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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


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Historiographie du XVe au XVIIIe siècle

 

Le Nain de Tillemont (1637-1698)

 


Texte :

*Histoire des empereurs et des autres princes qui ont regné durant les six premiers siecles de l'Eglise... justifiée par les citations des auteurs originaux, 2e éd., 6 t. en 3 vol., Bruxelles, 1732-1740.

Histoire des empereurs et des autres princes qui ont regné durant les six premiers siecles de l'Eglise, Premiere edition de Venise, 5 vol., 1732.

*Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, justifiez par les citations des Auteurs originaux, 2e éd., 8 vol. [jusque a.394], Paris, 1701-1713.

Études :

-- NEVEU B., Un historien à l'école de Port-Royal. Sébastien Le Nain de Tillemont 1637-1698, La Haye, 1966.

-- PELLISTRANDI S.- M. e.a. (éds.), Le Nain de Tillemont et l'historiographie de l'antiquité romaine. Actes du Colloque international organisé... les 19 et 20 novembre 1998 et... le 21 novembre 1998, Paris, 2002 (Colloques, congrès et conférences sur le Classicisme, 3).


Quelques règles de la "méthode Tillemont"

Quand on cite plusieurs auteurs ensemble sur un mesme fait, on n'a pas pretendu que tout ce qu'on dit de ce fait se trouvait dans tous ces auteurs. Il est ordinairement dans celui qui est cité le premier, & les autres en disent différentes circonstances. Mais quelquefois aussi on tire seulement une partie de l'un, & une partie de l'autre; en sorte que le fait entier est justifié par la citation entiere. Les personnes équitables jugeront sans doute que cela suffit: Et assurément une plus grande exactitude à marquer distinctement ce qui est de chaque auteur, n'eust souvent servi qu'à embarrasser la composition & les citations, qu'il eust falu quelquefois changer à chaque mot. On a cru estre assez exact en ne disant rien qui ne fust prouvé par les auteurs qu'on allegue.

On affoiblit aussi quelquefois ce que porte le texte des auteurs qu'on cite, & on n'en met qu'une partie, parce qu'on ne se croit pas obligé de dire tout ce qu'ils ont dit, en quoy on pourroit aller audelà de la verité; mais de ne rien dire qui ne soit autorisé par eux.

Que si l'on est obligé ou de tirer des conclusions de leurs paroles, ou d'y faire quelque reflexion, ou d'en éclaircir quelque difficulté, ou d'y ajoûter quelque chose prouvée ailleurs, on le renferme dans des crochets. Et on en rencontrera plus souvent que l'auteur n'auroit voulu, parce qu'il auroit bien souhaité de pouvoir tout prendre des anciens, & ne rien dire du tout de luy mesme (Histoire des empereurs, Avertissement, p. IV).

 

Tillemont et ses sources

'Il fit néanmoins encore cette année [59] une action de bonté. Ceux de Cyrene avoient esté privez de quelques terres qu'on pretendoit qu'ils avoient usurpées sur le domaine. Neron confirma la sentence rendue contre eux par Acilius Strabo, que Claude avoit fait Commissaire pour cette recherche: mais il leur accorda ensuite ces mesmes terres [Cf. Tacite, Ann., XIV, 18].

Une inscription de la cinquiéme année de son Tribunat [et de son regne, achevée au mois d'Octobre 59,] luy donne le titre d'Imperator pour la troisiéme fois, [peut-estre à cause des victoires que Corbulon remportoit dans l'Armenie.]

