Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 416b-421a - an 703
Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)
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An 703
COMBATS ÉPIQUES OPPOSANT PLANDRIS À CHARLES MARTEL ET À SON FILS PÉPIN, SUIVIS D’UNE RÉCONCILIATION - MARIAGES ORGANISÉS PAR CHARLES MARTEL - HÉRALDIQUE
Myreur II, p. 413b- 421a
A. An 703 = Myreur II, p. 416b-419a : Charles Martel, Pépin, Plandris : combats épiques près de Bastogne et réconciliation
B. An 703 = Myreur II, p. 419b-421a : Les mariages organisés par Charles Martel et l'héraldique
A. An 703 = Myreur II, p. 416b-419a
* Réconciliation finale des adversaires
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Charles Martel, revenant de Bavière, s'arrête à Metz et lance un défi à Plandris, responsable de la mort de sa mère Alpaïde - Plandris ne vient pas mais convoque et rassemble ses alliés |
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[II, p. 416b] [De Char-Martel - Char-Martel diffiat Plandris] Item, l'an VIIc et III revenoit Char-Martel de Beawier, si voloit raleir en Francbe, si s'avisat et veit que ses guerres estoient fineez, et dest qu'ilh n'avoit mie vengiet sa mere cuy Plandris avoit arse ; mains ilh ne rentreroit jamais à Paris, si l'aroit vengiet. Si tournat à Mes en son palais d'Austrie, si mandat à Plandris dimanche. Et Plandris n'en donnat II nois, ains mandat ses hommes d'Osterne et de Hesbay, et envoiat quere le duc d'Ardenne qui est tantost venus awec Plandris, qui portait unc escut burleit d'argent et d'azure à unc lyon de guele, qui d'or estait coroneis. |
[II, p. 416b] [Charles Martel défia Plandris] En l'an 703, Charles Martel revenait de Bavière et voulait retourner en Francie. Il réfléchit, vit que ses guerres étaient terminées, mais pensa que, n'ayant pas vengé sa mère, brûlée vive par Plandris, il ne rentrerait pas à Paris sans l'avoir fait. Il se rendit à Metz, dans son palais d'Austrasie et fit venir Plandris pour le dimanche suivant. Celui-ci n'en tint aucun compte, mais convoqua ses gens d'Osterne et de Hesbaye, et envoya chercher le duc d'Ardenne, qui le rejoignit aussitôt. Il portait un écu burelé d'argent et d'azur, avec un lion de gueules, portant une couronne d'or. |
Considérations sur l'histoire du duché d'Ardenne et sur les armes d'Ardenne, de Bohême et de Limbourg |
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[Les armes d’Ardenne et des dus d’Ardenne - Luchenborch perdit le nom d'Ardenne] Quant la ducheit d'Ardenne, qui estoit la plus grant ducheit de monde, enssi com dit est, fut departie en mult de parchons, ly conté de Luchenborch, qui fut unc des prochains et une parchon, perdit le nom d'Ardenne ; mains ly blason ly demorat. |
[Les armes d’Ardenne et des ducs d’Ardenne - Luxembourg perdit le nom d'Ardenne] Quand le duché d'Ardenne, qui était, comme on l'a dit (II, p. 146), le plus grand au monde, fut divisé en de nombreuses parties, le comté de Luxembourg, la partie du duché proche (de nous), perdit le nom d'Ardenne, mais en conserva le blason. |
[Les armes de Boheme et Lemborch] Et dois altres freres, qui estoient germeals d'on parture, orent le remanant de la ducheit d'Ardenne, et soy appellerent ambdois dus d'Ardenne, et si portat ly I escut d'argent à unc lyon rampant de guele à cowe forchue, et ly altre I escut de guele à I lyon rampant d'argent à cowe forchue, et si oit ly I Bohemme et ly altre Lemborch, et fut oussi grant ly une parchon com l'atre ; mains chis de Lemborch oit plus d'enfans, si fut departie sa terre en mult de parchons. Et deveis savoir que ly nom del ducheit d'Ardenne demorat al derain al duc de Lemborch, car ly altre s'apellat duc de Boheme ; et quant ilh fut roy, si soy nommat-ilh roy, et encor le [II, p. 417] nomme-t-ons roy de Bohemme. |
