Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 128b-138a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Myreur, p. 128b-132a (A. La geste de Clétus le Gaulois et de Franbal le Latin)

Myreur, p. 132b-138a (B. Franbal en combat singulier)

 


A. La Geste de Clétus le Gaulois et de Franbal le Latin [Myreur, p. 128b-132a]

Ans 394-419 de la transmigration = 195-170 a.C.n.

Introduction [sommaire et texte]

Si l'on fait abstraction de quelques informations secondaires, certaines intéressantes pour nos régions, comme la fondation de la ville de Gand et l'apparition sur la scène politique du comté de Flandre, les pages suivantes du Myreur forment un ensemble nouveau. Y interviennent des personnages tout à fait fictifs ; on n'en retrouve en tout cas aucune trace dans l'histoire et dans la littérature. Leurs aventures donnent naissance à une narration très élaborée et très particulière, fort éloignée du genre de la chronique : elle comporte des récits de sièges de ville, de batailles, voire de duels, ponctués d'exploits en tout genre. Le chroniqueur liégeois, sans le dire, semble nous livrer une sorte de Chanson de geste, mise en prose bien sûr. Nous l'appellerons la « Geste de Clétus et de Franbal », arbitrairement car, à notre connaissance, aucune geste de ce genre ne semble répertoriée dans la littérature médiévale. Nous savons aussi que le XIVe siècle n'est plus la grande époque des Chansons de geste, mais, si l'on en juge par l'énorme Geste de Liege que nous avons conservée et qui est indiscutablement de la main de Jean d'Outremeuse, il semble que tous les écrivains cultivant ce genre littéraire n'avaient pas disparu à son époque et que ce dernier pouvait en faire partie.

La Geste de Liège, comme constituant du Myreur des Histors. On ne doit pas être trop surpris de rencontrer dans Ly Myreur un contenu et une atmosphère épique. Jean avait écrit, quelque quelque vingt ans avant Ly Myreur, une énorme geste racontant l'histoire de Liège, intitulée Geste de Liege. Des morceaux s'en retrouvent dans Ly Myreur. En forçant les choses, cette geste constituerait le socle de la chronique universelle entreprise vingt ans après : en quelque sorte Jean aurait écrit son Myreur autour de la Geste de Liège, dont un certain nombre de passages, abrégés et dérimés bien sûr, se retrouvent à certains endroits du Myreur, comme on aura l'occasion de le constater. Toutefois, pour en revenir à Clétus, à Franbal et aux personnages qui gravitent autour d'eux, ils ne figurent que dans Ly Myreur. Mais si nous évoquons à leur propos la Geste de Liege, c'est pour expliquer que des récits « épiques » ou des fragments d'épopée, artificiellement construits autour de quelques peuples et de quelques personnages historiques, peuvent se retrouver en prose sous la plume de Jean. Auteur de la Geste de Liege, le chroniqueur liégeois était certainement capable de composer ce type de textes, quand il se sentait inspiré.

Le début de la Geste de Clétus et de Franbal. Dans cette partie du récit, la position centrale est occupée par les Gaulois, les Romains et les Latins dont on n'avait plus parlé depuis longtemps. D'autres peuples encore interviennent, avec toutefois un rôle secondaire, comme les Syriens d'Antiochus ou les Égyptiens de Ptolémée, ou encore les Athéniens. Quand l'histoire commence, les Romains sont englués dans une guerre contre Antiochus. Les Latins sont dirigés par le roi Franbal, un homme sage et juste. Quant aux Gaulois, leur duc du moment s'appelle Clétus. Il a des frères et une soeur, Alexandrine, qui a épousé Franbal, ce qui a rapproché les Gaulois et les Latins. L'un de ses deux frères, Flandrin, est prince de la Bukraine (la future Flandre) et l'autre est comte de la Petite-Bretagne.

Les Romains parviennent à vaincre Antiochus et à lui imposer un tribut, grâce à l'aide des Gaulois de Clétus. Profitant de l'occasion, Clétus demande aux Romains - en guise de récompense en quelque sorte - d'être libéré du tribut qu'il leur doit depuis Cambéracion. Un refus romain hautain provoque la guerre avec les Gaulois, qui tuent les deux consuls et assiègent Rome, mais sans succès. Les Gaulois sont forcés de lever le siège, se promettant de revenir. Comme à son habitude, le chroniqueur liégeois met l'accent sur la puissance militaire des Gaulois, en état de guerre constant avec Rome jusqu'au temps de Jules César.

L'expression « On trouve dans le texte que...  » (p. 136) intrigue quelque peu. Prise au pied de la lettre, renverrait-elle à la source de Jean d'Outremeuse, qui ne serait donc pas l'auteur de cette mini-épopée ?

Quoi qu'il en soit, la « Geste de Clétus et Franbal » est brutalement interrompue au début de la p. 138 par l'introduction d'épisodes traitant de Troie et du Proche Orient. Elle reprendra à la p. 143.

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Sommaire

Les Latins, avec l'accord des Romains, ont à nouveau un roi, Fran(i)bal, un homme sage et juste - La paix est conclue entre Antiochus et Ptolémée (394-395 de la transmigration = 195-194 a.C.n.)

À la mort de Bretanges, Clétus son fils aîné devient duc de Gaule - Sa fille Alexandrine épouse le roi latin Franbal - Son second fils, Flandrin, est prince de la Brukaine (future Flandre) - Son troisième fils devient comte de la Petite-Bretagne (396 de la transmigration = 193 a.C.n.)

* Fondation et dénomination de Gand - La Brukaine devient un comté, baptisé Flandre (398-399 de la transmigration = 191-190 a.C.n.)

Grâce à l'intervention de Clétus de Gaule, les Romains, très inférieurs en nombre, remportent une bataille contre Antiochus, avec qui ils finissent par conclure la paix, contre le paiement d'un tribut (400 de la transmigration = 189 a.C.n.)

Clétus demande aux Romains, en rappelant son aide contre les Syriens, d'être libéré du tribut imposé à son aïeul Cambéracion, mais les Romains refusent, ce qui provoque une guerre entre Romains et Gaulois

Dans la bataille acharnée que se livrent Romains et Sicambres, Clétus tue les deux consuls et remporte la victoire - Les Romains se replient dans Rome que Clétus assiège en vain - Le chef gaulois se retire en promettant de revenir avec plus de forces

Digression concernant la suprématie de la Gaule et les rapports des Sicambres avec Rome jusqu'à César

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Les Latins, avec l'accord des Romains, ont à nouveau un roi, Fran(i)bal, un homme sage et juste - La paix est conclue entre Antiochus et Ptolémée (394-395 de la transmigration = 195-194 a.C.n.)

 

[p. 128] [De roy Franibal des Latins] Item, l'an IIIc XCIIII, refisent cheaz de la terre des Latins I roy par le congiet des Romans, et le fisent de unc senateur de Romme qui oit nom Franibal, liqueis regnat XII ans ; chis fut mult prodhons et vrais justichier, et fut de grant sanc, car chu fut ly fis de roy Enoch de Trachie. Enssi orent roy les Latins, qui n'avoient oyut nul puis le temps Amilius, le peire Romulus.

[p. 128] [Le roi Franbal des Latins] En l'an 394 [195 a.C.n.], les habitants du pays des Latins nommèrent à nouveau un roi avec l'accord des Romains. Ils désignèrent un sénateur de Rome, nommé Franbal, qui régna durant douze ans. Ce fut un homme très sage, véritable justicier, de haute naissance, fils du roi Énoch de Thrace. Ainsi les Latins, sans roi depuis Amulius, père de Romulus, en retrouvèrent un (p. 54-55).

Item, l'an IIIc XCV, fisent pais entre eaux ly roy Pholomes et ly roy Anthiocus, et fisent entres eaux alianches par I mariage, car Pholomes oit à femme Cleopatram, la filhe Anthiocus ; et fut doyée de IIII royalmes, assavoir : Fenix, Judée, Surie et Samarie.

En l'an 395 [194 a.C.n.], le roi Ptolémée et le roi Antiochus firent la paix entre eux et scellèrent leur alliance par un mariage. Ptolémée épousa Cléopâtre, la fille d'Antiochus, qui avait pour dot quatre royaumes : la Phénicie, la Judée, la Syrie et la Samarie.

 

À la mort de Bretanges, Clétus son fils aîné devient duc de Gaule - Sa fille Alexandrine épouse le roi latin Franbal - Son second fils, Flandrin, est prince de la Brukaine (future Flandre) - Son troisième fils devient comte de la Petite-Bretagne (396 de la transmigration = 193 a.C.n.)

