Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 459b-464a - ans 728-729

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)

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LES «ENFANCES DE DOON» (Section V)

Fin de la jeunesse de Doon, devenu champion de sa mère et comte de Mayence

Ans 728-729 -  Myreur, II, p. 459b-464a


Introduction

Dans le présent fichier,  il n'est plus du tout question du « monde mérovingien » de l'histoire, mais simplement de l'adaptation que propose Jean d'Outremeuse de la Geste de Doon de Mayence, écrite « vraisemblablement dans la seconde moitié du XIIIe siècle »  et qui « à l'origine, [...] devait former la matière de deux poèmes bien distincts écrits par un ou deux auteurs restés anonymes » (M.-J. Pinvidic, p. 7). Nous les connaissons bien aujourd'hui grâce à la vieille édition d'Alexandre Pey (Doon de Maience : chanson de geste, Paris, 1895, 368 p.).

Nous possédons aussi aujourd'hui une adaptation dérimée de ces deux poèmes, réunis en un seul ouvrage intitulé La Fleur des batailles Doolin de Maience. Nous ne connaissons ni l'auteur, ni la date de l'œuvre, mais nous savons qu'elle a été éditée en 1501 par le célèbre imprimeur-éditeur parisien, Antoine Vérard, très actif. On la trouvera, avec une mine impressionnante de renseignements, dans l'édition critique de M.-J. Pinvidic : La fleur des bastilles Doolin de Maience, publiée par Antoine Vérard (1501). Édition critique par Marie-Jeanne Pinvidic, Paris, Champion, 2011, 535 p. (Textes littéraires de la Renaissance, 6). La langue est de la fin du XVe siècle (référence ?).

 


Résumé

Doon rencontre Herman - Ignorant qu'il est un cousin d'Ernebaut, il lui raconte son histoire - Herman veut tuer Doon qui lui coupe le bras - Herman va prévenir Ernebaut de la prochaine arrivée de Doon - Ernebaut, n'y croyant pas, menace la comtesse du bûcher.

Samson, un chevalier de Mayence, rappelle qu'un combat singulier doit opposer le champion de la comtesse à Ernebaut et Drohar - Mais Doon apparaît et exige de combattre le jour même.

Le combat singulier s'engage - Drohar est blessé - Doon s'en prend alors à Ernebaut qui, sur le conseil du diable, abandonne le champ clos et s'enfuit vers le château avec ses partisans, poursuivi par Doon qui perd son épée et est entouré d'ennemis.

Samson se porte au secours de Doon, tue beaucoup de ses adversaires, mais sans réussir à récupérer Doon qui se retrouve, entouré d'adversaires, bloqué à l'intérieur du château et n'ayant qu'une hache pour se défendre. Cependant, Doon tue tellement d'ennemis qu'on le laisse momentanément en paix.

Pendant ce temps, à l'extérieur, les aveux complets de Drohar ont innocenté la comtesse, qui est mise en sécurité et qui a pardonné à sa belle-soeur Jeanne. Quant à Doon, il a la vie sauve, suite à une intervention de Samson.

Doon est toutefois jeté dans une sinistre prison, où il retrouve Baudouin de Beauplain qui y croupissait depuis lontemps - Les deux prisonniers s'échappent grâce à la complicité du gardien qui les reconnaît.

Samson et ses hommes s'emparent du palais - Ernebaut que le diable avait caché sous les combles est retrouvé - Il sera, avec son frère Drohar, traîné dans les rues et pendu.

Doon est reconnu comme comte de Mayence, tandis que son père Guy fonde une abbaye dont il devient l'abbé et près de laquelle la comtesse vit en recluse.

 


Doon rencontre Herman - Ignorant qu'il est un cousin d'Ernebaut, il lui raconte son histoire - Herman veut tuer Doon qui lui coupe le bras - Herman va prévenir Ernebaut de la prochaine arrivée de Doon - Ernebaut, n'y croyant pas, menace la comtesse du bûcher.

[II, p. 459b] [Doyelin copat Hermains le brache qui le wot ochire] Atant s'en vat Doyelin, mains ilh encontrat en sa voie Hermains d'Achuit, qui estoit cusin à Ernebaut, qui le saluat et s'acostat [corr. pour s’acontat] à luy, et ly demandat cuy ilh estoit. Et ilh li comptat tout. Quant chis l'entendit, si fut corochiet, car ilh veioit que la damme auroit socour, si s'avisat comment ilh poroit Doyelin ochire, si chevalcherent ensemble Doyelin devant et Hermains derier ; et s'en alloit Doyelin par le voie à tieste decovierte, et Hermains prent son espée se le hauche sique Doyelin apparchut l'ombre en soleal, si broche avant ; et puis soy retournat devers Hermains et veit qu'ilh le voloit ochire, se le fiert par teile maile qu'ilh ly at coupeit le diestre brache, et le lait à terre por mort.