[Les armes de la Bohême et du Limbourg] Deux autres frères, des jumeaux de naissance, obtinrent le reste du duché, et s'appelèrent tous deux ducs d'Ardenne. L'un porta un écu de gueules d'argent avec un lion rampant à queue fourchue, et l'autre un écu de gueules avec un lion à queue fourchue. Le premier eut la Bohême, le second le Limbourg, des parts aussi grandes l'une que l'autre ; mais comme le seigneur du Limbourg eut plus d'enfants, sa terre fut partagée en de nombreuses parts. Vous devez aussi savoir que le nom du duché d'Ardenne revint finalement au duc de Limbourg. L'autre en effet fut appelé duc de Bohême, mais, après s'être proclamé lui-même roi, il devint roi de Bohême, titre [II, p. 417] qu'il porte encore aujourd'hui. |
Cfr II, p. 146 pour un partage plus ancien du duché par le duc Henri entre ses trois fils. Sur le partage de l'Ardenne, cfr aussi II, p. 465. |
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Combats épiques près de Bastogne opposant d'un côté Charles Martel, aidé de Pépin son fils, et de l'autre Plandris, aidé notamment par les ducs d'Ardenne et de Bohême |
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[Batalhe à Bastongne entre Plandris et Char-Martel] Ors est ly dus d'Ardenne venus deleis Plandris. Tant fist Plandris qu'ilh oit XXm hommes, et Char-Martel en oit XXXm ; mains Plandris est aleis encontre Char-Martel jusqu'à Bastongne. Et là se sont-ilhs encontreis, si soy corurent sus, et là oit mult de gens ochis et abatus, car Plandris estoit uns de bons chevalier de monde ; si aloit parmy l'estour, si ne feroit homme qu'ilh ne fust à terre jetteis mors ou affoleis, et enssi faisoit ly dus d'Ardenne. |
[Bataille à Bastogne entre Plandris et Charles Martel] Ainsi le duc d'Ardenne vint s'allier à Plandris. Celui-ci réussit à rassembler vingt mille hommes, tandis que Charles Martel en avait trente mille. Plandris marcha contre Charles Martel jusqu'à Bastogne. C'est là qu'ils se rencontrèrent et s'attaquèrent. Il y eut beaucoup de gens tués et abattus, car Plandris était un des bons chevaliers dans le monde. Quand il parcourait le champ de bataille, chaque homme qu'il frappait était terrassé, mort ou blessé. Le duc d'Ardenne faisait de même. |
Et d'altre part Char-Martel et Pipin son fis le fasoient en teile manere : et at Char-Martel ochis Johan de Duras et son cheval deffrossiet de son martel, et Pipin at ochis Thyri de Bollongne ; si at ochis Tybaut de Nyvelle, Gerars de Jupilhe et Angorant de Hermalle. Et li conte Plandris at ochis le castelain de Grele et Conrars de Sains-Materne qui estoit homs à Char-Martel, et Guyon, le sires de Viane, at tous ochis et les altres reculeis jusques à Char-Martel. Et Char-Martel at ochis Guilhame de Lonchin et Thyri de Vileir, Johan de Cheretal et Obiers le Salvaige, et plus de XL aultres at ochis qui tous estoient chevaliers, et fist tant qu'ilh vint à Plandris et li dest : « Vilain, par le Dieu de paradis, vos y moreis. » |