 

[p. 128] Item, l'an IIIc XCVI, morut Brutangnes, li dus de Galle, qui fut I bons chevalier et governat bien. Chis dus Brutangnes avoit III fis et une filhe, qui fut nomée Alexandre ; si oit le roy des Latins à marit, qui oit unc fil de lée qui fut nomée Jobal, qui fut roy et regnat XXII ans.

[p. 128] En l'an 396 [193 a.C.n.] mourut Bretanges (p. 127), le duc de Gaule, qui fut bon chevalier et bon gouvernant. Il avait trois fils et une fille, nommée Alexandrine ; elle épousa le roi des Latins [Franbal], qui eut d'elle un fils, Jobal, lequel régna vingt-deux ans.

Item, des III fis le duc de Galle, ly anneis oit nom Cletus, qui fut duc de Galle apres son pere, et regnat XX ans.

Des trois fils du duc de Gaule, l'aîné, qui s'appelait Clétus, devint duc de Gaule après son père, et régna vingt ans.

[Tornay. Brabaine. Cambray, Duay, Bruge, Lisle] Item, ly altres fis apres oit nom Flandrin ; chis fut prinche de Brukaine, où ilh avoit et astoient fondeit mult de castels et de citeis, assavoir : Turnay, Cambray, Duay, Bruge et le casteal de Lisle, qui toutes astoient appendantes à la saingnorie de Brukaine, enssi com leurs devantrains les avoient edifiiés.

[Tournai. Brukaine. Cambrai, Douai, Bruges, Lille] Le second fils eut pour nom Flandrin ; il fut prince de Brukaine où se trouvaient fondés et établis beaucoup de châteaux et de cités, à savoir : Tournai, Cambrai, Douai, Bruges et le château de Lisle, qui tous dépendaient des seigneurs de Brukaine, puisque leurs prédécesseurs les avaient construits.

Item, li altre fis li plus jovenes fut conte de la petit Brutangne ; enssi furent tos asseneis sens debat.

Le troisième fils devint comte de la Petite-Bretagne. Ainsi tous furent installés sans conflit.

 

Fondation et dénomination de Gand - La Brukaine devient un comté, baptisé Flandre (398-399 de la transmigration = 191-190 a.C.n.)

 

[De Gant] Item, l'an IIIc XCVIII, fondat ly dus de Brukaine une citeit mult belle ; si avient que, quant ons duit [p. 129] assier et jecteir la promier piere de fondement, que li prinche y astoit present, et priat à maistre qu'ilh ly lassast la promier pire asseoir luy meisme ; si descendit en la fosse. Mains al asseir la pire qui pessoit enportat awec lée le gant de la dieste main le prinche Flandrien, sique li pire chaiit sour le gant et li gant fut al desous de la pire, dont seroit la citeit fondée desus la gant, si astoit raison qu'elle fust nomée Gant. A chu respondit Flandrien le prinche que ilh le voloit nomeir solonc son nom, mains, puisqu'elle avoit pris altre nom qui li astoit venus de droite aventure, ilh ne li voloit point tollir, car el sieroit nomée Gant.

[Gand] En l'an 398 [191 a.C.n.], le duc de Brukaine fonda une cité fort belle. Lorsqu'il fallut en [p. 129] installer et en poser la première pierre, le prince, qui était présent, pria le maître d'oeuvre de lui laisser la poser lui-même. Il descendit dans la fosse, mais au moment de placer la pierre, qui était lourde, elle emporta avec elle le gant de la main droite du prince Flandrin, si bien que la pierre tomba sur le gant et que celui-ci resta coincé sous la pierre. La cité ayant été fondée sur un gant, la raison était de l'appeler Gant. À quoi Flandrin répondit qu'il aurait voulu lui donner son propre nom, mais puisque, par un véritable hasard, elle en avait pris un autre, il n'entendait pas le lui enlever et elle serait donc appelée Gand.

 [Flandre] En teile manere fut fondée la tres-noble vilhe de Gant, et, quant elle fut faite, si morut li prinche Flandrien par maladie de fievre qui là ly prisent. Si s'avisarent les barons que ilh avoient pays asseis por I conte ; si fisent I conte de I noble hons, qui fut nomeis Drionel, car Flandrien astoit mors sens heurs : chis prinche Drionel fut li fis Hercol, le duc de Borgongne, et fut li promirs conte de l'isle de Brukaine. Chis Drionel fut unc jour priiés de ses barons qu'ilh vosist apelleir son pays solonc son nom, por tant qu'ilh en astoit ly promier conte. Et ilh respondit qu'ilh estoit bien voir qu'ilh astoit conte, mains onques n'avoit riens fondeit en pays, se ne devoit mie estre apelleis solonc son nom ; mains portant que les dus de Galle l'avoient fondeit et multipliiet, ilh serat nomeit solonc le nom de cheli qui en avoit esteit li derains prinche devant li, qui avoit à nom Flandrien, si aroit tout son pays à nom Flandre, et seroit dedont en avant ly et ses successeurs nommeis conte de Flandre. En teile manere fut Flandre baptisié sor l'an IIIc XCIX.

[Flandre] C'est de cette façon que fut fondée la très noble ville de Gand. Quand elle fut achevée, le prince Flandrin tomba malade et mourut des fièvres qui l'avaient frappé. Les barons estimèrent leur pays assez développé pour devenir un comté. Flandrin étant mort sans héritiers, ils élurent comte un noble, nommé Drionel. Ce prince Drionel était le fils du duc de Bourgogne, Hercol. C'est lui qui devint donc le premier comte de la région de Brukaine. Un jour ses barons le prièrent d'accepter de donner son nom à son pays, puisqu'il en était le premier comte. Il répondit qu'il en était assurément le comte mais que, n'ayant jamais rien fondé dans le pays, il ne devait pas lui donner son nom. Puisque, disait-il, le pays avait été fondé et développé par le duc de Gaule, il porterait un nom inspiré du dernier prince qui l'avait précédé, à savoir Flandrin, tout le pays serait appelé Flandre et dorénavant lui et ses successeurs porteraient le titre de 'comte de Flandre'. Ainsi la Flandre fut-elle baptisée en 399 [190 a.C.n.].

 

Grâce à l'intervention de Clétus de Gaule, les Romains, très inférieurs en nombre, remportent une bataille contre Antiochus, avec qui ils finissent par conclure la paix, contre le paiement d'un tribut (400 de la transmigration = 189 a.C.n.)

 

[p. 129] [Batalhe entre les Romans et le roy Antiochus] Item, l'an del transmigration de Babylone IIIIc en mois de may, oit grant batalhe entres les Romans et le roy Anthiocus de Surie ; mains li roy Anthiocus fut desconfis et ses gens mors, et li roy Anthiocus fut pris, et furent ochis en cel batalhe XVm hommes à chevals et XLm à piet. Et deveis savoir que les Romans euwissent esteit desconfis, se chu ne fut Cletus, le bon duc de Galle, qui là astoit awec les Romans à XXm hommes ; si vos diray comment.

[p. 129] [Bataille entre les Romains et le roi Antiochus] En l'an 400 [189 a.C.n.] de la transmigration de Babylone, au mois de mai, une grande bataille opposa les Romains au roi Antiochus de Syrie. Antiochus fut vaincu et ses hommes tués. Le roi de Syrie fut fait prisonnier et, dans cette bataille, périrent quinze mille cavaliers et quarante mille fantassins. Il faut savoir que les Romains auraient été vaincus sans Clétus, le bon duc de Gaule qui se trouvait à leurs côtés avec vingt mille hommes. Voici comment les choses se passèrent.

Quant les batalhes furent rengiés d'ambdois pars, li dus Cletus prist ses Gallyens et en fist I batalhe, et les trahit entres II grans tiertre asseis pres de la citeit de PavieI ; et quant les [p. 130] batalhes furent assembléez, si furent les Romans pilhiés laidement, car ilh astoit bien des Suriiens XII encontre unc Romans. Quant li dus Cletus veit les Romans presque desconfis, si at trait avant sa batalhe bien rengié et ordinée, et se ferit en promier front.

