Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 211b-226a
Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)
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Ce fichier comporte trois parties :
* Myreur, p. 211b-215a (A. Formation de Virgile - Expansion romaine en Orient et en Occident - Judée) [ans 63-60] [sommaire] [texte]
* Myreur, p. 215b à 219a (B. Rivalités en Occident - Rôle de César - Divers) [ans 58-53] [sommaire] [texte]
* Myreur, p. 219b à 226a (C. Crassus et Pompée - César à Lutèce - Pompée vaincu par César - Antipater monte en puissance [ans 52-46 ?] [sommaire] [texte]
Introduction générale Aux trois parties
Ce long fichier aborde plusieurs sujets différents, englobant des faits, réels et fictifs, répartis sur les années 63 a.C.n. à 46 a.C.n. Ils concernent principalement des personnalités romaines comme Pompée, Crassus, César, Antoine, dont sont envisagées les activités sur plusieurs théâtres d'opérations.
De Virgile lui-même, il est peu question dans ce fichier, sinon de sa formation et, à ce propos, le développement des idées personnelles de Jean sur l'éducation (p. 211) ne manque pas d'intérêt.
Nous ne nous attarderons pas sur les détails de l'expansion militaire de Rome en Occident et en Orient. Ici encore, chaque notice devrait être confrontée à la réalité historique, mais il est exact que Jean, avec un comput personnel parfois sensiblement différent du nôtre, traite avec une certaine justesse d'une période qui a vu la création de plusieurs provinces romaines. Ainsi, les années 102 à 58 avant notre ère ont vu naître les provinces de Cilicie, de Cyrénaïque, de Gaule Cisalpine, de Bithynie et du Pont, de la Crète, de la Syrie, de Chypre. Le tableau d'ensemble est donc relativement correct, même lorsqu'il s'agit de détails comme le pillage du temple de Jérusalem en 54 avant notre ère par Crassus, le gouverneur de Syrie. Soit dit en passant, la tradition du supplice de Crassus par l'or fondu versé dans sa bouche, même s'il n'est pas historique, appartient en tout cas à la tradition ancienne (p. 219-220). On en reparlera ci-dessous.
Cela étant dit, ce qui concerne Jules César, toutes ses activités orientales ou occidentales, telles que les présente Jean, doivent être particulièrement soumises à la critique.
Pour le théâtre oriental, nous nous limiterons à deux exemples. Jules César n'a jamais conclu le moindre accord avec Tigrane, contre lequel il n'a jamais lutté. Le geste magnanime que lui attribue Jean (p. 212) appartient en réalité à Pompée ; quant au royaume ituréen, il n'a jamais été conquis par César mais par Aristobule I, qui l'annexa au royaume de Judée. Mais le récit qui s'éloigne le plus de l'histoire authentique est celui des opérations de Jules César en Occident. Celui-ci n'a évidemment jamais conquis, comme l'affirme Jean, « la Hongrie, la Bulgarie, la Pannonie, la Frise, la Saxe, le Danemark, la Hollande, la Zélande, Trèves, Metz, Tongres » (p. 218). La guerre des Gaules qu'il a entreprise dura de 58 à 50 avant notre ère et il l'a racontée en détail dans le De bello Gallico, la seule source dont nous disposions sur ce sujet.
Mais, on l'a déjà dit, sur les Gaulois, leurs chefs et leurs guerres, Jean raconte en détail beaucoup d'événements qui n'ont rien rien à voir avec l'histoire et fleurent bon l'épopée. On se souviendra en particulier de ce que nous avons appelé la Geste de Clétus et de Franbal (p. 128ss). Clétus et Franbal n'interviennent plus dans le présent fichier qui propose une autre « geste gauloise », avec l'histoire d'Yborus de Gaule, d'Hanigos de Bretagne, de Théodogus de Barbastre et de Tongris de Tongres, histoire complexe et fantaisiste qui permet toutefois à notre chroniqueur d'introduire au passage le César « historique », tout simplement en faisant de Théodogus un oncle de César. Habile mélange, on le voit, de la fiction et de la réalité historique. On verra aussi dans les présentes pages César intervenir en Gaule pour punir ‒ ô combien cruellement ! ‒ Hanigos d'avoir massacré Théodogus. En matière de cruauté, la vengeance de César est un morceau d'anthologie (p. 217-218). Mais tout comme Clétus et Franbal étaient propres au Myreur, c'est-à-dire absents de la Geste de Liège, il en est de même de Théodogus de Barbastre et d'Hanigos dont on chercherait en vain la trace dans la Geste, qui ne connaît que les rapports, d'abord conflictuels, puis cordiaux, entre Sédros et César (vers 1355-1551).
Toujours en ce qui concerne Rome, le récit des affrontements entre Pompée et César chez Jean peut lui aussi faire l'objet de nombreuses critiques. Deux seuls exemples ici encore. Quand César, après avoir franchi le Rubicon (49 avant notre ère) ‒ un épisode non mentionné dans le Myreur ‒ se présente avec ses troupes devant Rome (p. 221), il n'y eut pas dans l'histoire authentique le premier jour de ce mois, un violent combat (« terrible et pesant ») entre les deux armées sous les murs de Rome, pour la bonne et simple raison que Pompée avait fui sans se battre, abandonnant la ville à César. Quant à la modification du Quintilis en Iulius, soi disant pour conserver le souvenir de cette victoire, elle n'eut lieu qu'en 44 avant notre ère, après la mort et en l'honneur de César.
Et lorsque Pompée, après sa défaite totale à Pharsale, en 48 avant notre ère, tenta de se réfugier en Égypte, il ne put certainement pas faire tout ce que Jean lui attribue, pour la simple raison qu'il fut assassiné dès son arrivée, sur l'ordre d'ailleurs du Pharaon Ptolémée. Par contre, la bataille de Pharsale, en Thessalie (l'Émathie de Jean), appartient à la tradition antique, tout comme l'épisode concernant la tête de Pompée. Quant aux titres portés à Rome, César n'a jamais été empereur, comme le pense Jean qui ne fait que refléter sur ce point la tradition médiévale (p. 223) ; il a été nommé dictateur pour dix ans en 46 avant notre ère, puis dictateur à vie en 44 avant notre ère, l'année même de sa mort.
Jean est d'ailleurs peu au fait des réalités institutionnelles romaines. Parmi les événements de l'année 56 a.C.n. (p. 217), il envisage à Rome trois consuls, César, Crassus et Pompée, ce dernier étant aussi tribun. C'est là une mauvaise interprétation de ce que les Modernes appellent souvent le « premier triumvirat », appellation impropre pour désigner un accord informel, privé en quelque sorte, conclu en 59 avant notre ère, entre César, Pompée et Crassus. Les trois personnages promettent de s'aider à obtenir des charges politiques. César est le premier à bénéficier de cet appui. Il se fit élire au consulat cette année-là, avec Bibulus, son collègue « évanescent ». Il a déjà été question ailleurs du triumvirat (p. 208-209).
Une des caractéristiques des présentations de Jean d'Outremeuse, c'est le mélange acritique de l'histoire et de la légende. L'épisode de Crassus (p. 219) en est un bel exemple. Il est exact qu'après son consulat de 55 avant notre ère, Marcus Licinius Crassus Diues avait obtenu le commandement des armées de Syrie. Il n'était évidemment ni « comte de Syrie », ni « un des trois consuls de Rome », comme l'écrit Jean, mais simplement proconsul en Syrie. Il est exact qu'il a pillé le temple de Jérusalem, qu'il a attaqué les Parthes et que son armée a été anéantie en juin 53 avant notre ère à Carrhes, dans le désert, à l'est de l'Euphrate. Mais la suite ne correspond plus à la réalité. Crassus a bien trouvé la mort, mais lors de la retraite. Parmi les nombreux auteurs anciens qui parlent de lui, seul Dion Cassius (Histoire romaine, XL, 26-27) rapporte, avec des réserves, l'histoire de l'or fondu versé dans sa bouche. Saint Jérôme (dans sa Chronique), le seul à signaler qu'il avait été fait prisonnier (apud Carras captus), ne dit rien de cette mort. C'est une légende destinée à illustrer la cupidité bien connue du personnage et sa richesse devenue proverbiale à Rome. L'histoire de l'or fondu a eu plus de succès au Moyen âge que dans l'Antiquité. Elle apparaît par exemple dans le Roman des Sept Sages de Rome, où elle est appliquée à l'empereur Auguste dans le récit de la destruction des statues magiques de Rome (cfr FEC, t. 26, 2013).
Derrière le nom Abdos, qui serait selon Jean (p. 219-220) le gouverneur de Carrhes et le responsable du supplice de Crassus, pourrait se dissimuler Abgar II Ariamnès, un roi d'Édesse, qui avait poussé Crassus à franchir l'Euphrate pour affronter les Parthes et qui ensuite l'avait trahi (Plutarque, Vie de Crassus, XXI-XXII).
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Les nombreuses notices sur la Judée (p. 214ss et p. 224ss) prolongent celles du fichier précédent (p. 207ss), qui présentaient longuement l'état du pays après la vive intervention militaire romaine et les importantes décisions de Pompée. Le gouvernement réel de la Judée était désormais aux mains du gouverneur romain de Syrie. Il n'y avait plus de roi dans une Judée territorialement réduite, dont les fortifications avaient été détruites et qui ne disposait que d'un pouvoir central assez faible. Hyrcan II, qui conservait la charge de grand-prêtre et un vague titre d'« ethnarque des Juifs », devait assurer la gestion normale du pays avec Antipater, qui était un peu « l'homme de Rome ».
Rappelons aussi que lorsque Pompée regagnait Rome en 62 avant notre ère, emmenant avec lui, comme prisonniers, Aristobule II et tous ses enfants, l'aîné de ses fils, Alexandre, s'était échappé et avait tenté de soulever la Judée. Jean montrait aussi le rôle apaisant qu'avait alors joué dans le conflit la mère d'Alexandre, femme d'Aristobule, restée en Judée. Le récit de Flavius figure dans la Guerre des Juifs, I, 8, 1-5.
La nouveauté amenée ici par Jean se réfère à une nouvelle tentative de renverser le faible pouvoir d'Hyrcan, menée quatre ans plus tard, en 58 avant notre ère, cette fois par un autre fils d’Aristobule, Jonathan Alexandre II. Ce dernier s’était enfui de Rome, avait rejoint la Judée, avait réuni des hommes et s'était proclamé roi. Hyrcan fut obligé de fuir Jérusalem et de demander l'aide de Gabinius, lequel réprima la révolte, fit prisonnier Jonathan Alexandre et fit rentrer Hyrcan à Jérusalem. Le récit de Flavius figure dans la Guerre des Juifs, I, 8, 6.
De la lecture des présentations qui précèdent et qui correspondent aux événements historiques, le lecteur retire l'impression que dans ses notices de la p. 214, Jean mélange quelque peu les données, en exposant d'abord la tentative de Jonathan Alexandre II, puis celle de son frère Alexandre, antérieure pourtant de quelque quatre années et déjà mentionnée précédemment d'ailleurs (p. 207-208). Quoi qu'il en soit, Antipater et Hyrcan II demeurent fidèles à Rome, en dépit de l'abaissement de l'état judéen et des mesures vexatoires imposées par la nouvelle puissance conquérante.
Jean revient aux affaires de Judée (p. 224) sans avoir mentionné dans ses notices sur Crassus qu'en 54 avant notre ère, celui-ci était passé par la Judée en allant mener une campagne contre les Parthes et qu'il s'était traitreusement emparé de l'or du temple de Jérusalem (Antiquités juives, XIV, 105-109, et Guerre des Juifs, I, 179). Jean n'avait pas non plus signalé que la mort de Crassus l'année suivante avait provoqué une nouvelle révolte juive suscitée par un partisan d'Aristobule II et matée par le proconsul Cassius Longinus. En fait, l'agitation en Judée était endémique.
Mais la chose importante était que la situation en Italie avait beaucoup changé. Pompée avait quitté Rome en 49 avant notre ère pour s'enfuir en Thessalie et laisser le pouvoir à César. Pompée allait bientôt disparaître : battu à Pharsale, il gagnera l'Égypte où il trouvera la mort en 48 (la question est évoquée par Jean aux p. 221ss).
