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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


Historiographie gréco-romaine

 

ZOSIME (c. 500 p.C.)

 

Textes rassemblés et présentés par Jean-Marie HANNICK

Professeur émérite de l'Université de Louvain


L'auteur

On ne sait rien de Zosime, sauf ce qu'il laisse voir de lui-même dans son Histoire ‒ et ce n'est pas grand-chose ‒ plus ce qu'on peut lire dans la notice que lui  consacre  Photius dans sa Bibliothèque (éd., trad. R. Henry, t. II, Paris, C.U.F., 1960, n° 98, p. 65-66). Cette notice (reproduite en tête du  t. I de l'édition de F. Paschoud) est absolument silencieuse sur l'époque où a vécu Zosime ; Photius se borne à indiquer son titre et la fonction qu'il avait exercée, « comte et ancien avocat du fisc », formule qui ne permet pas de situer l'historien dans la hiérarchie des fonctionnaires impériaux car il existait trois catégories de comtes et une grande variété d'avocats du fisc. Photius souligne aussi l'hostilité de Zosime à l'égard de la religion nouvelle ; c'était un païen convaincu, ἀσεβὴς καὶ πολλάκις ἐν πολλοῖς ὑλακτῶν κατὰ τῶν εὐσεβῶν.

Essayons maintenant d'y voir un peu plus clair, en particulier sur la question chronologique. Où se situe notre auteur dans le temps ? Les indices dont on dispose sont très minces. A la fin de son œuvre (T 13), Zosime cite Olympiodore de Thèbes (en Égypte) dont l'histoire s'étendait jusqu'en 425 et a donc été publiée après cette date : nous avons ici un terminus post quem. La fin du VIe siècle constitue le terminus ante quem ; c'est à ce moment que paraît l'Histoire ecclésiastique d'Évagre le Scolastique où Zosime est cité et vivement critiqué. Des recherches plus pointues qu'il est inutile de résumer ici permettent toutefois de resserrer l'écart entre ces deux termini : l'acmé de Zosime devrait se situer sous le règne d'Anastase Ier, au tournant des Ve - VIe siècles (cf. Paschoud, Zosime, Histoire nouvelle, t. I, p. XVI).

L'œuvre

Photius nous apprend que l'Histoire de Zosime, en six livres, résolument antichrétienne, ne manque pas de qualité littéraire. Il note aussi que si l'exposé est très rapide au livre Ier, qui commence à la guerre de Troie pour s'étendre jusqu'à Dioclétien, le rythme ralentit progressivement et le récit devient plus détaillé à partir du livre II. Enfin, Photius ajoute cette remarque, particulièrement intéressante ; Zosime, dit-il, ne fait que recopier l'œuvre d'Eunape (c. 345-420), en plus concis.

Passons sur le talent d'écrivain de Zosime, sujet qui n'est pas dénué d'intérêt mais qui est étranger à notre propos, et voyons d'abord ce que contient cette Histoire nouvelle. Comme le dit le patriarche de Constantinople, le premier livre est effectivement très condensé, survolant en quelques dizaines de pages plus d'un millénaire d'histoire gréco-romaine. Le livre II est consacré à Constantin et à ses fils ; le livre III, à Julien et à son successeur Jovien. Le livre IV couvre la période allant de Valentinien Ier à Théodose Ier. Le livre V traite des règnes des fils de Théodose, Arcadius et Honorius. Le livre VI, très bref et manifestement inachevé, s'arrête brusquement en 410, avant la prise de Rome par Alaric.