Lorsque des deux côtés les armées furent prêtes au combat, le duc Clétus mit ses Gaulois en ordre de bataille et les plaça entre deux grandes élévations très près de Pavie. Au cours de [p. 130] l'affrontement, les Romains furent gravement malmenés, car il y avait bien douze Syriens pour un Romain. Quand il vit les Romains presque battus, le duc Clétus poussa en avant son armée rangée et bien ordonnée, et se porta lui-même en première ligne.

[Suriiens desconfis] Et jostat li dus Cletus à Ysradra, le frere Anthiocus, qui astoit mult bon chevalier ; mains Cletus li tramist sa lanche oultre le corps piet et demy, et l'ochist ; puis fisent enssi tos ses barons. Et fisent tant que la batalhe fut desconfis, et Anthiocus fut pris, enssi com dit est ; car les Sycambiens astoient adont de teile virtut que nuls ne poioit avoir encontre eaux poioir, car ilhs savoient d'armes plus que nuls altres gens. En cel batalhe fut pris, enssi com j'ay dit, li roy Anthiocus, li roy de Surie, et Anthiocus son fis, et grant partie de sa chevalerie des plus valhans ; et furent ameneis à Romme.

[Les Syriens défaits] Le duc Clétus lutta contre Ysradra, le frère d'Antiochus, un excellent chevalier ; Clétus lui transperça le corps de sa lance sur un pied et demi, et le tua. Tous ses barons agirent de même, tout cela jusqu'à la défaite des Syriens et la capture d'Antiochus, selon la tradition. Les Sicambres étaient alors très puissants et personne ne pouvait l'emporter face à eux, car plus que quiconque, ils étaient experts dans le maniement des armes. Lors de cette bataille, comme je l'ai dit, le roi Antiochus de Syrie, son fils Antiochus et la plupart de ses plus vaillants chevaliers, furent capturés et emmenés à Rome.

[Pais entre Anthiocus et les Romans] Mains dedens brief temps fut fait une pais entre Anthiocus le roy, et Anthiocus son fil, et ses barons d'unne part, et les Romans et les senateurs d'altre part, en teile manere que li roy Anthiocus tenroit son pays des Romans en tregut, cascon an à payer milh besans d'or ; et, pour eistre les Romans plus segures, ly roy laissat son fis Anthiocus en gaige à Romme.

[Paix entre Antiochus et les Romains] Peu de temps après, une paix fut conclue entre le roi Antiochus, son fils Antiochus et ses barons d'une part, les Romains et les sénateurs de l'autre. Elle stipulait que le roi Antiochus conserverait son pays en payant comme tribut aux Romains, chaque année, mille besants d'or. Pour rassurer les Romains, le roi laissa son fils Antiochus comme otage à Rome.

 

Clétus demande aux Romains, en rappelant son aide contre les Syriens, d'être libéré du tribut imposé à Cambéracion, son aïeul, mais les Romains refusent, ce qui provoque une guerre entre Romains et Gaulois

 

[p. 130] [Li dus Cletus arraisonne les Romans] Quant toutes ches choises furent faites, li dus Clétus de Galle araisonat les Romans, ch'est assavoir les consules et senateurs, lesqueils consules astoient nomeis Gorgos et Nerva, et leur dest enssi : « Saingnours, vos saveis que je tieng mon pays de vos en tregut parmy I denier d'argent cascon an par cascon personne chief de son hosteil, et enssi l'asservit li dus Camberacion, mon ayon, sens raison. Et enssi vos saveis, se je ne fuisse awec mes barons, li roy Anthiocus ouwist toute le pays de Romme destruite et conquis, et fussent les Romans tous mors, ou li plus grant partie d'eauz, et n'eussent jamais oyut pais à eaux, se ilhs n'eussent rendut grant tregut aux Suriiens, si qu'ilh fussent vilainement aservis, qui sont les plus frans de monde. Or est avenus que por l'aide de mes barons que vos aveis la victoir obtenue, et tregut aveis sour eaux ; et por la raison de chu et en remuneracion de tous les bons serviches que je vos ay faite et puy faire encor, et que mon pere Camberacion vos fist, quant ilh desconfist Hanibal et l'affollat vilainement, vos vouroie proier et requerir que vos le tregut de mon pays me vosissier quitteir. »

[p. 130] [Le duc Clétus s'adresse aux Romains] Quand tout fut terminé, le duc Clétus de Gaule s'adressa aux Romains, c'est-à-dire aux consuls et aux sénateurs. Les consuls s'appelaient Gorgus et Nerva. Clétus leur dit : « Seigneurs, vous savez que je tiens de vous mon pays en échange du payement chaque année d'un tribut se montant à un denier d'argent par chef de famille. C'est ce qu'a accepté sans raison le duc Cambéracion, mon aïeul, (p. 126). Mais vous savez aussi que si je n'avais pas été là avec mes barons, le roi Antiochus aurait dévasté et conquis tout le territoire romain. Tous les Romains, ou la plupart d'entre eux, seraient morts et n'auraient jamais obtenu la paix sans payer aux Syriens un important tribut : ils auraient été vilainement asservis, eux, les plus libres du monde. Oui, c'est grâce à l'aide de mes barons que vous avez obtenu la victoire et qu'ils sont devenus vos tributaires. Pour cette raison et en reconnaissance de tous les services que je vous ai rendus et que je puis vous rendre encore, des services rendus aussi par mon père Cambéracion, qui vainquit et accabla cruellement Hannibal (p. 125), je voudrais vous demander de tenir désormais la Gaule quitte de ce tribut. »

[Response des Romains] Quant les Romans et senateurs et consules, qui astoient adont les [p. 131] soverains de monde, entendirent chu, ilh respondirent tout sens prendre nulle conselhe que de chu ilh ne feroient rien, ains se lairoient costeir dois tans d'altre costeit.

[Réponse des Romains] Quand les Romains, les sénateurs et les consuls, qui étaient alors [p. 131] les maîtres suprêmes du monde, entendirent cela, ils répondirent de suite, sans prendre aucun conseil, qu'ils n'en feraient rien et qu'ils se feraient payer des deux côtés.

Quant li dus Cletus entendit chu, si fut mult corochiés, et jurat en halt à tous ses dieux : Jupiter, Venus et March, en la presenche d'eaux, que jamais ne paieroit ne envoiroit le tregut aux Romans ; et s'ilh sembloit aux Romans qu'ilh les fesist tort, si en fesissent des pies qu'ilh en poroient faire, car ilh ne les dobtoit I denier ; et s'ilh mandoient le tregut, ilh penderoit leurs messagiers en despit d'eaux, ou ilh les coperoit les grenons.

Entendant cela, le duc Clétus fut très en colère. Il jura à haute voix par tous ses dieux : Jupiter, Vénus et Mars, et en leur présence, que jamais il ne paierait ni n'enverrait de tribut aux Romains. Si les Romains avaient l'impression qu'il les lésait, qu'ils lui infligent les pires traitements possibles, car lui, Clétus, ne leur devait pas un denier ; et s'ils venaient réclamer le tribut, il ferait pendre leurs messagers en signe de mépris ou leur couperait les moustaches.

Quant Gorgos et Nerva, les II consules, entendirent chu, sachiés qu'ilh en eirent tres-grant despit, et corurent sus le duc Cletus et ses gens ; mains li duc soy tournat awec luy ses gens à une partie de Romme, et fist ses gens armeir, dont ilh astoit plus de XXm, puis soy traihent fours de la citeit, et ordinat ses gens mult bien ; et les Romans issirent fours bien à XLm hommes, et cressoient toudis, car ilh avoit grant peuple à Romme.

Quand les deux consuls Gorgus et Nerva entendirent cela, ils en éprouvèrent un très grand ressentiment. Ils attaquèrent le duc Clétus et ses gens. Mais Clétus mit de son côté les Gaulois installés précédemment à Rome (p. 125) et leur fit prendre les armes. Ils étaient plus de vingt mille. Puis il sortit de la cité et rangea soigneusement ses troupes. Près de quarante mille Romains sortirent de la ville, nombre qui ne cessait de croître, car il y avait beaucoup de monde à Rome.

 

Dans la bataille acharnée que se livrent Romains et Sicambres, Clétus tue les deux consuls et remporte la victoire - Les Romains se replient dans Rome, que Clétus assiège en vain - Le chef gaulois se retire en promettant de revenir avec plus de forces

 

[p. 131] [Batalhe] Atant soy corurent sus et commencharent I batalhe mult pesante et orible, car les Romans cressoient toudis ; et astoient bien IIII Romans toudis contre unc Sycambiens ; mains ils astoient fors et redobteis, et leur dus Cletus astoit si poissans que nuls ne duroit contre son espée, qui faisoit les Romans fortement esmayer. Mains chu ne les vault, car ilh y oit mains hommes reverseis et ochis, dont les chevals enfuyrent parmy les champs.