Pour la Judée et les Juifs, ces événements avaient une extrême importance. En effet, dans la guerre civile entre Pompée et César, la maison d’Hyrcan II, protégée par Pompée, s'était jusqu'alors engagée du côté de celui-ci. La situation allait évoluer en faveur d'Aristobule II (toujours prisonnier à Rome, rappelons-le). Dès son arrivée aux affaires, en 49 avant notre ère, César libéra Aristobule II et l'envoya même en Syrie avec des soldats pour empêcher Pompée d'y mobiliser des troupes. Mais les partisans de Pompée étaient encore puissants : ils empoisonnèrent Aristobule. Quant à Jonathan Alexandre II, fils d'Aristobule II, il fut égorgé à Antioche sur ordre de Pompée. Seul un fils d'Aristibule II restait désormais en vie, Antigone Mattathias, que l'on retrouvera à la p. 225.
Quoi qu'il en soit, la défaite de Pharsale et la mort de Pompée consacrent en Orient le triomphe définitif de César. Désormais, Hyrcan II et son conseiller Antipater vont maintenant manifester clairement leur soutien à César, notamment en encourageant les Juifs d’Égypte à s’associer aux soldats de César, engagé dans une guerre contre Ptolémée XIII. Antipater semble lui-même avoir participé activement aux opérations militaires en Égypte (Flavius, Guerre des Juifs, I, 187-194, sur les services rendus par Antipater en Égypte).
Tout cela fut payant. César confirma Hyrcan II dans la grande prêtrise et sa charge d'ethnarque, et non de roi, des Juifs. César l'autorisa même, en 44 avant notre ère, à relever les murailles de Jérusalem rasées par Pompée (Flavius, Guerre des Juifs, I, 200-201), signe, écrit M. Hadas-Lebel, Rome, la Judée et les Juifs, 2009, p. 36, « que toute méfiance de Rome envers les Juifs était dissipée ». De son côté, Antipater monta très clairement en puissance : devenu citoyen romain et administrateur (epitropos) de la Judée, senescaul, dira Jean d'Outremeuse, il était le véritable maître du pays, d'autant plus qu'Hyrcan II, plutôt indolent en matière de gouvernement, laissait faire.
Toutefois, avant que les affaires de Judée ne se terminent comme nous venons de le décrire, on assista à une ultime réaction du clan d'Aristobule II, racontée par Jean (p. 225-226) et par Flavius (Guerre des Juifs, I, 10, 1-3). Elle fut menée par le dernier fils d'Aristobule II, encore en vie, l'Antigone [Mattathias] cité plus haut. Désireux de retrouver une place importante dans le royaume de Judée, il s'était rendu à Rome auprès de César pour se plaindre d'Antipater, l'accusant d'avoir fait tuer son père Aristobule et son frère Alexandre. Mais Antipater, convoqué à la cour, se justifia facilement de ces accusations et mit en évidence son attachement à César et aux Romains. Antigone Mattathias fut débouté. Il devint quand même roi de Judée mais plus tard, après la mort de César, de 40 à 37 avant notre ère.
C'est donc ainsi qu'Antipater devint le maître de la Judée. Jean avait déjà donné (p. 208) quelques informations sur sa famille : trois fils et une fille. Il signale ici qu'Antipater confia à deux de ses fils des postes importants. Flavius (Guerre des Juifs, I, 10, 4) écrit : « Il donna à son fils aîné Phasaël le gouvernement de Jérusalem et des alentours ; il envoya Hérode, le second, avec des pouvoirs égaux en Galilée, malgré son extrême jeunesse. » Jean d'Outremeuse décrit les choses un peu différemment, en utilisant, à sa manière, des titres médiévaux : « Il établit son fils aîné Phasaël comme connétable (conistauble) de Jérusalem sous ses ordres, et Hérode, son autre fils, comme prévôt (prevoste) de Galilée. » Quoi qu'il en soit, Antipater occupe de plus en plus la place, avec la haute protection du pouvoir romain, en l'espèce ici César.
On retrouvera les affaires de Judée aux p. 241-242 avec les premières mesures d'Hérode et les réactions qu'elles provoquent.
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Un dernier détail, concernant les fondations des rois de Tongres. On verra (p. 215) les acquisitions territoriales et les fondations urbaines de Tongris, le troisième roi de Tongres. Dans la suite du Myreur, Jean veillera à noter les fondations des rois de Tongres, et cela parfois d'une manière très détaillée (cfr p. 244-245 les fondations du même Tongris et de Sédros, son fils). Le chroniqueur liégeois avait agi de même dans la Geste de Liege.
A. Histoire et fiction : Formation de Virgile - Expansion romaine en orient et en occident - Judée [Myreur, p. 211b-215a]
Ans 63 à 60 a.C.n.
* Formation de Virgile (63 a.C.n.) et digression sur les coutumes éducatives
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Formation de Virgile - Digression sur les coutumes éducatives (63 a.C.n.)
[p. 211] [Virgile vat al escolle] L'an Vc et XXVI, le VIe jour de marche, commenchat Virgile, le fis le roy Gorgile de Bugie à frequenteir les escolles, en une ysle de mere, awec grans maistres qui là demoroient à cel temps. Si fut là nouris et instruis depart eaux, et mult bien y aparut apres chu. |
[p. 211] [Virgile à l’école] Le 6 mars 526 [63 a.C.n.], Virgile, fils du roi Gorgile de Bougie, commença à fréquenter les écoles, dans une île sur la mer, où enseignaient de grands maîtres, qui vivaient là à cette époque. Virgile fut élevé et instruit par eux, ce qui fit de lui quelqu'un de très bien. |
[Nuls ne poioit estre roy ou prinche, s’ilh n’estoit clercs] Adont estoit par tout le monde constumme que nuls petis hons ne mettoit son fis aux escolles por y estre clerc ; car nuls n'oisoit tendre à clergerie, se ilh n'astoit fis de roy, de duc, ou de comte, ou de prince, qui dewist governeir grant terre et grant peuple. Et portant les roys et les aultres saingnours faisoient clers pluseurs de leurs enfans ; car nuls ne poioit eistre roy ou duc ou comte, ne nul terre de peuple governeir, s'ilh n'estoit cleirs. |
[Personne ne pouvait être roi ou prince sans être clerc] Selon l'usage de l'époque, les personnes de condition modeste ne mettaient pas leurs fils à l’école pour en faire des clercs. Nul en effet n’osait prétendre à l’instruction s’il n’était fils de roi, de duc, de comte ou de prince, destiné à diriger un grand pays et un grand peuple. Et c’est pourquoi [seuls] les rois et autres seigneurs faisaient instruire plusieurs de leurs enfants ; car personne ne pouvait devenir roi ou duc ou comte, ni gouverner aucun pays habité, sans être instruit. |
Et durat cel constumme longtemps. Et encors le maintinent les grans prinches, et font volentirs clers leurs enfans, qui apres eaux doient governeir leurs pays ; et par especial les empereres de Romme est mult convenable de estre tousjours bons clers, et enssi les roys de Franche ; mains l'autre chouse ne maintient-ons nient bien, car cascons, soit povre soit riche, fait de ses enfans clers c'on ne soloit nient faire. Adont n'astoit mie tant de clers com maintenant, et si astoient plus saiges adont que maintenant. Et encordont les clercs de maintenant ont grant avantaiges, car ilhs truvent les libres tous fais et corregiés de toutes les scienches qui sont, que leurs devaintrains ont fais à grant travalhe. |
Cette coutume subsista longtemps. Les grands princes la respectent encore, avec la volonté de faire des clercs de leurs enfants destinés à leur succéder et à gouverner leur pays. En particulier chez les empereurs de Rome et les rois de France, il importe toujours beaucoup d’être très instruit. Mais l’autre aspect des choses ne s’est pas bien maintenu. Aujourd'hui chacun, qu'il soit pauvre ou riche, fait instruire ses enfants, ce qui n’était pas habituel. Jadis, les clercs étaient moins nombreux que de nos jours et ils étaient plus savants. Aujourd'hui pourtant ils sont très avantagés, car ils trouvent, pour toutes les sciences, des livres tout faits et corrigés, rédigés par leurs devanciers au prix d’un grand travail. |
Expansion romaine : Intervention de Rome en Macédoine et jusqu'aux peuplades sauvages du Rhodope et du Danube - En Crète et à Carthage - Jules César en Orient : accords avec Tigrane et soumission de nombreux pays (63 a.C.n.)
[p. 211] [Grant guerre] Item, en cel an Vc et XXVI, oit oussi grant guere, fel et malvaise entres les Romans et cheaux de Machidoine, portant qu'ilh astoient rebelles del payer leur tregut. Se y fut envoiiet Lucien Luculus, qui soy combatirent contre Beusos, le roy de [p. 212] Machidoine ; se le desconfirent, et secondaire la citeit conquestarent et le vastarent tout ; là gangnont grant avoir, et destrurent mult d'aultres citeis de leurs pays jusques à la Denawe, qui est la plus grant riviere de monde d'aighe douche. |
[p. 211] [Grande guerre] En cette même année 526 [63 a.C.n.], une grande guerre, déloyale et cruelle, opposa les Romains aux habitants de Macédoine, qui s'étaient rebellés et refusaient de payer le tribut. Lucius Lucullus fut envoyé sur place pour combattre Beusos, le roi de [p. 212] Macédoine. Les Romains le défirent, puis s’emparèrent de la cité qu'ils dévastèrent. Ils y firent de grands profits, ayant détruit beaucoup d'autres cités du pays, jusqu’au Danube, le plus grand cours d’eau douce du monde. |
[Maile gens] Apres desconfirent les peuples habitans ens montangnes de Rodopeis, qui sont gens tres-oribles à veioir. Et quant ilh prendoient alcons Romans, ilh le decolloient et magnoient la tieste, et apres tout le corps, et bevoient le sanc, enssi qu'ilh bevissent vin. Toutes ches gens ilh ont conquis, et conquisent les citeis qui astoient sus le rivage de la mere. Et destrurent Apolix, Galacie, Parthenopolin, Ystrutoine et Burzioine, qui astoient d'or et de pieres prescieux, si les ont prise. |
[Méchante race] Ensuite ils défirent les peuples habitant les monts du Rhodope, des êtres vraiment horribles à voir. Quand ils capturaient un Romain, ils le décapitaient et mangeaient sa tête, puis tout le corps, et buvaient son sang, comme si c'était du vin. Les Romains conquirent tous ces peuples, et les cités proches de la mer. Ils détruisirent Apollonie, Galacie, Parthénopolis, Istropolis et Burzioine, villes dont ils s'étaient emparés et qui étaient riches en or et en pierres précieuses. |
[p. 212] Item de là en sont aleis en Crete, où ilh rebellaient : là soy combatirent I an, et ont conquis tout le pays, et conquis tout l'avoir de monde. En cel temps revient aux Romans le royalme de Cartaige en Affrique, car Apius, li roy de Cartaige, dest à lit morteil, quant ilh morit, que ilh voloit que toutes les citeis d'Affrique qu'ilh tenoit fussent subgis aux Romans. Et les citeis qui vinrent aux Romans sont celles : Cartaige, Pheloma, Eurene et pluseurs aultres. Mains quant li roy fut mors, si fut racompteit aux Romans que li roy tenait plus de citeis qu'ilh n’en eussent la possession. |
[p. 212] De là, les Romains allèrent en Crète, aussi en rébellion : ils se battirent une année, s'emparèrent du pays et de toutes les richesses du monde. À cette époque, le royaume de Carthage, en Afrique, revint aux Romains, car Apius, le roi de Carthage, sur son lit de mort, au moment de mourir, avait déclaré qu’il voulait soumettre à la domination romaine toutes ses possessions en Afrique. Les cités ainsi offertes aux Romains étaient Carthage, Pheloma, Cyrène et beaucoup d'autres. Mais à la mort du roi, les Romains apprirent que le roi avait plus de cités qu'ils n'en avaient reçues. |
[De Julius Cesaire] Adont y fut envoyés Julius Cesar, qui les endamagat fortement ; et en oit encors XIIII citeis qu'ilh n'avoient mie devant. |
[Jules César] Alors Rome envoya sur place Jules César qui y causa de grands dommages, et obtint encore quatorze cités supplémentaires. |
[p. 212] Et apres Julius Cesar s'en est aleis el regne de Arthaxarchem, qui ne tenoit riens des Romans. Et se soy combatit à roy Tinygrade ; mains li roy prist sa coronne tantoist, et le jettat devant les piés de Julin Cesar, et dest en hault : « Je ne me weulhe mie combattre à vos, » et se mist en genos devant luy. Mains Julius ne le voult point soffrir, ains l'at releveit mult honorablement. Et ordinarent là une pais que li roy paierait dedont en avant IIIm libre de fin argent ; et ilh le saielat volentiers, et awec chu les donnat toute la terre de Surie et Feniche. Et ly donnat VIIm libre d'argent por departir à ses gens. |
[p. 212] Jules César partit ensuite pour le royaume d’Artaxerxès, nullement dépendant des Romains. Il combattit le roi Tigrane ; mais immédiatement ce roi jeta sa couronne aux pieds de Jules César et dit à voix haute : « Je ne veux pas me battre contre vous ». Il s’agenouilla même devant lui. Mais Jules ne voulut pas accepter et fit se relever le roi en l'honorant. Ils conclurent alors une paix, stipulant que le roi paierait désormais trois mille livres d’argent fin. Tigrane consentit à sceller cet accord, et donna en outre aux Romains toute la Syrie et la Phénicie. Jules reçut aussi sept mille livres d’argent à distribuer à ses troupes. |
Apres vient le consul Julius et ses gens contre Broden, le roy de Albanie, et le desconfit ; mains, quant ilh duit destruire son pays, si soy rendit à li parmy de IIIm libre d'argent. [p. 213] Apres ilh conquist Yberie, Yturcas, Arabe, Armenie le petite ; se le donnat à Degotaire, le roy de Galatie qui li avoit aidiet al conquesteir. Apres ilh conquestat Sileucie, Antyoche, et puis revient à Romme à grant gloire. |
Ensuite le consul Jules et ses troupes marchèrent contre Broden, le roi d’Albanie et le défit. Mais quand César s'apprêta à détruire son pays, le roi se rendit avec trois mille livres d’argent. [p. 213] César conquit ensuite l'Ibérie, l'Iturée, l'Arabie, la petite Arménie, des terres qu'il céda à Déjotare, le roi de Galatie, qui l’avait aidé dans sa conquête. Après cela, il conquit la Séleucie, Antioche, avant de revenir à Rome couvert de gloire. |
Divers : Yborus, fils de Priam, duc de Gaule tributaire de Rome (62 a.C.n.) - Naissance d'Horace - Début d'une guerre entre Hanigos, roi de Petite-Bretagne, et Théodogus de Barbastre en Espagne - César en Angleterre, en Bretagne, et vainqueur d'Arioviste - César vainqueur des Germains et d'autres peuplades en Gaule (61 a.C.n.)