Les sujets abordés par Zosime sont extrêmement variés. L'histoire politique, faite en bonne partie d'intrigues, d'usurpations, d'assassinats, retient évidemment son attention, de même que les événements militaires (les barbares sont menaçants à l'époque) et les affaires religieuses, tant du côté païen que du côté chrétien (T 12). Juriste et fonctionnaire, Zosime ne néglige pas les aspects plus austères de la politique intérieure comme la législation fiscale ou les réformes institutionnelles. Il ne manque pas non plus de relever tous les faits miraculeux, les prodiges, les phénomènes naturels par lesquels les dieux se manifestent aux humains (T 3, 9). Mais ce qui ressort avec le plus d'évidence de cette Histoire, c'est la thèse défendue par l'auteur. Zosime se veut, d'une certaine manière, un nouveau Polybe : si celui-ci a montré comment les Romains ont pu conquérir le monde en un demi-siècle, lui va, inversement, raconter comment ces mêmes Romains ont mis peu de temps pour détruire leur empire (T 2). Et, aux yeux de Zosime, la cause de cette catastrophe n'est pas difficile à trouver, elle est d'ordre religieux. L'empire romain a sombré parce qu'il a abandonné ses dieux ancestraux et s'est converti au christianisme (T 4, 10). Si on était resté attaché à la religion traditionnelle, les dieux auraient continué de protéger leurs fidèles : Zosime en fournit bien des exemples (T 9, 11). C'est exactement l'antithèse de l'interprétation chrétienne des événements, illustrée principalement par Saint Augustin et son disciple Orose. Et c'est peut-être la raison pour laquelle Zosime intitule son œuvre « Histoire nouvelle » : elle est neuve, originale en ce sens qu'elle défend des idées opposées à celles qu'on trouvait dans des livres très répandus à cette époque, les « Histoires ecclésiastiques ».

La question des sources de Zosime a fait couler beaucoup d'encre : on trouvera un exposé détaillé du problème dans le tome I de l'édition de F. Paschoud (p. XXXVI-LXXI) et il suffira de rapporter ici la conclusion du savant éditeur. M. Paschoud admet la thèse de Photius observant que Zosime ne fait que transcrire (μεταγράψαι) l'œuvre d'Eunape, thèse d'autant plus crédible à ses yeux que le patriarche disposait encore du texte complet de cette œuvre dont il ne subsiste aujourd'hui que des fragments (p. XXXVI). Mais Eunape avait clôturé son récit en 404 tandis que Zosime ne s'arrête qu'en 410 : le récit de ces dernières années repose donc sur une autre source, certainement Olympiodore, d'ailleurs cité et critiqué au livre V de l'Histoire nouvelle (T 13).

Se pose enfin la question essentielle de la confiance qu'on peut accorder à Zosime. Que cet historien soit tendancieux, c'est tout à fait évident, en particulier dans le domaine de la religion : son récit de la conversion et du baptême de Constantin en est un bel exemple (T 5), de même que sa description, sans doute un peu caricaturale, des moines de Constantinople (T 12). Mais cela ne signifie pas que tout ce qu'il dit des empereurs chrétiens, Constantin, Gratien, Théodose, soit erroné. Il est vrai, d'autre part, que Zosime est assez négligent en matière de chronologie et de géographie. Un seul exemple, parmi bien d'autres dont R.T. Ridley dresse une longue liste (Zosimus the Historian, p. 293-302) : Julien, en partance pour la Perse, n'a évidemment pas rassemblé sa flotte à Hiérapolis, ville distante de l'Euphrate d'une trentaine de kilomètres (T 7). L'Histoire nouvelle, qu'on ne peut ignorer parce qu'elle est souvent une source unique, doit donc être utilisée avec beaucoup de circonspection.

Réception

Publiée dans un empire romain largement converti au christianisme, l'Histoire de Zosime ne devait pas y rencontrer un grand succès : elle n'a pas laissé beaucoup de traces et, quand on en parle, c'est pour la condamner. Ainsi, Évagre le Scolastique (c. 536-593) qui accuse Zosime de mensonge quand cet auteur, qui appartient « à la religion maudite et exécrable des païens », prétend que Constantin est le premier à avoir perçu l'impôt détesté du chrysargyron, et raconte que le même empereur a fait périr son fils Crispus et sa femme Fausta (Histoire ecclésiastique, trad. A.-J. Festugière, dans Byzantion, 45, 1975, p.187-488, III, 40). Au chapitre suivant (III, 41), il attaque à nouveau Zosime, « néfaste et scélérat démon », qui soutient que la ruine de l'Empire est liée au succès du christianisme ; pour Évagre, au contraire, il apparaît clairement que les affaires des Romains ont prospéré en même temps que la foi chrétienne.

