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Plutarque : Vie de Thémistocle

traduction nouvelle annotée  par Marie-Paule Loicq-Berger

Chef de travaux honoraire de l’Université de Liège
Adresse : avenue Nandrin, 24 -- B 4130 Esneux
<loicq-berger@skynet.be>


Plan

Introduction
Contenu de laVie de Thémistocle
Traduction 1-22
Traduction 23-32


Introduction

Le sujet et les sources

La biographie et la personnalité de Thémistocle nous sont à la fois relativement bien et relativement mal connues. Nombre d'historiens grecs, et des plus grands, se sont intéressés à cette figure puissante et ambiguë.

Dans l'ensemble, la chronologie est discutée, l'incertitude portant sur une dizaine d'années. Thémistocle est né à Athènes, dans une famille modeste, au début ou vers le milieu du dernier quart du VIe siècle (524 ? ou 515 ?) et il est mort en Asie soixante-cinq ans plus tard (donc, soit en 459, soit en 450) [1]. Carrière en partie « classique » au regard des pratiques du temps (archontat en 482-81 ; ostracisme en 471), en partie rebelle et marginale (retraite définitive vers l'Asie en 464-63). Dans l'intervalle, l'Athénien aura donné toute sa mesure et forcé l'admiration des âges à venir, en assumant le rôle sacré de sauveur de l'hellénisme face aux ambitions perses ; l'homme qu'empêchait de dormir [2] le trophée de Miltiade, le vainqueur de Marathon, aura désormais associé son nom pour toujours à la victoire de Salamine.

Soucieux de présenter une biographie détaillée, aussi cohérente que possible, Plutarque a eu recours à de nombreux auteurs (la Vie de Thémistocle en cite une trentaine et il y eut sans doute davantage). Il a naturellement utilisé Hérodote (484-425), plus jeune que Thémistocle d'une génération au moins et peu favorable à l'Athénien, dont il dénonce la cupidité (VIII, 112 : πλεονεξία), tout en reconnaissant en lui un homme avisé (VIII, 110 : εὐβουλία) ; mais Plutarque apprécie peu Hérodote, qu'il contredit souvent quand il ne le critique pas systématiquement (ainsi dans l'opuscule Sur la méchanceté d'Hérodote). Thucydide (c.460/55-c.400/395), en revanche, est favorable à Thémistocle, et Plutarque le suit volontiers, quoique sans servilité.

De même, les autres sources se partagent entre détracteurs et admirateurs de Thémistocle. Parmi les premiers, Stésimbrote de Thasos (Vie, 2, 5 ; 4, 5 ; 24, 6-7) et Timocréon de Rhodes (Vie, 21), tous deux contemporains du grand homme, ont été utilisés par Plutarque avec prudence. Bien informé également et sans doute plus objectif, Phanias d'Érésos (Vie, 1, 2), disciple d'Aristote, avait réuni un dossier biographique que l'historien-moraliste a beaucoup consulté. En tout état de cause, il est certain que l'Athénien fut en son temps une personnalité très diversement appréciée, et que les auteurs des siècles suivants ne se privèrent pas d'amplifier, voire de manipuler, certains traits de sa biographie ; assurément, Plutarque ne l'ignore pas.

Le portrait moral de Thémistocle a été magistralement brossé par Thucydide (I, 138, 3). Constatant que l'Athénien a fasciné le Grand Roi par son intelligence, l'historien analyse la nature de cette intelligence (ξύνεσις) : elle ne doit rien à l'étude, c'est une intelligence de nature, celle d'un homme supérieurement doué qui, saisissant et résolvant très vite les problèmes présents, appréhende de même les problèmes à venir. À quoi s'ajoutent exactitude d'intuition, facilité dans l'exposition et dans l'improvisation. Ce portrait essentiel doit être complété par d'autres traits, plus particuliers, relevés par Plutarque. Esprit résolument pragmatique, Thémistocle est avant tout un homme d'action, étranger aux études spéculatives et aux arts d'agrément, ne rougissant pas d'être peu « cultivé » et dépourvu de talent musical (Vie, 2, 3-4). Il aime l'argent et a des ambitions mondaines de parvenu (Vie, 5, 1-5), loin de l'élégance, du charme, du panache qui, deux générations plus tard,  feront tourner les têtes et battre les coeurs pour Alcibiade. Mais son esprit d'à propos, son sens de la repartie lui valent la considération d'Athènes (Vie, 18), de même que, dans la dernière période de sa vie, son intelligente diplomatie le mettra très en cour chez le Grand Roi (Vie, 29, 3-8). Au terme d'un long séjour asiatique, sommé de s'impliquer réellement au service du Perse, l'Athénien préférera renoncer à la vie plutôt que de trahir son passé et sa patrie (Vie, 31, 4-7).