[p. 213] L'an Vc et XXVII, morut Prian, li dus de Galle, qui gran temps avoit regneit. Si fut dus apres son fis Yborus, et regnat XL ans. Chis defendit mal son pays contre les Romans ; car tout le temps que ilh regnat, ilh ne fist chouse de quoy ons puist parleir par honneur ne aulcuns bien dire. Et lassat son pays recheioir en tregut des Romans, qui grant temps devant ne l'avoient leveit. |
[p. 213] En l'an 527 [62 a.C.n.], après un long règne, Priam, duc de Gaule, mourut. Son fils Yborus lui succéda comme duc et régna durant quarante ans. Durant tout ce temps, il défendit mal son pays contre les Romains et ne fit rien d’honorable à signaler ou à célébrer. Il laissa son pays redevenir tributaire des Romains, qui n’avaient plus levé le tribut depuis longtemps. |
[Orasses] Item, l'an VC XXVIII, fut neis Orasses, I grand poete. |
[Horace] En l'an 528 [61 a.C.n.], naquit Horace, un grand poète (p. 332, pour sa mort). |
[Theodogus d’Espangne] En cel temps commenchat une grant guere qui longement durat entre Hanygos, le roy de la petite Bretangne, et le roy Theodogus de Barbastre en Espangne, oncle à Julius Cesaire, frere à sa mere Julia. |
[Théodogus d’Espagne] À ce moment-là éclata une guerre de longue durée, entre Hanigos, roi de la Petite-Bretagne, et le roi Théodogus de Barbastre en Espagne ; ce dernier était l'oncle de Jules César et frère de sa mère Julia. |
[p. 213] [De Julius Cesar] En cel an meismes fut envoiés Julius Cesaire en la grant Bretangne, c'on nom maintenant Engleterre, awec X legions de Romans : chu sont LXm, car li legion solonc les anchiens fait VIm. Si passat oultre el regne de Elnatie, et là desconfit le peuple, et le metit en tregut des Romans. Et puis vient en Bretangne, si soy combatit à Turlingue Lacobege et Murache, son fis, desqueis ilh et les Romans ont ochis XLm hommes, et li remanans s'enfuit. |
[p. 213] [Jules César] Cette même année, Jules César fut envoyé en Grande-Bretagne, qu’on nomme maintenant Angleterre, avec dix légions romaines : cela faisait soixante mille hommes, car la légion, chez les anciens, comptait six mille hommes. Il traversa le royaume d’Helvétie, qu’il soumit aux Romains. Ensuite il se rendit en Bretagne et se battit contre Turlingue, Lacobege et son fils Murache. César et les Romains tuèrent quarante mille ennemis ; les survivants s'enfuirent. |
[Arioviste, roy] Apres ilh desconfist Ariovistum le roy, mains nous ne savons dont ilh astoit roy, car le croniques ne le devise mie ; et nos le metons enssi, mais bien est voire qu'ilh devise que chi roy Ariovistum avoit grant gens en son ayde, que Julius et les Romans desconfirent. Et les fisent fuir, et les cacherent bien XL mile de terre tout ochiant. Et se li prist Julius II de ses femmes et II de ses filhes, et gangnat son pays. Et vos disons que nos mettons briefement ches histors, car vos les trovereis enssi briefs ens es croniques qu'ilh at Vc ans qu'ilh ont esteit escriptes ; et les gens soloient mettre les fais enssi briefement. Et ilh y a de cheaux qui mettent leurs fais asseis clerement, et cheaux nos mettons enssi bien clerement. |
[Le roi Arioviste] Après César vainquit Arioviste. Nous ne savons pas de quel pays il était roi, car la chronique ne le dit pas et nous écrivons ce qui s'y trouve. Mais il est bien vrai qu'elle raconte que ce roi Arioviste était aidé de nombreux alliés. Ceux-ci furent défaits et mis en fuite par Jules et les Romains qui les poursuivirent sur au moins quarante milles, en les tuant tous. Jules prit deux des femmes et deux des filles du roi et regagna son pays. Nous vous racontons ces histoires brièvement, car c'est ainsi que vous les trouverez dans les chroniques écrites il y a cinq cents ans. On avait alors l’habitude de raconter brièvement les faits. Certains chroniqueurs sont assez clairs ; et ceux-là, nous les présentons aussi très clairement. |
[De Julius - Des Germains] Apres Julius Cesaire vient en Germaine, où ilh trovat grans gens assembleis por defendre leur pays, car tousjours ont esteit les Germains, que ons nomme maintenant Allemans, grans combateurs. Si en astoit en une [p. 214] assemblée LXXIIm bons combatans. Si astoient derier unc bosquet enbussiet, et tous rengiés ilh corirent sus subitement les Romans, qui commencharent à fuyr. Mains quant Julius les veit, se les resistat ; car en Julius Cesaire astoit et fut tout la fleur de chevalerie : fors, poissans, gentils, hardis et chevalreux et entreprendans, plus que nuls qui awist esteit devant ly, ne Ector de Troie ne altre. Ilh est bien voir que Ector fut plus fors et poisans de corps, mains Julius astoit plus saige combatteurs, et si faisoit plus saigement ses fais. Sique Julius, qui fors astoit, les LXXIIm Allemans reculat teilement qu'ilh furent par les Romans tous ochis. |
[Jules César - Les Germains] Après cela, Jules César se rendit en Germanie, où il trouva un grand nombre de gens rassemblés pour défendre leur pays, car les Germains, qu’on appelle maintenant Allemands, ont toujours été de grands guerriers. Il y avait là [p. 214] soixante-douze mille combattants valeureux. Embusqués derrière un bosquet et rangés en bataille, ils s'élancèrent subitement sur les Romains, qui commencèrent à fuir. Mais quand Jules les vit, il leur fit face. Il représentait en effet toute la fleur de la chevalerie : fort, puissant, noble, chevaleresque, hardi et entreprenant, plus que personne avant lui, qu'il s'agisse d'Hector de Troie ou de quelqu'un d'autre. La vérité est que Hector était physiquement plus fort et plus puissant, mais Jules était un combattant plus intelligent, plus sage dans l'action. Ainsi Jules, puissant guerrier, fit reculer les soixante-douze mille Allemands, qui furent tous massacrés par les Romains. |
[De XXII regne] Apres Julius les Albergos, les Lixovios et les Canthabriens at-ilh desconfis, et en at ochis XXXm. Et toutes ches regnes metit Julius Cesaire en la subjection des Romans par tregut. Chis Julius conquist mult de pays por les Romans à son temps, plus que nuls aultres consules qui fust à Romme. IIh est bien veriteit que Pompeyus conquist bien par forche vers Orient, et en partie par delà mere, XXII royalmes ; encours en conquist plus Julius. Apres vient Julius oultre le Rien, et conquestat tout. |
[Vingt-deux royaumes] Ensuite, Jules César vainquit les Allobroges, les habitants de Lisieux et les Cantabres, et en tua trente mille. Il soumit tous ces royaumes aux Romains et fit d’eux leurs tributaires. Il conquit, en son temps, de nombreux pays pour les Romains, plus qu'aucun autre consul ayant vécu à Rome. Pompée, certes, s'empara bien par la force de vingt-deux royaumes du côté de l’Orient, en partie même par-delà la mer ; mais Jules en conquit davantage encore. Ensuite il se rendit au-delà du Rhin où il conquit toute la région. |
En Judée : rivalité puis réconciliation forcée entre les clans d'Aristobule II et de Hyrcan II, sous Antoine (60 a.C.n.)
[p. 214] [Aristoble] Item, l'an Vc XXIX, le XVIe jour de may, escapat Aristoble que Pompeyus tenoit à Romme ; si reparat en la terre de Judée ; si assemblat grant compangnie des Juys, puis s'en alat en Alixandre, son casteal, et le commandat à refermeir de noveals mures. Et enssi que ons le refermoit en alat la novelle à Gabin, qui astoit sire d'unne partie de la terre de Surie desous Taurus. |
[p. 214] [Aristobule] En l’an 529 [60 a.C.n.], le 16 mai, Aristobule II, emprisonné à Rome par Pompée, s’échappa. Il repartit en Judée, y rassembla un grand nombre de Juifs, se rendit à sa forteresse d'Alexandrion qu'il entoura de nouvelles murailles. La nouvelle de la reconstruction de l'enceinte parvint à Gabinius, seigneur d’une partie de la Syrie, gouvernée par Scaurus. |
Et quant Gabin le soit, ilh appellat Anthoine, son senescal, et ly cargat gens, et l'envoiat contre Aristoble ; et ilh soy combatit par teile maniere qu'ilh le desconfit, et prist li et ses dois fis ; si furent remeneis à Romme en prison com devant. Adont jugarent les senateurs que Aristoble fuist mis en chartre perpetuelment, portant qu'ilh avait trop erreit contre l'honneur des Romans. |
Quand Gabinius apprit cela, il appela Antoine, son sénéchal, lui fournit des gens et l’envoya contre Aristobule ; Antoine combattit ce dernier, le vainquit et le captura, lui et ses deux fils ; ils furent ramenés à Rome et emprisonnés, comme la fois précédente. Cette fois, les sénateurs décrétèrent qu’Aristobule serait emprisonné à perpétuité, parce qu’il avait agi contre l’honneur des Romains. |
Adont soy trahit la femme Aristoble à Gabin, et li priat qu'elle posist ravoir ses II enfans, et Gabin li creantat, si les fist rameneir ; et chu fut quant ilh rendit à Gabin le casteal de Alixandre. |
Alors l'épouse d’Aristobule se rendit auprès de Gabinius et lui demanda de récupérer ses deux enfants. Gabinius accepta et les fit ramener. Aristobule rendit alors à Gabinius la forteresse d’Alexandrion. |
Et quant les enfans furent revenus, Alixandre li anneis commenchat les [p. 215] Juys à guerroier, et leur fist pluseurs mauls, et voult oisteir à Hircain, son oncles, sa terre et digniteit que Pompeyus ly avoit rendue. Et fist tant que Gabin en oiit novelle, qui astoit de Egypte revenus, où ilh astoit aleis ostoier. Quant Gabin entendit les clameurs qui vinrent à luy d'onne part et d'aultre, si fist tant par son sens que ilh racordat ensemble les Juys, et les enfans Aristobles et Hircain, leur oncles. |
Quand les enfants furent revenus, Alexandre, l’aîné, commença à guerroyer [p. 215] contre les Juifs, leur causant de nombreux ennuis. Il voulut dépouiller son oncle Hyrcan du territoire et du titre que Pompée lui avait rendus. Et il agit tant et si bien que Gabinius l’apprit, à son retour d’Égypte où il était allé guerroyer. Entendant les doléances qui lui parvenaient de part et d’autre, Gabinius réussit, grâce à son intelligence, à réconcilier les Juifs, les enfants d’Aristobule et leur oncle Hyrcan. |
B. Épopée et histoire : Rivalités en occident - Rôle de César ET DIVERS (Myreur, p. 215b- 219a)
Ans 58 à 53 a.C.n
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Théodogus de Barbastre vit dans la paix et en pleine confiance après sa victoire sur les Bretons de Hanigos - Celui-ci s'allie à Yborus de Gaule, qui prépare une guerre contre les Espagnols (59 a.C.n.) - À Tongres, Tongris succède à Humbris et s'allie au duc de Gaule contre César (58 a.C.n.) - Bretons et Sicambres envahissent l'Espagne - Hanigos décapite le roi Théodogus, oncle de Jules César (57 a.C.n.) - Pélée, fils de Théodogus, va demander de l'aide à Rome à son cousin Jules César - César reçoit une mission de cinq ans pour soumettre la Gaule (57 a.C.n.)