Dans l'autre camp, Charles Martel et son fils Pépin en faisaient tout autant. Charles Martel avec son marteau tua Jean de Duras et blessa son cheval ; son fils Pépin tua Thierry de Bologne, ainsi que Thibaut de Nivelles, Gérard de Jupille et Enguerrand de Hermalle. Le comte Plandris tua le châtelain de Grele et Conrad de Saint-Materne, un homme de Charles Martel, ainsi que Guy, le seigneur de Viane ; il les tua tous et fit reculer les autres jusqu'à Charles Martel. Celui-ci tua Guillaume de Loncin et Thierry de Villers, Jean de Chertal et Obert le Sauvage, et plus de quarante autres, qui tous étaient chevaliers. Il finit par arriver près de Plandris et lui dit : « Vilain, par le Dieu du paradis, vous allez mourir ici. » |
[Plandris displetat Char-Martel] Et Plandris ly dest : « Faux awoutrons, vos menteis, gangniés en adultere, vilains bastars, puans, se tu n'estois prevoste de Franche, je ne donroie de toy ne des tiens dois nois ; fours mis la prevosteit, tu ne vals riens, car tu n'es neis fours que de murdreurs, tu ne fus onques ly fis Pipin ; mains je suy de roy et d'emperreirs extrais. » Quant Char-Martel l'entendit, se fut mult honteux ; mains riens ilh ne respondit, ains le ferit à plains bras de son martel sour son hayme. Chis levat encontre ly l'escut et si legenchist ariere, et li cop desquendit sour le cheval, si chaiit mors. Et li conte resalt sus, si referit Char-Martel, siqu'ilh ly trenchat hayme et coffre, et li resat la char et cheveais. Quant ses gens veirent chu, si assalhent le conte, et ilh soy defent, car ilh detrenchoit ches armes et jettoit tout à terre. Et adont ochist-ilh Guys d'Orlins et Thomas et Symon, ses dois freres, et Leonas de Gant, et Ponchart de Pirepont, Arnouls de Chartasoie et Andolas, son frere, et bien jusques à XX en jettat ochis sour les champs, et ochist le cheval Char-Martel, si chaiit à terre Char-Martel ; mains ilh salhit en pies, si corut sus Plandris. |
[Plandris injuria Charles Martel] Et Plandris lui dit : « Faux avorton, menteur, né d'un adultère, vil bâtard, être puant, si tu n'étais pas prévôt de Francie, je ne donnerais pas deux noix ni de toi ni des tiens ; à part ta prévôté, tu ne vaux rien, car tu ne proviens que de meurtriers, tu ne fus jamais que le fils de Pépin. Moi, je suis issu de rois et d'empereurs. » Quant Charles Martel entendit cela, il se sentit tout à fait déshonoré. Il ne répondit rien mais, des deux bras, avec son marteau, il le frappa sur le heaume. Plandris leva contre lui son écu et se jeta en arrière ; le coup s'abattit sur le cheval qui tomba mort. Le comte se redressa et frappa à son tour Charles Martel, au point de trancher entièrement son heaume et de frôler sa peau et ses cheveux. Quand les gens de Charles virent cela, ils attaquèrent le comte Plandris qui se défendit, mettant en pièces leurs armes et jetant tout à terre. C'est alors qu'il tua Guy d'Orléans, et ses deux frères Thomas et Simon, ainsi que Léonard de Gand et Ponchart de Pierrepont, Arnoul de Chartasoie et son frère Andolas. Il laissa au moins vingt morts sur le terrain, après avoir tué le cheval de Charles Martel. Celui-ci tomba à terre mais se releva et fonça sur Plandris. |
[Terrible batalhe] A chi cop entrat en la [II, p. 418] batalhe Mychelas, li sires de Hasselt et prevoste de Duras, à IIm hommes, et ochist tantost Baudris de Corsabrine, se li mettit son espée jusqu'en pis, si prent son cheval, si le donnat à conte Plandris, puis assalhent Char-Martel emmetant que Plandris remontoit, et Char-Martel soy defendit teilement qu'ilh en ochist là plus de XL. Et ly dus d'Ardenne assalhit Char-Martel ; mains ilh fist là tant de fais d'armes que ons ne les poroit racompteir, et finablement ilh fist tant qu'ilh ly ont lassiet la plache et s'enfuirent ariere. |