Il y a plus de modération chez la patriarche Photius qui, dans la notice qu'il consacre à notre auteur, souligne certes son hostilité au christianisme mais lui reconnaît un certain talent littéraire. Au XIIIe siècle, Zosime est de nouveau victime des attaques d'un auteur d'histoire ecclésiastique, Nicéphore Calliste, et d'autres encore si l'on en croit le titre de l'Apologie de J. Löwenklau (voir ci-dessous). Fort critiquée ‒ pour ses positions doctrinales ‒, l'Histoire nouvelle n'est en tout cas guère répandue : il n'en reste qu'un manuscrit, la Vaticanus graecus 156 (Xe - XIIe siècles), mis « en enfer » par le Cardinal Préfet de la Bibliothèque vaticane, mais dont ont circulé quelques copies. C'est l'une d'elles qui permet à Löwenklau de publier en 1576 une traduction latine de l'Histoire, accompagnée d'une Apologia pro Zosimo adversus Evagrii, Nicephori Callisti, et aliorum criminationes (sur cet érudit peu connu, voir M.-P. Burtin, Un apôtre de la tolérance : l'humaniste allemand Johannes Löwenklau, dit Leunclavius (1541-1593 ?), dans Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, 52, 1990, p. 561-570, et sur son Apologie, S. Mazzarino, La fin du monde antique, Paris, 1973, ch. VI). Mais à cette date, le texte grec de Zosime est toujours inaccessible. Cette lacune est réparée partiellement par H. Estienne qui publie en 1581 les deux premiers livres de l'Ἱστορία νέα, et comblée en 1590 avec l'édition des six livres par F. Sylburg.

Les idées de Zosime en matière religieuse ne pouvaient manquer d'attirer sur son œuvre l'attention des auteurs d'histoires ecclésiastiques à l'époque de la Réforme et de la Contre-Réforme. Je n'ai rien trouvé à son sujet, il est vrai,  dans les Centuries de Magdebourg. En revanche, Zosime est bien présent dans les Annales ecclésiastiques de Baronius (éd. A. Theiner, 37 vol., Bar-le-Duc - Paris, 1864-1883), où il est parfois longuement cité. Certes, Baronius l'accuse d'avoir beaucoup menti « de rebus christianis » (t. III, an 312, § 95). Mais, très honnêtement, le savant prélat donne raison à l'historien païen sur certains points, notamment dans l'affaire du meurtre de Crispus et de Fausta par Constantin ; il critique Eusèbe pour son silence sur cet épisode (t. IV, an 324, § 5), Sozomène qui fait preuve ici d'une « stupiditas incredibilis » (§ 7) et Évagre qui adresse à Zosime des reproches injustifiés (§ 8). Selon Baronius, il ne faut pas rejeter non plus sans examen la thèse de Zosime et d'autres païens à propos du baptême de Constantin : « quorum fidei non est propterea derogandum, quod gentiles sint, cum ea praesertim scribant quae potius Christianis faveant, quam patrio ipsorum cultui » (an 324, § 17). Zosime est souvent cité aussi dans l'Histoire des Empereurs de Lenain de Tillemont, sans animosité, mais avec bien des réserves. A propos de la conversion de Constantin, Tillemont note que, parmi les faussetés que colporte Zosime, il est une chose qui peut être véritable, savoir que l'empereur aurait été converti par un Égyptien venu d'Espagne, lequel pourrait être en réalité Ossius de Cordoue (t. IV, L'empereur Constantin, article XXIV). La rencontre de l'empereur et de l'évêque, et donc la conversion, datent de 311 et c'est bien plus tard, en 326, que seront exécutés Crispus et Fausta. On ne peut donc, selon Tillemont, associer crimes et conversion : « Zosime ne nous persuadera pas non plus que Constantin ait esté consulter en ce temps-ci ni les philosophes, ni les pontifes payens : & il est tout à fait ridicule de pretendre qu'il n'ait commencé à estre Chrétien qu'après la mort de Crispe & de Fauste (article LXII). Constantin a aussi été accusé par l'empereur Julien de s'être livré aux plaisirs et à la débauche sur la fin de sa vie : « Zosime dit la mesme chose des dernieres années de sa vie. [Mais il faut se souvenir que Zosime & Julien défenseurs zelez de l'idolatrie, ne pouvoient pas aimer un prince qui en avoit esté le destructeur » (article LXXIX). Comme on le voit, les idées religieuses de Zosime et en particulier sa présentation de Constantin, de sa conversion et de son baptême, ont suscité bien des débats chez ces historiens de l'Église des XVIe - XVIIe siècles. On conclura ce paragraphe avec cette formule de C. Fleury : « Enfin, on ne se trompera point sur Constantin, en croyant tout le mal qu'en dit Eusebe, & le bien qu'en dit Zosime » (Histoire ecclésiastique, T 2 Contenant le troisième siècle jusqu'à l'an 362, Nouv. éd., Avignon, 1777, p. 364).