[p. 215] [Batalhe en Bretangne] A cel temps multipliarent les gueres fortement entre le roy Thegedus (Theodegus, B) de Barbastre et le roy Hanigos de la petite Bretangne ; et tant que le XIIIIe jour de mois de junne, sor l'an Vc et XXX, orent batalhe ensemble mult orible et pesante. Mains les Bretons furent desconfis, et si en fut mors que pris LXm, et li remanant s'enfuit. |
[p. 215] [Bataille en Bretagne] En ce temps-là se multiplièrent les guerres entre le roi Théodogus de Barbastre (p. 174) et Hanigos, roi de la Petite-Bretagne. Le 13 juin de l’an 530 [59 a.C.n.], ils s’affrontèrent en une bataille vraiment horrible et violente, dans laquelle les Bretons furent vaincus : il y eut dans leurs rangs soixante mille morts et prisonniers, et les rescapés prirent la fuite. |
[Guerre entre Bretons et Spangnois] Adont mandat ly roy Hanigos al duc de Galle Yborus amour et alianche contre les Espangnois ; si furent les messagiers noblement rechus, et fut ly alianche saielée ; puis assemblat li roy Yborus ses gens tout chu qu'ilh en pot avoir, tant com à cheval, si soy mist al chemyn. De chu ne soy donnoit garde li roy Theodogus, portant que les Bretons avoient esteis tous ochis. Si quidoit-ilh que jamais ne li dewissent riens forfaire, si avoit toutes ses gens renvoiés en leurs terres qu'ilh avoient à governeir. Et avoit renvoiés les soldoiers que Julius Cesaire, le fis de sa soreur, et Junianus son frere, li roy des Latins, ly avoient envoiet, dont ilh perdit sa terre. |
[Guerre entre Bretons et Espagnols] Alors le roi Hanigos fit demander amitié et alliance contre les Espagnols au duc de Gaule Yborus : les messagers furent noblement reçus et l’alliance fut scellée. Le roi Yborus rassembla tous ceux qu’il put parmi son peuple ainsi que des cavaliers, et se mit en route. Le roi Théodogus ne s’en souciait pas, pensant que les Bretons avaient tous été tués. Croyant que jamais ces derniers ne pourraient plus nuire, il avait renvoyé tous ses gens gérer leurs domaines. Il avait fait de même avec les soldats que Jules César, le fils de sa sœur, et Junianus son frère, roi des Latins, lui avaient fait parvenir. Cela eut pour conséquence la perte de son territoire. |
[p. 215] [Tongris le IIIe roi de Tongre - Del conteit de Hesbain - Molins] Item, l'an Vc et XXXI, morut Humbris, li secons roy de Tongre ; si regnat apres luy son fis Tongris XI ans. Chis roy Humbris acquist à son temps la conteit de Hasbain, par le raison de chu que Tongre gisoit tout emmy, et se l'aquist al duc des Ardenois, c'on nomme maintenant le duc de Lucembor. Et Tongris, son fis, regnat vassalement en bien et en honeur. Ses peire li roy Humbris avoit à son temps fondeit des beals molins, sour le riviere qui corroit par-deleis Ains. Si fist Tongris là une vilhete qu'ilh apellat Molins. Chis Tongris amoit armes, amours et dammes : ilh aidat le duc de Galle contre Julin Cesaire. |
[p. 215] [Tongris, troisième roi de Tongres - Le comté de Hesbaye - Molins] En l’an 531 [58 a.C.n.] mourut Humbris, le second roi de Tongres ; son fils Tongris régna après lui durant onze ans. Ce roi Humbris avait acquis en son temps le comté de Hesbaye, Tongres se situant en son milieu ; il l’avait acheté au duc des Ardennes, maintenant duc de Luxembourg. Et son fils Tongris fut son vassal en tout bien tout honneur. Son père, le roi Humbris avait bâti en son temps de beaux moulins sur la rivière qui coulait au-delà d’Ans. Tongris fonda là une petite ville qu’il appela Moulins (Moulins-sous-Fléron ?). Ce Tongris aimait les armes, les amours et les dames : il aida le duc de Gaule contre Jules César. |
[Les Burtons vont en Espangne] Item, l'an Vc et XXXII, le quart jour de may, se misent sour mere les Bretons et les Sycambiens, qui astoient bien Cm hommes ensemble, et entrarent en Espangne en faisant grant destruction. Ilhs ardoient vilhes et abatoient casteals ; et le misent tout en exilhe jusques à Barbaistre la citeit que ilh ont assegiet, dont li roy [p. 216] fut mult enbahis. |
[Les Bretons vont en Espagne] Le 4 mai 532 [57 a.C.n.], les Bretons ainsi que les Sicambres prirent la mer : en tout au moins cent mille hommes. Ils pénétrèrent en Espagne, semant partout la destruction, brûlant les villes et rasant les châteaux. Ils mirent tous leurs adversaires en fuite jusqu’à la cité de Barbastre, qu’ils assiégèrent. Tout cela surprit [p. 216] grandement le roi. |
[Theodogus le roy d’Espangne] Forte enbahis fut li roy Theodogus de grant peuple qu'ilh veioit, et se soy mervelhe dont ilh vient, car ilh n'avait mie passeit gramment de temps qu'ilh avait les Bretons desconfis et ochis, et maintenant ilh sont plus poissans que en devant ; se ly annoie que ilh avoit ses grans oust renvoiet. Nientmoins ilh demonstroit bonne volonteit del defendre sa citeit ; mains chu li valit pau de chouse, car les Sycambiens qui astoient fais de guere ont assalhit la citeit par teile vertut que ilh en fisent anchois trois jours les mures creventeir, et l'ont conquestée. Enssi fut la citeit de Barbaistre prise, et ly roy Theodogus s'enfuit en unc temple de leurs dieux ; mains chu ne ly valut riens, car Hanigos le suwit à mult grant gens, et li coupat le chief dedens le temple meismes ; dont ilh fut pris depuis grant venganche, enssi com vos oreis. |
[Théodogus, roi d’Espagne] Le roi Théodogus fut abasourdi de voir tant de monde. Il se demanda d’où venaient toutes ces troupes, car très peu de temps auparavant il avait défait et tué les Bretons, devenus maintenant plus puissants qu’avant. Il était très ennuyé d’avoir renvoyé ses grandes armées. Il montra néanmoins beaucoup de détermination à défendre sa cité, mais sans résultat, car les Sicambres, qui étaient faits pour la guerre, l'attaquèrent avec une telle bravoure qu'en moins de trois jours ils en eurent percé les murailles et fait la conquête. Ainsi la cité de Barbastre fut prise et le roi Théodogus se réfugia dans un temple dédié à leurs dieux. En réalité, cela ne lui servit à rien, car Hanigos le suivit avec de nombreuses forces et lui coupa la tête dans le temple même. Vous entendrez parler de la manière dont il fut vengé. |
[p. 216] [Des trois fis Theodogus] Chis roy Theodogus avait trois fis : ly anneis oit nom Junyus, ly aultre Julius et ly plus jovenes Peleus ; les dois plus anneis orent coupeis les tiestes. Mains quant ly jovenes veit chu, se s'enfuit en I estauble de cheval, et vestit une maul cotte d'on garchon, et puis ordat sa chair et soy massurat, et montat sus unc cheval ; et fist tant qu'ilh issit de la citeit, et mult bien fut venus del roy Hanigos, del duc Yborus et de mult d'aultres qui cuydoient que chu fust I povre garchon, et fust de leurs gens meismes qui chevalchast le cheval son maistre. |
[p. 216] [Les trois fils de Théodogus] Ce roi Théodogus avait trois fils : l’aîné se nommait Junius, l’autre Julius, et le plus jeune Pélée. Les deux aînés furent décapités. Mais quand le troisième vit ce massacre, il se réfugia dans une écurie, revêtit la cotte grossière d’un garçon d’étable, se salit et se barbouilla la peau, monta sur un cheval et parvint finalement à sortir de la ville. Il fut fort bien accueilli par le roi Hanigos, par le duc Yborus et beaucoup d’autres, qui croyaient voir en lui un pauvre garçon, un de leurs sujets qui montait le cheval de son maître. |
[Peleus à Rome] Atant s'en alat Peleus, et at tant esploiteit sa besongne qu'ilh est venus à Romme. Quant Peleus vient à Romme, si est descendus et vendit son diestrier, et puis at achateit des beals vestimens, enssi qu'ilh afferoit à ly ; et montat en palais, et trovat Pompeyus et Julius Cesaire, son cusin, qui puis II mois astoit revenus de Allemangne, où ilh avait mult conquis, sicom dit est. Atant s'engenulhat Peleus devant eaux, et puis dest à Julin : « Sire, je suy li fis de vostre oncle Theodegus, roy de Barbastre, cuy les Bretons ont coupeit le chief. » Et li comptat tout le fait. |
[Pélée à Rome] Ensuite, Pélée s’en alla et mena si bien son affaire qu’il parvint à Rome. À ce moment, il descendit de sa monture, vendit son cheval et acheta de beaux vêtements mieux adaptés à sa personne. Il monta alors au palais et y trouva Pompée et Jules César son cousin, revenu depuis deux mois d’Allemagne, après de nombreuses conquêtes, comme on l'a dit. Pélée s’agenouilla devant eux, puis dit à Jules : « Sire, je suis le fils de votre oncle Théodogus, roi de Barbastre, à qui les Bretons ont coupé la tête. » Et il raconta tout ce qui s'était passé. |
Quant Julius entendit ches novelles, si fut mult corochiés, et jurat tous ses dieux que ilh destruiroit les Bretons et les Sycambiens, et metteroit leurs pays en tregut et en servaige des Romans. Atant fist assembleir [p. 217] tous les senateurs en palais, et leur requist le congiet aconstummeit, solonc les status de Romme, por aleir sour les Sycambiens, qui tant avoient fait de despit aux Romans, et paine et damaige ; se les voloit mettre en leur tregut. Atant li fuit otryet le terme de Romme, chu est de V ans, et tant poroit-ilh demoreir et nient plus. |
Quand Jules César apprit cela, il fut très en colère et jura par tous ses dieux qu’il détruirait les Bretons et les Sicambres, qu'il les rendrait tributaires des Romains et qu'il les mettrait en servage. Alors il réunit [p. 217] au palais tous les sénateurs et leur demanda l’autorisation d'usage, prévue par les statuts de Rome, pour aller combattre les Sicambres, qui avaient tellement défié les Romains et leur avaient causé tant de maux et de torts. Il voulait en faire des tributaires de Rome. On lui accorda cinq ans, terme normal à Rome, pendant lequel il pourrait rester en fonction et pas plus. |
Suite des conquêtes romaines : César en Gaule, Crassus en Syrie, Pompée à Rome - César ravage la Bretagne et punit cruellement Hanigos - Conquêtes de César en Germanie et ailleurs - La Gaule se ménage des alliances (56-54 a.C.n.)