[Terrible bataille] C'est alors que Nicolas, seigneur de Hasselt et prévôt de Duras, entra dans la [II, p. 418] bataille avec deux mille hommes. Il tua aussitôt Baudris de Corsabrine, en lui enfonçant son épée jusqu'à la poitrine, lui prit son cheval, le donna au comte Plandris, puis alla attaquer Charles Martel pendant que Plandris remontait en selle. Charles Martel se défendit si bien qu'il tua là plus de quarante hommes. Le duc d'Ardenne aussi était venu l'attaquer mais Charles accomplit tant de faits d'armes qu'il serait impossible de les énumérer. Finalement ses adversaires lui laissèrent la place et reculèrent en fuyant. |
Atant vint Plandris, qui bassat une lanche qu'ilh avoit prise por josteir à Char-Martel. Mains Pipin, qui brochoit vers son pere por ly aidier, le voit, si basse sa lanche droit à Plandris, si ont josteit ; mains Pipin abatit Plandris et prist son cheval et le donnat à son pere, qui tantost montat sus. Et les gens Plandris remontarent tantost Plandris, qui at grant vervongne de chu que chis nains l'avoit abatus ; mains Nycolas de Hasselt ly dest qu'ilh ne savoit en monde chevalier, s'ilh avoit à Pipin à faire, qu'ilh n'en auroit asseis affaire. Et puis Pipin entrat en la batalhe, si ochioit à diestre et à senestre, et li conte Plandris le voit, si brochat vers luy et le ferit sour son hayme et ne laissat riens à detrenchier. Mains Pipin brochat son cheval, chu l'at salveit del mort, et soy retournat vers le conte Plandris ; mains ilh y oit tant de gens qu'ilh n'y pot avenir, si at ochis Synagloire, le sire d'Oredon. |
Alors Plandris arriva, pointant une lance qu'il avait prise pour lutter contre Charles Martel. Mais Pépin, qui éperonnnait son cheval pour aller aider son père, pointa la sienne droit sur Plandris. Les deux hommes se battirent. Pépin terrassa Plandris, lui prit son cheval et le donna à son père, qui aussitôt le monta. Les gens de Plandris le relevèrent immédiatement. Il était très vexé d'avoir été terrassé par ce nain, mais Nicolas de Hasselt lui dit qu'il ne connaissait au monde aucun chevalier qui, face à Pépin, serait capable de s'en sortir. Pépin entra dans la bataille et se mit à tuer à droite et à gauche. Le comte Plandris l'aperçut, fonça sur lui et le frappa sur son heaume qu'il détruisit complètement. Mais Pépin éperonna son cheval, ce qui le sauva de la mort. Il se retourna vers le comte Plandris ; mais il y avait tant de gens qu'il ne put l'atteindre, et il tua Synagloire, le seigneur d'Orédon. |
Forte fut la batalhe, et Char-Martel faisoit mult de fais d'armes. Devant Plandris meismes at-ilh ochis Hercules, le sires de Grauz, et Ernuls, le sires de Biersés. Quant Plandris l'at veyut, si at pris une lanche, si assenat Char-Martel teilement que son escut et habier at tout desrot, et le navrat en son costeit. Char-Martel soy vot vengier, mains tant de gens soy ferirent entre eaux qu'ilh n'y pot avenir : si at ochis Fouque de Juprelle et Massar de Vernay et Symon de Valendar. Et d'autre costeit estoit Plandris, qui at ochis les dois fis Guyon de Moncornés, Guys et Jonars et Alars. Et Pipin d'altre costeis at ochis le sires de Seray. Et ly dus d'Ardenne le voit, si at ferus Pipin ; mains l'espée redosat contre le hyamme et desquendit sour le cheval, si ly trenchat la tieste, et Pipin resalhit sus en piés, et si escriat : Austrie ; si at Gombar ferut teilement, qu'ilh ly fist le tieste voleir bien [II, p. 419] lonche. |
