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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


 

TACITE

Origine et territoire des Germains, dit La Germanie

(XXVIII-XXXIII)

 

 

Traduction nouvelle avec notes de Danielle De Clercq, Bruxelles, 2003

 


 [I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X] [XI] [XII] [XIII] [XIV] [XV] [XVI] [XVII] [XVIII]

[XIX] [XX] [XXI] [XXII] [XXIII] [XXIV] [XXV] [XXVI] [XXVII] [XXVIII] [XXIX] [XXX]

[XXXI] [XXXII] [XXXIII] [XXXIV] [XXXV] [XXXVI] [XXXVII]

[XXXVIII] [XXXIX] [XL] [XLI] [XLII] [XLIII] [XLIV] [XLV] [XLVI]

 

 

Plan

 

Introduction

Traduction et notes

Première partie:

Comment peut-on être Germain? (I-IV)

Vivre en Germanie (V-VIII) (IX-XV) (XVI-XIX) (XX-XXIV) (XXV-XXVII)

Deuxième partie:

Particularismes de peuples germaniques (XXVIII-XXXIII) (XXXIV-XXXVII) (XXXVIII-XLII) (XLIII-XLVI)

Cartes

Benario (1999)

Goelzer (1917)

Grane (2003)

Perret (1949)

Rives (1999)

 


Particularismes de peuples germaniques

 

MIGRATIONS

(XXVIII 1). La Gaule était autrefois une assez grande puissance, à en croire le Divin Jules, qui est notre source la plus autorisée. Que des Gaulois aient, eux aussi, franchi le Rhin pour gagner la Germanie n'en est que plus crédible. Le courant d'un fleuve n'empêchait guère un peuple sûr de sa force de s'installer dans de nouveaux territoires qui s'offraient alors à tous, sans être divisés par l'emprise d'aucun royaume. (XXVIII 2). Ainsi les Helvètes s'établirent entre la forêt Hercynienne, le Rhin et le Main, tandis que les Boiens se fixaient encore plus à l'intérieur. Ce sont deux peuples gaulois. Le nom de Bohème subsiste encore, qui évoque d'antiques souvenirs liés à ce lieu, même si les occupants en ont changé.

(XXVIII 3). Mais les Aravisques ont-ils émigré en Pannonie sous la pression des Oses, ou bien les Oses en Germanie sous la pression des Aravisques? Or ils ont, encore aujourd'hui, mêmes langue, institutions et mode de vie! On n'en sait rien, car ceux qui vivaient jadis sur chaque rive, en étant tout aussi pauvres et tout aussi libres, y trouvaient les mêmes avantages et les mêmes maux.

(XXVIII 4). Les Trévires et les Nerviens revendiquent leur origine germanique et sont bien fiers de ce sang glorieux qui empêche de les confondre avec d'apathiques Gaulois. Quant à la rive même du Rhin, elle est évidemment occupée par des tribus germaniques tels les Vangions, Triboces et autres Némètes. Même les Ubiens, qui ont mérité d'être une colonie romaine et se font plus volontiers appeler Agrippiniens, du nom de son fondateur, ne rougissent pas de leur origine. Ils ont émigré autrefois et, en reconnaissance de leur loyauté, ont été installés sur la rive même du Rhin, pour nous servir de barrière, non pour être surveillés.

 

OUEST DE LA GERMANIE

Bataves et Mattiaques

(XXIX 1). Premiers de tous ces peuples pour leur bravoure, les Bataves occupent une modeste partie de la rive, mais surtout une île du Rhin. Leur tribu se rattachait autrefois aux Chattes. À la suite d'un soulèvement interne, ils vinrent s'établir à cet endroit où ils devaient un jour être inclus dans l'Empire Romain. Leur statut privilégié, toujours en vigueur, leur vient d'une alliance de longue date. Ils ne subissent pas l'humiliation de verser des tributs et le publicain ne vient pas les pressurer. Exemptés de charges et d'impôts, et réservés au seul usage des combats, ils restent, telles des armes offensives et défensives, en attente de nos guerres.

(XXIX 2). Les Mattiaques observent la même déférence car la grandeur du peuple romain a imposé le respect de son empire au-delà du Rhin et au-delà de ses frontières fixées de longue date. Tout en étant établis dans un territoire situé sur leur propre rive, les Mattiaques sont d'esprit et de coeur avec nous. Ils ressemblent tout à fait aux Bataves, mais le sol et le ciel de leur région contribuent à rendre leur tempérament encore plus ardent.

Population des Champs Décumates

(XXIX 3). Même s'ils se sont fixés entre le Rhin et le Danube, je ne mentionnerai pas au nombre des peuples de Germanie, ceux qui exploitent les Champs Décumates. Enhardis par leur manque de ressources, ce sont de tous les Gaulois les moins intéressants qui ont occupé ce sol à titre précaire. Englobés par la suite dans le tracé de la route frontière où s'établirent des postes plus avancés de nos garnisons, ils sont considérés comme une protubérance de l'Empire et une partie de la province.

