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Suétone (généralités)
Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)
XLI. Ses règlements politiques
(1) Il
compléta le sénat;
il créa
de nouveaux patriciens;
il augmenta le nombre des
préteurs,
des édiles,
des questeurs
et des magistrats
inférieurs.
Il réhabilita des citoyens que
les
censeurs
avaient dépouillés de leurs
dignités, ou que les tribunaux avaient
condamnés pour brigue. (2) Il partagea avec
le peuple le droit
d'élection
dans les comices; de sorte qu'à
l'exception
de ceux qui se présentaient au
consulat, les
candidats étaient élus, moitié
par la volonté du peuple, moitié sur
la désignation de César. Or, il
désignait les siens
au moyen de circulaires qu'il
envoyait à toutes les tribus, et qui
contenaient ce peu de mots: "César
dictateur, à telle tribu. Je vous
recommande
tels et tels, afin qu'ils tiennent leur
dignité de vos suffrages". (3) Il admit aux
honneurs
également les enfants
des proscrits. (4)
Il restreignit le pouvoir
judiciaire
à deux sortes de juges, ceux de l'ordre
équestre et ceux de l'ordre
sénatorial; et il supprima
les tribuns du trésor, qui formaient la
troisième. (5) Il fit le
recensement
du peuple, non de la manière
accoutumée, ni dans le lieu ordinaire, mais
par quartiers,
en passant par les propriétaires
d'îlots.
Le nombre de ceux
à qui l'État fournissait du
blé
fut réduit, de trois cent vingt mille
à cent cinquante mille; et pour que la
formation de ces listes ne pût être
à l'avenir l'occasion de nouveaux troubles,
il établit qu'avec ceux qui n'y seraient pas
encore inscrits, le préteur pourvoirait
chaque année, par la voie du sort, au
remplacement de ceux qui seraient morts dans
l'intervalle. (1)
Senatum suppleuit, patricios adlegit, praetorum
aedilium quaestorum, minorum etiam magistratuum
numerum ampliauit; nudatos opere censorio aut
sententia iudicum de ambitu condemnatos
restituit. (2)
Comitia cum populo partitus est, ut exceptis
consulatus conpetitoribus de cetero numero
candidatorum pro parte dimidia quos populus uellet
pronuntiarentur, pro parte altera quos ipse
dedisset. Et edebat per libellos circum tribum
missos scriptura breui: "Caesar dictator illi
tribui. commendo uobis illum et illum, ut uestro
suffragio suam dignitatem teneant." (3)
Admisit ad honores et proscriptorum
liberos. (4)
Iudicia ad duo genera iudicum redegit, equestris
ordinis ac senatorii; tribunos aerarios, quod erat
tertium, sustulit. (5)
Recensum populi nec more nec loco solito, sed
uicatim per dominos insularum egit atque ex uiginti
trecentisque milibus accipientium frumentum e
publico ad centum quinquaginta retraxit; ac ne qui
noui coetus recensionis causa moueri quandoque
possent, instituit, quotannis in demortuorum locum
ex iis, qui recensi non essent, subsortitio a
praetore fieret.
CommentaireSénat : dépeuplé par la guerre civile. César, nommé dictateur pour la seconde fois en 48, révise la liste du Sénat à trois reprises, en 47, 46 et 45. Le nombre des sénateurs, qui était de 600 sous Sylla, va passer à 900 ; tous les nouveaux élus sont évidemment des partisans du dictateur. Certaines nominations ont paru choquantes: César a fait entrer au Sénat, dit Suétone (cf. ci-dessous, ch.76, 5), jusqu'à des Gaulois à demi barbares. Mais cette affirmation doit être accueillie avec de sérieuses réserves: cf. R. Syme, La révolution romaine, Paris, 1967, p.82-97 (Ch.6 Les nouveaux sénateurs de César).
Patriciens : familles aristocratiques dont l'origine est très discutée. Primitivement, les membres de cette classe semblent avoir eu un quasi-monopole sur les hautes fonctions politiques et religieuses, puis ces privilèges s'atténuent sous la pression des plébéiens. Le nombre de ces familles nobles ne cesse de baisser durant l'époque républicaine et comme, malgré les conquêtes de la plèbe, certaines fonctions restent réservées aux patriciens, César, puis Auguste, doivent renforcer leurs rangs. Cf. R.E. Mitchell, Patricians and Plebeians. The Origin of the Roman State, Ithaca-Londres, 1990.
Préteurs : le nombre des préteurs a constamment augmenté sous la République. À l'époque de Sylla, ils sont huit, avec des attributions de type judiciaire qu'ils exercent à Rome ; ayant rempli leur charge pendant un an, ils partent gouverner une province. César augmente encore leur nombre : il y a jusqu'à seize préteurs en 44.
