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TACITE

Origine et territoire des Germains, dit La Germanie

(IX-XV)

 

 

Traduction nouvelle avec notes de Danielle De Clercq, Bruxelles, 2003

 


 [I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X] [XI] [XII] [XIII] [XIV] [XV] [XVI] [XVII] [XVIII]

[XIX] [XX] [XXI] [XXII] [XXIII] [XXIV] [XXV] [XXVI] [XXVII] [XXVIII] [XXIX] [XXX]

[XXXI] [XXXII] [XXXIII] [XXXIV] [XXXV] [XXXVI] [XXXVII]

[XXXVIII] [XXXIX] [XL] [XLI] [XLII] [XLIII] [XLIV] [XLV] [XLVI]

 

 

Plan

 

Introduction

Traduction et notes

Première partie:

Comment peut-on être Germain? (I-IV)

Vivre en Germanie (V-VIII) (IX-XV) (XVI-XIX) (XX-XXIV) (XXV-XXVII)

Deuxième partie:

Particularismes de peuples germaniques (XXVIII-XXXIII) (XXXIV-XXXVII) (XXXVIII-XLII) (XLIII-XLVI)

Cartes

Benario (1999)

Goelzer (1917)

Grane (2003)

Perret (1949)

Rives (1999)

 


Pratiques religieuses

Dieux et cultes

(IX 1). Mais parlons de leurs dieux. C'est Mercure qu'ils vénèrent le plus. Pour se le concilier, ils vont jusqu'à lui sacrifier certains jours des êtres humains et trouvent cela conforme aux lois divines. Quant à Hercule et Mars, ils les apaisent en leur offrant les animaux requis pour ce rite. Une partie des Suèves sacrifie aussi à Isis. Sur la raison d'être et l'origine de cette pratique religieuse venue d'ailleurs, je n'ai pas appris grand-chose, sauf ceci : l'emblème de la divinité, une liburne, prouve de lui-même qu'il s'agit d'un culte importé.

(IX 2). D'autre part, conscients de la majesté des dieux, les Germains ne conçoivent pas de les emprisonner dans des murs ni de les représenter à l'image de l'homme. Ils leur consacrent des bois et des bosquets et donnent des noms de divinités à ce mystère, que seul leur sens religieux leur fait voir.

Divination

(X 1). Ils manifestent le plus grand respect envers les auspices et les oracles. Voici leur procédé oraculaire, tout simple d'ailleurs. On coupe une petite branche d'un arbre fruitier, on la dépouille de ses rejetons, que certains signes permettront de reconnaître, et on les éparpille au hasard sur un tissu blanc. Alors, un prêtre de l'État, en cas de consultation officielle, ou un chef de famille, si c'est une affaire privée, invoque les dieux et, tout en fixant le ciel, soulève trois rejetons un à un. Après quoi, en fonction du signe que ceux-ci ont reçu auparavant, l'officiant livre son interprétation. S'il y a interdiction, il n'y aura plus d'autre consultation sur la même question au cours de la même journée. Si, au contraire, la permission est accordée, la fiabilité du présage sera encore éprouvée.

(X 2). On recourt aussi à l'observation, bien connue chez nous, des cris et du vol des oiseaux. Une forme de divination propre à ce peuple consiste à voir des présages et avertissements divins dans le comportement de certains chevaux. Nourris aux frais de la collectivité dans ces mêmes bois et bosquets sacrés, ceux-ci ne portent sur leur robe blanche aucune empreinte des tâches imposées par l'homme. Après les avoir attelés, un prêtre et le roi, ou un chef, de l'État montent sur le char sacré et prennent en compte leurs hennissements et réactions. Aucune prédiction n'est plus crédible, non seulement aux yeux de la plèbe, mais encore des nobles, des prêtres aussi. Ces derniers ne se considèrent que comme de simples exécutants des dieux, dont ces chevaux ont une connaissance intime.

(X 3). On sollicite aussi d'autres présages pour connaître l'aboutissement de grands conflits. Ainsi on capture, - peu importe comment -, un ressortissant du peuple contre lequel on guerroie, et on le met aux prises avec un combattant choisi dans la communauté, chacun luttant avec ses armes traditionnelles. La victoire de l'un ou de l'autre pronostique l'issue des hostilités.

 

Vie politique

Décisions

(XI 1). Les chefs ne prennent en charge que les questions mineures. Les plus importantes sont du ressort de la collectivité, mais celles-là mêmes qui relèvent d'une décision de la plèbe sont en fait soumises préalablement à ces chefs. Les assemblées ont lieu, sauf si par hasard un événement inattendu se produit, certains jours à la nouvelle ou à la pleine lune. Les Germains y voient en effet le moment le plus favorable pour prendre des initiatives. Contrairement à notre usage, ils ne comptent pas en nombre de jours mais de nuits. Ainsi, ils organisent leurs assemblées et prennent date en se fondant sur l'idée que la nuit précède le jour. Leur sens de la liberté prend un tour négatif, car les participants n'arrivent pas tous au même moment ni comme sur ordre, mais on perd un deuxième jour et encore un troisième à les attendre.

(XI 2). Lorsque la foule le veut bien, elle s'assoit tout armée. Le silence est imposé par les prêtres, qui ont aussi à ce moment-là le droit de sévir. Puis, tour à tour, le roi ou les chefs prennent la parole en fonction de leur âge ou de leur notoriété ou de leur valeur guerrière ou encore de leur éloquence. Ils jouent de leur influence et de persuasion plutôt que de donner des ordres, comme ils en ont le pouvoir. Si on désapprouve une proposition, on la repousse avec des huées. Si on l'approuve, on agite les framées. Un assentiment exprimé par les armes vaut le meilleur des applaudissements.