Les auteurs qui se sont occupés de la décadence et de la chute de Rome avaient, eux aussi de bonnes raisons de s'intéresser à l'Histoire nouvelle. Voltaire, notamment, qui, sans le dire explicitement, se rallie à la thèse de Zosime quant à la responsabilité des chrétiens dans le déclin de l'Empire : « Deux fléaux détruisirent enfin ce grand colosse : les barbares, et les disputes de religion » (Essai sur les mœurs, éd. R. Pomeau, t. I, Paris, 1963, p. 303). Et Voltaire de préciser sa pensée à la page suivante : « Le christianisme ouvrait le ciel, mais il perdait l'empire : car non seulement les sectes nées dans son sein se combattaient avec le délire des querelles théologiques, mais toutes combattaient encore l'ancienne religion de l'empire ; religion fausse, ridicule sans doute, mais sous laquelle Rome avait marché de victoire en victoire pendant dix siècles ».

Montesquieu avait un Zosime dans sa bibliothèque, dans la traduction latine de Löwenklau (cf. L. Desgraves, Catalogue de la bibliothèque de Montesquieu, Genève - Lille, 1954, n° 2732). Et il l'a beaucoup lu. L'Histoire nouvelle est en effet plus d'une fois citée en note dans les Considérations sur la grandeur des Romains, évoquée aussi dans l'Esprit des lois (Livre XXIV, ch. XIII), et dans les Pensées (éd. L. Desgraves, Paris, Bouquins, 1991, n° 871 bis, 1777, 2195, 2201 n.). Mais le témoin le plus intéressant qu'on puisse invoquer ici est sans doute E. Gibbon qui utilise assez régulièrement Zosime dans son Histoire du déclin et de la chute de l'empire romain (trad. F. Guizot, 2 vol., Paris, Bouquins, 1983). C'est un témoin bien utile, souligne-t-il, pour ce qui touche à la réorganisation de la préfecture du prétoire par Constantin (t. I, p.448, n.1). Mais Gibbon relève aussi les défauts de notre auteur : il fait preuve de passion et de prévention quand il parle de la perception du chrysargyre par cet empereur (p. 470) et ce n'est pas sans une certaine malice qu'il associe le meurtre de Crispus avec sa conversion au christianisme (p. 511) ; il manque aussi d'objectivité dans ses jugements sur Théodose Ier (p. 788, n.1 ; 791, n.1). Plus profondément, il existe une certaine parenté entre Zosime et Gibbon dans leur analyse des causes du déclin de Rome. Tous deux incriminent les progrès du christianisme, ce qui signifiait l'abandon des dieux ancestraux pour Zosime, une sorte d'amollissement général pour Gibbon (p. 1157).

On empruntera la conclusion à M. Croiset, même si son jugement sur Zosime est sans doute un peu trop flatteur : « En somme, l'histoire qu'il nous a laissée, sans répondre à ce qu'elle semble promettre, est encore une des meilleures œuvres historiques de ces derniers temps. Nette et judicieuse, bien informée, sincère, elle est de plus clairement écrite, sans longueur, sans manque de goût, et d'une forme beaucoup moins prétentieuse que celle d'Eunape » (Histoire de la littérature grecque, t. V, 2e éd., Paris, 1901, p. 1016).

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Éditions - traductions

Histoire nouvelle, éd., trad. F. Paschoud, t. I, nouvelle édition, Paris, 2000 ; t. II, 1-2 et t. III, 1-2, 1979-1989 (C.U.F.) : édition dotée de copieuses introductions et accompagnée d' abondantes notes explicatives.

Études

‒ Goffart W.A., Zosimus, the First Historian of Rome's Fall, dans American Historical Review, 76, 1971, p.412-441.

‒ Paschoud F., Cinq études sur Zosime, Paris, 1975 (Collection d'études anciennes).

‒ Ridley R.T., Zosimus the Historian, dans Byzantinische Zeitschrift, 65, 1972, p.277-302.