Édiles : cf. ch.9. Aux quatre édiles existants, César en ajoute deux, chargés du ravitaillement de Rome en blé, d'où leur nom aediles cereales.
Questure : premier échelon dans le cursus honorum. Les questeurs ont des tâches très variées : administration du trésor, des archives, assistance aux gouverneurs de provinces Sous Sylla, les questeurs sont au nombre de vingt ; ils sont quarante sous César.
Magistratures inférieures : charges que l'on remplit avant d'accéder à la questure. Le collège des tresviri capitales, par exemple, et celui des tresviri monetales ont été augmentés chacun d'une unité.
Censeurs : deux magistrats supérieurs nommés pour cinq ans. Ils sont notamment chargés de la confection de la liste des sénateurs (lectio senatus) et de celle des chevaliers (recognitio equitum) et peuvent, à cette occasion exclure de ces listes un membre qu'ils estimeraient indigne d'y figurer. Ainsi, l'historien Salluste a, en 50, été exclu du Sénat mais, grâce à la protection de César, a pu redevenir questeur et donc sénateur, sans doute en 48.
Brigue : cf. ch.9. En 63, Cicéron, en tant que consul, avait fait voter une loi très sévère contre la brigue ; une dizaine d'années plus tard, en 52, une nouvelle loi sur ce sujet. est adoptée sur proposition du consul Pompée.
Droit d'élection : l'élection aux magistratures était un privilège des citoyens romains réunis en comices, comices centuriates pour l'élection des magistrats supérieurs (censeurs, consuls, préteurs), comices tributes pour l'élection des magistrats inférieurs (édiles, questeurs). Mais, sous la dictature de César, les formes républicaines des élections n'ont guère été respectées (cf. ci-dessous, ch.76, 3). En 44, un plébiscite proposé par le tribun L. Antonius accorda à César le droit de nommer la moitié des candidats aux postes à pourvoir, les comices restant libres pour l'autre moitié. Cf. P. Willems, Le Sénat de la République romaine. Sa composition et ses attributions, t. I, 2e éd., Louvain, 1885, p.585-587.
À l'exception du consulat : le texte de Suétone n'est pas clair, César se réserve-t-il l'élection des deux consuls ou les comices gardent-elles le droit d'élire ces deux magistrats suprêmes ? Les deux interprétations ont leurs partisans mais la première semble la plus probable. Cf. E. Gabba, Caesar's Reforms, dans F. Cairns - E. Fantham (éds), Caesar against Liberty ? Perspectives on his Autocracy, Cambridge, 2003, p.187.
Recommandation : César ne désigne donc pas directement ses candidats, il les fait élire par le peuple. Les apparences républicaines sont sauves.
Enfants de proscrits : ayant pris le pouvoir à la fin de l'année 82, Syllla fait immmédiatement afficher une liste de plus de 1500 sénateurs et chevaliers frappés de proscription ; les descendants des condamnés sont eux-mêmes privés de leurs droits civiques, en particulier du droit d'accès aux magistratures (ius honorum). Cf. J. Carcopino, Sylla ou la monarchie manquée, Paris, 1947, p.134.
Pouvoir judiciaire : exercé, pour les affaires publiques (iudicia publica) par des tribunaux (quaestiones) composés de jurés désignés pour un an. Ces jurés étaient des sénateurs et/ou des chevaliers (les règles ont varié avec le temps) auxquels on a adjoint, en 70, une troisième catégorie, les tribuni aerarii, à l'origine des fonctionnaires chargés du paiement de la solde aux légionnaires de leur tribu ; au Ier siècle a.C.n, ces tribuni étaient des citoyens que leur fortune situait dans la classe juste au-dessous de celle des chevaliers.
Recensement : opération normalement effectuée par les censeurs, tous les cinq ans, au Champ de Mars, mais qui n'a pas eu lieu entre 70 et 28 a.C.n. (cf. Res gestae divi Augusti, 8,2). Le « comptage » des citoyens opéré par César en 46 n'est donc pas un véritable census (Suétone emploie d'ailleurs le mot recensus) et est sans doute à mettre en relation avec la distribution de blé gratuit aux nécessiteux.
Îlots : en latin, insula, par opposition à domus. La domus est une maison particulière ; l'insula, un immeuble de rapport avec des boutiques et des appartements loués aux gens de condition modeste.
Distributions de blé : C. Gracchus, tribun de la plèbe en 123, avait fait voter une loi frumentaire assurant aux Romains la possibilité d'acheter chaque mois une certaine quantité de blé à prix fixe ; en 58, le tribun Clodius instaure un nouveau système, la distribution gratuite de blé, système maintenu par César mais avec un nombre de bénéficiaires considérablement réduit. Cf. P. Veyne, Le pain et le cirque. Sociologie historique d'un pluralisme politique, Paris, 1976, p.446-469.
[9janvier 2006]