[p. 217] [De Julius Cesar] Apres chu assemblat ses oust de X legions, chu sont LXm de esluites gens et se soy partit l'an Vc et XXXIII ; et li aultre consule Carsus astoit devant partis, si astoit aleis en Surie por la terre gardeir, car Gabin le senescal astoit mors. Et Pompeyus, li thiers consul tribunien, demorat à Romme por gardeir. |
[p. 217] [Jules César] Après cela, Jules César rassembla son armée de dix légions, soit soixante mille hommes d’élite et se mit en route en l’an 533 [56 a.C.n.]. L’autre consul, Crassus, était parti plus tôt, pour défendre la terre de Syrie, car Gabinius, le sénéchal, était mort. Pompée, troisième consul et tribun, resta à Rome pour garder la ville. |
Et Julius Cesaire commenchat tout promier vers la petite Bretangne ; et quant ilh fut là venus ilh ardit et destruit la terre, et conquestat pluseurs vilhes, et prist par forche toutes les fortereches, et ochist tous les hommes que ilh y trovat. Si prist le roy Hanigos, et le fist tout devestir ; et chis li criat merchis, et li presentat à donneir mult grant tresoir. Mains Julius li respondit : « Je auray teile merchi de toy, com tu ois de roy Theodogus, mon oncle, et de mes cusiens ses enfans. » Adont en fist prendre teile venganche que tous ly monde en soit parleir, et qui fist dedont en avant mult doubteir Julius. |
Jules César commença par la Petite-Bretagne. Une fois arrivé là, il incendia et ravagea le pays. Il fit la conquête de plusieurs villes, s'empara par la force de toutes les forteresses et tua tous les hommes qu’il y trouva. Il saisit le roi Hanigos, le fit se déshabiller complètement ; celui-ci implora sa pitié en échange d'un grand trésor. Mais Jules répondit : « J’aurai pour toi la même pitié que celle tu en as eue pour le roi Théodogus, mon oncle, et pour mes cousins, ses enfants. » Alors Jules exerça sur lui une vengeance si cruelle que tout le monde en parla, ce qui dès lors fit que César suscita beaucoup de crainte. |
[Grand martyr de roy Hanigos] Julius fist prendre I rasoir bien trenchant, se fist cuchier le roy Hanigos sur une tauble, et bien loiier ; et li fist sour le dos talhir I coroie de son cure IIII dois large, et del chief jusques aux piés ; et puis fist la plaie laveir de vinaigre, et après bien saleir de vief chaux, et lassier enssi jusqu'à lendemain qu'ilh fist talhier une aultre, et refaire toutes les sollempniteis deseurdites, et enssi de jour en jour jusqu'à IX jours ; et li faisoit donneir à boire et à mangier, por medicine confortative, electuars qui le sortenoient en vie. Apres IX jours, le fist Julius pendre par les cheveals à unc pileir, et li fist I jour traire tous les dents de la bouche à tenelhes d'achier. Apres li fist sachier tout la barbe, unc pou à cop, et osteir toutes les ongles des piés et des mains par forche. Apres li fist colpeir la langue et les dois orelhes, et creveir le yeux. Apres [p. 218] li fist copeir I brache deleis l'espalle, et buteir en la plaie unc chaut fier. Adont ne pot plus vivre, et morit de grant angosse. Et puis Julius li fist trenchier le chief, et puis ardre en poure, et le fist jetteir al vent desus la mere. Chu fut la grant justiche et venganche que Julius Cesaire prist del roy Hanigos de Bretangne, por la mort de son oncle le roy Theodogus de Barbastre. |
[Grand martyre du roi Hanigos] Jules fit prendre un rasoir bien tranchant, fit coucher sur une table le roi Hanigos, bien lié ; il fit tailler sur son dos un lambeau de peau de quatre doigts de large, de la tête aux pieds, puis il fit laver la plaie avec du vinaigre, la fit saler de chaux vive, en le laissant ainsi jusqu’au lendemain, où il fit faire une autre entaille, avec tous les procédés décrits ci-dessus, et ainsi de suite, durant neuf jours. Pour soutenir Hanigos, il lui faisait donner à boire et à manger des électuaires qui le maintenaient en vie. Après neuf jours, Jules le fit suspendre par les cheveux à un pilier et, un jour, lui fit arracher toutes les dents de la bouche avec des tenailles d’acier. Ensuite il lui fit arracher toute la barbe, par petits coups, et ôter tous les ongles des pieds et des mains. Après, [p. 218] il lui fit couper les oreilles et crever les yeux. Puis, il lui fit couper un bras près de l’épaule et introduire dans la plaie un fer chaud. Dès lors Hanigos ne put plus vivre et mourut dans de grandes douleurs. Finalement Jules lui fit trancher la tête, le fit réduire en cendres, qu’il fit jeter au vent au-dessus de la mer. Telle fut la grande et juste vengeance que Jules César infligea au roi Hanigos de Bretagne, pour la mort de son oncle le roi Théodogus de Barbastre. |
Martyre : Les tortures infligées par César au roi Hanigos pour le mettre à mort sont particulièrement raffinées. Jean d'Outremeuse s'est ‒ si l'on ose dire ‒ surpassé. Ailleurs, il se contente du supplice de l'écorchement de bandes de peau accompagné d'un salage des plaies. Cfr II, p. 79 (le roi de Perse Shapur s'en prend ainsi à Julien l'Apostat) ; II, p. 114 (Attila s'en prend ainsi au chevalier Abafis, qui lui avait vendu la ville de Cologne) ; II, p. 128 (le prévôt Clarnus s'en prend ainsi à Anvers au chevalier Henri) ; II, p. 223 (Frédégonde et son amant Landeric sont torturés de la sorte). ‒ En II, p. 224, Justinien fait écorcher le roi Théodoric, mais là il n'est pas question de salage ! ‒ Ci-dessous, en I, 219-220, dans le cas de Crassus, Jean d'Outremeuse a conservé le supplice lié « traditionnellement » au personnage (de l'or fondu versé bouillant dans sa bouche). |
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[De Julius] Et quant Julius oit chu fait, si donnat la royalme de Bretangne à Theus, unc sien chevalier, por tregut paiant aux Romans d'an en an. Et puis soy partit Julius, et s'en alat chevalchant awec ly ses gens vers Allemangne, et passat le Riens. Si fist faire sour le Rien I pont mult beal, là ilh posist passeir al retourneir, et y laissat gens pour l'ovraige à parfaire. Là conquist ilh mervelhes de pays, assavoir : Transalpine, Cysalpine et Yliriche, qui sont trois grandes regions, et les metit aux tregut des Romans, enssi com Suetonius dist en ses croniques, là ilh dist plainnement la manière. |
[Jules] Après cela, Jules attribua le royaume de Bretagne à Théus, un de ses chevaliers, avec charge de payer un tribut chaque année aux Romains. Ensuite, il s'en alla et, chevauchant à la tête de ses troupes, se dirigea vers l’Allemagne et traversa le Rhin. Il fit construire sur le Rhin un très beau pont, qu'il pourrait traverser à son retour, et y laissa des hommes pour achever l’ouvrage. Là il conquit de nombreux pays, à savoir : la Transalpine, la Cisalpine, l’Illyrie, trois grandes régions, qu'il rendit tributaires de Rome, comme l'explique en long et en large Suétone dans ses Chroniques. |
[De Galle] Cheaux de Galle sorent chu que Julius Cesaire conquestoit toute Allemangne, qui ne pot oncques estre conquise, si sont enbahis, car ilh ont doubte que ilh ne retourne sour eaux. Si ont mandeit aux Germains et aux Allemans alianches contre Julius, et les ont obtenues, et, se ons les mandoit, que ilhs les yroient aidier. |
[La Gaule] Lorsque ceux de Gaule apprirent que Jules César conquérait toute l’Allemagne, qui jamais n'avait été conquise, ils s'en inquiétèrent, craignant que Jules ne se retournât contre eux. Ils demandèrent alors aux Germains et aux Allemands contre Jules des alliances qu'ils obtinrent : ces peuplades viendraient les aider, si on les appelait. |
[Julius conquestat Agrippine et Hongrie] Et Julius at conquis la citeit d'Aggrippine, que ons nom maintenant Collongne ; et se conquist Hongrie, Bulgarie, Pannonie, Frise, Saxongne, Dannemarche, Hollande, Zelande, Trive, Mes, Tongre et pluseurs altres, qu'ilh metit tout en la subjection des Romans par tregut. Et y metit III ans al conquere tout chu deseurdit, car ilh ne les conqueroit mie si legierement, com nos le disons. |
[Jules conquit Cologne et la Hongrie] Jules conquit la cité d’Agrippine, nommée maintenant Cologne, ainsi que la Hongrie, la Bulgarie, la Pannonie, la Frise, la Saxe, le Danemark, la Hollande, la Zélande, Trèves, Metz, Tongres et plusieurs autres régions, qu'il soumit au tribut des Romains. Ces conquêtes lui prirent trois ans, car elles ne se firent pas aussi facilement que nous le disons. |
Conquête de la Gaule : César conquiert la Gaule en cinq années, prolongeant de fait son mandat (53 a.C.n.)
[p. 218] [De Julius en Galle] Apres entrat Julius en la terre de Galle, qui ors est apellée Franche, sor l'an Vc et XXXVI. Si astoient jà passeit IIII ans qu'ilh astoit partis de Romme, se que ilh n'avoit que I seul an à demoreir des V ans que les senateurs ly avoient donneit de terme ; si fut mult esmaiiés de raleir vers Romme, ou de demoreir en sa conqueste et conquere avant ; car ilh avoit troveit si fort gens et pays, que dedens la certain terme luy statueit ilh ne le poroit faire. Adont s'avisat Julius que ilh ne retourneroit point à Romme, si auroit faite sa conqueste en Galle. Si entrat ens, et commenchat à ardre et exiliier [p. 219] toute le pays ; et y sorjournat bien V ans et IIII qu'ilh avoit jà esteit, chu fut IX ans. |
[p. 218] [Jules en Gaule] Ensuite, en 536 [53 a.C.n.], Jules entra en Gaule, appelée maintenant France. Il avait déjà quitté Rome depuis quatre ans et ne pouvait plus rester qu'un an seulement, pour respecter le terme des cinq ans fixés par les sénateurs. Il était très partagé : soit retourner à Rome, soit rester et poursuivre ses conquêtes. Il avait en fait découvert tant de peuples et de pays qu’il lui était impossible de les conquérir dans le temps octroyé. Alors Jules décida de ne pas retourner à Rome avant d'avoir terminé la conquête de la Gaule. Il y pénétra donc, commençant à brûler et à dévaster [p. 219] tout le pays. Il y séjourna au moins cinq ans, ce qui fit neuf années, en comptant les quatre ans déjà passés. |
Et ly dus Yborus assemblat grant gens, si soy combattit pluseurs fois aux Romans ; mains les Romans n'awissent point de poioir aux Sycambiens, se Julius ne fuist là qui tous les desbaretoit ; car ilh astoit tant poisans, fors et hardis et victorieux, que quant ilh astoit armeis sour unc cheval, et ilh entroit en balalhe, ilh faisoit ses annemis reculeir demy-bonier, et les faisoit fuyr. Chis Julius prendoit en une batalhe I chevalier de ses annemis, à queile costeit que ilh le voloit choisir, contre la volenteit de tous ses annemis, et l'emportoit fours de la batalhe. |
Le duc Yborus rassembla une grande armée, et se battit à plusieurs reprises contre les Romains ; mais les Romains n’auraient pas fait peur aux Sicambres, sans la présence de Jules, qui les mettait tous en fuite. Il était en effet si puissant, fort, hardi et victorieux, qu'il lui suffisait de se présenter en armes sur sa monture, dans la bataille, pour faire reculer ses ennemis d’un demi-bonnier et les mettre en fuite. Au combat, Jules prenait où il le voulait un chevalier ennemi, et contre la volonté de tous ses ennemis, l'emportait hors du champ de bataille. |
IIh resembloit asseis de forche et de proieche Ector de Troie ; mains Julius avoit encor plus de sens et de manires en ses fais. Grant estour oit le journée entre le consule Julius et le duc Yboros et leurs gens ; mains ilh ne soy poioient conquere. Si demorat enssi Julius Cesaire en Galle V ans, anchois que ilh le poisist avoir conquis. |
Pour la force et les exploits, il ressemblait très fort à Hector de Troie, mais mettait encore plus d’intelligence et de méthode dans ce qu'il faisait. Un jour un grand combat opposa le consul Jules et le roi Yborus et leurs hommes, mais ceux-ci ne purent l’emporter. Ainsi Jules César resta en Gaule durant cinq ans, avant de pouvoir la conquérir. |
C. Crassus et pompée - César à Lutèce - Pompée vaincu par César - Antipater monte en puissance (Myreur, p. 219b- 226a)
Ans 52 à 46 (?) a.C.n
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En Orient : Crassus se heurte aux Parthes et assiège Carrhes - Mort à Carrhes de Crassus, victime de sa cupidité - Pompée ambitionne d'être consul unique (52 a.C.n.)
