Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 472b-476a -  ans 733-735

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)

[BCS] [FEC] [Accueil JOM] [Fichiers JOM] [Pages JOM] [Table des Matières JOM]


AUTOUR DE DOON ET DE MAYENCE-LA-NOUVELLE

PARTAGE DU POUVOIR APRÈS LA MORT SUPPOSÉE DE PÉPIN LE BREF - GRIFFON MARTEL, ÉRACLE DE MAYENCE, TURPIN D'ARDENNE - HAMPTONE et MONTOYER

Ans 733-735 - Myreur, II, p. 472b-476a

 

Sommaire

Pépin III le Bref présumé mort, Griffon Martel, Doon, les divers barons et la famille envisagent à Paris le partage de son royaume entre ses quatre fils, les deux légitimes (dont le futur Charlemagne) et les deux bâtards (II, p. 472b-473a)

Doon, apprenant l'attaque des Danois contre Mayence, fait appel à Turpin et lui demande sa fille en mariage - Il accorde des libertés au peuple et le titre de comte temporel de Mayence à l'évêque Éracle (II, p. 473b-474a)

Doon épouse la fille de Turpin et annonce son intention d'aller conquérir des terres sur les Sarrasins (II, p. 474)

Doon et ses alliés conquièrent la cité (danoise ?) de Hamptone, dont beaucoup d'habitants se font baptiser, cité désignée par Griffon comme capitale du comté de Tresche (II, p. 474b-475a)

Doon, assisté de Turpin et de Griffon, fait la conquête de Montoyer, en devient le seigneur et décide d'habiter dans son nouveau pays qu'il appelle Mayence-la-Restaurée/Mayence-la-Nouvelle (II, p. 474b-476a)

 


Pépin le Bref présumé mort, Griffon Martel, Doon, les divers barons et la famille envisagent à Paris le partage de son royaume entre ses quatre fils, les deux légitimes (dont le futur Charlemagne) et les deux bâtards

[II, p. 472b] [Griffon et Doon vinrent à Paris] Vos aveis bien oiit comment nos avons dit devant que Griffon Martel et Doon de Maienche, et les altres prinches s'en alerent vers Paris. Quant ilh vinrent là, si troverent les enfans Pipin : Charle Pipin et Charle mainneis, et Berthe, sa filhe, et Bertaine, sa femme ; si soy sont mult fiestoiiet l'unc [II, p. 473] l'autre ; mains finablement ilh ont dit comment li roy Pipin estoit peris, dont ilhs fisent mult grant duelhe. Et en furent faites les exeques enssi qu'ilh afferoit, et soy penerent del mettre pais et acorde entre les enfans Pipin. Et tant fisent, qu'ilh orent enconvent par leur foid del tenir bonnement tout chu qu'ilh en diroient entre eaux.

[II, p. 472b] [Griffon et Doon arrivèrent à Paris] Nous vous avons dit plus haut, vous l'avez bien entendu, que [en 733] Griffon Martel, Doon de Mayence et les autres princes étaient partis pour Paris. Quand ils arrivèrent, ils y trouvèrent les enfants de Pépin le Bref, Charles Pépin et Charles Mainneit [le puîné], ainsi que sa fille Berthe et sa femme Bertaine [Bertrade de Laon, Berthe aux Grands Pieds]. Tous firent grande fête à ces retrouvailles [II, p. 473]. Finalement ils parlèrent de la mort du roi Pépin, ce qui leur causa une très grande douleur. Les obsèques furent célébrées comme il convenait, et les princes eurent du mal à établir la paix et la concorde entre les enfants de Pépin. Ils finirent par s'accorder et s'engagèrent par serment à respecter tout ce qu'ils se diraient.