La bataille fut violente, et Charles Martel accomplissait de nombreux exploits. Devant Plandris lui-même, il tua Hercule, seigneur de Grauz, et Arnoul, seigneur de Bierset. Quand Plandris le vit, il saisit une lance et l'asséna si fort sur Charles Martel qu'il brisa son écu et sa cotte de mailles, le blessant au côté. Charles voulut se venger, mais il y avait entre eux tant de combattants qu'il ne put y parvenir : il tua Foulque de Juprelle et Massar de Vernay et Simon de Valendar. De l'autre côté, on trouvait Plandris qui tua les deux fils de Gui de Moncornet, Guy et Jonard et Alard. Pépin de son côté tua le seigneur de Seraing. Le duc d'Ardenne le vit et frappa Pépin ; mais l'épée rebondit contre son heaume et tomba sur son cheval, lui tranchant la tête. Alors Pépin sauta par terre et s'écria : Austrasie ; et il frappa si fort Gombart qu'il fit voler sa tête très [II, p. 419] loin. |
Quant Symon, son peire, veit chu, si at lanchiet II dars apres Pipin dont ilh fut navreis si fort en la cusse qu'ilh est chayus à terre, et là fut-ilh pris par IIII chevaliers de Hambreux qui furent freres : si furent nommeis Baldevin, Johan, Alardin et Philippe. Ches ont emmeneis Pipin ; mains Frangnus Daute l'at dit à Char-Martel qui les corut sus, si at ochis Colin de Foux, et Colin le sires de Frangnée et son frere Pinchars, et plus de XL altres ; mains Brochars, li sires de Hacour, et son frere Gerar ont josteit à Char-Martel, si l'ont si fort navreit qu'ilh soy tournat d'on costeit et estopat ses plaies d'on Iindrap, et puis rentrat en l'estour. |
Quand son père Simon vit cela, il lança deux traits contre Pépin, qui fut blessé à la cuisse si gravement qu'il tomba à terre. Alors il fut pris par les quatre chevaliers de Hambreux, des frères, nommés Baudouin, Jean, Alardin et Philippe. Ils emmenèrent Pépin, mais Frongnut Daute le dit à Charles Martel qui courut les attaquer. Il tua Colin de Fooz, et Colin le seigneur de Fragnée, et son frère Pinchart, et plus de quarante autres ; mais Brochart, le seigneur de Haccourt et son frère Gérard attaquèrent Charles Martel et le blessèrent si gravement qu'il se retira pour soigner ses plaies avec un tissu de lin, avant de retourner au combat. |
Adont ly estour reforchat al revenue Char-Martel ; mains la nuit vient, qui les fist departir, dont Char-Martel fut mult lies, car ilh estoit grandement navreit, et li coroit ly sanc jusques à terre de ses plaies. Adont dest Char-Martel : « Hée Dieu ! beais peire de paradis, j'ay maintes paiis conquis, mains je ne trovay onques miedres gens que cheaux sont, car j'ay perdut dois hommes toudis encontre unc de leurs ; si est mon fis Pipin pris et mis en prison, et je suy navreis, dont j'ay le cuer desconforteit ; je croie que sains Lambers donne à ses gens forche et vertu, cuy mes oncles murdrirent com malvais trahitres, si le fist ma mere murdrir. Or ay-je en volenteit, en nom de Dieu et de sains Lambers, del rendre mon espée al conte Plandris, por li faire plus grant honneur. » |
Le combat reprit en force au retour de Charles Martel, mais la nuit tomba, ce qui les amena à se séparer. Charles Martel s'en réjouit beaucoup, car il était gravement blessé, et le sang de ses plaies coulait jusqu'à terre. Alors il dit : « Hée Dieu ! beau père du paradis, j'ai conquis beaucoup de pays, mais je n'ai jamais rencontré de meilleurs guerriers que ceux-ci, car j'ai perdu deux hommes quand ils en perdaient un. Mon fils Pépin est pris et mis en prison ; je suis blessé, ce qui m'enlève tout courage ; je crois que saint Lambert donne force et ardeur à ses gens, qui ont massacré mes oncles comme de mauvais traîtres et qui ont fait mourir ma mère. Désormais, ma volonté est, au nom de Dieu et de saint Lambert, de rendre mon épée au comte Plandris, et ainsi lui faire plus grand honneur. » |