[II, p. 459b] [Doon coupa le bras de Herman qui voulait le tuer] Alors Doon s'en alla, mais il rencontra sur sa route, Herman d'Achuit, qui était un cousin d'Ernebaut ; Herman le salua, l'accosta et lui demanda qui il était. Et Doon lui raconta toute son histoire. Quand il entendit cela, Herman fut irrité, car il voyait bien que la comtesse serait secourue. Il se demanda comment il pourrait tuer Doon. Ils chevauchaient ensemble, Doon devant, et Herman derrière. Tandis que Doon avançait sur la route, tête nue, Herman saisit son épée et la leva si haut que Doon aperçut son ombre dans le soleil et poussa son cheval en avant ; puis il se retourna vers Herman et, voyant que celui-ci voulait le tuer, il le frappa d'une façon si violente qu'il lui coupa le bras droit, le laissant à terre pour mort.

[L’an VII et XXVIII] Et brochat avant tendamment, car chu estoit ly dierain jour des VI, et estoit chu en avrilhe l'an VIIc et XXVIII. Ilh sont des hystoirs qui dient, que chu fut l'an VIIc et XXXI, et ches hystoirs meismes dient que Charle, Doyelin et Garin furent neis l'an VIIc et XVIII, si qu'ilh avoit todis XIII ans d'eage, car XVIII et XIII chu sont XXXI, et oussi XV et XIII chu sont XXVIII ; mains ilh estoit l'an XXVIII, chu dient li plus des hystoires et des docteurs, et y at de cheaux qui dient qu'ilh avoit XVI ans.

[L’an 728] Et tout de suite, il éperonna son cheval, car c'était le dernier des six jours, en avril 728. Certaines histoires disent en 731. Ces mêmes histoires disent aussi que Charles, Doon et Garin naquirent en 718, que Doon avait alors treize ans d'âge, et que dix-huit et treize font donc bien trente-et-un. Mais nous, nous avons (II, p. 434b) daté du 18 mars 715 la naissance des trois personnages, et, dans cette optique, quinze et treize font en effet vingt-huit. En fait, la plupart des historiens et des savants,  disent comme nous qu'on était en 728. Il y en a aussi certains qui disent que Doon avait seize ans.

[Hermains vient à Ernebaut, disant que Doyelin venoit] Hermains soy redrechat et soy mist hors de la voie, car ilh entrat en I sentier par I adreche, si vient à Maienche anchois que Doon, et trovat Ernebaut et son frere tous armeis qui manechoient fortement la contesse, qui estoit devant le feu.

[Herman vient dire à Ernebaut que Doon arrivait] Mais Herman [que Doon avait cru mort] se releva et quitta la route, prenant habilement un sentier, qui lui permit d'arriver à Mayence avant Doon. Il y trouva Ernebaut et son frère tout armés, en train de lancer de violentes menaces à la comtesse, qui se trouvait devant le bûcher.

[Doon, dist Hermains est I tempeste et est XII piés de hault, et son pere vit en bois]is] Adont escriat à Ernebaut : « J'ay encontreit le champion la damme : c'est Doon de Maienche, son fis, qui n'est mie uns hons, ains [II, p. 460] est uns tempeste, si est bien XII piés de hault. » Ernebaut l'oyt [corr. pour ot], si soy vat coy taisant. Et chis le vat escriant : « Ernebaut, fuy ta voie, car tu es mors, se tu l'atens. » Respondit Ernebaut : « Chu est fable chu que tu dis. » Et Hermains : « Guys son peire vit encors, et le troverat-ons en bois où ilh at demoreit VII ans awec luy. » Quant Ernebaut oiit chu, si ferit Hermain de son espée, si le porfendit jusqu'en pis ; et puis est Ernebaut aleis vers le feu, et dest à la damme : « Putain, vos sereis arse, ilh ne vos valt riens li genglier. »

[Herman dit que Doon est une tempête, qu'Il a douze pieds de haut et que son père vit dans un bois] Alors il cria à Ernebaut : « J'ai rencontré le champion de la comtesse : c'est Doon de Mayence, son fils, qui n'est pas un homme, mais [II, p. 460] une tempête ; il mesure au moins douze pieds de haut. »  Ernebaut entendit cela et s'en alla calmement sans rien dire. Herman le suivit en criant : « Ernebaut, va-t-en, car tu es un homme mort, si tu l'attends. » Ernebaut répondit : « C'est une fable que tu me racontes. » Et Herman : « Guy son père vit encore, et on le trouvera dans le bois où Doon demeura avec lui durant sept ans. » Quand Ernebaut entendit cela, il frappa Herman de son épée et le fendit jusqu'à la poitrine ; puis, se dirigeant vers le bûcher, il dit : « Putain, vous serez brûlée, ce bavard ne vous vaut rien de bon. »