1. Les deux bâtards de Pépin qui interviennent ici et qui vont jouer un grand rôle dans la suite ne sont pas historiques. Ces bâtards sont des personnages littéraires qu'on retrouve, avec des graphies variables, dans d'autres chansons de geste (Berthe aux grands pieds, Mainet et Basin). Dans notre traduction, pour des raisons d'uniformisation, nous avons choisi les formes Rainfroi et Hondris. On se gardera de prendre la version de Jean d'Outremeuse pour de l'histoire. Dans la même ligne, il faut souligner que Pépin III n'a jamais été fait prisonnier au cours d'une campagne contre les Frisons, les Saxons et les Danois, et qu'un partage de son pouvoir n'a jamais été envisagé selon les modalités rapportées ici.

2. Le terme mainneis (aux multiples graphies) est clairement employé par Jean dans le sens de "cadet, puîné", opposé à anneis ("aîné"). La chose est un peu curieuse, car dans l'Histoire, Carloman (Charles Pépin) est le cadet et Charlemagne l'aîné. Sur tout ceci, on trouvera plus d'informations dans L. Michel, Les légendes épiques carolingiennes dans l'oeuvre de Jean d'Outremeuse, Bruxelles, 1935, p. 159.

[Comment le rengne Pipin fut departis à ses enfans] Et ilh pronuncharent que les dois Charles, assavoir Charle Pipin, qui estoit anneis, seroit roy de Franche coroneis à Paris et à Loon ; et ly altre Charle monneis, c'este à dire li plus jovene, seroit roy d'Austrie et coroneis à Soison por Mes en Loheraine ; et Ranfrois et Hondris, les dois bastars, li uns seroit dus d'Orlins et li altre conte de Savoie. Enssi fut dit et enssi fut faite, et plaisit bien à toutes les parties : maiement ilh plaisist bien aux dois bastars, mains leur plaisanche changat bien temprement. Et deveis savoir que chis Charle monneis fut cheli Charle que ons nommat Charle le grant ou Charlemangne, qui fut longtemps roy de Franche et emperere de Romme ; mains ilh oit mult à souffrir, ains que son pere fust fours de prison, sicom vos oreis chi-apres.

[Comment le royaume de Pépin fut partagé entre ses enfants] Et ils déclarèrent que Charles Pépin, l'aîné des deux Charles, serait roi de Francie et couronné à Paris et à Laon ; et l'autre Charles Mainneit, c'est-à-dire le plus jeune, serait roi d'Austrasie et couronné à Soissons, plutôt  qu'à Metz en Lorraine ; quant à Rainfroi et Hondris, les deux bâtards, l'un serait duc d'Orléans et l'autre, comte de Savoie. Ainsi dit, ainsi fait. Cela plut à toutes les parties, en particulier aux deux bâtards, mais leur satisfaction ne fut pas de longue durée. Vous devez aussi savoir que ce Charles Mainneit fut celui qu'on nomma Charles le Grand ou Charlemagne, et qui fut longtemps roi des Francs et empereur de Rome ; mais il eut beaucoup à souffrir, avant que son père ne soit sorti de prison, comme vous l'entendrez ci-après.

Pour le partage, on en est resté exclusivement au monde mérovingien, mais on aura noté que Doon a été ajouté aux participants à la discussion. C'est une sorte de transition, car le reste des notices se référera essentiellement à la Geste de Doon. Il s'agira en effet de la conquête par Doon et ses alliés de nouvelles terres sur les Sarrasins (Hamptone, Montoyer). Elle aboutiront à la fondation d'un nouveau pays, celui de Mayence-la-Nouvelle.

Doon, apprenant l'attaque des Danois contre Mayence, fait appel à Turpin et lui demande sa fille en mariage - Il accorde des libertés au peuple et le titre de comte temporel de Mayence à l'évêque Éracle

[II, p. 473] [Ilh fut dit à Paris à Doon la victoir de Maienche contre les Sarasins] En retournant à nostre matere, quant les barons orent faite l'acorde entre les freres, si soy partirent et ralat cascon en sa terre. Mains enssi que Doon soy devoit departir de Paris, adont vinrent les chevaliers qui aportont les lettres depart l'evesque Eracle, si li ont presenteit ; quant ilh les oiit veyut, si at racompteit à Griffon tout la convenanche del roy Dannois, lyqueis en oit grant displaisanche. « Par ma foid, dest adont Doon, ou je moray en la paine, ou je en aray venganche. »