'Une autre inscription de la mesme année porte qu'il ferma le Temple de Janus, à cause que le Peuple Romain jouissoit alors d'une entiere paix. 'On pretend qu'il le ferma jusqu'à cinq fois : mais on le fonde sur une inscription qu'on cite des Commentaires d'Onuphre sur les fastes ; [et je ne l'y trouve point.] 'Suetone semble dire néanmoins qu'il le ferma [en 66,] lorsque Tiridate vint à Rome, & en d'autres occasions, sans se mettre en peine s'il y avoit des guerres, ou s'il y en avoit eu. 'Quoy qu'il ait pû faire, Tacite l'a ignoré, ou a crû qu'il n'y falloit point avoir égard, puisqu'il dit dans un passage qu'Orose nous a conservé, que Janus ouvert par Auguste en sa vieillesse, demeura en cet état jusqu'au regne de Vespasien (Histoire des empereurs, t. I, p.119).

 

Funérailles de Trajan

'Son corps fut brulé [à Sélinonte,] '& ses cendres mises dans une urne d'or pour estre transferées à Rome. 'Adrien son successeur les vint mettre dans le vaisseau où elles devoient estre portées par Plotine sa veuve, & par Matidie [sa niece.] 'Elles furent receues à Rome en triomphe, dans un char sur lequel on avoit mis son image: '& l'on a encore des marques de ce triomphe [si lugubre pour tout le monde, & sur-tout pour celui qu'on vouloit relever par ces honneurs imaginaires, & que le vray Dieu punissoit dans les enfers, pendant que le crime & la folie des hommes en faisoit sur la terre une fausse divinité. Ce ne lui fut pas un grand soulagement au milieu des feux,] 'de ce qu'on mit ses cendres et ses os 2 sous la superbe colonne, quoiqu'elle fust dans l'enceinte de la ville, où nul autre que luy n'estoit enterré. 'On celebra durant plusieurs années en son honneur des jeux appelez Parthiques;

2 'Cisconius dans sa description de la colonne de Trajan, dit qu'il y avoit tout en haut une grande statue de ce Prince qui tenoit une pomme d'or dans sa main droite; & que c'est dans cette pomme qu'estoient ses cendres. Nous suivons les termes d'Eutrope & du jeune Victor, sub columna.

(Histoire des empereurs, t. II, p.86).

 

Histoire des empereurs et histoire de l'Église

L'Histoire des Empereurs qu'on a commencé de publier il y a quelques années, n'ayant esté faite que par rapport à celle de l'Eglise, dont on donne ici le premier volume, & n'en estant proprement qu'une partie, il seroit inutile de repeter à la teste de celle-ci ce qu'on a dit dans la préface de l'autre sur le dessein qu'a eu l'auteur dans ces deux ouvrages, & sur diverses choses qu'il y a cru devoir observer. Mais s'il a jugé y devoir demander quelque indulgence sur les défauts & sur la simplicité du style, il se sent encore plus obligé de le faire presentement. Car ayant commencé ce travail dans la seule vue de s'instruire luy mesme, les expressions les plus courtes & les plus simples luy estoient assurément les plus propres: Et quand il a depuis revu ce qu'il avoit fait, il n'a point cru qu'il fust necessaire d'employer beaucoup de temps & de peine pour orner des choses dont la simplicité mesme est souvent le meilleur ornement au goust des personnes les plus éclairées. En effet, 'S. Basile nous assure que les ornemens des paroles peuvent bien relever les actions des hommes du siecle ; mais qu'à l'égard des justes, le simple recit de la verité suffit pour donner aux ames une joie spirituelle, pour glorifier Dieu dans ses Saints, pour representer l'eminence de leur vertu, & pour nous inspirer une sainte ardeur de les imiter (Memoires pour servir à l'histoire ecclesiastique, Avertissement, p. III).