Quant à son portrait physique, il se trouve que, par chance, nous disposons d'un document sans doute révélateur.  Sur un buste retrouvé à Ostie en 1939 figure l'inscription ΘΕΜΙΣΤΟΚΛΗΣ, identifiant une tête où le traitement des cheveux et de la barbe est incontestablement de style sévère, tandis que le modelé du front, les yeux ronds et les joues plates relèvent d'une autre vision artistique. Cette disparate stylistique a donné lieu à diverses hypothèses : s'agit-il d'un original du IVe siècle dont l'auteur aurait retravaillé un portrait du Ve ? ou est-ce là une réélaboration néo-attique conventionnelle, ou encore une copie romaine d'un original datable de c. 460 a. C. ? Cette tête pourrait en tout cas dériver du portrait repéré dans le Prytanée d'Athènes par Pausanias (I, 18, 3), lequel signale que « Thémistocle est transformé en Thrace » : les traits stylistiques insolites relevés dans le buste d'Ostie correspondraient dès lors à la véritable physionomie de Thémistocle, qu'une tradition affirme d'origine thrace par sa mère (Vie, 1, 1).

Moins provocante et moins romanesque que celle d'Alcibiade, moins propre à nourrir l'imaginaire des lettrés et l'esthétique des « antiquisants », la figure de Thémistocle a néanmoins conservé à travers les siècles une aura emblématique. Plutarque a su raconter avec un indéniable talent les temps forts de l'existence contrastée de son héros. La bataille de Salamine, dont le poète Eschyle, témoin oculaire, avait brossé, dans Les Perses, un tableau saisissant, est longuement évoquée (chapitres 12 à 16), avec des notations colorées d'ordre descriptif, narratif et psychologique. La route de l'exil, jalonnée d'épisodes relevant tour à tour de la tragédie et de l'anecdote baroque, demeurera dans le souvenir des lecteurs du biographe-moraliste. On se souvient de l'émouvant appel à l'hospitalité britannique qu'avait lancé Napoléon vaincu, avant d'embarquer, le 15 juillet 1815, sur le Bellérophon qui devait le conduire en Angleterre. Dans une lettre au régent, le futur George IV, l'aigle abattu présente au vainqueur une noble requête : « Je viens, comme Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique ; je me mets sous la protection de ses lois... ». Dans une prodigieuse mémoire nourrie aux lettres classiques, voici la réminiscence et la mise en situation d'une page célèbre de Plutarque (Vie, 24, 2-4), celle où Thémistocle se présente en suppliant devant le foyer du roi Admète, son vieil ennemi [3]. Nul doute que les destins de gloire et d'exil du vainqueur de Salamine, ce tacticien de génie, n'aient inspiré durablement la méditation impériale. Enfin, la seconde vie de l'Athénien, sa longue et opulente carrière asiatique, est relatée avec de précieux détails. Hôte du Grand Roi, grand seigneur vivant tantôt à la cour, dans l'intimité du Maître et de la reine mère (Vie, 29, 5-6), tantôt en province, où il dispose de riches dotations (Vie, 29, 11), Thémistocle étonne encore par son intelligente finesse -- en attendant de choisir la seule fin digne de lui : la mort plutôt qu'une inexpiable trahison.

 

Notes

[1] La chronologie « basse » semble préférable : cf. R. Flacelière, Sur quelques points obscurs de la vie de Thémistocle dans Revue des études anciennes, 55 (1953), p 15-19.

[2] Le mot est de Plutarque, Vie de Thémistocle, 3, 4.

[3] Scène qu'illustreront à leur tour, au XIXe siècle, quelques peintres d'histoire, tels François Dubois et Alexis Axilette.


Contenu de la Vie de Thémistocle

I. L'Athénien (1-22)

Famille et formation (1-2)
Caractère, programme politique (3-5)
Approche de l'offensive perse : précautions et dissensions (6-7)
Bataille de l'Artémision (8-9)
Évacuation d'Athènes (10-11)
Bataille navale de Salamine et retraite perse (12-16)
Grandeur, sagesse et humour de Thémistocle (17-18)
Débuts de l'impérialisme maritime d'Athènes (19-21,2)
Thémistocle critiqué et ostracisé (21,3-22)

II. Le proscrit (23-32)

Exil et errances (23-26)
Thémistocle hôte du Grand Roi (27-29)
Attentat manqué (30)
Grec malgré tout ; mort de Thémistocle (31)
Descendance et sépulture (32)

 

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[Déposé sur la Toile le 20 décembre 2006]

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