedit roy de Samarie : chis portat armes escargeleez d'argent et de gueules.

[Baudouin, le onzième, et son fils Odilon] Le onzième fut Baudouin, qui conquit la terre de Hollande ; il épousa Diane, la fille d'Anselme, comte de Flandre. Plus tard il devint comte de Flandre et Diane lui donna un fils, nommé Odilon, que, par la suite, Ogier nomma roi de Samarie. Il porta des armes ornées d'argent et de gueules, disposées sur les quatre parties.

escargeleez : en héraldique, se dit d'un écu « divisé en quatre parties par une ligne horizontale et une ligne verticale qui se coupent à angles droits, les quatre parties étant diversement ornées selon le lignage qu'elles représentent » (DMF). SIgnalons ici les termes désignant les couleurs dans l'héraldique : or (jaune), argent (blanc), gueules (rouge), azur (bleu), sable (noir), sinople (vert).

[Seguin ly XIIe fis, et ses fis Hugulins et Gerars et Belange] Ly XIe fis oit nom Seguin, et mult l'amat ly roy Charle ; chis, par le consentement de roy Charle conquestat la royalme de Bordeauz sour Geronde, dont ly roy, qui s'avoit rendut à roy de Castel, estoit novellement mors ; et son fis Hoquereis estoit venus à terre, Seguin li coupat la tieste et prist Rodas, sa filhe, à femme ; si en issirent Hugulins et Gerars et une filhe qui oit à nom Belange. Chis portat I escut d'argent à I Iyon de geule semeit de rouses de sable.

[Seguin, le douzième fils, et ses fils Hugulins, Girart et Belange] Le douzième fils eut pour nom Seguin, et le roi Charles l'aima beaucoup. Il conquit, avec le consentement du roi Charles, le royaume de Bordeaux sur la Gironde, dont le roi, qui s'était rendu au roi de Castille, venait de mourir. Seguin coupa la tête du fils du roi, nommé Hoquereis, qui était venu sur le domaine, et épousa Rodas, la fille du roi. Le couple donna naissance à Hugues, à Gérard et à une fille, Belange. Seguin porta un écu d'argent orné d'un lion de gueules, parsemé de roses noires.

La requête que les fils de Doon présentent à Charlemagne (on insiste notamment sur Geoffroy et sur Gérard del Fraite) - Charlemagne les charge de conquérir toutes les terres occupées par les Sarrasins et les arme chevaliers

[II, p. 522] [Les devantdites XII fis Doon parlent à roy Charle et demandent terre, et ly roy les at donneis asseis] Ches furent les XII fis Doon de Vaucleir ; si sont venus devant le roy Charle et se sont tous engennelhiés, fours soilement, Gerart de Fraite qui estoit si orgulheux que trop ; s’en valit pies en la fien, enssi com vos oreis chi apres.

[II, p. 522] [Les douze fils de Doon cités ci-devant parlent au roi Charles et lui demandent une terre, et le roi leur en donna en abondance] Tels étaient les douze fils de Doon de Vauclère ; ils se présentèrent devant Charles, et s'agenouillèrent tous, à l'exception de Gérard del Fraite, qui était trop orgueilleux ; cela lui fut peu utile finalement, comme vous l'entendrez ci-dessous.

Gaufrois ly anneis parlat, et saluat promier le roy Charle de part Doon son peire mult cortoisement, et puis ly dest que son peire le avoit là envoiet, afin que le jour de la Triniteit fust fait chevalier par le roy, « et apres nos donneis heretaiges et terres sor les Sarasins, que nos yrons conquesteir, car jureit at nostre peire que jà ne tenras de sien por II denier. » Ly roy en rist et les at leveis sus, en regardant Gerart qui estoit demoreis tot droit stesant. Tout en riant at dit ly roy : « N'aliés dobte, vos aureis des palis asseis, se Dieu plaist et moy garde de mal, car à vos Gaufrois je vos donne Rochebrune où les paiens sont riches, et de mes hommes areis LXm armeis et lic mars dont vos paiereis vos frais ; et cascon de vos freres aurat une citeit. » « Sires, dest Gaufrois, c'est pau donneir à mes freres ; ilh les covient avoir cascons ortant de moy, si que cascon soit roy ou duc, ou altrement ne priserons mie vos dons, car nos volons avoir terre solonc la grandeche de nostre sanc et de nostre estat. » Charle le roy l'entendit, s'en at fortement ris, car li response Gaufrois li plaisit mult bie ; car ly roy avoit chu dit por veioir qu'ilh responderoit.