[p. 131] [Bataille] Les ennemis s'affrontèrent et se lancèrent dans une bataille dure et pénible, car les Romains étaient de plus en plus nombreux. Il y avait au moins quatre Romains pour un Sicambre. Mais les Sicambres étaient forts et redoutables, et leur duc Clétus était si puissant que nul ne résistait à son épée. Il causait beaucoup de tort aux Romains. Mais cela ne servit à rien : beaucoup de ses gens furent terrassés et tués, et leurs chevaux s'enfuirent dans les champs.

Mains les gens Cletus astoient mult travelhiiés, jasoiche qu'ilh fuissent virtueuses. En veriteit ilh eussent esteit desconfis, si ne fust li dus Cletus qui s'avisat d'onc mult beal fais d'arme, car ilh entrat en la plus espesse batalhe, en brochant radement son diestrier droit vers Gorgos et Nerva, les II consules ; si ferit Gorgos de son espée amont son hyame par teile virtut qu'ilh l'at fendut jusques en la poitrine.

Les hommes de Clétus étaient très éprouvés, malgré leur valeur. En vérité ils auraient été vaincus, si le duc Clétus n'avait pas réalisé un fait d'armes magnifique. Il pénétra au plus fort de la bataille, en éperonnant vivement son destrier droit sur Gorgus et Nerva. De son épée il frappa Gorgus sur le sommet de son heaume avec une telle force qu'il le pourfendit jusqu'à la poitrine.

Quant Nerva l'at veyut, se escriat ses gens, et ferit Cletus amont son hayme et le fausat, et le navrat en chair ; et Cletus, qui fut mult valhans, se tournat et ferit Nerva, si qu'ilh li trenchat son hyame et le coffre, et ly copat I orelh, puis l'aprochat et l'aherdit aux bras, et li mist son espée en fondement, si qu'il l'ochist.

Voyant cela, Nerva cria pour appeler ses hommes. Il frappa Clétus et endommagea le haut de son heaume, l'atteignant dans sa chair. Mais Clétus, très courageux, se retourna et frappa Nerva. Il lui fendit le heaume et la coiffe, lui coupa une oreille, puis, s'approchant de lui, il l'attrapa par les bras, lui enfonça son épée dans le fondement et le tua.

[p. 132] [Les Romans desconfis par les Sycambiens] Quant ly dus Cletus oit ochis lez II consules, si escriat ses gens : « Or y fereis, barons, à cheaux faux Romans ; car ilh sont vencuz, la journée est nostre. » Quant les barons l'ont entendut, si ont reprit hardileiche, et si sont ferus aux Romans, et si en ont tant ochis que li remanans est desconfis. Si s'enfuyrent, et les Sycambiens les cachent jusques à la porte de Romme. Là en fut tant ochis, que pou en escappat ; ilh en gisoit sour les champs XXIXm, et les altres rentrarent dedens Romme et cloirent leurs portes.

[p. 132] [Les Romains défaits par les Sicambres] Quand le duc Clétus eut tué les deux consuls, il cria à ses troupes : « Maintenant barons, frappez ces Romains déloyaux ; ils sont vaincus ; cette journée est la nôtre. » Quand les barons entendirent cela, ils retrouvèrent de l'audace, se confrontèrent aux Romains et en tuèrent tellement que les rescapés, battus, s'enfuirent, poursuivis par les Sicambres jusqu'à la porte de Rome. On tua tellement de gens que peu en réchappèrent : vingt-neuf mille morts gisaient dans les champs. Les autres rentrèrent à l'intérieur de la ville et fermèrent leurs portes.

[Le dus Cletus assege Romme] Adont ly dus Cletus fist tendre ses trefs, et assegat Romme, et le fist assalhir mult firement ; mains les Romans soy defendirent mult bien encontre, et quant li dus Cletus veit que la citeit astoit mult fort, et ilh avoit pou de gens, si poroit plus perdre que gangnier, si dest à ses gens qu'ilh en voloit ralleir, mains temprement revenroit à si grans gens que ilh destruiroit Romme, et si metteroit les Romans en tregut à luy à tousjours mays.

[Clétus assiège Rome] Alors le duc Clétus fit dresser ses tentes et assiégea Rome, lançant de très durs assauts. Mais en face, les Romains se défendirent vaillamment. Finalement quand Clétus vit que la cité était très fortifiée, que ses propres forces étaient peu nombreuses et qu'il avait plus à perdre qu'à gagner, il déclara à ses hommes qu'il allait repartir, mais reviendrait bientôt avec tant de monde qu'il détruirait Rome et qu'il ferait des Romains ses tributaires à jamais.

 

Digression concernant la suprématie de la Gaule et les rapports des Sicambres avec Rome jusqu'à César

 

[p. 132] Enssi disoit ly dus Cletus, qui puisdit acomplist en parties de ses parolles, non mie toutes ; car ilh destruite des terres apartinant aux Romans une grant partie, et les mist en sa subjection. Mains les Romans en la citeit de Romme ne pot-ilh onques conquesteir, jà soiche que les Romans n'eusent point de poioir encontre ly ; car ilh ne le gueroient mie, ains soy tenoient tous quois en leur citeit, sens fours yssir ; si lassèrent le duc Cletus convenir, ardre et conquere tout leur paiis.

[p. 132] Ainsi parlait Clétus, qui, dans la suite, ne réalisa qu'une partie seulement de ses promesses. Il dévasta en effet beaucoup de territoires appartenant aux Romains et les soumit. Mais il ne put jamais s'emparer de Rome. Les Romains ne tentaient rien contre lui. Ils ne lui faisaient pas la guerre mais se tenaient très calmement dans leur cité, sans en sortir. Ils laissaient le duc Clétus rassembler ses forces, incendier et conquérir tout leur pays.

Et quant Cletus fut mors, si maintenirent la guerre ses successeurs dus de Galle apres ly, et durarent ches Sycambiiens en teile orguelhe et virtut, regnant enssi en fortune par l'espause de cent XLI an, assavoir jusques al temps de Julin Cesaire, qui les remist en tregut plus grant que ilh n'eussent oncques esteit, enssi com vos oreis chi-apres.

Après la mort de Clétus, les ducs de Gaule qui lui succédèrent maintinrent l'état de guerre et les Sicambres conservèrent la même fierté et la même valeur. Ils eurent la chance de vivre ainsi pendant cent quarante et un ans, c'est-à-dire jusqu'à l'époque de Jules César, qui les soumit à nouveau à un tribut plus important que jamais, comme vous l'entendrez ci-après.

 


 

B. Franbal en combat singulier - Clétus et Franbal contre Rome [p. 132b-138a]

 

Vers l'an 401 de la transmigration = autour de 188 a.C.n.

 

Introduction [texte]

Suite de la Geste de Clétus et de Franbal, dont le résumé a été donné dans l'introduction précédente (p. 128). On voit ici l'élargissement du conflit. L'honnête Franbal, se jugeant offensé, défie les Romains en combat singulier. Et celui qui va l'affronter au nom de Rome et qui sera tué, est un certain Alexandre. C'est un sénateur romain, mais c'est aussi le fils du roi d'Athènes, successeur désigné de son père. L'affaire va petit à petit prendre plus d'ampleur et dégénérer. Franbal et ses hommes, retournant dans leur pays, tombent dans une embuscade dressée par les proches de l'Athénien tué. Mais ce n'est pas tout. Après une bataille meurtrière entre Romains et Latins, dans laquelle Franbal échappe de justesse à la mort, c'est l'embrasement. Les Gaulois de Clétus et les Latins de son beau-frère Franbal rassemblent leurs forces. Clétus, grâce à ses alliances, a même réuni une imposante armée de coalisés (Flandre, Bretagne et Bourgogne). La fin de l'épisode sera raconté dans la section suivante (p. 143ss).

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Sommaire

Clétus, retournant en Gaule, s'arrête chez son beau-frère Franbal, le roi des Latins, qu'il veut entraîner dans son conflit avec les Romains - Franbal refuse mais propose toutefois de servir de négociateur auprès des Romains

Brève digression : le premier roi de Hongrie (401 de la transmigration=188 a.C.n.)

L'honnête Franbal échoue dans sa tentative de concilation (401 de la transmigration=188 a.C.n.)