[p. 219] [Grant guere entre Carsus et les Turs] A cel temps, assavoir l'an Vc XXXVII, s'emmuit une grant guere entre Carsus, le comte de Syrie, qui astoit uns des III consuls de Romme, d’onne part, et les Turs de l'autre part. |
[p. 219] [Grande guerre entre Crassus et les Parthes] À l’époque, c’est-à-dire en 537 [52 a.C.n.], éclata une grande guerre opposant d’une part Crassus, comte de Syrie, un des triumvirs de Rome, et les Parthes d’autre part. |
Si avient que Carsus vint en Jherusalem ; si astoit informeis que ilh avoit mult grant tressoire en temple Salmon demoreit deis al temps David et Salomon. Se le prist tout et l’emportat, malgreit les Juys et l'evesque Hircain. |
Un jour, Crassus vint à Jérusalem. Il avait appris la présence d’un très grand trésor dans le temple de Salomon, qui remontait au temps de David et de Salomon. Il s'en empara entièrement et l’emporta, malgré les Juifs et le grand prêtre Hyrcan. |
[Carres assegié] Puis soy partit de Jherusalem, si entrat en Turquie, et assegat la citeit de Carres, qui astoit mult forte, et tant y demorat qu'ilh astoit bien pres del prendre ; mains li sires de la ville, qui fut mult saige prinche qui astoit nomeis Abdos, chis savoit bien en partie del nature que Carsus avoit de convoitiese d'or. Se vient à luy, et li dest que s'ilh se voloit del siege partir, que ilh li donroit tant d'or que ilh n’en demanderoit plus. Et ilh respondit que ilh le prendroit volentirs, et soy parteroit del siege. |
[Carrhes assiégée] Puis Crassus quitta Jérusalem, pénétra en territoire parthe où il fit le siège de Carrhes, une ville très fortifiée. Il y resta très longtemps et fut bien près de la prendre. Mais le seigneur du lieu, prince très sage, nommé Abdos, connaissait un trait du caractère de Crassus : son avidité pour l’or. Il vint lui dire que s’il levait le siège, il lui donnerait de l'or en quantité telle qu’il n’en souhaiterait pas davantage. Crassus répondit qu’il le prendrait avec plaisir et lèverait alors le siège. |
[I grant trahison] Abdos entendit chu ; se li dest qu'ilh entrast en la citeit luy thiers des hommes de son secreit conselhe, car plus n'en y entroit, et ilh li monsteroit volentiers son tressoir, et ly tenroit convent. Et chil le fist, car ilh y entrat luy thiere des compangnons ; et Abdos fist les portes fermeir, et luy [p. 220] loiir sour I tauble, et puis fist fondre en I crissoul del or, et li fist jetteir en la bouche tout bolant, et puis li dest : « Carsus, or t'ay promis, et or te dong à honte, et se plus en vues, se le demande, car tout chu que tu en demanderas, tu l'aras, car je tu l'ay enconvent. » |
[Une grande trahison] Abdos l’entendit. Il lui dit d'entrer dans la cité avec deux conseillers privés, qu'il n'en accepterait pas plus, qu'il leur montrerait volontiers son trésor et qu'il tiendrait sa promesse. Ce qu’il fit, introduisant Crassus et ses deux compagnons. Abdos fit ensuite fermer les portes, [p. 220] attacher Crassus sur une table, fondre dans un creuset de l’or qu'il fit verser bouillant dans sa bouche, disant : « Crassus, je t’ai promis de l’or, et voilà, je t'en donne pour te faire honte. Si tu en veux plus, demande-le : tu auras tout ce que tu demanderas, je te l’ai promis. » |
[Comment Carsus morit par convoities] Enssi disoit Abdos ; mains Carsus n'en demandat plus, et ne poioit parleir, car ilh moroit ; et enssi fut mors par convoities. |
[Crassus meurt à cause de sa cupidité] Ainsi parla Abdos ; mais Crassus n’en demanda pas plus ; il ne pouvait plus parler, car il était mourant. Ainsi périt-il par cupidité. |
[p. 220] Si fut apres luy esluit en Surie, por le pays gardeir, uns prinche qui fut appelleis Cassius ; mains Pompeyus ne woult souffrir que celle election fust confirmée à Romme, fours com conte de Surie, et non mie consule ; car ilh ne voult nule aultre consule eslire, se seroit retourneis son compangnon Julius Cesaire. Et chu faisoit Pompeyus, portant qu'ilh ne voloit nulle consule en lieu de Carsus ; car il avoit jà trait partie à Romme entre les senateurs que Julius Cesaire avoit forfaite le siene, car ilh avoit esteit plus de V ans, et avoit desobeit aux Romans, si perderoit son honneur ; si que Pompeyus, quant ilh retourneroit à Romme, si l'enchaceroit et rengneroit tou seuls consuls, si soy feroit coronneir à emperere ; et enssi demorat li tiers sens esliere. |
[p. 220] Après lui, on choisit en Syrie, pour gouverner le pays, un prince nommé Cassius, mais Pompée ne voulut pas que cette élection soit ratifiée à Rome. Cassius fut comte de Syrie, et non consul, car Pompée ne voulait voir élire aucun autre consul, au cas où reviendrait son collègue Jules César. Pompée agissait ainsi car il ne voulait pas qu'un consul remplace Crassus. À Rome, parmi les sénateurs, s’était déjà formé un parti qui prétendait que Jules César avait transgressé ses droits et désobéi aux Romains, étant resté plus de cinq ans (en Gaule). Il perdrait ainsi sa charge. Dès lors, quand César rentrerait à Rome, Pompée le chasserait, règnerait comme consul unique et se ferait couronner empereur. C'est ainsi que le troisième poste resta sans titulaire. |
Retour sur les conquêtes de César qui soumet le sud de la Gaule, assiège longtemps Lutèce et combat Yborus - Successions au Danemark et en Hongrie (51-48 a.C.n.) - César conquiert Lutèce, rend les Gaulois tributaires des Romains, puis rentre à Rome où les portes lui sont fermées (49-48 a.C.n.)
[p. 220] [De Julius qui conquestat Galle] Julius Cesaire chevalchoit fortement par Galle et Borgongne, en Avergne et en Elymosin. Si avient que l'an Vc et XXXVIII, en mois de may, ilh conquestat Lymoge, la citeit, et tout le pays altour, et le mist par tregut el subjection des Romans ; et si entrat en pays avregnais, si conquist Cleremont, en mois de septembre cel an meismes, et tout le pays, et le mist en tregut des Romans. |
[p. 220] [Jules conquiert la Gaule] Jules César chevaucha en long et en large à travers la Gaule, la Bourgogne, l’Auvergne et le Limousin. En l’an 538 [51 a.C.n.], en mai, il fit la conquête de la ville de Limoges et de toute la région des alentours, à qui il imposa de payer le tribut aux Romains. Il pénétra dans le pays auvergnat, conquit Clermont et tout le pays, en septembre de cette même année, et les rendit tous tributaires des Romains. |
Et vient en Galle l'an Vc et XXXIX, si assegat la citeit de Lutesse qui mult astoit forte tant com de fosseis, car adont n'avoit aultre fermeteit. Par-devant ceste citeit seit longtemps ; et oit pluseurs batalhes contre le dus Yborus et ses homs. |
En 539 [50 a.C.n.], arrivé en Gaule, il assiégea Lutèce, cité solidement fortifiée par des fossés, car cette époque ne connaissait aucune autre enceinte. Il l'assiégea longtemps ; plusieurs batailles l’opposèrent au duc Yborus et à ses troupes. |
[p. 220] En cel an meismes morut Ardax, li IXe roy de Dannemarche ; si regnat apres son fis Ogeus LVII ans. Item, en cel an meismes, morut Pollox, le VIIe roy de Hongrie ; si regnat apres luy son fis Hongres XIII ans. |
[p. 220] En cette même année mourut Ardax, le neuvième roi de Danemark (cfr p. 199 où on lit Audax) ; son fils Ogens régna après lui pendant cinquante-sept ans ans. La même année mourut Pollux, septième roi de Hongrie ; son fils Hongres lui succéda durant treize ans. |
[Del dus Yborus] Item, l'an Vc et XL, le XIIIIe jour de june, oit batalbe entre les Romans et les Sycambiens, en laqueile li dus Yborus perdit LXm hommes, qui ne porent endureir la forche Julin Cesaire. [p. 221] Si fut Yborus desconfis, qui s'enfuit à petit compangnie jusques sour le mont de Laon. Sour cel mont avait une forte vilhe que I chevalier, qui oit nom Landinus, avait fondeit par-devant. Et quant Julius Cesaire veit la desconfiture, et que la victoire astoit à luy, ilh entrat, luy et ses gens, dedens Lutesse, se le conquestat et le mist en la subjection des Romans par tregut. Apres li fut raconteit comment li dus Yborus astoit fuys sor le mont Landinus, se mynat là ses oust. |
[Le duc Yborus] En 540 [49 a.C.n.], le 13 juin, les Romains s’opposèrent aux Sicambres en une bataille où le duc Yborus perdit soixante mille hommes, qui ne purent résister à la force de Jules César. [p. 221] Yborus fut vaincu et s’enfuit avec une petite troupe sur le mont de Laon, où s’élevait une ville forte, fondée précédemment par un chevalier nommé Landinus. Quand Jules César vit cette défaite et sut que la victoire lui appartenait, il pénétra dans Lutèce avec ses troupes, en fit la conquête et mit cette cité sous la coupe des Romains, exigeant le paiement d'un tribut. Après, quand on lui raconta comment Yborus s'était enfui sur le mont Landinus, César y mena ses armées. |
Si avient que sour l'an Vc XLI, en mois de jenvier le XXIIe jours, ly dus Yborus qui n'avait nuls gens et point de vitalhes soy rendit à Julius Cesaire, salveit sa vie. Adont fut fait une acorde que li dus Yborus remanroit duc, mains chu seroit parmy tregut paiant aux Romans. Puis s'en ralat Julius vers Romme, et quant ilh vient à Romme, si trovat les portes clouses. |
En l’an 541 [48 a.C.n.], le 22 janvier, le duc Yborus, ne disposant plus de forces armées ni de vivres, se rendit à Jules César et sauva sa vie. Alors un accord fut conclu, stipulant que le duc Yborus resterait duc, mais ferait partie des peuples payant un tribut aux Romains. Ensuite Jules s'en retourna vers Rome, mais quand il y arriva, il trouva les portes fermées. |
César et Pompée : César assiège Rome durant quinze jours - Pompée et César, chacun à la tête d'une grande armée, s'affrontent à l'extérieur de Rome - Pompée est défait et fuit en Émathie/Thessalie, où César le poursuit - Sédros, quatrième roi de Tongres - Pompée, défait à Pharsale par César, s'enfuit en Égypte où il est assassiné par Ptolémée XII - César couronné empereur à Rome (47-46 ? a.C.n.)