‒ Scavone D.C., Zosimus and his Historical Models, dans Greek, Roman and Byzantine Studies, 11, 1970, p. 57-67.

On n'a retenu ici que quelques titres particulièrement intéressants. On trouvera une bibliographie très complète dans le tome I de l'édition de Zosime par F. Paschoud citée ci-dessus, p. CXIII-CXXVI.

 

TEXTES CHOISIS (trad. F. Paschoud)

T 1 - Histoire nouvelle, I, 1  Lorsque Polybe de Mégalopolis entreprit de conserver la mémoire des événements importants de son époque, il estima judicieux de montrer par les faits eux-mêmes que les Romains ne conquirent pas un grand empire en faisant la guerre à leurs voisins durant les six cents premières années qui suivirent la fondation de la Ville ; en revanche, après s'être emparés d'une partie de l'Italie, l'avoir perdue après l'arrivée d'Hannibal et la défaite de Cannes, et avoir vu de leurs murs mêmes l'ennemi qui les menaçait, ils furent favorisés à tel point par la fortune qu'ils acquirent en moins de cinquante-trois années non seulement l'Italie, mais même encore toute l'Afrique, et se soumirent dès lors aussi les Ibères d'Occident ; se lançant après dans une plus vaste entreprise, ils traversèrent le golfe d'Ionie, vainquirent les Grecs, privèrent de leur empire les Macédoniens, prirent vivant celui qui était alors leur roi [Persée] et l'emmenèrent à Rome. Personne cependant n'attribuera ces succès à la vertu humaine, mais bien à la fatalité fixée par les Parques, ou au cycle des révolutions astrales, ou à la volonté de Dieu qui seconde les entreprises à la portée de l'homme et conformes à la justice ; ces facteurs en effet, en imposant aux événements futurs une sorte d'enchaînement pour qu'ils se déroulent nécessairement d'une certaine manière, suggèrent à ceux qui apprécient correctement les faits l'opinion que le gouvernement des hommes est confié à une sorte de providence divine, si bien que tantôt, grâce au concours d'esprits fertiles, ils prospèrent, tantôt, la stérilité prévalant, ils en sont réduits à l'état qu'on voit aujourd'hui ; c'est en suivant les événements qu'il convient de mettre en évidence ce que j'affirme.

T 2 - I, 57, 1  Il vaut la peine de raconter en détail les événements qui ont précédé la ruine des Palmyréniens, même si évidemment je rédige mon histoire en me hâtant, étant donné l'intention que j'ai définie dans le préambule ; en effet, tandis que Polybe a exposé comment les Romains ont fondé leur Empire en peu de temps, je vais narrer comment ils le détruisirent rapidement par leur folle présomption.

T 3 - I, 67, 1-2  Après avoir résolu ces difficultés de la façon que je viens de dire, Probus [r. 276-282] remporta aussi de très importantes victoires sur les Barbares au cours de deux campagnes, à la première desquelles il participa lui-même, tandis qu'il chargea un général de la seconde ; lorsqu'il se vit obligé de porter secours aux villes de Germanie qui étaient inquiétées par les Barbares établis dans la région du Rhin, il se rendit lui-même sur le Rhin ; la guerre ayant débuté et une famine s'étant déclarée dans toutes ces contrées, une pluie diluvienne s'abattit en faisant tomber aussi du blé avec les gouttes d'eau, si bien même qu'en certains endroits des monceaux s'en accumulèrent naturellement. Etant donné qu'ils furent tous remplis de crainte par ce phénomène extraordinaire, ils n'osèrent tout d'abord pas toucher ce blé ni s'en servir pour calmer leur faim, mais comme la nécessité est plus forte que toute peur, ils firent cuire du pain, en mangèrent, calmèrent ainsi le faim et gagnèrent très facilement la guerre grâce à la bonne fortune de l'empereur.