Franbal, accusé de trahison par les Romains, accepte, pour prouver son innocence, de se mesurer en combat singulier au seul personnage qu'il estime à sa hauteur, Alexandre, fils du roi d'Athènes - Les Latins mettent Clétus au courant de la situation

Au cours du premier combat singulier qui eut lieu en Europe, Franbal tue Alexandre

Franbal, tombé dans une embuscade tendue par les proches d'Alexandre, tue Pyrame, cousin d'Alexandre - Une bataille meurtrière oppose les Romains aux Latins de Franbal, qui est vaincu mais qui, contrairement à la plupart de ses chevaliers, échappe à la mort

Clétus, jurant de se venger des Romains, rassemble une imposante armée de coalisés (Flandre, Bretagne et Bourgogne) et arrive chez Franbal, qui, ayant lui aussi rassemblé des forces, l'accueille avec joie

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Clétus, retournant en Gaule, s'arrête chez son beau-frère Franbal, le roi des Latins, qu'il veut entraîner dans son conflit avec les Romains - Franbal refuse mais propose toutefois de servir de négociateur auprès des Romains

 

[p. 132] [Les Sycambiens soy retrayent vers Gal] Lendemain al matin se sont tous les Sycambiens apparelhiiés, et ont trosseit leurs harnois, et se soy misent à chemyn vers leurs paiis de Gal, mult manechant les Romans ; et vinrent passant parmy le terre de roy des Latins qui marchissoit aux Romans, et sejournarent là VIII jours deleis le roy Franbal son seroige, et deleis la royne Alexandrine sa soreur.

[p. 132] [Les Sicambres se retirent vers la Gaule] Le lendemain matin, tous les Sicambres se sont préparés. Ils ont repris leurs équipements et se sont mis en route vers leur pays de Gaule, lançant force menaces contre les Romains. Ils passèrent par le territoire des Latins, voisin de celui des Romains, où ils séjournèrent huit jours chez le roi Franbal, beau-frère de Clétus, et chez la reine Alexandrine, sa soeur.

Là soy plandit li dus Cletus mult fort à roy des Romans, et li priat qu'il li vosist aidier à chu qu'ilh fuissent destruis, el qu'ilh fust quitte del tregut de son pays. Quant ly roy entendit son seroge, se li at respondut que de la destruction des Romans [p. 133] ilh ne soy volloit point melleir, mains vollenlier tratieroit-ilh de pais, se ilh le poioit faire, awec la quittanche del tregut, et renvoiroit à Cletus chu qu'il auroit troveit aux Romans dedens II ans ; et que li dus Cletus n'envoiast point de tregut jusques à tant qu'ilh ly aroit renvoiet la response des Romans. A cel sentenche s'acordat bien ly dus Cletus, qui de là soy partit et en rallat en son pays.

Là, le duc Clétus se plaignit beaucoup des Romains et demanda au roi d'accepter de l'aider à les détruire, pour se débarrasser du tribut exigé de son pays. Quand il eut écouté son beau-frère, le roi Franbal lui répondit qu'il ne voulait pas intervenir [p. 133] dans la destruction des Romains, mais qu'il discuterait volontiers avec eux, s'il le pouvait, de la paix et de l'annulation du tribut. Dans les deux ans, il ferait savoir à Clétus ce qu'il aurait obtenu des Romains. Dans l'intervalle, que Clétus ne paie pas de tribut jusqu'au moment où il lui aura communiqué la réponse de Rome. Clétus fut d'accord sur cette formule. Il quitta le Latium et retourna dans son pays.

 

Brève digression : le premier roi de Hongrie (401 de la transmigration = 188 a.C.n.)

 

 [p. 133] [Le promirs roy de Hongrie] Item, l'an IIIIc et I, morut li amachour de Hongrie, qui avoit regneit derainement, et ostoit nommeis Sartago. Si fisent apres les barons I roy qui fut nomeis Ebronus, liqueis regnat XLV ans ; et fut li promirs roy qui fut en Hongrie.

 [p. 133] [Le premier roi de Hongrie] En l'an 401 [188 a.C.n.], le dernier amachour de Hongrie à avoir régné mourut ; il se nommait Sartago. Par après, les barons nommèrent un roi, appelé Ebronus, qui régna quarante-cinq ans ; il fut le premier roi de Hongrie.

 

L'honnête Franbal échoue dans sa tentative de concilation (401 de la transmigration = 188 a.C.n.)

 

[p. 133] [De roy Franbal des Latins] En cel temps meismes, chevalchat li roy Franbal des Latins à Romme ; si mist ensemble tous les senateurs et les consules, et leur dest la raison Cletus, son seronge, ensi qu'ilh est declereit desus, et leur donnat cleirement à entendre que s'ilh ne quittoient le tregut aux Sycambiens, qu'ilh perderoient plus asseis qu'ilh ne valhist.

[p. 133] [Le roi Franbal des Latins] Cette année-là, Franbal, le roi des Latins, se rendit à cheval à Rome. Il réunit tous les sénateurs et les consuls, et leur fit part des propositions de Clétus, son beau-frère, comme on l'a dit ci-dessus, leur laissant clairement entendre que s'ils ne dispensaient pas les Sicambres du tribut, ils perdraient au change beaucoup plus que cela ne valait.

Quant les Romans entendirent les grandes maneches que li roy des Latins leur faisait, por et en nom de duc Cletus, si respondirent enssi : « Sire roy latinois, portant que lidis dus Cletus est frere à madamme vostre femme, si nos asteis venus manechier en nostre palais meisme, dont vos ne faite mie bien, et n'est pais à prisier ; car se vos voleis vostre seroge aidier contre nous, vous nos deveis manechier de vos-meismes et nient des aultres desqueis nos astons tous manechiés, car ilh sont nos anemis ; si les greverons et les destruirons quant nous porons, et vos awec, se vos les voleis assisteir. »

Quand les Romains entendirent les lourdes menaces que le roi des Latins leur adressait au nom du duc Clétus, ils répondirent : « Sire roi latin, parce que le duc Clétus est le frère de madame votre épouse, vous êtes venu nous menacer dans notre palais même. Ce n'est pas bien de votre part et ce n'est pas acceptable. En effet, si vous voulez aider votre beau-frère contre nous, vous devez nous menacer en votre nom et non pas au nom de tous ceux qui nous menacent, car ils sont nos ennemis. Nous les accablerons et nous les détruirons, quand nous le pourrons, et vous avec eux, si vous voulez les aider. »

Quant li roy Franbal entendit ches parolles, si en fut mult enfraées, car ilh dobtoit mult les Romans ; si les respondit : « Saingnours, soiiés certains que je suy chi venus por mettre acorde et pais entre vos et cheaux de Galle, et por notifiier vostre grevanche où je le saroye, et por altre choise nient ; car se je ne fuisse, li dus Cletus euwist mandeit toutes ses gens et son paiis, et fust entreis à grant forche en vostre paiis et vos ewist tous destruis, se vos ne vos fussiés defendus. Vos saveis bien queile ilh est, et le pussanche de ses gens et de son paiis, et le grant sang dont ilh est desquendus. Porquen en remirant son poioir et son valeur, et enssi le seriment que j'ay à Romme, dont j'ay esteit senateur, je ewis volentiers rosteit le debat [p. 134] d'entre vos, se je posisse ; et veyeis chi la cause qui me muet à chi venir. Et puisqu'ilh ne vos agrée, je manderay à duc Cletus qu'ilh faiche chu qu'ilh li plaist, car je ne m'en velhe pas entremeleir ; dolans suy que tant en ay faite. »

En entendant ces paroles, le roi Franbal fut très effrayé, car il redoutait beaucoup les Romains. Il leur répondit : « Seigneurs, soyez assurés que je suis venu ici uniquement pour deux raisons : rétablir l'accord et la paix entre vous et les Gaulois et vous avertir du dommage que vous risqueriez de subir. Si je ne l'avais pas fait, le duc Clétus aurait rassemblé toutes les forces de son pays, pénétré dans le vôtre avec de nombreuses troupes et vous aurait complètement écrasés, si vous n'étiez pas défendus. Vous savez qui il est et vous connaissez la puissance de ses hommes et de son pays, ainsi que la noblesse du sang dont il est issu. Dès lors, considérant son pouvoir et sa valeur, ainsi que le serment qui me lie à Rome dont j'ai été sénateur, j'aurais souhaité arrêter le conflit [p. 134] entre vous, si c'était possible. Voilà la raison qui m'a poussé à venir ici. Comme cela ne vous agrée pas, je dirai au duc Clétus d'agir à sa guise. Je ne veux pas m'en mêler et regrette d'en avoir tant fait. »

 

Franbal, accusé de trahison par les Romains, accepte, pour prouver son innocence de se mesurer en combat singulier au seul personnage qu'il estime à sa hauteur, Alexandre, fils du roi d'Athènes - Les Latins mettent Clétus au courant de la situation

 

[p. 134] [Les Romans amettent le roy Franbal de trahison] Quant les Romans l'entendirent, se li dessent que chu astoit par trahison chu qu'ilh en faisoit ; mains ilh comparoit tout chu que les altres les avoient meffait, et s'ilh ne fust venus sicom messagier, ilh le penderoient. Adonc respondit li roy qu'ilh n'avoit en tout la citeit de Romme homme, ja fust si pussans, qui fut digne del combatre à luy ; et, s'il y avoit homme qui li vosist amettre de trahison ne de malvaisteit, que ilh ne le deust proveir par son corps seul contre cheli que ilh mentoit fausement, ains astoit sens coulpe de tot chu.