[Ernebaut frappoit la damme contre la volonteit de Sanson] Mains quant Sanson oiit chu, si escriat son ensengne, et acourt à Ernebaut qui frappoit la dame, et li dit : « Felle trahitre, tu ne dois mettre les mains à lée. A pou moy ting que je ne toy pende. Ratens Doon qui vint, qui toy donrat asseis affaire. » « Hey ! sire, ilh ne vient nulle Doon, vos l'aveis faite dire Hermain, ou la putain ly at faite dire ; donneis-moy congiet, car j'ay bien gardeit mon heure. »

[Ernebaut frappait la comtesse contre la volonté de Samson] Mais quand Samson entendit cela, il cria sa devise et courut vers Ernebaut, qui frappait la comtesse, et lui dit : « Faux traître, tu ne dois pas porter la main sur elle. Il s'en faut de peu que je ne te pende. Attends Doon qui arrive, il te donnera assez de difficultés. » « Hé ! seigneur, il n'y a pas de Doon qui arrive ; vous avez fait dire cela à Herman, ou c'est la putain qui l'a fait ; laissez moi libre d'agir, car j'ai longtemps attendu mon heure. »

Samson, un chevalier de Mayence, rappelle qu'un combat singulier doit opposer le champion de la comtesse à Ernebaut et Drohar - Mais Doon apparaît et exige de combattre le jour même.

[Sanson dest : Se Doon ne vient, je seray champion por la damme] Sanson respondit : « Ernebaut, ilh n'est pais encors medis, et ly jour est sien jusqu'à la nuyt ; et s'ilh ne venoit, si suy-je chi qui feray le champ par ma damme. »

[Samson dit : Si Doon ne vient pas, je serai le champion de la comtesse] Samson répondit : « Ernebaut, il n'est pas encore midi, et le jour dure jusqu'à la nuit ; et si Doon ne vient pas, c'est moi qui me battrai en champ clos pour la comtesse. »

[Doon, li noble chevalier, vient à frappant en champ] A ches parolles vient Doon à frappant emmy le champ, si fut mult bien regardeis de tous ses amis et annemis, car chu estoit li plus beais prinche qui fust en monde à son temps.

[Doon, le noble chevalier, arrive bruyamment en champ clos] Sur ce, Doon arriva bruyamment au milieu du champ clos, attirant les regards de tous, amis et ennemis, car il était à cette époque le plus beau prince du monde.

[Doon appelat Ernebaut et Drohars en champ] Ilh s'escrie et dest : « Lesqueis sont mes amis se vengnent à moy, car je suy champion à ma mere envoiet depart mon pere Guys le conte, qui est ens en bois, qui tous ses amis salue ; et je voy chi Ernebaut cuy je deffie li et son frere Drohars, et dis qu'ilh est faux et trahitre murdreur, qui at murdrit I homme por faire entendre que chu estoit mon peire, qui vit encors. » Quant Ernebaut l'oiit, li cuer li est trembleis, si respondit : « Demain serons armeis, Huy est-ilh trop tart. » « Trahite, dest Doyelin, tu y mens, tu wez fuyr par nuyt ta voie, mains tu n'en yras pais, nos ferons la batalhe tou maintenant. »

[Doon appela Ernebaut et Drohar sur le champ clos] Doon s'écria : « Que ceux qui sont mes amis viennent vers moi, car je suis le champion de ma mère, envoyé par mon père, le comte Guy, qui vit dans un bois, et salue tous ses amis. Je vois ici Ernebaut que je défie, ainsi que son frère Drohar, et je dis que c'est un fourbe et un traître meurtrier, parce qu'il a assassiné un homme en faisant croire que c'était mon père, qui est toujours bien vivant. » Quand Ernebaut l'entendit, il se mit à trembler et répondit : « Demain nous serons armés, aujourd'hui il est trop tard. » « Traître, dit Doon, tu mens, tu veux t'enfuir pendant la nuit, mais tu ne t'en iras pas, nous nous battrons maintenant. »

[Ernebaut apellat le dyable à cuy ilh estoit rendus] Atant apellat Ernebaut les dyables, ensi com dit une hystoire, auxqueiles ilh avoit donneit corps et armes, et leur demandat conselhe. Et cheaux ly desent : « Defens-toy, car tu averas victoire, mains tu soufferas anchois grant paine. »

[Ernebaut appela le diable à qui il s'était vendu] Alors Ernebaut, comme le raconte une histoire, appela les diables à qui il avait donné son corps et son âme, et leur demanda conseil. Et ceux-ci lui dirent : « Défends-toi, car tu auras la victoire, mais auparavant tu auras à souffrir de grandes peines. »

Le combat singulier s'engage - Drohar est blessé - Doon s'en prend alors à Ernebaut qui, sur le conseil du diable, abandonne le champ clos et s'enfuit vers le château avec ses partisans, poursuivi par Doon qui perd son épée et est entouré d'ennemis.