[p. 221] [Julius assegat Romme] Sour l'an Vc et XLII, le XVIe jour du mois de junne, revient Julius Cesaire à Romme, qui quidoit trop bien estre fiestoyez por lez mervelheux conquestes et victoirs qu'ilh avait faite ; mains ilh trovat les portes clouses. Et chu avait fait Pompeyus, qui volait demoreir tout seul consul por regneir com emperere, sicom dit est. Quant Julius veit chu, si assegat la citeit de Romme, par teile manere que nuls n'en oisoit yssir fours dedens XV jours. |
[p. 221] [Jules assiège Rome] En 542 [47 a.C.n.], le 16 juin, Jules César rentra à Rome. Il s’attendait beaucoup à être fêté pour ses merveilleuses conquêtes et ses victoires, mais il trouva les portes fermées. Pompée avait agi ainsi, parce qu’il voulait rester consul unique, pour régner en tant qu’empereur, comme on l'a dit plus haut. Quand Jules vit cela, il fit le siège de Rome, si bien que personne n’osa sortir de la ville durant quinze jours. |
Et adont assemblat Pompeyus ses Romans qui astoient de sa faveur ; car Julius avait grant partie dedens Romme, et disoient qu'ilh astoit digne d'eistre emperere, qui avait tant de pays conquesteit à une fois, et avait les Sycambiens remis en la subjection des Romans par forche, que les aultres devant luy ne porent oncques faire. Et Pompeyus n'entendait pais à ches parolles ; ains assemblat XLm hommes à piet et à cheval cent milh. Et Julius en avait rameneit des LXm qu'il emynat XLVIIm, et se l'en vient del royalme des Latins XLm ; chu furent dois grans oust. |
Alors Pompée rassembla ses partisans parmi les Romains. Jules avait à Rome un grand nombre de supporters qui le disaient digne d’être empereur, lui qui avait en une fois conquis tant de pays et soumis les Sicambres aux Romains par la force, ce que n'avaient jamais pu faire ses prédécesseurs. Pompée n'entendait pas ces paroles. Il rassembla quarante mille fantassins et cent mille chevaliers. Des soixante mille hommes partis avec lui, Jules en avait ramené quarante-sept mille ; s'y ajoutèrent quarante mille venus du royaume des Latins. C'étaient deux grandes armées. |
[De mois de jullet] Et Pompeyus issit de la citeit tous rengiens ses gens ; et Julius rengat les sienes, quant ilh les veit. Là oit une horrible et pesante estour ; mains Pompeyus fut desconfis et s'enfuit. Et astoit adont le promier jour de quintel ; se l'apellat Julius por cel belle victoire : ch'est li mois de jule, et encor le nom-ons enssi. |
[Le mois de juillet] Pompée sortit de la cité, avec tous ses hommes rangés en ordre de combat ; quand il les vit, Jules rangea les siens. Là se déroula un combat terrible et pesant ; mais Pompée fut vaincu et s’enfuit. C’était alors le premier jour de quintilis ; on l’appela Julius, vu cette belle victoire ; c’est le mois de juillet, qui s’appelle encore ainsi. |
[Julius en la terre de Emath] Et enfuit Pompeyus par le Thyre en Aisie, puis repassat en Gresche, et laisat Aisie, car Julius y avait trop de bienveulhant. Et quant ilh fut en Gresche, si fist [p. 222] tant al roy qu'ilh li prestat IIc milh hommes, si vient et les amynat en la terre de Emath ; et Julius, qui astoit recheus par les senateurs à Romme, entendit la novelle de Pompeyus, si assemblat Cm hommes, et alat encontre luy en la terre de Emath. |
[Jules en terre d'Émathie] Pompée s’enfuit par le Tibre en Asie, puis repassa en Grèce, quittant l’Asie, car Jules y avait trop de partisans. Une fois en Grèce, Pompée gagna si bien [p. 222] la faveur du roi que ce dernier lui prêta deux cent mille hommes ; Pompée les emmena en Émathie. À Rome, apprenant cette nouvelle, Jules qui était reçu par les sénateurs assembla cent mille hommes et partit le combattre en Émathie. |
[Sedros, IIIIe roy de Tongre - De Lembor - De Viseit - Serang] En cel an meismes, assavoir en la batalhe devant Lutesse, fut ochis par Julius Cesaire Tongris, le IIIe roy de Tongre ; si regnat apres son fis Sedros de la filhe le duc d'Ardenne, c'est ly duc de Lembor, dont la ducheit d'Ardenne li esqueit apres-la mort le duc, sique Sedros avoit grant terre qui s'extendoit de Rains jusqu'à Trive en Allemangne, et regnat XXV ans. Si fut plains de proieche et de chevalrie, et amat son peuple loialment ; et faisoit aux estrangnez qui venoient habiteir en son regne grant cortoisie et avantaige. Chis fondat la ville de Taxandrine, c’on nom maintenant Viseit sour Muese ; et fondat Tiules et Meriwe sour Ourte la riviere, et Serang sour la riviere de Muese, et habitoit là volentiers. |
[Sédros, quatrième roi de Tongres - Luxembourg - Visé - Seraing] En cette même année [47 a.C.n.], lors de la bataille devant Lutèce, Jules César tua Tongris, le troisième roi de Tongres. Celui-ci eut pour successeur son fils Sédros, né de la fille du duc d’Ardenne, alias duc de Limbourg, dont le duché d’Ardenne était échu à Sédros à sa mort. Ce Sédros possédait ainsi un immense territoire, s’étendant de Reims à Trèves en Allemagne. Il régna durant vingt-cinq ans. Il accomplit maintes prouesses dignes d'un chevalier, aima loyalement son peuple et traita avec grande courtoisie, en leur accordant des faveurs, les étrangers venus habiter dans son royaume. Il fonda la ville de Taxandrine, qu’on nomme maintenant Visé sur Meuse ; il fonda aussi Tilff et Méry sur l’Ourthe, et Seraing sur la Meuse, où il résidait volontiers. |
[p. 222] [Grant batalhe entre Julius et Pompeyus] Julius vient atout ses oust en la terre de Emath, où Pompeyus astoit ; si soy corurent sus. Et là fut la plus grant batalhe et occision d’hommes, d'unne part et de l'autre, qui fust puis le temps Hanibal de Cartaige. Mains Pompeyus fut desconfis, et VIxx milh Grigois ochis. Et Julius perdit XLm Romans. |
[p. 222] [Grande bataille entre Jules et Pompée] Jules arriva avec ses armées en terre d’Émathie, où se trouvait Pompée ; ils foncèrent l’un contre l’autre. Et les deux camps vécurent la plus grande bataille et la pire tuerie depuis Hannibal et Carthage. Pompée fut vaincu, cent vingt mille Grecs périrent. Jules perdit quarante mille Romains. |
[Pompeyus s’enfuit en Egypte] Adont s'enfuit Pompeyus oultre mere en Egypte ; se trovat que le roy Ptholomes astoit mors dois mois devant sens heures. Si astoient les barons en grant discort del eslire I roy ; car li une partie voloit avoir Ebron, et li altre une altre chevalier, qui astoit fis à Jonea, soreur à Ptholomes. A cel discort vient Pompeyus, à cuy ons fist grant reverenche, car on le tenoit à saingnour de Romme ; se li dissent qu'ilh donnast la royalme où ilh li plaisoit miez. Et ilh le donnat à chevalier, dont Ptholomes astoit oncle, liqueis fut nommeis li XIIe Ptholomes, si regnat XIX ans. |
[Pompée s’enfuit en Égypte] Alors Pompée s’enfuit par mer en Égypte. Le roi Ptolémée était mort deux mois auparavant sans héritiers. Les barons étaient très divisés pour élire un roi ; certains voulaient avoir Ébron, et les autres préféraient un autre chevalier, fils de Jonéa, sœur de Ptolémée. Pompée survint dans cette discorde ; on lui témoigna beaucoup de respect, car on le croyait maître de Rome ; les Égyptiens lui dirent d’attribuer le royaume selon sa préférence. Alors il l'accorda à un neveu de Ptolémée, qui fut nommé Ptolémée XII, et qui régna durant dix-neuf ans. |
Adont s'avisat Pompeyus que ilh auroit bien socour al roy Ptholomes, par ses gens contre Julius Cesaire ; se li requist pasieblement que ilh li voisist assembleir ses gens, car ilh voloit aleir conquere cheaux d'Athennes, qui astoient rebelles. Et chu, disoit-ilh, portant qu'ilh ne voloit mie que Tholomes sawiste la guere entre luy et Julius. Se li otriat volentirs tantoist. |
Alors Pompée s'avisa qu’il pourrait obtenir de l’aide du roi Ptolémée et de ses hommes contre Jules César ; il lui demanda calmement de rassembler ses troupes, car il comptait aller mâter les Athéniens qui étaient entrés en rébellion. Il disait cela, car il ne voulait pas que Ptolémée soit informé de la guerre l'opposant à Jules. Ptolémée fut aussitôt d’accord. |
[p. 223] Et enssi qu'ilh mandoit ses gens, li dest I chevalier de Romme, qui astoit awec Pompeyus meismes, la guere de Julius et Pompeyus. Et por chu soy dobta Ptholomes qu'ilh n'awist mal fait de chu qu'ilh l'avoit tant sourtenut contre Julius Cesaire, et que Julius ne quidast qu'ilh sewist le debat, et qu'ilh vousist aidier Pompeyus contre luy. Encors ne passat gaire apres que uns chevalier d'Egypte revient de Romme, et racomptat al roy Ptholomes que Julius assembloit grant gens por venir sour luy ; car ons li avoit dit qu'ilh sortenoit son annemy Pompeyus. |
[p. 223] Et tandis que Ptolémée faisait venir ses troupes, un chevalier romain, qui était du parti de Pompée même, lui parla de la guerre entre Jules et Pompée. Dès lors Ptolémée eut peur d'avoir mal agi en soutenant tellement Pompée contre Jules César. Il craignit que Jules ne le crût au courant de leur querelle, en voulant soutenir Pompée contre lui. De plus, très peu de temps après ces événements, un chevalier d’Égypte revint de Rome et raconta à Ptolémée que Jules rassemblait une grande armée pour marcher contre lui ; car on lui avait dit qu’il soutenait son ennemi Pompée. |
[Pompeyus fut mourdris] Quant Ptholomes entendit chu, se ne li soit conselhier, puis s'avisat ; si prist une espée, se vient pasieblement et ochist Pompeyus où ilh dormoit, puis en prist la tieste, se l'envoiat à Julius Cesaire. Et quant Julius veit chu, se pardonnat à Ptholomes son matalent, et retournat à Romme : chu dist Tytus Livius. Mains Plinius dist aultrement, car ilh dist que quant Julius Cesaire veit le chief Pompeyus, qu'il plorat por la grant chevalrie de Pompeyus, et gueroiat Ptholomes, se le voult pendre ; mains li acors se fist entre eaux, se revient adont Julius Cesaire à Romme. |
[Pompée est assassiné] Quand Ptolémée apprit cela, il ne sut d'abord que faire, puis prit sa décision. Il saisit une épée, s’approcha sans bruit et tua Pompée pendant son sommeil. Il prit alors sa tête qu'il envoya à Jules César. Quand Jules la vit, il pardonna à Ptolémée sa mauvaise intention et retourna à Rome : c’est ce que dit Tite-Live. Mais Pline donne une autre version, que voici : quand Jules César vit la tête de Pompée, il pleura, à cause de la bravoure chevaleresque de Pompée, et fit la guerre à Ptolémée, qu'il voulut capturer. Mais un accord fut conclu entre eux, et Jules César revint à Rome. |
[p. 223] [Julius Cesaire fut coronneis emperere] Adont revient Julius Cesaire à Romme, se fuit hays de cheaux qui amoient Pompeyus, et fut ameis de cheaux qui amoient chevalrie et tous les fais que Julius savoit faire. Que vos diroit-ons long compte ? Ilh fut racompteit à Julius que Pompeyus avoit fait et conselhiet chu que fais estoit, portant que ilh voloit demoreir seul consul et de luy faire emperere. Sique Julius, qui ne s'avisoit mie de teile chouse, dest-ilh, puisqu'ilh astoit demoreis seul consule, par cesty meismes raison ilh devoit eistre emperere. |
[p. 223] [Jules César est couronné empereur] Jules César revint ensuite à Rome, où il fut en butte à la haine des amis de Pompée, et aimé de ceux qui aimaient la chevalerie et tous les exploits dont Jules était capable. Pourquoi vous ferait-on un long récit ? On raconta à Jules que Pompée avait fait et décidé tout ce qui s’était produit, parce qu’il voulait rester consul unique, et devenir ainsi empereur. Et dès lors, Jules, alors qu'il n'avait pas envisagé pareille chose, déclara que, puisqu’il restait le seul consul, il devait, pour la même raison, être empereur lui aussi. |