 

A propos des vies de saints

Quoique l'auteur s'applique particulierement à ce qui regarde les Saints, il n'a pas cru neanmoins devoir entreprendre de parler de tous ceux que l'Eglise honore, y en ayant beaucoup dont on n'a autre chose à dire, sinon qu'ils sont dans les martyrologes; ce qui seroit tout ensemble ennuyeux & inutile. Mais pour ceux dont on a quelque monument ancien & authentique, ou des actes qu'il faut examiner, on a tasché de n'en oublier aucun. On y en ajoute aussi quelques uns des autres lorsqu'ils sont celebres, particulierement de ceux de France. On n'a pas cru non plus devoir faire avec étendue l'histoire de tous les Saints dont on traite, ni mesme quelquefois des plus considerables, comme de S. Antoine & de S. Martin. Car il seroit assez inutile de faire un long narré de ce que S. Athanase a dit de l'un, & Sulpice Severe de l'autre, pour repeter ce qui se lit partout, & qui est sceu de tout le monde, surtout dans un ouvrage qui n'est proprement fait que pour indiquer les auteurs, & joindre ensemble leurs différentes narrations. On fait neanmoins un abregé de ces pieces, & souvent assez ample, surtout lorsqu'elles sont moins connues, & qu'elles sont belles & assurées; comme celles dont le R.P. Dom Thierri Ruinart Benedictin a composé le recueil des actes les plus authentiques, qu'il nous a donné en 1689.

Peutestre que ceux qui aiment le plus la verité souhaiteront qu'on n'eust point employé d'autres pieces que de ce genre, c'est à dire de celles qu'on a sujet de regarder comme tout à fait certaines. On avoue neanmoins qu'on ne s'est pas borné à celles là, & qu'on s'est servi de quelques autres, qui ne paroissant pas tout à fait authentiques, ont neanmoins des choses edifiantes & dignes des Saints, jointes à un air d'antiquité, qui fait presumer qu'au moins le fond vient de pieces originales. Mais on a eu soin de distinguer celles-ci des premieres, & de marquer ou dans le texte, ou au moins dans les notes, le jugement qu'on en doit faire, afin de ne point tromper la pieté des Fideles en pretendant l'edifier. Ce n'est pas ici un ouvrage dogmatique, où il ne faille rien employer qui ne soit certain, & qui ne prouve. Ce seroit aller trop loin que de rejetter des narrations qui sont raisonnablement autorisées, lorsqu'il ne s'agit pas d'établir des choses douteuses, mais de confirmer & d'orner s'il faut ainsi dire, celles qui sont certaines d'ailleurs (Memoires pour servir à l'histoire ecclesiastique, Avertissement, p. XI-XII).

 

Règles de critique historique

Que si l'on demande quelles sont les regles par lesquelles on a pretendu discerner les pieces veritables des fausses, quand on n'en sçait point les auteurs; ceux qui auront lu l'histoire du martyre de S. Polycarpe, celle des Martyrs de Lion dans Eusebe, & les autres qui passent generalement pour incontestables, verront bien qu'en les lisant on se forme un goust pour discerner ce qui a cet air d'antiquité & de verité, d'avec ce qui sent la fable ou la tradition populaire. La connoissance de l'histoire, du style, & de la discipline, fait juger encore ce qui peut avoir esté écrit dans un temps, & de ce qui n'en peut estre que fort eloigné.

...

On avoue que dans tout cet ouvrage, on a plus consulté l'autorité que le raisonnement. On s'est convaincu par beaucoup d'exemples que les choses qui paroissent les plus improbables ne laissent pas neanmoins quelquefois de se trouver vraies... On voit de mesme que des choses qui paroissent d'abord extremement contraires, s'accordent neanmoins fort aisément quand on en sçait le detail: ce qui nous donne un grand sujet de nous humilier, en voyant que la plupart des difficultez ne viennent que de notre propre ignorance. C'est sur ce principe que lorsqu'on a vu des choses appuyées par des auteurs anciens & considerables, pour le témoignage desquels tous les enfants de l'Eglise Catholique doivent avoir du respect ; on n'a point cru les pouvoir abandonner, à moins qu'on n'en ait vu des raisons extremement fortes, quoiqu'on sache bien qu'en cela on s'eloigne du sentiment des plus celebres cririques de ces derniers temps (Memoires pour servir à l'histoire ecclesiastique, Avertissement, p. XIV-XVI).