Geoffroy l'aîné prit la parole et salua d'abord très courtoisement le roi Charles de la part de Doon, son père, puis il dit que son père l'avait envoyé là, pour être fait chevalier par le roi, le jour de la Trinité, « et après donnez-nous, à titre héréditaire, des terres que nous irons conquérir sur les Sarrasins, car notre père a juré que jamais je ne tiendrai pour deux deniers de sa propre terre. » Le roi rit et les fit se relever, en regardant Gérard, qui était resté debout. Tout en riant, le roi dit : « N'ayez crainte, vous aurez des pays en suffisance, si cela plaît à Dieu et s'il me garde du malheur ; en effet, à vous, Geoffroy, je donne Rochebrune, où les païens sont riches, et vous aurez soixante mille de mes hommes armés et deux cents marcs, pour payer vos frais ; et chacun de vos frères aura une cité. » ‒ « Sire, dit Geoffroy, c'est donner bien peu à mes frères ; il convient qu'ils aient chacun autant que moi, et que chacun soit roi ou duc ; sinon nous n'apprécierons pas vos dons, car nous voulons avoir une terre à la mesure de la grandeur de notre sang et de notre condition. » En l'entendant le roi Charles rit beaucoup, la réponse de Geoffroy lui plaisait très fort ; car le roi avait dit cela pour voir ce qu'il répondrait.

[Gerart respont le roy Charle] Mains Gerart s'envint devant le roy et li dest : « Sires roy, de nostre linage qui est ly plus grans et li plus noble de monde teneis pou, quant vos nos faites dons de teiles valeur ; [II, p. 523] nous fummes feux quant venymes chi demandeir chu a vos où vos n'aveis riens, ains sont paiens et Sarasins, nos les fuissiens bien aleis conquere sens vos. » Charle l'entent, si en oit grant joie et gran solas.

[Gérard répond au roi Charles] Mais Gérard vint devant le roi et lui dit : « Sire roi, de notre lignage qui est le plus grand et le plus noble du monde, vous faites peu de cas, en nous faisant des dons de cette valeur ; [II, p. 523] c'était folie de venir ici vous demander des terres que vous n'avez pas mais qu'occupent les païens et les Sarrasins, et que nous aurions pu aller conquérir sans vous. » Charles l'entend, et éprouve une grande joie et un grand soulagement.

[Charle abandonnat aux enfans Doon tout le monde] Charle le roy apellat per grant doucheur tous les dis enfans, et dest : « Gentils vassals et mes beais fis et cusiens, les miedre de monde esteis à chi temps estrais de roy et d'emperere, je vos habandonne toute le monde où ons ne croit Dieu, se conquereis tout chu que vos poieis et le teneis ; ~ je le vos done par bonne et lie volenteit. Ameis vos l'unc l'autre, si aureis grant forche de mettre paiens en servaige. » Cheaux l'entendent, se li chient aux piés, fours seulement Gerart.

[Charles laissa le monde entier aux enfants de Doon] Avec une grande bienveillance, le roi Charles appela les enfants de Doon et leur dit : « Gentils vassaux et mes beaux fils et cousins, vous êtes maintenant les meilleurs du monde, issus de roi et d'empereur, je vous laisse tous les endroits du monde où on ne croit pas en Dieu ; vous ferez toutes les conquêtes que vous pourrez et vous en serez les maîtres ; je vous l'accorde avec joie et de plein gré. Aimez-vous les uns les autres, et vous constituerez une grande force pour asservir les païens. » Ils l'entendent, et tombent à ses pieds, à l'exception de Gérard.

[Charle fist les XII fis Doon tous chevaliers] Mains li roy les fist leveir sus, et à jour del Triniteit les fist tous chevaliers et les donnat des beais jowals, et maiement ilh donnat a Widelhon, ly anneit apres Gaufrois, Yde le filhe le roy de Beawier, sa cusine, à femme, et en fist les noiches ; si en oit Nalmon dedens cel an meismes. Et li priat que par chu ne laisast mie à conquere sour les Sarasins, non obstant qu'ilh avoit Beawier ; et les donnat LXm hommes et IIIc mars d'or por conquere leur terres, et les dest qu'ilh fussent conquerans ensemble sens departir. Apres soy partirent par le congiet de roy, et n'arestarent se revinrent à Vaucleir ; si ont tout chu racompteit à Doon, leur pere, qui s'aparelhat et mandat a Paris LXm hommes, si que dedens les IIII ans ilh soy misent al conquere, enssi com vos oreis.

[Charles fit des douze fils de Doon des chevaliers] Alors le roi les fit se relever. Le jour de la Trinité, il les arma tous chevaliers et leur donna de beaux cadeaux. En particulier à Odilon, le second après Geoffroy, il donna pour épouse Ide, la fille du roi de Bavière, sa cousine. Il célébra leurs noces et, dans l'année même, naquit Naime. Charles pria aussi Odilon de ne pas renoncer aux conquêtes sur les Sarrasins, parce qu'il avait la Bavière. Charles leur donna soixante mille hommes et trois cents marcs d'argent pour conquérir leurs terres et leur dit de faire leurs conquêtes ensemble sans se séparer. Ensuite, il leur donna congé. Ils partirent et, sans s'arrêter, ils revinrent à Vauclère. Ils racontèrent tout cela à Doon leur père, qui s'équipa et envoya soixante mille hommes à Paris. Et durant quatre ans, ils se mirent à faire des conquêtes, comme vous l'entendrez.


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