Chattes

(XXX 1). Au-delà des Mattiaques, on découvre, du côté de la Forêt Hercynienne, les premiers établissements des Chattes. Ceux-ci ne vivent pas dans des lieux aussi vastes et marécageux que les autres tribus disséminées en Germanie. Les collines se prolongent sans interruption pour peu à peu se raréfier et la Forêt Hercynienne escorte ses Chattes tout en les protégeant.

(XXX 2). Leurs corps sont plus résistants, leurs membres tout en muscles, leurs visages menaçants, leur énergie plus intense. Ils se montrent, à l'aune du contexte germanique, très sensés et ingénieux quand il leur faut se choisir des chefs, accepter leur autorité, connaître sa place au combat, saisir les occasions, différer une attaque, régler l'emploi d'une journée, se protéger la nuit. Ils savent reconnaître la chance comme précaire et le courage comme une valeur sûre. Enfin, ce qui est très rare et ne caractérise que la discipline romaine, ils se fient davantage au chef qu'à l'armée.

(XXX 3). Toute leur force réside dans leurs fantassins, qu'ils chargent, en plus de leurs armes, d'outils et de nourriture. S'agit-il simplement de livrer bataille, les Chattes, à la différence d'autres peuples, ont l'air de partir en guerre. Leurs attaques sont rares et leurs engagements occasionnels. La cavalerie peut, comme on sait, remporter rapidement une victoire, mais reculer tout aussi vite, la rapidité allant de pair avec la crainte. La temporisation est plus compatible avec une détermination inébranlable.

(XXXI 1). Les Chattes s'accordent sur une pratique rare auprès d'autres peuples germaniques, où elle se limite aux plus audacieux des guerriers. Dès la puberté, ils laissent croître cheveux et barbe. Ils doivent avoir tué un ennemi pour renoncer à cet aspect et être déliés de ce voeu qui les contraint à la bravoure. Ils dégagent leurs visages sur le sang des dépouilles. Ce n'est qu'alors, disent-ils, qu'ils ont mérité de naître et sont dignes de leurs patrie et famille. (XXXI 2). Ainsi les lâches et les poltrons demeurent-ils hirsutes.

De plus, les plus braves portent tous un anneau de fer, ce qui est signe de déshonneur pour ce peuple. C'est une sorte de lien, dont seul les libère le massacre d'un ennemi. Les Chattes, dans leur grande majorité, adoptent ce comportement. Ils vieillissent avec ces signes distinctifs aussi visibles pour leurs ennemis que leurs proches.

(XXXI 3). C'est à eux que revient d'entamer toutes les batailles. Ils forment toujours cette première ligne dont l'aspect déconcerte. Même dans la paix ils ne s'apprivoisent pas ni ne montrent de visages plus amènes. Aucun d'eux ne possède ni maison ni champ, ni n'exerce de charge. Partout où ils se présentent, ils se font nourrir. Prodigues du bien d'autrui, ils traitent le leur par le mépris, jusqu'à ce que la débilitante vieillesse les rende incapables d'une si intransigeante bravoure.

Usipiens et Tenctères

XXXII. Tout près des Chattes, là où le Rhin s'élargit et peut faire frontière, vivent les Usipiens et les Tenctères. Ces Tenctères rehaussent un prestige guerrier auquel on peut s'attendre par leur maîtrise de l'équitation. La gloire de l'infanterie chez les Chattes ne l'emporte pas sur celle de la cavalerie pour les Tenctères. C'est une tradition ancestrale que sauvegardent les nouvelles générations. L'équitation est pour les enfants un jeu, elle pousse les jeunes gens à l'émulation et les vieillards ne l'abandonnent pas de si tôt.

On hérite des chevaux, comme des esclaves et du domicile, suivant des droits de succession. Mais le fils qui les reçoit n'est pas forcément l'aîné, comme pour les autres biens, mais le plus combatif et le plus vaillant à la guerre.

Discorde entre peuples germaniques et intérêt de l'Empire

(XXXIII 1). Les Tenctères avaient auparavant pour voisins les Bructères. Actuellement, à ce qu'on dit, les Chamaves et les Angrivariens ont émigré dans le territoire des Bructères, qu'une coalition des peuples limitrophes a délogés et pratiquement exterminés. Est-ce en raison de la haine qu'inspirait leur orgueil? Ou par l'attrait de butin? S'agit-il de ce que j'appellerais la faveur des dieux à notre égard? Ceux-ci ne nous ont certes pas privés du spectacle de la bataille. Plus de soixante mille hommes tombèrent, non pas sous le choc des armes romaines, mais, ce qui est plus grandiose, pour combler de plaisir nos regards.

(XXXIII 2). De grâce, que persiste, que s'enracine en ces peuples, sinon leur attachement pour nous, du moins et surtout leur haine mutuelle, car, lorsque l'empire éprouve des pressions liées à son destin, la plus grande chance qui puisse s'offrir à lui, est la discorde de ses ennemis.


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