[Chi commenchat li champ entre Doon et Ernebaut et Drohars son frere] Adont at jureit Ernebaut que la contesse, sicom trahitre murdresse, avoit murdrit le conte Guys, son marit. Doon l'entendist, si dest : « Faux panthonier, tu y mens, [II, p. 461] je le lassay en bois ilh n'at pais encors VI jours, sains et haitiés en son heremitage. » A tant apellat Sanson, et le fist son senescal de la conteit de Maienche, et li priat qu'ilh gardast bien le champ des trahitres. Atant desquendit Doon et vient à sa mere, et le levat et l'assiet deleis la contesse Jehanne, son antain, et deleis les altres dammes, et revient à son cheval et montat sus, si diffiiat les glotons trahitres et les corut sus.

[Ici commença le combat singulier entre Doon d'une part, Ernebaut et Drohar son frère, de l'autre] Alors Ernebaut jura que la comtesse, en traîtresse meurtrière, avait tué le comte Guy, son mari. Doon l'entendit et dit : « Faux coquin, tu mens, [II, p. 461] je l'ai quitté dans le bois, il y a moins de six jours, sain et en bonne forme dans son ermitage. » Alors il appela Samson et fit de lui son sénéchal pour le comté de Mayence, le priant de bien surveiller le champ clos des traîtres. Alors Doon descendit (de cheval) et vint vers sa mère, la souleva et l'assit auprès de la comtesse Jeanne, sa tante et auprès des autres dames. Puis il revint vers son cheval, le monta et alla défier et attaquer les traîtres avides.

[Les armes Doon] Là vinrent les dois freres à lanches bassiés contre Doon, si ont asseneit Doon en son escut, qui estoit d'argent à V crois noires, si qu'ilh ly ont fendut, mains le habier n'ont mie desmalhiet, et n'ont Doon non plus remueit que chu fust une thour, si brisont leurs lanches sour luy.

[Les armes de Doon] Les deux frères, lances baissées, vinrent attaquer Doon, et assénèrent sur son écu, qui était d'argent avec cinq croix noires, un coup tel qu'ils le fendirent, mais sans briser les mailles de sa tunique. Ils ne firent pas bouger plus Doon que s'il avait été une tour, et ils brisèrent sur lui leurs lances.

[Drohars fut jeteis à terre]re] Et Doon assenat Drohars si bien qu'ilh li at fendut son escut et tout destrot son habier, et le passat parmy l'espalle tout oultre ; chis chaiit à terre par teile manere qu'ilh soy brisat sa cusse.

[Drohar fut jeté à terre] Et Doon frappa Drohar avec tant de force qu'il fendit son écu, détruisit sa cotte de mailles et traversa son épaule. Drohar tomba à terre et se brisa la cuisse.

[Doon cachoit Ernebaut par le champ] Et Doon sachat l'espée et vient à Ernebaut, et le frape desus son hayme teilement qu’ilh li raisat chair et chevais et l'abatit à terre, si que son diestrier passat trois fois sour ly et sour son frere. Et Doon cachoit Ernebaut par le champ, enssi com I enfant qui n'at pointe de defense en luy, ains fuyoit toudis ; et une fois le consuit Doon en costeit, se li fist I plaie, sique li foid et ly polmon li paroit.

[Doon poursuivit Ernebaut à travers le champ clos] Puis Doon tira son épée et se tourna vers Ernebaut. Il frappa sur son heaume au point de lui arracher chair et cheveux, et de le jeter à terre. Son destrier passa trois fois sur lui et sur son frère. Et Doon pourchassa Ernebaut à travers le champ, comme un enfant sans défense, toujours en fuite. Finalement Doon l'atteignit sur le flanc et lui fit une plaie qui laissa apparaître son foie et ses poumons.

[Ernebaut huchat le dyable] Adont Ernebaut huchat si hault le dyable, que cascon l'oiit tout entour ly, et li dest qu'ilh ly tenist ses convens. Et ly dyable ly dest qu'ilh se fuist devers le palais, car ilh li livrat Doon dedens ; et chis soy tourne, si soy met al fuyr vers le palais et entrat ens ; et Doon le suyt de si pres qu'ilh le frappat si sour son espalle, sique son espée li lanchat fours de ses mains et le perdit.

[Ernebaut fit appel au diable] Alors Ernebaut appela le diable d'une voix si forte que tous autour de lui entendirent qu'il lui demandait de respecter leur accord. Et le diable lui dit de fuir vers le palais, où, à l'intérieur, il lui livrerait Doon. Ernebaut se retourna et se mit à fuir vers le palais où il entra ; Doon le suivit de si près qu'il le frappa sur l'épaule, au point que son épée lui échappa des mains et qu'il la perdit.

Ors dist maistre Ernuls Franchar de Saxongne en ses croniques que Pirar son aiide racompte par escript, qui fut en chesti lieu à jour de la batalhe, que Doon coupat le bras à Ernebaut, quant son espée li chaiit. Et Sigire de Hongrie dist en ses croniques que ly espée ferit sour le hayme, et si glachat jus et lanchat hours de ses mains ; et à cel coup entroit li trahitre en palais, et son linage salhit à la porte et le gardat.  