Justice et répression

(XII 1). On peut aussi porter devant l'assemblée une accusation et prononcer la peine capitale. La répression varie en fonction du délit. On pend aux arbres traîtres et transfuges. On couvre d'une claie ceux qui, tout en étant lâches et inaptes à se battre, déshonorent leur corps, et on les noie dans la fange d'un marais. Cette différence de supplices vise à la fois à attirer l'attention sur les comportements criminels par leur châtiment, et à soustraire à la vue ceux qui sont ignominieux. (XII 2). Les auteurs de délits de moindre importance encourent des peines en rapport avec ceux-ci. Ils sont mis à l'amende d'un nombre de chevaux ou de têtes de bétail. Une partie de l'amende est due au roi ou à la tribu, le reste à celui qui est vengé ou à ses proches.

(XII 3). Sont élus au cours de ces mêmes assemblées les dignitaires qui rendent la justice dans les cantons et les villages. Chacun d'eux est entouré d'une centaine de compagnons issus de la plèbe qui l'assistent et confortent ses jugements.

 

Vie militaire

Accès des jeunes au port d'armes

(XIII 1). Il n'y a aucune activité ni officielle ni privée que les Germains n'accomplissent armés. Il n'est toutefois pas question que quiconque porte les armes avant que l'État ne l'en ait jugé capable. C'est alors seulement qu'au cours même de l'assemblée, l'un des chefs ou son père ou un proche pare le jeune homme du bouclier et de la framée. Ce qui correspond là-bas à la prise de la toge, est la première reconnaissance rendue aux jeunes. Auparavant on considère qu'ils sont membres d'une famille, désormais ils le sont de la nation.

Prestige du chef de guerre et de son escorte

(XIII 2). Même de tout jeunes hommes, grâce à leurs quartiers de haute noblesse ou encore aux grands mérites de leurs pères, s'attirent la faveur d'un chef. Ils s'intègrent à d'autres guerriers physiquement plus forts qui, depuis longtemps déjà, ont donné leurs preuves, et ils ne manquent pas d'aplomb pour se faire remarquer au sein de l'escorte. Bien plus, faire partie d'une escorte implique une hiérarchie laissée à l'appréciation de celui qu'on suit partout. Quelle compétition entre ces compagnons pour occuper la première place auprès de leur chef, mais aussi entre les chefs pour qui aura l'escorte la plus fournie et la plus combattive!

(XIII 3). Ce qui donne du prestige, ce qui rend fort, c'est d'être massivement entouré d'une élite de jeunes hommes. En temps de paix c'est un honneur, en temps de guerre une protection. Pour chaque chef, au sein de son propre peuple certes, mais aussi auprès des États voisins, il y va de sa réputation, il y va de sa gloire de se distinguer par l'importance et la bravoure de son escorte. Ces chefs sont recherchés comme ambassadeurs, comblés de cadeaux et, par leur seule réputation, décident souvent de l'issue des conflits.

(XIV 1). Au combat, haro sur le chef qui le cède en bravoure à son escorte, haro sur l'escorte qui ne répond pas à la bravoure de son chef ! Faut-il ajouter qu'on encourt pour le reste de sa vie infamie et déshonneur quand on quitte le combat en survivant à son chef ? Faire corps autour de lui, le protéger, faire rejaillir sur la gloire de celui-ci ses propres actes de courage est la marque essentielle de fidélité: les chefs se battent pour la victoire, les compagnons pour leur chef.

Guerre et sens de la vie

(XIV 2). Si l'État dont ils sont issus, s'engourdit dans le désoeuvrement d'une paix trop longue, la plupart des jeunes gens de haute naissance s'en vont rejoindre d'autres peuples en guerre à ce moment-là, à la fois parce que le repos leur est insupportable et qu'ils se font plus facilement valoir dans les dangers. De plus on ne peut maintenir une grande escorte que dans la violence d'une guerre. En effet tout ce qu'ils exigent de la générosité de leur chef, c'est tel cheval de guerre, c'est telle framée mouillée du sang des vaincus. Des banquets, si peu raffinés soient-ils mais copieusement pourvus, leur tiennent lieu de solde. (XIV 3). C'est le produit des guerres et des pillages qui permet ces libéralités. Il serait moins facile de les convaincre de labourer la terre et de patienter toute une année, que de provoquer l'ennemi et d'en remporter des blessures. Bien plus, acquérir en suant ce qu'on peut gagner en versant son sang n'est pour eux que paresse et inertie.

 

Gestion du temps de paix

Farniente

(XV 1). Quand ils ne guerroient pas, ils consacrent quelques moments à la chasse et le plus clair de leur temps au repos. Ils ne pensent plus qu'à dormir et manger. Les plus braves et plus belliqueux ne font plus rien et abandonnent la charge de la maison, du foyer et des champs aux femmes, aux vieillards et aux plus faibles de la famille. Ils s'abrutissent, comme pour illustrer ce curieux paradoxe de la nature qui veut que des mêmes hommes aiment à un tel point l'oisiveté et détestent tout autant une vie tranquille.

Privilèges des chefs

(XV 2). Il est d'usage dans les États de réserver aux chefs des quotes-parts volontaires et individuelles prélevées sur les troupeaux ou sur les récoltes. Acceptées comme des marques d'honneur, elles font aussi vivre les chefs. Ceux-ci apprécient tout particulièrement les présents de peuples limitrophes, que leur envoient non seulement des particuliers, mais aussi des États : chevaux de choix, armes de prestige, phalères et  autres torques.

À l'heure qu'il est, nous leur avons appris à recevoir aussi de l'argent.


 

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