[Char-Martel donnat son espée à Plandris en signe de pais] Atant brochat son cheval et donnat son martel à unc sien chevalier, et sachat son espée et le presentat à conte Plandris, et dest enssi : « Beais sires, en signe d'amour prendeis le mien espée por le miedre espée de monde que je sache, et por Dieu moy pardonneis del tout felonie et matalent ; je vos prie merchis, et welhe amendeir le forfait à vostre plaisier. » Quant li conte Plandris l'entendit, se li dest mult douchement : « Beais sires, entre nos soit ferme pais et bonne amour sens fiction, car je vos weulhe à tosjours servir, sicom mon soverain, se chu est vostre plaisier. » |
[Charles Martel donna son épée à Plandris en signe de paix] Alors il éperonna son cheval, donna son marteau à un de ses chevaliers, dégaina son épée et la présenta au comte Plandris en lui disant : « Beau sire, en signe d'affection, prenez mon épée, la meilleure épée au monde, que je sache, et par Dieu, pardonnez-moi toute cette violence et cette animosité que j'ai manifestées ; j'implore votre pitié et voudrais réparer ma faute, à votre convenance. » Quand le comte l'entendit, il lui répondit très aimablement : « Beau sire, que règne entre nous une paix solide et une affection sincère, car je voudrais toujours vous servir comme mon souverain, si tel est votre bon plaisir. » |
[Char-Martel et Plandris soy basent] Atant ostarent ambdois leurs haymes, si soy sont baisiet l'un l'autre. Là veisiés ploreir mains barons de joie et de piteit, et puis se sont retrais casconne partie leurs gens. Et cessat enssi la batalhe par apparant myracle. Ilh sont ensemble logiés trois jours, et emmetant at-ensevelis les mors, puis ont leurs gens departis. Adont Char-Martel s'envient à Liege à privée masnie, où sains Hubers le fiestiat grandement. Et li conte Plandris y fut oussi, et Pipin awec. |
[Charles Martel et Plandris s'embrassent] Alors tous deux ôtèrent leurs heaumes et s'embrassèrent. Et là vous auriez pu voir de nombreux barons pleurer de joie et de soulagement. Les deux parties retirèrent ensuite leurs gens. Ainsi cessa la bataille, comme par miracle. Ils campèrent ensemble durant trois jours, pendant lesquels ils ensevelirent les morts, puis renvoyèrent leurs troupes. Ensuite Charles Martel en compagnie des gens de sa maison se rendit à Liège, où saint Hubert lui fit grande fête. Le comte Plandris y participa aussi, ainsi que Pépin. |
B. An 703 = Myreur II, p. 419b-421a
Mariages organisés par Charles Martel dans le diocèse dirigé par saint Hubert et considérations héraldiques complexes sur les armes de plusieurs seigneurs et de plusieurs territoires
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[II, p. 419b] [Des nobles mariages qui furent fais à Liege par Char-Martel] Ors est raison que je vos racompte de mes nobles mariages. Ly conte [II, p. 420] Plandris avoit trois fis beais et nobles : Aper, Lambers et Hubers. Et Char-Martel donnat Aper à femme la filhe le conte de Flandre, Helaine ; chis fut conte d'Osterne apres son pere. Et à Lambers ilh donnat Johanne, le filhe le conte de Lovay, et sa soreur Phanie at donneit à Hubier. Et à cascon at donneit terre et saingnorie à gran fuison ; car à Lambers donnat Chaynées à toutes ses appendiches, et le fist castelain de Chyvremont, et le nommoit-ons adont la terre Sains-Materne : si astoit Embour, Sauhi, Tiule et Meriwe, et jusques à Lovengnée tout de sa domination. En apres ilh donnat à Hubers Jupille et tout chu qu'ilh y appendoit à lée, jusques à la terre que ons dist maintenant de Falconmont. |