[p. 134] [Les Romains accusent le roi Franbal de trahison] Quand ils entendirent cela, les Romains dirent à Franbal que c'était une trahison ce qu'il faisait, qu'il incarnait tous les torts que les Gaulois leur avaient causés et que s'il n'était pas venu en tant que messager, ils l'auraient pendu. Franbal dit alors que jamais la cité de Rome n'avait compté d'homme assez puissant pour être digne de se mesurer à lui. Si quelqu'un voulait l'accuser de trahison ou de méchanceté, il se verrait obligé de prouver en combat singulier que c'était un mensonge déloyal et qu'il était totalement innocent.

A cest parolle que li roy des Latins respondit enssi, se vat leveir I des consules de Romme qui fut nomeis Aristo, lyqueis fut li fis Nerva le consule que li dus Cletus ochist devant Romme, sicom dit est ; chis salhit avant, et dest à roy que ilh feroit contre ly la batalhe ; mains ly roy le nommat tantost garchons, et qu'ilh n'astoit pas digne de son soleir à lachier. Quant chis l'entendit, si en fuit corochiés et soy retrahit arrier. Mains Astrobolus, ly fis Gorgos, qui astoit li altre consule, vient avant, et soy poroffrit de faire la batalhe ; mains ilh li dest qu'ilh n'estoit mie digne de son piet à deskachier, dont chis fut mult dolans.

Après la réponse du roi des Latins, un des consuls de Rome se leva. Il s'appelait Aristo et était le fils du consul Nerva, tué devant Rome par le duc Clétus, comme cela a été dit. Il s'avança et dit à Franbal qu'il se battrait contre lui. Mais le roi Franbal le traita aussitôt de valet, disant qu'il n'était pas digne de lacer sa chaussure. Quand Aristo entendit cela, il fut très en colère et se retira. Alors Astrobolus, le fils de Gorgus, l'autre consul, s'avança et proposa de se battre. Mais Franbal lui dit qu'il n'était pas digne de le déchausser, ce qui le blessa profondément.

[De Alixandre le fis Gardro] En apres, soy levarent les senateurs li uns apres l'autre, qui sont et astoient mult nobles personnes ; mains li roy Franbal en refusat LXXII, l'unc apres l'autre tous en ordre ; mains al derain soy levat en piés Alixandre, le fis Gardro ly roy d'Athenes, qui astoit senateur, et devoit apres son pere estre roy d'Athenes.

[Alexandre, le fils de Gardro] Après quoi les sénateurs, qui étaient et avaient toujours été des personnes très respectables se levèrent l'un après l'autre. Mais le roi Franbal en refusa successivement soixante-douze, dans l'ordre. Finalement Alexandre, le fils de Gardro, le roi d'Athènes se présenta : il était sénateur et l'héritier de son père comme roi d'Athènes.

A cheli sacordat ly roy Franbal, et l'affiat solonc leur loy. Et le champ loiiet, si fut ly jour nomeis à I mois de faire la batalhe ; et oit enconvent ly roy Franbal del revenir à Romme à jour nomeit. Et, chu fait, ly roy rechevalchat en son renghe, puis mandat ses hommes par tout son pays ; se leur comptat tout le fait, enssi com desus est compteit.

Le roi Franbal l'accepta comme adversaire et le défia selon les usages. Le terrain choisi, le jour de la bataille fut fixé à un mois et le roi Franbal convint de revenir à Rome au jour dit. Cela fait, le roi repartit sur sa monture vers son royaume, où il convoqua tous les gens de son pays. Il leur expliqua ce qui s'était passé, comme je l'ai raconté.

Quant ses barons l'entendirent, si en furent mult corochiés, de chu que les Romans li avoient fait et dit teil despit, et ont tout le fait mandeit al duc Cletus en Galle, que por luy ly roy avoit à souffrir teile injure.

Apprenant la chose, ses barons furent très irrités d'un tel outrage réservé et adressé à leur roi par les Romains. Ils expliquèrent aussi en détail au duc Clétus de Gaule quel affront leur roi Franbal avait dû subir à cause de lui.

 

Au cours du premier combat singulier qui eut lieu en Europe, Franbal tue Alexandre

 

[p. 135] Franbal, li roy des Latins, quant ly jour approchat, est chevalchiet vers Romme à Vc chevaliers por son honneur et son conselh à gardeir, et jà soiche que les Romans li ewissent faite teile despit, nient moins ilh avoit en la citeit grant partie des bons amis et des prochains ; maiement entre les VIxx senateurs ilh avoit des prochains asseis, et Alixandre meismes, qui devoit à li champir, astoit son cosin en droit terche.

[p. 135] Quand approcha le jour fixé, Franbal, le roi des Latins, chevaucha vers Rome avec cinq cent chevaliers, destinés à lui faire honneur et à lui servir de conseil. Bien que les Romains eussent causé au roi des Latins un grave outrage, celui-ci comptait dans la ville de nombreux amis proches et fidèles, surtout chez les cent vingt sénateurs : beaucoup étaient des parents très proches et Alexandre, son adversaire, était son cousin au troisième degré.

[Del feliciteit de bon cuer] Si astoit li roy Franbal uns des mies elinagiez et de plus grant nation qui fust en monde, et qu'en valroit le contredire, ilh oit plus grant partie à Romme des nobles et puissans, sicom consules et senateurs, qui à ly avoient esteit contrables qui overtement soy trahirent à sa partie, car ons dist que li bons cuer ne puet mentir, se che n'est contre sa volenteit et à son envis.

[Du bonheur d'avoir un bon coeur] Le roi Franbal appartenait aux plus hauts lignages de la plus grande nation du monde et, à quoi bon dire le contraire, il avait à Rome une partie fort importante de nobles et de puissants, comme des consuls et des sénateurs, qui, d'abord opposés à lui, étaient revenus ouvertement de son côté, car, dit-on, bon coeur ne peut mentir, si ce n'est contre sa volonté et son désir.

Quant la droit journée fut venuee, si furent les dois champions armeis mult richement, et furent mis dedens unc champ ; si oit li roy Franbal al entreir en champ plus grant siiet des hauls barons que ly roy Alixandre n'ewist, car tous ses amis astoient tourneis awec ly.

Quand le jour du combat fut arrivé, très richement armés, les deux champions prirent place dans un champ clos. Au moment de son entrée, le roi Franbal avait à sa suite plus de barons importants que le roi Alexandre, car tous ses amis étaient venus avec lui.