Sur ce point, maître Arnold Franchar de Saxe, dans ses chroniques, dit que, selon ce qu'écrit son assistant Pierre, ce fut à cet endroit, au jour de la bataille, que Doon coupa le bras d'Ernebaut, quand son épée lui tomba des mains. Quant à Siger de Hongrie, dans ses chroniques, il dit que l'épée frappa le heaume, glissa dessus et lui échappa des mains ; suite à ce coup, le traître entra dans le palais, et les gens de son lignage se précipitèrent vers la porte et la gardèrent.

Samson se porte au secours de Doon, tue beaucoup de ses adversaires, mais sans réussir à récupérer Doon qui se retrouve, entouré d'adversaires, bloqué à l'intérieur du château et n'ayant qu'une hache pour se défendre. Cependant, Doon tue tellement d'ennemis qu'on le laisse momentanément en paix

[Sanson sorcorit Doon - Doon fut enclouse en palais] Quant Sanson veit chu si corit cel part à IIIc hommes d'armes, si at troveit Doon cuy les trahitre assalhent, si n'avoit nulle espée por luy à defendre. Sanson vint là, si soy fiert en l'estour et ses gens awec li, si ochirent tantoist tous ches trahitres, et tant qu'ilh en entrat bien LX en palais ; et al fuyr dedens Ranfrois de Sile ahierdit Doon par le rengne de cheval, et le reculat ens awec eauz et ont clouse la porte.

[Samson vint au secours de Doon - Doon fut enfermé dans le palais] Quand Samson vit cela, il courut de ce côté avec trois cents hommes armés, et il trouva Doon, assailli par les traîtres, sans épée pour se défendre. Samson arriva sur les lieux, se porta au combat avec ses gens. Ils tuèrent aussitôt dans le palais tous ces traîtres, très nombreux, au moins soixante. En se réfugiant à l'intérieur, Rainfroy de Sile attrapa les rênes du cheval de Doon et le fit reculer avec eux, et puis on ferma la porte.

[Doon ochist mult des trahitres] Et Doon desquendit à piés [II, p. 462] et prent I gran tronchon de lanche, si soy tournat encontre unc mure ; mains Anseal Baffo tenoit une hache et vint vers Doon. Et Doon le voit, si lieve le tronchon et li assiet sus lu tieste, si le deffrossat tout et l'ochist ; et salhit avant et prist la hache à dois mains, de cel hache ochist-ilh tant de ches glotons trahitres qui le fuyent et le lasserent en pais.

[Doon tua beaucoup de traîtres] Alors Doon descendit de cheval [II, p. 462], prit un grand  morceau de lance brisée, se retourna et s'appuya à un mur ; mais Anselme Baffo tenait une hache et vint vers Doon. Celui-ci le vit, brandit le morceau de lance et le lui asséna sur la tête. Il le mit complètement hors combat et le tua. Doon sauta en avant, prit la hache à deux mains et, avec elle, tua tant de ces traîtres avides que les rescapés prirent la fuite et le laissèrent en paix.

Pendant ce temps, à l'extérieur, les aveux complets de Drohar ont innocenté la comtesse, qui est mise en sécurité et qui a pardonné à sa belle-soeur Jeanne. Quant à Doon, il a la vie sauve, suite à une intervention de Samson

[Drohars cognuit tot la trahison - Drohars excusat la contesse]  Apres vient Sanson à Drohars, qui gisoit sour le praierie, et ly dest : « Trahitre, vochi ton frere Ernebaut qui dist que tu as faite toute la trahison et donneit le eonselhe. » Et avoit Sanson ameneit là le maire et les esqueviens. Et Drohars l'oit, si li respondit : « Par ma foid, ilh ment, je n'en savoie riens une nuyt que Helie nostre cusin moy vient quere, et je vin à luy où ilh avoit assembleit trestout nostre linage que Ernebaut avoit mandeit. Et là nos fut-ilh racompteis comment li conte Guys estoit perdus et qu'ilh avoit la contesse requis de son amour, et elle l'avoit refuseit et l'avoit frappeit de son pongne où ilh le wot basier, et puis avoit rechargiet à Salmon, le maistre des trois enfans la contesse, qui les avoit noyés en la mere, et qu'ilh avoit ochis unc palmier qui aloit à roveir son pain, et comment ilh avoit diffameit la damme qu'elle avoit murdrit son marit, et le provat par le mort del palmier. »

[Drohar avoua toute la machination - Drohar mit la comtesse hors de cause] Après Samson se rendit près de Drohar, qui gisait dans la prairie et lui dit : « Traître, voici que ton frère Ernebaut prétend que c'est toi qui as organisé toute cette trahison et l'a conseillée. » Samson avait amené sur place le maire et les échevins. Drohar l'entendit et lui répondit : « Par ma foi, Ernebaut ment, je n'étais au courant de rien la nuit, où Hélie, notre cousin, est venu me chercher et où je l'accompagnai à l'endroit où il avait rassemblé notre lignage au complet, sur ordre d'Ernebaut. Là on nous raconta que le comte Guy avait disparu, qu'Ernebaut avait requis l'amour de la comtesse, qui avait refusé et lui avait donné un coup de poing quand il voulut l'embrasser. Il dit aussi qu'il avait chargé Salomon, le maître des trois enfants de la comtesse, de les noyer dans la rivière, puis qu'il avait tué un pèlerin qui allait chercher son pain, et enfin qu'il avait diffamé la dame, l'accusant du meurtre de son mari, ce que prouvait le cadavre du pèlerin. »