[II, p. 473] [À Paris, on annonça à Doon la victoire de Mayence contre les Sarrasins] Mais revenons à notre matière. Les barons, après avoir réalisé l'accord entre les frères, repartirent et chacun rentra dans son domaine. Mais, au moment où Doon devait quitter Paris, les chevaliers arrivèrent avec des lettres qu'ils lui présentèrent de la part de l'évêque Éracle ; après les avoir lues, Doon raconta à Griffon ce qu'envisageait de faire le roi danois [à savoir détruire Mayence, cfr II, p. 470], ce qui lui déplut énormément. « Par ma foi, dit alors Doon, ou je mourrai dans mes efforts, ou je me vengerai. »

[Doon mandat à Turpin d’Ardenne qu’ilh amaine sa filhe por estre sa femme. Ilh le fist] Et puis at apelleit Gombar Marlet qui li avoit donneit la lettre, si l'envoiat à Turpin, le duc d'Ardenne, dire que Griffon et Doon li mandent à Maienche awec ses oust, et sy amaine Plaisanche, sa filhe, awec ly por faire femme à Doon. Ly messagier s'en vat et at tant aleit, qu'ilh vient à Lemborch où ilh trovat le duc Turpin, se li at dit le fait, dont Turpin en rendit grasce à Dieu plus de C fois : si assemblat ses gens, et aournat sa filhe mult noblement, awec lée LX dammes et damoiselles de grant nobleche, puis s'en sont aleis vers Maienche.

[Doon demanda à Turpin d’Ardenne d'amener sa fille, voulant l'épouser. Ce qu'il fit] Ensuite Doon appela Gombart Marlet, qui lui avait apporté la lettre, et le chargea d'aller dire au duc d'Ardenne Turpin, que Griffon et Doon lui demandaient de venir à Mayence avec ses troupes et d'amener avec lui sa fille Plaisance, comme future épouse de Doon. Le messager se mit en route et arriva à Limbourg, où il trouva le duc Turpin. Il lui fit part du message, dont Turpin rendit grâces à Dieu plus de cent fois. Il rassembla ses gens, para richement sa fille, accompagnée de soixante dames et demoiselles de grande noblesse, puis ils partirent pour Mayence.

Le terme Limbourg (Lemborch) désigne un territoire (comté ou duché), primitivement appelé Ardenne. Le mot est présent plusieurs fois dans les deux premiers tomes du Myreur (I, p. 222, p. 379, p. 530, et II, p. 416, p. 465), mais il en sera davantage question dans les tomes III à V.

[L’an VIIc et XXXIV] Et Doon s'en vat awec Griffon, si entrarent unc mardi en Maienche qui fut ly XIIe jour de may, l'an VIIc et XXXIIII. Ons truve I cronique qui dist [II, p. 474] que chu fut l'an deseurdit, mains chu fut en mois de decembre.

[An 734] Doon se mit en route avec Griffon et ils entrèrent dans Mayence un mardi, le douze mai de l'an 734. Il existe une chronique mentionnant [II, p. 474] que ce fut bien cette année-là, mais en décembre.

[Doon donnat à son peuple de Maienche liberteit et franchieses] Quant Doon fut revenus à Maienche, si l'ont ses gens mult fiestoiiet et li ont racompteit tout la manere del estour des Danois, si en fut tant liies que cascon en estoit festoiiet ; et donnat al common peuple liberteis et franchieses, por leur hardileche et le bien qu'ilh avoient faite.

[Doon donna à son peuple de Mayence liberté et franchises] Quand Doon fut revenu à Mayence, la population lui fit grande fête. On lui raconta en détail le combat contre les Danois, et il en fut si heureux que chacun se sentait en fête. Doon accorda à tous les gens du peuple des libertés et des franchises, pour leur audace et le bien qu'ils avaient fait.