[II, p. 419b] [Les mariages célèbres accomplis à Liège par Charles Martel] Il convient maintenant que je vous parle de mariages célèbres. Le comte [II, p. 420] Plandris avait trois fils, beaux et nobles : Aper, Lambert et Hubert. À Aper, qui fut comte d'Osterne après son père, Charles Martel donna pour femme Hélène, fille du comte de Flandre. À Lambert, il donna pour épouse Jeanne, fille du comte de Louvain, et à Hubert Phanie la soeur de Jeanne. Et à chacun d'eux il donna terres et seigneurie à profusion. En effet, à Lambert, il donna Chênée avec toutes ses dépendances et le fit châtelain de Chèvremont, qu'on nommait alors la terre de saint Materne, c'est-à-dire Embourg, Sauheid, Tilff, Méry jusqu'à Louvegnée, le tout sous son autorité. À Hubert, il attribua Jupille et tout ce qui dépendait d'elle, jusqu'à la terre dite maintenant terre de Fauquemont. |
[Les armes de Chayneez et de Jupilhe] Item, Lambers, li sires de Chayneez, portoit les armes d'Osterne que Plandris son peire portoit de X pieches d'or et de geule ; mains ilh y mist cel differenche qu'ilh le dentat altour de sable. Et Hubers les porlat enssi les armes de peire (corr. Bo) esquargeleit (= esquartelé) altour, et encors sont ches armes de Chayneez et de Jupilhe à jourd'huy ; si les ont depuis porteis maintes nobles hommes, et les nommat-ons le lynage dez peires, portant qu'ilh venoient de dois freres. |
[Les armes de Chênée et de Jupille] Lambert, le seigneur de Chênée, portait les armes d'Osterne, celles de Plandris, constituées de dix pièces d'or et de gueules ; mais il y introduisit une différence, en les entourant de dents de sable. Hubert porta aussi les armes de son père, un écu divisé sur le contour. Ce sont encore aujourd'hui les armes de Chênée et de Jupille. Depuis ce temps-là, beaucoup d'hommes illustres les ont portées : on les nomma le lignage des pairs du fait qu'ils descendaient de deux frères. |
Apres ilh donnat à Elis, la filhe al duc d'Ardenne, Engorant le sire de Noion. Si en issit III fis, dont ly jovene Symon servit al conte de Clermont ; si oit puis à femme Aigletine, le filhe Guys le sires de Bersés. Chis Symon si enprist à porteir les armes le duc d'Ardenne, son ayon, peire à sa mere, qui estoient burleis d'argent et d'asur à unc lyon rampant de geule, coroneis et ongleis d'or. Apres donnat Char-Martel aux trois fis le duc d'Ardenne : promirs al anneit Guys Beatrix, la filhe Plandris, et aux dois altres Eudon et Engorant donnat les dois filhes Buevon, le duc d'Orlien ; et les donnat terre, à l'unc Ghistelle et à l'atre Fleron, et tout chu qui apartinoit à elles, car à Fleron estoient toutes les vilhes et la terre jusques à Aize-le-Grain, et altour, revenant V liwes. |
Ensuite Charles Martel donna Élise, fille du duc d'Ardenne, à Enguerrant, le seigneur de Noyon. De cette union naquirent trois fils, dont le plus jeune, Simon, fut au service du comte de Clermont et épousa plus tard Aigletine, la fille de Gui, seigneur de Bierset. Ce Simon décida de porter les armes du duc d'Ardenne, son aïeul, père de sa mère, armes faites de bandes horizontales d'argent et d'azur, avec un lion rampant de gueules, avec une couronne et des griffes d'or. Charles Martel donna ensuite des épouses aux trois fils du duc d'Ardenne : d'abord il donna Béatrice, fille de Plandris, à Gui l'aîné et, aux deux autres, Eudes et Enguerrant, il donna les deux filles de Buevon, le duc d'Orléans ; et comme terre, il leur donna, à l'un Ghistelle et à l'autre Fléron, avec toutes leurs dépendances, car de Fléron dépendaient tous les villages et la terre jusqu'à Aix-la-Chapelle, et à l'entour, sur cinq lieues. |