[Li promirs champs] Chis fut li promirs champs qui fut fait en Europ corps à corps. Et quant ilh furent en champ, si fisent les senateurs proclameir que nuls ne soy movist sour le haire jusques à tant que ly champs seroit fineis. Adont se vont tous acquosier ; et ly roy Franbal araisonnat de promier Alixandre, et ly dest : « Alixandre, que vues-tu dire sor moy et de moy aultre chouse que bien et honneur ? »

[Le premier champ clos] Ce fut le premier champ clos organisé en Europe pour un corps à corps. Quand les combattants furent en place, les sénateurs firent proclamer que nul ne vienne sur le terrain avant la fin du combat. Tout le monde alors fit silence. Le roi Franbal le premier s'adressa à Alexandre et lui dit : « Alexandre, que veux-tu dire d'autre sur moi et de moi que des choses bonnes et honorables ? »

Respont Alixandre : « Je dis et mentin-ge que tu es trahitre, et que por trahison as enorteit aux Galliiens qu'ilh nos vosissent destruire por eistre quitte de leur tregut, et nos as-tu à eaux vendut, et nos devons livreir dedens II ans, qui tost seiront passeis ; et tout chu je dis eistre vray, et le vorai-ge proveir de mon corps contre le tien. »

Alexandre répond : « Je dis et je maintiens que tu es un traître : tu as exhorté traîtreusement les Gaulois à tenter de nous détruire pour qu'ils soient libérés de leur tribut, tu nous as vendus à eux et nous devrons nous soumettre dans les deux ans, qui d'ailleurs seront bientôt passés. Je dis que tout cela est vrai, et je veux le prouver dans un corps à corps avec toi. »

« Alixandre, dist Franbal, tu ne fus oncques presens en lieu où je fesisse teile malvaisteit, et portant tu n'es mie sage del combatre à moy por les fauses parolles d'aultroy ; si t'en repenteras, quant tu ne poras ; car je dis de tout chu que tu as dit le contrable, et que tu mens et as mentit, et le toy feray encor desdire publement et overtement. »

« Alexandre, dit Franbal, tu ne t'es jamais trouvé dans un endroit où j'aurais si mal agi. Tu n'es donc pas sage de te battre contre moi sur base de mensonges proférés par d'autres. Tu t'en repentiras quand ce sera trop tard. Moi, je prétends le contraire de ce que tu as dit, je dis que tu mens et as menti, et je te forcerai à te dédire publiquement et ouvertement. »

[p. 136] A ches parolles ont brochiet ambdois en deffiant li unc l'autre, lanche bassie ; se soy sont encontreis et asseneis sour leurs escus par teile manire et teile virtut que ilhs les ont ambdois fendus et traweis, et les habiers rompus et desquiriés, et leurs corps ambdois sovineis sour le culs des chevals sens faire altre grevanche. Chu fait, ilh ont sachiet leurs espées et se sont requis mult aigrement ly I l'atre.

[p. 136] Sur ces paroles, tous deux éperonnèrent leurs chevaux, se défiant mutuellement, lance baissée ; ils se rencontrèrent et se frappèrent avec une telle force que leurs deux écus furent fendus et percés, que leurs cottes de mailles furent abîmées et déchirées et qu'ils furent tous deux soulevés du dos de leur cheval, mais sans autre dommage. Cela fait, ils tirèrent leurs épées et luttèrent avec beaucoup d'ardeur.

 Si vos diray le gros de la batalhe, sens racompteir tous les coulps qui furent là donneis et recheus. Ly roy Franbal assenat le promier colp d'espée Alixandre sour son hyame, si qu'ilh ly at fauseit, et le navrat I pau en chair ; et Alixandre le rassenat enssi amont son hyame, si qu'ilh le trenchat jusqu'en la coeffre, mains ilh ne fut mie en chair.

 Je vous raconterai le gros de la bataille, sans évoquer tous les coups qui furent échangés. Le roi Franbal asséna le premier coup d'épée sur le heaume d'Alexandre : il l'endommagea et blessa légèrement sa chair. Alexandre lui rendit un coup sur son heaume qu'il trancha jusqu'à sa coiffe, mais sans atteindre la chair.

Et apres chu ly unc lanche à l'autre plus de cent colps jusqu'en chair bien sovent, et teilement qu'ilh sangnoient mult fort par les plaies dont ilh en avoient à planteit ; tant que entres les aultres avient, quant ilh oirent asseis esquermit, que ilhs desquendirent de leur volenteit de leurs dois diestrirs à piet, et soy assalhirent mult firement. Et trove-ons en l'escripture que lesdis dois chevaliers astoient mult pussans ; mains Alixandre astoit plus poissans por la jovente qui li donnoit et faisoit grant avantaige, et astoit plus grans et plus membrus ; mains li drois astoit à roy Franbal, qui astoit li plus hardis de monde, et astoit bien fais et bien tourneis, mains deliés astoit.

Après cela, ils se lancèrent mutuellement plus de cent coups, bien souvent jusqu'à la chair, au point qu'ils saignaient très fort tant leurs plaies étaient nombreuses. Finalement, après d'autres échanges et après avoir longtemps ferraillé, ils descendirent de leurs destriers et s'affrontèrent très violemment à pied. On trouve dans le texte que les deux chevaliers étaient très forts. Toutefois Alexandre l'emportait par la jeunesse, ce qui lui donnait un grand avantage ; il était aussi plus grand et plus membré. Mais le droit était du côté de Franbal, qui était le plus audacieux du monde, qui était bien fait et de belle tournure, mais délicat.

Or avient que Alixandre li donnat I coulp si grant qu'ilh ly talhat le hyame et le coefre de halbert, et li prist de la chair et des cheveals ; puis dest à Franbal : « Ilh toy seroit plus bel de cognostre la grant trahison que tu as porcachiet, que del morir chi mechamment ; car ilh toy convenrat maintenant morir. »

À un moment, Alexandre lui donna un coup si puissant qu'il fendit son heaume et la coiffe de son haubert, lui arrachant de la chair et des cheveux. Alexandre dit alors à Franbal : « Mieux vaudrait pour toi reconnaître la grande trahison que tu as accomplie plutôt que mourir ici misérablement ; car maintenant il te faudra mourir. »

[Alixandre fut ochis] Quant Franbal entent Alixandre, se le court sus, et li donnat I colp de l'espée à dois mains, et mist tout en aventure par teile virtut, qu'ilh li trenchat le chief desus les espalles et le lanchat plus de XL pies long. Adont fut grant ly huée et li cris de tout pars.

[Alexandre est tué] Quand Franbal entendit Alexandre, il fonça sur lui et des deux mains le frappa de son épée, avec tant d'énergie qu'il lui trancha la tête au-dessus des épaules et la projeta à plus de quarante pieds. Alors de tous côtés montèrent une grande clameur et de grands cris.

 

Franbal, tombé dans une embuscade tendue par les proches d'Alexandre, tue Pyrame, cousin d'Alexandre - Une bataille meurtrière oppose les Romains aux Latins de Franbal, qui est vaincu mais qui, contrairement à la plupart de ses chevaliers, échappe à la mort

 

[p. 136] [Les parens Alixandre agaitient le roy Franbal] Et les parens Alixandre s'encorurent fours de Romme mult honteusement, et jurarent la mort le Franbal al ralleir en son paiis. Ches astoient bien IIm, tant por parage com por priier, qui de Romme sont yssus, pour agaitier le roy Franbal et les barons qu'ilh avoit ameneit.

[p. 136] [Les parents d'Alexandre dressent une embuscade contre le roi Franbal] Les parents d'Alexandre, en proie à la honte, sortirent de Rome et jurèrent de tuer Franbal lorsqu'il retournerait dans son pays. Ils étaient au moins deux mille, parents ou invités, à être sortis de Rome pour tendre une embuscade au roi Franbal et aux barons de son escorte.

Apres le camps [p. 137] est Franbal issus de champ par le congiet des senateurs, jasoiche qu'ilh en ewist pluseurs qui vosissent qu'ilh fut pendus. Apres soy desarmat, et at tout osteis les armes del champs, et se soy armat d'aultres armes, et ses barons enssi, et issit fours de Romme, et soy mist al chemien awec Vc chevaliers qu'ilh avoit ameneit, sens les escuwiers ; car ilh dobtoit fortement le lynage Alixandre d'Athenes, que ilh avoit conquis et ochis. Mains de tout chu se soy devoit dobteir, car ilh li donront tant à faire temprement que chu sierat pieteit et demaige.

Après le combat [p. 137] Franbal était sorti du champ clos avec l'accord des sénateurs, même si plusieurs d'entre eux auraient voulu le faire pendre. Il avait quitté son armure, avait enlevé toutes les armes qui avaient servi au combat et en avait repris d'autres, comme l'avaient fait aussi ses barons. Puis il était sorti de Rome et avait pris la route avec ses cinq cents chevaliers, sans compter leurs écuyers. Il redoutait beaucoup les parents d'Alexandre d'Athènes, qu'il avait vaincu et tué. Et sa crainte était fondée, car bientôt ils lui causeront tant de mal qu'on en éprouvera pitié et regret.