« Tout chu fist Ernebaut anchois que j'en sawisse parleir ; mains depuis avant ay-je oussi bien cachiet le mal que ilh at [fait, add. Bo] chu ne puy n'en ne velhe noiier, car je fuy presens où ilh saisit le paiis et ardit Bealplain, et fist tout chi mal anchois le jour del champ qui estoit ordineis, et enprisonat la damme et Baldewin et sa femme, et puis sy en aliemes à Valgensi, vostre fortereche, por gardeir nostre journée contre cheaux qui estoient en prison. »

« Ernebaut a fait tout cela avant que je sache en parler ; mais depuis lors j'ai aussi caché le mal qu'il a fait, et cela je ne peux ni ne veux le nier, car j'étais présent lorsqu'il s'empara de la terre et brûla le château de Beauplain ; il fit tout ce mal le jour précédant le combat singulier prévu, et il emprisonna la comtesse ainsi que Baudouin et sa femme, puis nous partîmes à Valgensi, votre château-fort, pour passer notre journée à surveiller ceux qui étaient en prison. »

[Jehanne la contesse priat la damme merchi de chu qu’elle li avoit mesdit] Sanson nyquat le maire, et ly maire le mettit en la garde des esquevins. Et Sanson regardat la contesse Jeanne et ly dest : « Damme, vos disyés que Ernebaut estoit unc proidhons et loial, et aveis dit par pluseurs fois grant vilonie. » Et Jehanne oit de chu grant piteit et soy engennulhat devant la damme de Maienche en priant merchis, et demandoit pardon de chu qu'elle li avoit mesdit, car elle en estoit vraie repentante. Et cel ly pardonnat.

[Jeanne la comtesse demanda à la dame de lui pardonner les méchancetés qu'elle avait dites] Samson fit un signe au maire, et celui-ci mit Drohar sous la garde des échevins. Puis Samson regarda la comtesse Jeanne et lui dit : « Madame, vous disiez qu'Ernebaut était un homme sage et loyal, et à maintes reprises, vous avez dit des choses abominables. » Et Jeanne en éprouva un grand regret et s'agenouilla devant la Dame de Mayence, en implorant sa pitié et son pardon pour avoir dit du mal d'elle, car elle s'en repentait vraiment. Et la comtesse de Mayence lui pardonna.

Adont Sanson fist le maire prendre Drohars et dest qu'ilh le gardast bien, affin, se Doon estoit làens pris, que ons le raveroit por [II, p. 463] descang.

Alors Samson ordonna au maire d'arrêter Drohar et de le surveiller, afin qu'il puisse servir [II, p. 463] d'échange pour récupérer Doon, s'il était pris dans cette affaire.

[La damme fut enmeneit à salveteit - Sanson dest aux trahitres, s’ilh ochient Doon qu’ilh y moront tous] Apres fist Sanson par XL hommes emmeneir la damme en son castel por estre à salveteit ; et puis vint à palais, si voit Gerar le Lombars, se li dest : « Je vos commande trestous, qui làens esteis, que vos gardeis bien que Doon monsangnour n'ochiés, car, par le Dieu qui en crois fut peneis, trestous y moreis de vilaine mort, et awec femme et enfans, et si donray vos heretaiges ; mains vos aveis Doon, si vos acordeis teilement à li que vos demoreis en pais, si vos poieis. » Enssi disoit Sanson por alourdeir et decheur les trahitres, mains ilh dest à part auqueile costeit qu'ilh tournet ilhs seront tous mis à mort.

[La dame fut emmenée en sécurité - Samson dit aux traîtres qu'ils mourraient tous s'ils tuaient Doon] Ensuite Samson chargea quarante hommes d'emmener la dame dans son château, pour qu'elle soit en sécurité ; et puis il vint au palais, aperçut Gérard le Lombard et lui dit : « À vous tous qui êtes en ce lieu, je vous recommande de bien vous garder de tuer monseigneur Doon, sinon, par le Dieu qui fut pendu sur la croix, vous mourrez tous de vilaine mort, avec femmes et enfants, et je disposerai de vos héritages ; mais vous détenez Doon, mettez-vous d'accord avec lui et demeurez en paix, si vous le pouvez. » Samson parlait ainsi pour tromper et donner des illusions aux traîtres, mais, en aparté, à ceux vers qui il se tournait, il disait  qu'ils seraient tous mis à mort.