[Doon fist del evesque conte de Maienche et sire temporeis com spiritueis - Les armes de Maienche] Et del evesque Eracle fist-ilh conte de Maienche et sires temporeis, et li laisat son blason en teile manere qu'ilh l'avoit porteit en la batalhe, assavoir l'escut de geule à une rue d'argent, car ilh dest qu'ilh avoit tout chu bien gangniet contre les Dannois. Et li evesque fut enbahis, car ilh quidat que Doon en awist displaisanche de chu qu'ilh avoit porteit son blason en l'estour, si ly priat merchis. Et Doon en rist en disant : « Sires, jamais ne penseis teile chouse, car je ne suy pais teis : vos l’aveis tout conquesteit et tout l'aureis, et je le vos feray confirmeir de pape et d'empereir. » Et enssi le fist-ilh.

[Doon nomma l'évêque [Éracle] comte et seigneur temporel de Mayence en même temps que spirituel - Les armes de Mayence] Il fit de l'évêque Éracle le comte de Mayence et seigneur temporel, et lui laissa comme blason celui qu'il avait porté lors de la bataille, à savoir l'écu de gueules avec une roue d'argent. Il dit qu'Éracle avait bien mérité tout cela en se battant contre les Danois. L'évêque en fut tout surpris, ayant cru que Doon n'avait pas apprécié le fait qu'il ait porté son écu lors du combat. Il lui en demanda pardon. Et Doon, en riant, lui dit : « Seigneur, jamais je n'ai pensé cela, car je ne suis pas ainsi. Vous avez conquis tout le comté, vous l'aurez tout entier, et je ferai confirmer cela par le pape et l'empereur. » Et c'est ce qu'il fit.

  Doon épouse la fille de Turpin et annonce son intention d'aller conquérir des terres sur les Sarrasins

[II, p. 474] [Turpin d’Arden amenat sa filhe à Maienche et l’esposat Doon à femme] En cel an meismes, ilh ne passat gaires apres chu que ly dus Turpin vint à grans gens, et amenat sa filhe à mult belle compangnie ; si fut bien fiestoiés, et sont monteis en palais : là remerchiat Doon Turpin de la grant bonteit qu'ilh ly avoit faite, et suppliat apres qu'ilh li plaise de sa belle filhe à conjondre à luy par sainte Engliese. Et chis respondit : « Doon, hons de noble sanc et de grant lignie de roys et d'emperere, à bon heure fut-elle née, quant ilh le vos plaist à avoir à femme ; si le vos otroie en nom de Dieu, beais sires, awec tout chu que je ay et la ducheit d'Ardenne, car je n'ay plus d'enfans. » « Sires, dest Doon, je pren la filhete en nom de Dieu, mains je ne tenray jà por unc denier de vos terres ne d'altres où ons croie en Dieu : je ay donneit ma conteit al evesque de Maienche, portant que je en weulle reconquere sour les Sarasins ; mains, se Dieu plaist, nos aurons pluseurs enfans qui bien tenront vou terres et des altres awec. » Respondit Turpin : « Chu soit à vostre plaisier ».

[II, p. 474] [Turpin d’Ardenne amena sa fille à Mayence et Doon l’épousa] En cette même année [734], il ne se passa guère de temps avant que le duc Turpin n'arrive entouré de beaucoup de monde, avec sa fille, en très belle compagnie. Accueillis dans la joie, ils montèrent au palais. Là, Doon remercia Turpin de la grande bonté qu'il lui avait manifestée, puis le pria d'accepter de lui donner sa jolie fille en mariage, devant la Sainte Église. Et Turpin lui répondit : « Doon, homme de sang noble et de grand lignage de rois et d'empereurs, elle est née au bon moment, puisqu'il vous plaît de l'épouser. Je vous l'accorde au nom de Dieu, beau seigneur, avec tout ce que je possède et le duché d'Ardenne, car je n'ai pas d'autres enfants. » - « Seigneur, dit Doon, je prends la jeune fille au nom de Dieu, mais je ne détiendrai jamais pour un denier de vos terres, ni d'autres terres où l'on croit en Dieu. J'ai donné mon comté à l'évêque de Mayence, c'est pourquoi je veux reconquérir des terres sur les Sarrasins. Et s'il plaît à Dieu, nous aurons plusieurs enfants à qui reviendront vos terres, et d'autres avec elles. » Turpin répondit : « À votre bon plaisir. »