 

Vie de St. Joseph : conclusion

'Voilà ce que l'Ecriture nous apprend de S. Joseph, & il ne faut pas esperer d'en trouver autrepart rien d'assuré. On croit avec beaucoup de probabilité, qu'il estoit mort avant que J.C. commençast à prescher l'Evangile, & avant les noces de Cana, où JESUS fut convié avec sa mere & ses disciples, sans qu'il y soit parlé de S. Joseph, 1non plus que dans toute l'histoire de la predication. Et J.C. en mourant recommanda sa mere à S. Jean: 'ce qui marque assez qu'elle n'avoit point de mari, puisque J.C. n'est point auteur de division ni de divorce.

On a montré son tombeau dans les siecles posterieurs en la vallée de Josaphat pres de Jerusalem. [Les anciens n'en ont point parlé :] & Bollandus croit mesme que ce pouvoit estre le tombeau de Joseph le Juste, proposé avec S. Matthias pour estre elevé à l'apostolat. 'On ne marque point qu'on ait nullepart aucune partie de son corps, 'mais seulement quelques meubles qu'on dit luy avoir servi, '& surtout son anneau de mariage, qu'on pretend avoir à Perouze en Italie, à Semur en Bourgogne, & en quelques autres endroits.

1 'Un sermon que les Benedictins ont mis dans l'appendix de ceux de S. Augustin, & qu'ils jugent pouvoir estre de S. Cesaire, dit que S. Joseph estoit present à l'Ascension de J.C. : [mais il le dit sur une analogie qui ne peut servir de fondement à des faits.]

(Memoires pour servir à l'histoire ecclesiastique, t. I, p.78-79).

 

Qul estoit Arius

Comme l'histoire d'Arius ; & de la secte à laquelle il a donné le nom et l'origine, est mélée d'une part avec celle de plusieurs Saints, & a de l'autre beaucoup d'evenemens considerables, qui feroient de trop longues digressions dans l'histoire des Saints qui y ont eu quelque part, nous avons cru qu'il estoit à propos de faire une suite de tout ce qui regarde cette heresie, pour y toucher en peu de mots ce qui se pourra renvoyer à l'histoire des Saints, & rapporter avec plus d'étendue les choses que nous aurions peine à placer en d'autres endroits.

Le demon voyant que par toute la puissance & la cruauté des hommes, il n'avoit pu maintenir l'idolatrie contre l'adoration d'un seul Dieu, établie dans toute la terre par J.C ; il travailla à la faire regner dans l'Eglise mesme, &, ce qui fait horreur, il y employa le propre nom de JESUS CHRIST, en persuadant aux Fideles que le Verbe & le Fils de Dieu, ce divin Sauveur que les Chrétiens ont toujours fait profession d'adorer, ou estoit un autre Dieu que son Pere, ou ce qui est à peu pres le mesme blaspheme, n'estoit point veritablement Dieu.

...

'Arius estoit assez bien instruit dans toutes les sciences seculieres, & tres habile dans la dialectique. Il avoit la taille extremement haute, une mine grave & serieuse, un abord civil & attirant, un entretien flateur & persuasif. 'Il paroissoit mesme avoir de la vertu & du zele pour la religion; '& quoiqu'il n'eust audedans qu'une passion violente pour la gloire & la nouveauté, 'il avoit neanmoins audehors beaucoup d'apparences & de marques de vertu. 'En un mot, on voyoit en luy toutes les qualitez d'un serpent dangereux, & un exterieur si bien composé, qu'il estoit pour seduire toutes les personnes simples & credules. Il avoit une grande douceur, mais trompeuse, accompagnée d'un silence & d'une modestie affectée qui gagnoit l'esprit de tout le monde, mais qui cachoit audedans une ame pleine des fourberies les plus noires, & capable de produire toutes sortes de crimes (Memoires pour servir à l'histoire ecclesiastique, t. VI, p.239-240).


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