Doon est toutefois jeté dans une sinistre prison, où il retrouve Baudouin de Beauplain qui y croupissait depuis lontemps - Les deux prisonniers s'échappent grâce à la complicité du gardien qui les reconnaît

[Doon ochist mult des trahitres] Tantost soy retournat Gerar arriere et vint où Doon estoit encontre I mure, et soy combattoit devant et ochioit ches glotons trahitres. Ilh n'estoit plus de piteit. Et Gerar le Lombars les fist traire arriere, et cesseir en teile pointe jusques à sa revenue. Et puis vint à Ernebaut et ly dest : « Sires, Sanson m'at dit aux creteis, où je estoie apoiet, que bien vos gardeis que Doon ne soit ochis, car tous li ors de monde ne vos garderoit, n'en nos oussi, que tous ne fussiemes mors de mort vilaine, et que nous heretaiges donroit à altres chevaliers ; mains ilh dest : Vos aveis Doon làens, acordeis-vos à li, si que vos soyés en pais, se vos poiés. » Quant Ernebaut entendit chu, si respondit : « Amis, faites chu qu'ilh vos plaist. » Atant vint Gerar à Doon et dest : « Sire, rendeis-vos, salve vostre vie et vos membres, je le vos prie por Dieu. »

[Doon tua beaucoup de traîtres] Aussitôt Gérard retourna à l'endroit où Doon se trouvait dos à un mur,  face à ces traîtres avides, qu'il combattait et tuait, sans aucune pitié. Gérard le Lombard fit reculer les traîtres, et leur dit de cesser de se battre jusqu'à son retour. Puis il se rendit auprès d'Ernebaut et lui dit : « Seigneur, sur les créneaux où j'étais appuyé, Samson m'a dit que vous deviez éviter que Doon soit tué, car tout l'or du monde ne vous sauverait ni vous, ni nous, et ne nous empêcherait pas de mourir d'une mort affreuse, tandis que nos héritages reviendraient à d'autres chevaliers. Cependant Gérard dit aussi : Vous détenez Doon là à l'intérieur ; faites un accord avec lui, afin d'être en paix, si vous le pouvez. » Entendant cela, Ernebaut répondit : « Amis, faites ce qu'il vous plaît. » Alors Gérard vint vers Doon et dit : « Seigneur, rendez-vous, sauvez votre vie et vos membres, je vous en prie au nom de Dieu. »

[Doon, salveit son corps, ilh soy rendit - Doon fut mis en prison où ilh trovat Baldewin]in] Et Doon, qui soy sentoit navreis fortement, soy rendit. Et ilh l'ont mis en la cartre, là ilh trovat Baldewin de Bealplain qui estoit en prison por la damme. Là soy fist cognissable ly uns et li altre, et soy fiestiont bonnement.

[Doon, une fois sa vie assurée, se rendit - Il fut mis en prison où il trouva Baudouin] Et Doon qui se sentait grièvement blessé se rendit. Il fut mis en prison, où il trouva Baudouin de Beauplain, qui était emprisonné à cause de la comtesse. Là tous deux firent connaissance, très heureux de se rencontrer.

[Li garde del prison delivrat Doon et Baldewin]in] Et là vint Richier d'Enfaiis, à cuy Ernebaut avoit donneit l'offiche del gardeir les prisonniers, si leur dest : « Saingnours, je suy Richier qui nouri le conte Guys, et moy donnat à femme une des cusine des trahitres ; je vos ay convent que je vos deliveray. » Atant les jettat une escale, et ilh issirent fours del prison.

[Le gardien de la prison délivra Doon et Baudouin] Et là arriva Richard d'Enfaiis, chargé par Ernebaut de garder les prisonniers, et il leur dit : « Seigneurs, je suis Richard, j'ai élevé le comte Guy, qui me donna pour épouse une des cousines des traîtres ; je m'engage à vous délivrer. » Alors il leur jeta une échelle et ils sortirent de prison.

Samson et ses hommes s'emparent du palais - Ernebaut que le diable avait caché sous les combles est retrouvé - Il sera, avec son frère Drohar, traîné dans les rues et pendu

[Sanson assalhit le palais et fut gangniet] Quant ilh furent fours de la prison, les glotons mangnoient en unc parleur sus unc vergier por le chaut temps. Si avient que Sanson commenchat à assalhir, et les glotons soy prisent al deffendre. Là vint Richier à nos barons et leurs dest : « Saingnours, ly palais est assalhis ; qu'en dit-vos ? » [II, p. 464] Quant Doon l'entendit, si vient à la porte et le defrossat et l'ovrit et si lait ens tous ses amis. Quant Ernebaut veit chu que les Franchois estoient en palais, si s'enfuit vers uns fausse postiche où Richir avoit mis Doon, qui tantost li calengat la voie et ly dest: « IIh vos convient deffendre, car vos aveis volut entreir en ma saingnorie. » Et Ernebaut fut tous enhahis, chu ne fut mie mervelhe.