[Plasanche fut esposée à Doon - L’an VIIc et XXXV] Et adont ly bon evesque Eracle at esposeit Doon et la dammoiselle, qui fut nommé Plasanche. Et de eaux deux issirent IIII filhes, sicom vos oreis chi apres, dont les enfans marles qui en issirent furent chevalereux. Là furent faites les nobles noiches, et jostes et tournois, et mult nobles fiestes ; et fut chu sour l'an VIIc et XXXV en mois de may.

[Plaisance devint l'épouse de Doon - An 735] Et alors le bon évêque Éracle célébra le mariage de Doon et de la demoiselle, qui s'appelait Plaisance. De ce couple naquirent quatre filles, comme vous l'entendrez ci-après (cfr II, p. 488), et les mâles qu'elles engendrèrent furent de vaillants chevaliers. On organisa alors de célèbres noces, des joutes et des tournois, ainsi que de magnifiques festivités. C'était en l'an 735, au mois de mai.

Doon et ses alliés conquièrent la cité (danoise ?) de Hamptone, dont beaucoup d'habitants se font baptiser, cité désignée par Griffon comme capitale du comté de Tresche

[Hastongne fut prise par Doon et Turpin] Et XV jour apres les noiches s'en alerent Doon et Turpin à XLm hommes, et [II, p. 475] Griffon en amenat XXm, si ont tant chemineit qu'ilh vinrent en Hastongne sour Mere, si l'ont assegiet. Ceste citeit siet asseis pres de Frilang, qui est une des citeis de la conteit de Treschie, si venrat bien à point à Griffon, si en ferat chief de son paiis ; et le tenoit uns amyrable de roy dannois. Ilh l'ont assegiet et assalhit, et ilh soy defendent, et tant qu'en la fin les cristiens le conquestarent.

[Hamptone fut conquise par Doon et Turpin] Et quinze jours après les noces, Doon et Turpin s'en allèrent avec quarante mille hommes ; [II, p. 475] Griffon en amena vingt mille. Ils cheminèrent jusqu'à leur arrivée à Hamptone-sur-Mer (cfr II, p. 451), qu'ils assiégèrent. Cette cité se situe très près de Frilang, une des cités du comté de Tresche, ce qui profitera à Griffon, qui en fera la capitale de son pays. Un amiral du roi danois en était le chef. Ils l'assiégèrent et l'attaquèrent ; les habitants se défendirent et finalement les chrétiens en firent la conquête.

1. Il semble impossible d'identifier et de localiser avec précision les termes géographiques (Hamptone, Treschie, Frilang, Montoyer, Gorfain) liés aux conquêtes menées en 735 chez les Frisons, les Danois et les Saxons. En ce qui concerne précisément le premier nom cité, rappelons (cfr II, p. 451) que, sur base des travaux de Jean-Pierre Martin, nous avons uniformisé en Hamptone les Hastongne, Hastogne, et autres variations graphiques (Hanstongne, Haustongne, etc...) qu'on trouve chez Jean d'Outremeuse.

2. Toujours à propos d'Hamptone, on n'oubliera pas la notice de II, p. 451, où Jean d'Outremeuse tente d'expliquer les rapports entre la famille des Hamptone et celle de Doon : « Jeanne, la soeur de Guy de Mayence, la tante de Doon, eut avec Griffon Martel, un fils, appelé Guy de Hamptone, du nom de sa femme Hamptone, qui était la fille d'Amaury de Hamptone, lesquels eurent un fils, Beuve de Hamptone, qui fut un bon chevalier, et eut beaucoup à souffrir de trahison. »

[Ils furent baptisiiet] Et Doon et Griffon alerent apelleir le peuple et leur disent : « Bonnes gens, ilh convient que vous creeis en Dieu et si prendeis baptemme, se vos voleis demoreir en ceste citeit ; et cheaz qui chu ne voulront faire, si en pulent aleir à leur volenteit. » Quant les paiiens entendirent chu, se crient baptemme tout à une vois. Atant at li evesque Eracle l'aighe benit, si at baptisiet les bons ; et les altres s'en alerent en Dannemarche, si ont le fait racompteit al roy Guydon, qui s'en corochat mult fort en manechant Doon et Griffon. Adont Griffon mist I capitain en Hastongne por gardeir, et en fist chief de la conteit de Treschie, et ne fut onques depuis reconquiese par les Sarasins.