[Les armes de pluseurs saignours] Eudon prist les armes d'Ardenne, altrement que ilh les burlat d'or et de sinable ; et Engorant de Fleron burlat les sienes d'argent et de synable, et n'y oit altre differenche. Apres fut là Thiris de Forquendre, ch'est maintenant Squendremal, qui fut ly XIIIIe de freres ; mains leur pere estoit sire de Squendremal : ches freres furent tous mariés. |
[Les armes de plusieurs seigneurs] Eudes prit les armes d'Ardenne, mais il les burela d'or et de sinable ; et Enguerrant de Fléron burela les siennes d'argent et de sinable, sans autre différence. Après il y eut là Thierry de Forquendre, actuellement Xhendremal, qui était le quatorzième des frères. Leur père était le seigneur de Xhendremal ; tous ces frères furent mariés. |
[Des armes de Tongre] Et Thiris, li anneis frere, chis portat I escut de fin or, ch'estoient les armes [II, p. 421] del roy de Tongre ; mains Char-Martel ly oistat, et dest que à la saingnorie del evesqueit de Liege doit appartenir par succession ; se li fist prendre les armes depart sa mere, qui estoit ly blason de Nyvelle, unc escut ondeis, varieez contre varies de geule et d'argent. Et affin que Thiris fust dis qu'ilh estoit anneit fis de linage de Tongre, ilh prist une fasse ou une bende des armes de Tongre, qui li tesmongnoit luy estre desquendus de Tongre, et oussi ilh criat toudis Tongre, pour son essengne. Encor nommons chestii blasons Tongre. |
[Les armes de Tongres] Et Thierry, le frère aîné, porta un blason d'or fin, correspondant aux armes [II, p. 421] du roi de Tongres ; mais Charles Martel le lui ôta, disant que ce blason devait par succession appartenir à la seigneurie de l'évêché de Liège ; et il lui fit prendre les armes de sa mère, c'est-à-dire le blason de Nivelles, un écu orné de vagues alternant de gueules et d'argent. Et afin que Thierry soit reconnu comme fils aîné du lignage de Tongres, il prit un bandeau ou une partie des armes de Tongres, témoignant qu'il était descendant de Tongres et criait toujours Tongres, comme signe de reconnaissance. Nous nommons encore ce blason 'Tongres'. |
[Armes de Vileir] Et les altres freres Thiri portarent les armes parmy Hesbay depart leurs meires : li unc, Vileir, d'argent orleit et fasiet de geule, et li altre d'or orleit et fasciet de geule ; et li altre les armes Dodo, qui avoit à nom sires Jordan et estoit chevalier, qui fut fis sire Germains le capelain Char-Martel, et si estoit moyne et sacrestain de Compingne. |
[Armes de Villers] Et les autres frères de Thierry portèrent, en Hesbaye, les armes venant de leurs mères : l'un, Villers, un blason bordé d'argent et et de bandes alternées de gueules, et l'autre un blason bordé d'or et portant des bandes alternées de gueules ; un autre encore portait les armes de Dodon ; il s'appelait sire Jourdain et était chevalier ; c'était le fils de sire Germain, le chapelain de Charles Martel, qui était moine et sacristain de Compiègne. |
[Armes de Avroit] Si avoit à cheli Jordain, son filh, Char-Martel donneit la terre d'Avroit, si portoit les armes Dodo, qui estoit unc escut de geule à III pautes de lyon d'or. |
[Armes d'Avroy] Charles Martel avait donné la terre d'Avroy au fils de ce Jourdain, qui portait les armes de Dodon, un écu/blason de gueules, avec trois pattes de lion d'or. |
[Texte précédent II, p. 413b-416a] [Texte suivant II, p. 421b-424a]