T 4 - II, 7  Donc, comme le dit l'oracle et le prouve la vérité, tant que tous ces rites [les Jeux Séculaires] furent dûment accomplis, l'Empire des Romains fut protégé, et ils continuèrent à avoir sous leur domination pour ainsi dire l'ensemble de notre monde ; mais lorsque, après que Dioclétien eut abdiqué le pouvoir impérial [mai 305], la fête eut été négligée, l'Empire tomba peu à peu en ruine et fut insensiblement envahi en grande partie par les Barbares, comme les événements mêmes nous l'ont montré ; je désire aussi prouver la véracité de mon assertion par des considérations chronologiques. En effet, à partir du consulat de Chilon et de Libon [204 p.C.], sous lequel [Septime] Sévère célébra les Jeux Séculaires, jusqu'à l'année où Dioclétien fut pour la neuvième fois et Maximien pour la huitième fois consul [304], cent un ans s'écoulèrent ; c'est alors que Dioclétien, d'empereur qu'il était, devint un simple particulier, et que Maximien fit de même ; tandis que Constantin et Licinius étaient déjà pour la troisième fois consuls [313], le terme de cent dix ans vint à échéance, et il fallait alors célébrer la fête selon la coutume établie ; mais comme on négligea cela, il était certes fatal que la situation en arrive à l'état catastrophique qui aujourd'hui nous accable.

T 5 - II, 29  Lorsque tout le pouvoir fut aux mains de Constantin [324], il ne cacha désormais plus la méchanceté qui lui était naturelle, mais prit la liberté d'agir dans tous les domaines selon son bon plaisir ; il célébra encore les rites ancestraux, non pas par respect, mais par intérêt ; c'est pourquoi il obéissait aussi aux devins, dont il avait éprouvé qu'ils avaient prédit la vérité au sujet de tout ce qui lui avait réussi ; lorsqu'il arriva à Rome tout plein de jactance [326], il crut nécessaire d'inaugurer son impiété dans ses propres lares. En effet son fils Crispus, qui avait été jugé digne du rang de César, comme je l'ai dit auparavant, et avait été soupçonné d'avoir une liaison avec sa belle-mère Fausta, il le fit mourir sans aucun égard pour les lois naturelles ; comme Hélène, la mère de Constantin, s'indignait d'une telle violence et ne pouvait admettre la mort du jeune homme, Constantin, comme pour la consoler, porta remède à ce mal par un mal pire ; après avoir en effet ordonné de chauffer outre mesure un bain et y avoir placé Fausta, il ne l'en ressortit que morte. Comme il avait ces crimes sur la conscience, et qu'en outre il n'avait fait aucun cas de ses serments, il alla trouver les prêtres et leur demanda des sacrifices expiatoires pour ses méfaits ; ceux-ci lui ayant répondu qu'il n'existait aucune sorte d'expiation assez efficace pour purifier de telles impiétés, un Égyptien, arrivé d'Espagne à Rome et devenu familier des femmes du palais, rencontra Constantin et affirma fortement que la croyance des chrétiens détruisait tout péché et comportait cette promesse que les infidèles qui s'y convertissaient étaient aussitôt lavés de tout crime. Ayant accueilli très favorablement cet exposé, s'étant détaché des rites ancestraux et ayant admis ce que l'Égyptien lui proposait, Constantin entra dans la voie de l'impiété en concevant de la défiance envers la divination ; comme en effet, grâce à elle, beaucoup de succès qui lui avaient été annoncés s'étaient effectivement réalisés, il craignit que l'avenir ne soit une fois révélé à d'autres aussi qui s'enquerraient de quelque point dans un sentiment hostile à son égard et en vint, sur la base de ce préjugé, à faire cesser ces pratiques. Lorsqu'arriva la fête traditionnelle au cours de laquelle il fallait que l'armée monte au Capitole et accomplisse les rites coutumiers, Constantin craignit les soldats et participa à la fête ; mais l'Égyptien lui ayant envoyé une apparition blâmant sans réserve cette montée au Capitole, il se tint éloigné de cette sainte cérémonie et excita la haine du Sénat et du peuple.

T 6 - III, 2, 3-4  Julien ayant pour sa part traversé les Alpes et étant arrivé dans les provinces gauloises qui lui avaient été subordonnées, comme les Barbares n'en faisaient pas moins leurs incursions en toute sécurité, Eusébie, usant des mêmes arguments, persuada Constance [II] de lui confier la direction des affaires dans ces territoires. Or ce que Julien a fait dès lors durant tout le reste de sa vie se trouve consigné dans de longs livres par des historiens et des poètes, quand bien même aucun des écrivains ne s'est élevé à la hauteur de ses exploits ; celui qui le désire peut recueillir toutes les données en lisant ses Discours et ses Lettres, par le moyen desquels on peut très bien embrasser ce qu'il a fait dans tout le monde ; comme il ne nous faut pas rompre l'enchaînement de notre histoire, nous narrerons aussi brièvement chaque fait dans son ordre chronologique, et avant tout ceux qui paraissent avoir été négligés par les autres.