[Ils furent baptisés] Alors Doon et Griffon s'adressèrent au peuple et lui dirent : « Bonnes gens, il faut que vous croyiez en Dieu et que vous receviez le baptême, si vous voulez rester dans cette cité ; ceux qui ne voudront pas le faire peuvent s'en aller librement. » Quand les païens l'entendirent, tous d'une seule voix crièrent vouloir le baptême. Alors l'évêque Éracle bénit l'eau et baptisa ceux qui le voulaient ; les autres s'en allèrent au Danemark où ils racontèrent au roi Gui ce qui s'était passé ; celui-ci en fut très irrité et menaça Doon et Griffon. Alors Griffon plaça un capitaine à Hamptone pour garder la cité, dont il fit la capitale du comté de Treschie et qui ne fut jamais reconquise par les Sarrasins.

Apres le tient Guys, quant Griffon fut trespasseit, et puis Bueve de Hastongne, ly fis Guyon, qui fut decachiet par I trahitre qui oit à nom Dos de Maienche, car Doon le levat des sains fons, portant fut-ilh enssi appelleis. Chis convoitat la vilhe et le paiis Bueve, si cachat fours Bueve enssi com vos oreis ; car chis Dos fut fis de la soreur Ernebaut de Richier, le conistable de Maienche. Apres soy vorent partir les barons et s'en alerent à Gorfain. Que vos diroie longement ?

Plus tard, après la mort de Griffon, la cité fut tenue par Gui, puis par Beuve de Hamptone, le fils de Gui, qui fut chassé par un traître nommé Dos de Mayence, car Doon l'avait tenu sur les fonts baptismaux, raison pour laquelle il fut appelé ainsi. Ce traître convoita la cité et le pays de Beuve, et le pourchassa, comme vous l'entendrez ; ce Dos était le fils de la soeur d'Ernebaut de Richier, le connétable de Mayence. Après les barons voulurent partir et s'en allèrent à Gorfain. Que vous dire de plus ?

Doon, assisté de Turpin et de Griffon, fait la conquête de Montoyer, en devient le seigneur et décide d'habiter dans son nouveau pays qu'il appelle Mayence-la-Restaurée/Mayence-la-Nouvelle

[II, p. 475] [Montoier fut assegiet - Doon at desconfis Sarasins et pris Xm] Ilh ont tant aleit, qu'ilh y sont venus et assegont la maistre vilhe, et l'evoiont tantost dire al roy Guidon, lyqueis vient à XXm hommes, et entrat par mere en la vilhe ; si orent teile conselhe que mardi ilh isseroient hours. Quant vient le lundi, si gaitat Doon à Xm hommes ; et les Sarasins sont issus fours tous rengiés, par I postiche de la vilhe de Montoier que les Franchois avoient assegiet, et s'en vont vers l'oust ; mains Doon les vient à l'encontre se les corut sus. Quant les Sarasins veirent chu, se ne les plaisit mie, et nyentmoins ilh soy defendirent ; et Doon fiert et frappe tant que les Sarasins furent desconfis, car Griffon et Turpin d'Arden oyrent le crys, si le socorurent ; tant qu'ilh en fut rendus Xm Sarasins qui estoient demoreis en vie, lesqueis furent tous baptisiés.