 Ilh en alloient parmy les plains champs de Cosdre, costoient unc bosquet où les parens Alixandre astoient enbussiet. Atant est venus Piramus d'Athenes, cusin germain Alixandre à lanche bassie fort esporenant, et criant aux murdrers qui avoient son cusin murdrit. Ly roy Franbal l'entendit et voit chu ; si escrie ses hommes : « Saingnours, defendeis-vos, nos summes agaitiés. »

Ils s'en allaient à travers les champs de Cosdre, longeant un petit bois où étaient embusqués les parents d'Alexandre. C'est alors que surgit Pyrame d'Athènes, cousin germain d'Alexandre, lance baissée, éperonnant sa monture et s'adressant en hurlant aux meurtriers qui avaient tué son cousin. Le roi Franbal l'entendit et, voyant cela, cria à ses hommes : « Seigneurs, défendez-vous, nous sommes tombés dans une embuscade. »

Atant at brochiet vers Piramus et chis vers luy, et se sont si bien asseneis sour leurs escus, que ilh les ont ambdois perchiet ; mains Piramus brisat sa lanche, et ly roy li lanchat sa lanche parmy le corps et l'ochist.

Il fonça alors sur Pyrame, et Pyrame sur lui. Ils assénèrent tant de coups sur leurs écus qu'ils les transpercèrent tous les deux ; mais Pyrame brisa sa lance, tandis que le roi lui lança la sienne à travers le corps et le tua.

Quant les II milhirs qui astoient enbussiet veirent la perdre, ilh corurent sus les gens le roy Franbal, qui mult bien soy defendirent sicom chevaliers eslis ; car ilh avoit ameneit awec luy les miedres chevaliers qu'ilh pot troveir entre IIIm qu'ilh en avoit en son rengne, les melheurs de monde, et tant finablement ilh fut ochis XIIIIc Romans ; et encor dont furent les Latins, qui lasseis astoient, en la fin desconfis et ochis jusques à XXXIII, qui enfuirent et qui emynont leur roy oultre son volonteit.

 Quand les deux mille hommes embusqués virent cette mort, ils foncèrent sur les hommes du roi Franbal, qui se défendirent vigoureusement, en chevaliers d'élite qu'ils étaient. Franbal en effet avait amené avec lui les meilleurs qu'il put trouver parmi les trois mille chevaliers de son royaume. C'étaient les meilleurs du monde et ils tuèrent en tout quatorze cents Romains. Mais malgré cela, les Latins, épuisés, furent finalement défaits et tués, sauf trente-trois d'entre eux, qui prirent la fuite emmenant leur roi contre sa volonté.

[Le roy Franbal desconfis] Enssi fut desconfis li roy Franbal, et les Romans qui avoient la victoire quidarent avoir ochis le roy Franbal ; si ne plandoient mie la perdre qu'ilh avoient recheue, et s'en rallont atout VIlc qu'ilh en astoit demoreit, en jurant qu'à cel esteit prochain ilhs iront tout conquere la terre des Latins. Mains ilh ne sevent mie la doleur et pessanche que ly dus Cletus de Gal leurs ferat, par cuy ocquison tout chu at esteit commenchiet, qui [p. 138] les donrat tant à faire qu'ilh n'en orent onques tant.

[Le roi Franbal défait] Ainsi le roi Franbal fut défait et les Romains, victorieux, crurent même l'avoir tué. lls ne pleurèrent pas leurs pertes et s'en retournèrent avec les sept cents hommes qui leur restaient, jurant qu'à l'été prochain, ils iraient conquérir tout le territoire des Latins. Mais ils ignoraient les douleurs et les peines que leur causerait le duc Clétus de Gaule, par qui toute l'affaire avait commencé et qui [p. 138] allait leur donner plus de mal que cela n'avait jamais été le cas précédemment.

 

Clétus, jurant de se venger des Romains, rassemble une imposante armée de coalisés (Flandre, Bretagne et Bourgogne) et arrive chez les Latins, où Franbal, qui a aussi rassemblé des forces, l'accueille avec joie

 

[p. 138] [Des messagiers envoiet al dus Cletus de Galle] Si at tantost li roy Franbal pris II nobles prinches, si les at envoiet en Galle al duc Cletos, et les at chargiet lettres enqueils ilh at escript tout l'affaire comment ilh at aleit puis qu'ilh soy partit de ly, enssi com nos avons deviseit.

[p. 138] [Des messagers envoyés au duc Clétus de Gaule] Immédiatement le roi Franbal choisit deux nobles princes, qu'il envoya en Gaule au duc Clétus, chargés de lettres où il retraçait toute l'affaire qui s'était déroulée après son départ, comme nous vous l'avons racontée.

Les messagiers s'en vont, et ont tant chemineit qu'ilh sont venus à Lutesse et ont troveit le duc Cletus ; se li ont presenteit les lettres, et ilh les prist, se brisat les seials et les lisit mult diligemment ; mains, quant ilh voit le fait enssi qu'ilh at aleit, si fut tout espris de felonie, et par especial de chu que les Romans, apres le champt outreit, avoient agaitiet Franbal et ses barons ochis.

Les messagers cheminèrent jusqu'à Lutèce, où ils rencontrèrent le duc Clétus à qui ils présentèrent leurs lettres. Clétus les prit, les décacheta et les lut très attentivement. En apprenant comment les choses s'étaient déroulées, il fut tout enflammé par la félonie des Romains, et spécialement par le fait que, après le duel, les Romains avaient dressé une embuscade à Franbal et tué ses barons.

Adont at jureit ses dieux March, Jupiter et Venus que ilh n'aresterat, ne esteit ne yver, si arat destruis cheaux qui teile despit ont fait à son seronge, et al ocquison de ly. Et at rechargiet aux messagiers qu'ilh dient al roy qu'ilh assemble toutes ses gens, car ilh s'en yrat tantost à oust banist, por aleir sour les Romans et eaux et tous ses altres anemys destruire.

Alors il jura, au nom de ses dieux Mars, Jupiter et Vénus, qu'il n'aurait de cesse, ni été ni hiver, d'anéantir les auteurs d'un tel outrage fait à son beau-frère, à cause de lui. Et à son tour, en recourant aux mêmes messagers, il fit dire au roi Franbal de rassembler ses troupes, car il partirait bientôt, avec une armée convoquée par le ban, pour anéantir les Romains et ses autres ennemis.

Atant ont pris les messagiers congiet, et se sont partis ; et li dus Cletus at mandeit tous ses hommes partout. Ilh mandat Lidryonel, le comte de Flandre et le comte de Bretangne, le duc de Borgongne et tant d'aultres, qu'ilh assemblat bien Cm hommes, qui tous se misent al chemien ; et se n'arestarent, se vinrent à Gasdre la citeit plus principaul del rengne le roy Franbal qui ja avoit, à la relation des messagiers, mandeit tous ses hommes ; et fist le duc Cletus mult grant fieste.

Les messagers prirent congé et repartirent. Le duc Clétus convoqua tous ses hommes, de partout. Il convoqua Lidrionel, le comte de Flandre, et le comte de Bretagne, le duc de Bourgogne et bien d'autres, rassemblant au moins cent mille hommes, qui tous se mirent en route. Sans s'arrêter, ils arrivèrent à Gasdre, la plus importante cité du royaume du roi Franbal, qui avait déjà, suite au rapport des messagers, convoqué tous ses hommes. On fit alors une très grande fête au duc Clétus.

Grant fieste fait Franbal à Cletus et à ses gens, et soy plandit à luy des Romans, et li comptat tout le fait, enssi com vos aveis oiit par-desus. Et li dus Cletus li respondit qu'ilh en prenderoit teile venganche, qu'ilh en sieroit parleit milh ans apres sa mort ; et chu ly jurat sour ses dieux Jupiter et Venus, car ilh astoient tous Sarasiens, et Machomes, en cuy les Sarasiens creirent apres, n'astoit encors neis, et ne fut là apres dedens VIIIc ans, dont je parolle maintenant.

Franbal fêta de façon grandiose Clétus et ses troupes. Il se plaignit à lui des Romains et lui raconta tous les événements que vous avez entendus ci-dessus. Clétus lui répondit qu'il se vengerait d'une façon telle qu'on en parlerait encore mille ans après sa mort ; et il le jura sur ses dieux Jupiter et Vénus. En effet tous étaient Sarrasins [=païens]. Mahomet, en qui crurent dans la suite les Sarrasins, n'était pas encore né : il ne vécut que huit cents ans après la période dont je parle maintenant.

 

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