T 7 - III, 12, 1  Alors que l'hiver touchait déjà à sa fin [printemps 363], il [Julien] rassembla son armée, l'envoya en avant unité par unité et en bon ordre, et quitta Antioche, alors que les victimes ne lui avaient même pas été de bon augure ; j'omettrai d'en indiquer la raison, bien que je la connaisse ; le cinquième jour, il arriva à Hiérapolis, où il fallait que se rassemblent tous les navires de guerre et de transport après s'être laissés porter par le courant de l'Euphrate à partir de Samosate et d'autres endroits.

T 8 - III, 32, 1  Arrivé à ce point de mon histoire, il m'est venu l'idée de remonter dans les temps passés et de rechercher si jamais les Romains ont supporté d'abandonner à d'autres une part de ce qu'ils avaient acquis ou si en un mot ils avaient admis que quelqu'un d'autre occupe une parcelle des territoires qui étaient une fois tombés sous leur domination.

T 9 - IV, 18  Après sa mort [Valentinien I, a.375], la foudre tomba à Sirmium et incendia complètement le palais royal ainsi que le forum, prodige qui ne parut pas être de bon augure pour les affaires publiques à ceux qui sont habiles à juger de ce genre de signes ; par ailleurs des tremblements de terre se produisirent en divers endroits. La Crète aussi fut secouée avec une violence accrue, ainsi que le Péloponnèse et le reste de la Grèce, si bien que la plupart des villes furent détruites, à l'exception de la ville d'Athènes et de l'Attique ; voici la raison pour laquelle on dit qu'elle a été sauvée ; Nestorius, qui était à cette époque chargé des fonctions de hierophante, vit en rêve une apparition qui lui donna comme ordre qu'il fallait honorer le héraut Achille de solennités organisées aux frais de l'État ; cette célébration serait en effet salutaire pour la ville. Lorsqu'il fit part de sa vision aux notables, ceux-ci pensèrent qu'il déraisonnait à cause de son très grand âge et ne tinrent aucun compte de ce qu'il avait dit ; il délibéra par devers lui-même ce qu'il fallait faire et, instruit des intentions des dieux, il fabriqua une image du héros dans un temple en miniature et la plaça aux pieds de la statue d'Athéna érigée dans le Parthénon ; en accomplissant pour la déesse les cérémonies traditionnelles, il célébrait aussi par la même occasion et conformément au rite le culte qu'il savait dû au héros. De cette manière, le conseil donné en songe fut effectivement suivi, et lorsque le tremblement de terre se produisit, il se trouva que seuls les Athéniens furent épargnés, ainsi que l'ensemble de l'Attique qui eut part aux bienfaits du héros ; la preuve que ce récit est vrai, on peut la trouver dans ce qu'a raconté le philosophe Syrianos en composant un hymne en l'honneur de ce héros ; si j'ai ajouté cette histoire, c'est qu'elle va dans le sens de ce que je veux montrer.