[II, p. 475] [Montoyer fut assiégée - Doon battit les Sarrasins et en prit dix mille] Après avoir marché longtemps, ils arrivèrent dans la ville principale qu'ils assiégèrent. On le fit aussitôt savoir au roi Gui qui arriva avec vingt mille hommes et entra dans la ville par la mer. Les Sarrasins tinrent conseil et décidèrent de sortir de la ville le mardi suivant. Quand arriva le lundi, tandis que Doon faisait le guet avec dix mille hommes, les Sarrasins sortirent bien rangés par une porte de la ville de Montoyer assiégée par les Francs et se dirigèrent vers l'armée ; mais Doon vint vers eux et les attaqua. Quand les Sarrasins s'en aperçurent, cela ne leur plut guère, mais néanmoins ils se défendirent. Doon tapa et frappa tellement que les Sarrasins furent vaincus. Griffon et Turpin d'Ardenne avaient entendu les cris et avaient porté secours à Doon. Finalement, les dix mille Sarrasins, restés en vie, se rendirent et furent tous baptisés.

[II, p. 476] Apres le baptemme sont entreis en la vilhe que cheaux li ont overte, et ly roy Guydon s'enfuit par mere. Là araisonat Doon son noveal peuple et dest : « Barons, prendeis tos les biens de la citeit, je les vos donne, et vos sereis mes loials subgis et je sera vos escus et saingnour, et par moy sereis bien maintenus et defendus contre toutes gens. » Et cheaz respondirent : « Par nos sereis ameis et servis loialement. » Ilhs dessent veriteit, car ilhs li furent proidhons et loials, et li monstrarent tous les casteals et les vilhes à chu apartinant, tant qu'ilh a tout conquesteit.

[II, p. 476] Après la cérémonie, les assaillants entrèrent dans la ville que les rescapés leur avaient ouverte, et le roi Gui s'enfuit par la mer. Alors Doon s'adressa à son nouveau peuple et dit : « Barons, prenez toutes les richesses de la cité, je vous les donne ; vous serez mes fidèles sujets ; je serai votre bouclier et votre seigneur, et par moi vous serez soutenus et défendus contre tout le monde. » Et ceux-ci répondirent : « Et nous, nous vous aimerons et vous servirons loyalement. » Ils dirent la vérité, car ils se montrèrent sages et fidèles. Ils lui indiquèrent tous les châteaux et les villages qui dépendaient d'eux, si bien que Doon conquit tout le pays.

[Maienche restaurée] Adont dest Doon : « Je welhe chi demoreir, si seray voisin à mon antain Jehanne et Griffon son marit, et ly aideray et ly my, et nommeray cesti noveal paiis, por l'amour de mon anchien paiis, Maienche le restaurée. » Enssi sont departis Griffon et Turpin et leur gens awec, et Doon et sa femme vorent demoreir à Maienche la novelle.

[Mayence-la-Restaurée] Alors Doon déclara : « Je veux rester ici, je serai ainsi le voisin de ma tante Jeanne et de Griffon son époux ; nous nous aiderons, lui et moi, et, pour l'amour de mon ancien pays, je nommerai celui-ci Mayence-la-Restaurée. » Alors Griffon, Turpin et leurs gens s'en allèrent mais Doon et sa femme voulurent demeurer à Mayence-la-Nouvelle.

[Turpin et Griffon ont desconfis les Danois] Mains anchois trois jours, vint Guydon ly danois, si vat encontreir Griffon et Turpin, si se sont sus corus, et là oit mult forte batalhe ; et Turpin ochioit ches Danois à grant fuyson et les altres aussi. Finablement ly roy Ector, le frere Guydon, fut ochis et les Sarasins desconfis. Et Griffon Martel at escript la victoire à Doon, qui fut mult lies de la victoir, et dolans qu'ilh n'y avoit esteit.

[Turpin et Griffon vainquirent les Danois] Mais moins de trois jours après, Gui le Danois arriva et fit face à Griffon et Turpin ; ils s'affrontèrent dans une bataille très violente. Turpin tua de très nombreux Danois, et les Danois firent de même. Finalement, le roi Hector, frère de Gui, fut tué et les Sarrasins furent défaits. Griffon Martel décrivit la victoire à Doon, qui en fut très heureux, en regrettant de n'y avoir pas participé.


[Texte précédent II, p. 469b-472a]   [Texte suivant II, p. 476b-479a]