[Samson attaqua le palais et l'emporta] Tandis que les prisonniers étaient sortis de leur geôle, les vauriens devisaient et mangeaient dans un verger car il faisait chaud. Samson les attaqua et ils se mirent à se défendre. Alors Richard vint vers nos barons et leur dit : « Seigneurs, Ie palais est attaqué ; qu'en dites-vous ? » [II, p. 464] Quand Doon l'entendit, il se dirigea vers la porte, la fracassa, l'ouvrit et laissa entrer tous ses amis. Quand Ernebaut vit que les Francs étaient dans le palais, il s'enfuit vers une fausse sortie, où Richard avait placé Doon, qui aussitôt lui barra le chemin et lui dit : « Il faut vous défendre, car vous avez voulu vous emparer de ma seigneurerie. » Ernebaut fut tout abasourdi, ce qui ne fut pas étonnant.

[Ernebaut huchat le dyable, qui le portat en grenier] Adont Ernebaut huchat le dyable, et ilh vient tantost : « Amis, dit-ilh, vos m'aveis falit de mes convens, je vos prie que vos moy sorcoreis. » Respondit ly dyable : « Vos n'aveis garde. » Atant le prist et, l'enportat en unc grenier, et puis s'envanuit ; et li palais emplist de gens d'armes, qui ont tos le glotons ochis, si vinrent à Doon et le festient.

[Ernebaut appela le diable, qui le transporta au grenier] Alors Ernebaut appela le diable, qui vint aussitôt : « Ami, dit Ernebaut, vous n'avez pas respecté nos accords, je vous prie de me secourir. » Le diable lui répondit : « N'ayez pas peur. » Alors il le prit, l'emporta sous les combles et disparut. Le palais s'emplit de gens armés, qui tuèrent tous les vauriens, puis vinrent vers Doon et lui firent fête.

[Ernebaut fut troveis en grenier et livreit à Sanson, et fut traieneis par les voies]  Mains ilh dest que ilh n'avoit point de joie, car Ernebaut li avoit esteit embleit devant luy-meismes. Qui adont veist ches Magontinois cerchier sus et sus ! Si ont tant cerchiet qu'ilh ont troveit Ernebaut en grenier, si l'ont ameneit aval et livreit à Doon ; et Doon le livrat à Sanson. Et chis apellat le maire, si le fit traieneir li et Drohars, son frere, parmy la citeit ; et puis furent emeneis à ghibet, où ilh ont confesseit tout chu qu'ilh avoient bresseit. Et quant Sanson oit tout oiit, ilh commandat qu'ilh fussent pendus.

[Ernebaut, trouvé au grenier et livré à Samson, fut traîné dans les rues] Mais Doon dit qu'il n'était pas satisfait, car Ernebaut lui avait été enlevé sous ses yeux. On aurait vu alors ces gens de Mayence chercher Ernebaut partout ! Ils le cherchèrent et finirent par le trouver sous les combles. Alors ils le firent descendre et le livrèrent à Doon. Doon le remit à Samson. Celui-ci appela le maire qui fit traîner Ernebaut et son frère Drohar à travers la cité. Ils furent tous les deux emmenés vers le gibet, où ils confessèrent tout ce qu'ils avaient tramé. Et quand Samson eut tout entendu, il ordonna qu'ils soient pendus.

Doon est reconnu comme comte de Mayence, tandis que son père Guy fonde une abbaye dont il devient l'abbé et près de laquelle la comtesse vit en recluse

Apres est Doon en palais retourneis, là ilh fut mult conjoiis de son peuple. Adont ilh mandat ses barons partout son pays et at pris d'eaux la fealteit ; et at remandeit sa mere et l'at remise en sa prosperiteit, et à Baldewin rendut tous ses biens, et si en fist son conselhier ; et de Sanson fist-il maistre de sa conteit et de Richier maire. Enssi remerist-ilh à cascons son serviche et sa loialteit.

Après Doon retourna au palais, où il fut très chaleureusement accueilli par son peuple. Alors il convoqua tous les barons de son pays qui devinrent ses vassaux ; il fit revenir sa mère et la rétablit dans sa situation prospère ; il rendit tous ses biens à Baudouin, de qui il fit son conseiller, et il fit de Samson le maître de son comté et de Richard son maire, les récompensant ainsi chacun pour leur service et leur loyauté.

[Guys fut abbeis - La contesse fut recluse]  Apres alat tout la baronie en bois festoier deleis Guys ; et là fist fondeir une abbie où son peire herbegat avec moynes, dont Guys en fuit abbeis. Et la contesse at faite à unc de costeit delle abbie une habitation por lée où elle fut recluse. Et demorarent là toute leur vie en servant Dieu.

[Guy fut abbé - La comtesse fut cloîtrée] Ensuite tous les barons allèrent dans le bois faire la fête auprès de Guy. Là Doon fit fonder une abbaye, où son père Guy habita avec des moines dont il devint l'abbé. Et la comtesse fit construire pour elle à côté de l'abbaye une demeure où elle vécut cloîtrée. Et ils restèrent là toute leur vie, en servant Dieu.


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