T 10 - IV, 59  La situation ayant ainsi pris un tour favorable pour l'empereur Théodose, il part pour Rome, y élève son fils Honorius à l'Empire, désigne en même temps Stilicon comme général des unités qui sont stationnées là et l'y laisse comme tuteur de son fils ; il convoqua par ailleurs le Sénat qui s'en tenait aux antiques traditions des ancêtres et n'avait pas encore choisi de se rallier à ceux qui s'en étaient détournés pour mépriser les dieux, et lui tint un discours dans lequel il l'exhorta à renoncer à cette « erreur » ‒ comme il disait lui-même ‒ que le Sénat avait auparavant cultivée et à préférer la foi des Chrétiens, qui comporte la promesse de la délivrance de tout péché et de toute impiété. Mais aucun des sénateurs n'obéit à son appel ni ne choisit de renoncer à leurs traditions ancestrales, qui remontaient à la fondation de la ville, pour leur préférer une soumission absurde : en les maintenant en effet, ils habitaient une ville qui n'avait jamais été mise à sac depuis près de douze cents ans déjà, mais ignoraient ce qui s'en suivrait s'ils adoptaient d'autres pratiques au lieu de celles-là ; Théodose déclara alors que l'État était accablé par les dépenses pour les cérémonies religieuses et les sacrifices, et qu'il voulait supprimer cela, vu qu'il n'approuvait pas ce qui se faisait, et que par ailleurs le budget militaire exigeait des ressources accrues. Les membres du Sénat ayant affirmé que les cérémonies n'étaient pas accomplies rituellement si l'État ne subvenait pas aux frais, ... ; le rite des sacrifices cessa alors pour cette raison et tous les autres cultes hérités des ancêtres furent négligés, si bien que l'Empire romain s'affaiblit progressivement, devint une demeure de Barbares ou même finalement fut privé de ses habitants et réduit dans un état tel qu'on ne reconnaît même pas les sites sur lesquels se trouvaient les villes. Pour ce qui concerne cette terrible dégradation de la situation, le récit détaillé le montrera clairement ; pour lors l'empereur Théodose remit à son fils Honorius les provinces d'Italie, ainsi que l'Espagne et la Gaule, et de plus toute l'Afrique ; lui-même mourut de maladie en s'en retournant à Constantinople ; son corps embaumé fut déposé dans la sépulture impériale à Constantinople.

T 11 - V, 6, 1-2  Il vaut aussi la peine de ne pas passer sous silence la raison pour laquelle la ville fut sauvée, étant donné qu'elle est d'origine divine et de nature à réveiller la piété de ceux qui l'apprennent : lorsqu'Alaric s'approcha avec toute son armée de la ville, il vit, parcourant le rempart, Athéna Promachos, telle qu'on peut la voir représentée en statue, armée et comme sur le point de s'opposer aux assaillants et, debout près des murs, le héros Achille, tel qu'Homère l'a fait apparaître aux Troyens, quand il combattait avec fureur pour venger la mort de Patrocle. Alaric ne put soutenir ce spectacle, renonça à toute entreprise contre la ville et envoya des hérauts ; les Athéniens ayant accepté ses propositions et procédé à un échange de serments, Alaric entra avec une petit nombre de compagnons dans Athènes ; il fut l'objet d'une bienveillance extrême, se baigna, participa à un banquet avec les notables de la ville et, après avoir reçu de plus des cadeaux, il quitta la ville saine et sauve et se retira de toute l'Attique.

T 12 - V, 23, 4-5 [A propos de l'exil volontaire de Jean Chrysostome] Le peuple s'en émut fort (car cet homme était très habile à se soumettre la foule déraisonnable), la ville [Constantinople] fut pleine de tumulte et l'église des chrétiens [Sainte-Sophie] fut bloquée par ceux qu'on appelle moines ; ces individus renoncent au mariage légal et constituent dans les villes et les villages des groupes nombreux d'hommes célibataires qui ne sont indispensables à l'État ni pour la guerre ni pour quelque autre prestation, si ce n'est que, après avoir fait des progrès depuis lors jusqu'à maintenant, ils se sont emparés de la plus grande partie des terres en rendant, sous prétexte de faire participer les pauvres à tout, pour ainsi dire tout le monde pauvre. Ces individus, en bloquant les églises, empêchaient la foule de fréquenter les prières habituelles ; les gens du peuple et avec eux les soldats s'en irritèrent et demandèrent à briser l'audace des moines ; lorsqu'ils en eurent reçu le signal, ils s'y lancèrent sans mesure et les massacrèrent tous sans aucun discernement jusqu'à ce qu'ils eussent rempli l'église de cadavres et, pourchassant ceux qui s'étaient enfuis, abattu tous ceux qui fortuitement portaient des vêtements sombres.

T 13 - V, 27, 1-2  Tandis qu'à Ravenne (capitale de la Flaminie, ville ancienne, colonie des Thessaliens, nommée Rhènè du fait qu'elle est entourée d'eau de toutes parts, et non pas, comme le dit Olympiodore de Thèbes, du fait que Rémus, qui était le frère de Romulus, aurait été le fondateur de cette ville. Je crois en effet qu'il faut s'en tenir à Quadratus, qui expose cela à propos de cette ville dans son histoire de l'empereur Marc) ...


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[12 juillet 2013]


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