Et adont soy fist-ilh coronneir com emperere par les senateurs meismes, qui amoient plus Pompeyus mors que Julius vief. Or fut Julius coroneis à emperere, et regnat par forche ; et fist ses offichiens de ses annemis les amis Pompeyus. Si soy vengat d'eaux mult bien, car quant ilhs l'avoient desservit, ilh les faisoit pendre ou coupeir les chiefs. Enssi soy vengat-ilh de ses annemis, et toutvoie ilh en demorat toudis asseis, car Pompeyus s'avoit fait bien ameir, et ses amans ne le porent oncques relenquir à vie ne à mort. |
Il se fit alors couronner empereur par les sénateurs eux-mêmes, qui restaient plus attachés à Pompée mort qu'à Jules vivant. Ainsi Jules fut couronné empereur, et régna par la force ; il prit à son service ses ennemis, amis de Pompée. Et il se vengea bien d’eux, car quand ils l’avaient desservi, il les faisait pendre ou décapiter. Ainsi il se vengea de ses ennemis. Cependant, il en conservait toujours beaucoup, car Pompée s’était fait beaucoup aimer, et ses amis ne purent jamais l’oublier, ni vivant ni mort. |
Item, quant Julius fut coronneis, ilh avoit d'eaige LVI ans. [p. 224] Nos trovons bien des croniques qui dient que Julius Cesaire morut al LVle année de son regne, mais nos trovons des altres qui dient qu'ilh fut coronneis à emperere de Romme al LVI an de son eaige, et regnat puis com emperere V ans. |
Quand il fut couronné, Jules était âgé de cinquante-six ans. [p. 224] Bien des chroniques disent que Jules César mourut dans la soixante-sixième année de son règne ; mais d’autres disent qu’il fut couronné empereur de Rome à l’âge de cinquante-six ans, et qu’il régna ensuite comme empereur durant cinq ans. |
Judée : Aristobule II sort de prison, est renvoyé en Judée mais meurt empoisonné - Digression : César en Espagne sévit contre les partisans de Pompée - Alexandre, fils d'Aristobule II, est tué à Antioche - Son frère Antigone Mattathias, autre fils d'Aristobule II, se réfugie chez le roi de Nubie - Prouesses d'Antipater, conseiller d'Hyrcan II, devant Jérusalem assiégée et surtout en Égypte où il rend de grands services à César - Antipater, accusé par Antigone Mattathias de traîtrise, se justifie devant César - Élévation d'Antipater, dont le pouvoir devient très grand en Judée et qui place deux de ses fils en bonne position
[p. 224] [De Aristoble mort par venyn] Item, la promiere chouse que ilh fist, chu fut que ilh gettat de prison Aristoble, roy de Judée, que Pompeyus avoit condampneit en chaitre perpetuée. Se le renvoiat en Judée, et li donnat milh hommes por reconquesteir la terre ; mains entres les milh hommes oit des amis Pompeyus, qui haioient Aristoble portant qu'ilh astoit en serviche de Julius Cesaire, qui avoit leur saingnour fait ochire. Si donnarent Aristoble del venyn à boire, dont ilh morut, et puis le misent sour terre où les salvaiges biestes le mangnassent ; mains Anthoine, le senescal de Surie, le fist honorablement enbasmeir et ensevelir com roy. |
[p. 224] [Aristobule meurt empoisonné] La première chose que fit César empereur fut de faire sortir de prison Aristobule II, roi de Judée, que Pompée avait condamné à perpétuité. Il le renvoya en Judée, et lui accorda mille hommes pour reconquérir son territoire. Mais parmi ces mille hommes se trouvaient des amis de Pompée, qui haïssaient Aristobule, parce qu’il était au service de Jules, responsable de la mort de leur seigneur. Ils donnèrent à Aristobule une boisson empoisonnée, qui causa sa mort, puis ils le laissèrent à terre, en pâture aux bêtes sauvages. Toutefois Antoine, sénéchal de Syrie, le fit embaumer avec honneur et ensevelir en roi. |
[Julius en Espangne] Nos vos avons deviseit comment Julius Cesaire fut emperere de Romme, qui commenchat à regneir fortement. Se entendit que les amis Pompeyus, qui habitoient en Espangne, soy combatoient aux amis Julius, et disoient qu'ilh avoit fait morir Pompeyus malvaisement contre raison ; si chevalchat Julius là, et leur fist tous colpeir les tiestes, et puis revient à Romme |
[Jules en Espagne] Nous vous avons raconté comment Jules César devint empereur de Rome et commença à régner par la force. Il apprit que les partisans de Pompée, vivant en Espagne, se battaient contre les partisans de Jules, en disant qu’ils avaient injustement fait mourir Pompée, contre toute raison. Jules chevaucha jusque là, leur fit couper la tête à tous, puis revint à Rome. |
[p. 224] Et ne demorat puis gaires que Alixandre, li anneis fis Aristoble, fut ochis en la citeit d'Antioche, de Commangnez le sangnour de Antyoche, qui en avoit oyut lettres de part Pompeyus à son temps, qui faisoient mention que, queil part que Alixandre fust troveis, qu'ilh fust ochis sens plus atendre. Et Antygones, li frere Alixandre, s'enfuit, awec li ses soreurs, demoreir à I valhant prinche, assavoir Ptholomes, roy de Nubie, qui les retient et prist à femme Alexandrine, la jovene soreur, qui mervelheusement astoit belle damme. De celle damme oit Ptholomes I fis qui oit nom li Saisnes, qui puis fuit prinche de Abynie. |
[p. 224] Peu de temps après cela, Alexandre, fils aîné d’Aristobule II, fut tué dans la cité d’Antioche par Commagène, le seigneur d’Antioche, qui avait reçu en son temps des lettres de Pompée. Ces lettres mentionnaient qu'Alexandre, quel que soit le lieu où il se trouvait, devait être tué sans plus attendre. Et Antigone [Mattatthias], frère d’Alexandre, s’enfuit avec ses sœurs, chez un prince valeureux, Ptolémée, roi de Nubie, qui les retint et épousa leur sœur cadette, Alexandrine, une personne d'une beauté merveilleuse. De cette dame, Ptolémée eut un fils, qui eut pour nom Lysanias (cfr p. 271) et devint ensuite prince d’Abyssinie. |
[De Jherusalem] Item, l'an Vc et XLIII, vinrent grant partie de gens devant Jherusalem, dont Hircain astoit sires. Si avient que Antypater, dont j'ay fait deseur mention, astoit en Jherusalem, por nunchier à Hircain le mort de Aristoble son frere. Adont assemblat Antypater toutes les gens qu'ilh pot avoir en la citeit de Jherusalem, et issit fours de [p. 225] la citeit, et corit sus les annemis, et les desconfist. |
[Jérusalem] En l’an 543 [46 a.C.n.], une grande foule se présenta devant Jérusalem, dont le seigneur était Hyrcan II. Antipater, dont j’ai fait mention plus haut (p. 204), était à Jérusalem, pour annoncer à Hyrcan la mort de son frère Aristobule II. Alors, Antipater rassembla toutes les forces qu’il put trouver dans la ville de Jérusalem, sortit [p. 225] de la cité, fonça contre les ennemis et les défit. |
[D’Antipater] Et tant fist-ilh que Julius Cesaire oiit parleir de sa proieche et de son sens ; se ly mandat que ilh alaist en Egypte pour prendre le casteal de Predos, qui astoit si fors qu'ilh guerioit bien le pays tout entour. Là fut envoyés Antypater, et awec ly le roy de Nubie Ptholomes, qui avoit à femme la plus jovene filhe Aristoble, jasoiche que Antygones le frere le royne hayst Antypater, car ilh avoit, chu ly sembloit, tousjours esteit de conselhe Hircain son oncle, à l'encontre de son peire, et quidoit que Antypater euwist fait ochire son peire ; et de chu le rechitat depuis par-devant Julius de trahison, enssi com vos oreis chi-apres. |
[Antipater] Il se comporta de façon telle que Jules César eut vent de sa prouesse et de son intelligence ; il lui ordonna d’aller en Égypte, pour s’emparer du château de Pharos, si fortifié qu’il mettait à mal le pays alentour. Antipater fut envoyé sur place, avec Ptolémée, roi de Nubie, qui avait épousé la fille cadette d’Aristobule. Toutefois Antigone, frère de la reine, haïssait Antipater, pensant que ce dernier avait toujours donné à son oncle Hyrcan des conseils hostiles à son père, et le croyant responsable de la mort de celui-ci. Aussi le cita-t-il devant Jules, pour trahison, comme vous l’apprendrez ci-après. |
[p. 225] [D’Antypater comment il conquist les Egyptiens] En cel batalhe dont je fay mension le fist si bien Antypater, que par tout pays fut parleis de sa proieche ; et fist tant que ilh conquist les Egyptiiens, et les remist en tregut des Romans. Apres chu entrat chis Antypater en le haulte Egypte, où ilh soy combatit aux Egyptiiens maiour. Et fut si dure celle batalhe et tant pesante, et y oit mult grant occhision d'hommes d'ambdois parties. Et là souffrit Antypater tant de paines que sa chair fut sy plailée de glaives, d'espéez et de cuteals, que cascons qui le veioit disoit que ilh moroit ; et combien qu'ilh fuist enssi navreis, conquist-ilh les Egyptiiens et tout leur terre. Apres revient Antypater à Romme, et mist en la main Julius Cesaire toutes les terres qu'ilh avoit conquis. Et là tesmongnarent ses compangnons qu'ilhs n'avoient onques veyut ne oiit parleir de nul chevalier qui tant ewist fait de fais d'armes ; et portant fut-ilh si bien ameis de Julius Cesaire, que ilh faisoit de luy tout chu qui li plaisoit. |
[p. 225] [Antipater conquiert les Égyptiens] Durant cette bataille, dont je fais mention, Antipater se comporta si brillamment que son exploit fut connu partout. Il finit par conquérir les Égyptiens, qu’il soumit au tribut des Romains. Ensuite cet Antipater pénétra en Haute Égypte, où il combattit les Égyptiens les plus notables. Cette bataille fut très dure et acharnée, provoquant un massacre important dans les deux camps. Là Antipater subit bien des maux : il reçut des coups de glaives, d’épées et de poignards au point que tous ceux qui le voyaient le disaient mourant. Mais malgré toutes ses blessures, il conquit les Égyptiens et tout leur territoire. Après quoi, Antipater revint à Rome et remit aux mains de Jules César toutes les terres qu’il avait conquises. Ses compagnons témoignèrent qu’ils n’avaient jamais vu ni entendu parler d’un chevalier, auteur de si nombreux faits d’armes. C'est la raison pour laquelle Jules César l’apprécia beaucoup et lui laissa faire tout ce qui lui plaisait. |
[p. 225] [De la proieche Antypater] Chis Antypater fut ly plus prisiés de la court l'emperere ; et puis apres li gueredonat li emperere mult bien son bon serviche, enssi com vos oreis ; et otroiat aussi ly emperere, por l'amour de ly, à Hircain et à ses heures le royalme de Judée. Et quant Antygonus li fis Aristoble le soit, se vient à Romme et soy plandit de ly à l'emperere, en disant qu'ilh avoit faire ochire son peire Aristoble et son frere Alixandre en trahison, et par son conselhe ilh avaient esteis mors. |
[p. 225] [La prouesse d’Antipater] Cet Antipater fut le plus apprécié des courtisans de l’empereur. Plus tard celui-ci le récompensa très généreusement de ses bons services, comme vous l’apprendrez. Par amour pour lui, il octroya ainsi à Hyrcan et à ses héritiers le royaume de Judée. Et quand Antigone [Mattathias], le fils d’Aristobule, le sut, il se rendit à Rome et se plaignit d'Antipater à l’empereur, disant qu’il avait fait tuer traîtreusement son père Aristobule et son frère Alexandre, et qu’ils étaient morts sur son conseil. |
[Comment monstrat-ilh sa loialteit] Quant Antypater oiit chu, se salhit en piiés, et dest qu'ilh astoit bien garnis de bons tesmons, par lesqueiles ilh proveroit qu'ilh n'avait fait envers ly nul trahison, ains avait esteit loialment en le [p. 226] serviche l'emperere. Adont soy partit Antypater de la saule, et les altres quidoient qu'ilh alast quere des chevaliers pour ly tesmongnier et desculpeir ; mains ilh soy devestit tous nuls, puis revient en monstrant al emperere et à tous ses barons son corps qu'ilh avoit deplaileit et detrenchiet en pluseurs lieu, sique les cicatriches y aparoient ; et dest que tout chu avoit-ilh souffert pour l'amour de l'emperere et des Romans, quant Antygonus astoit fuys en aultre terre. Adont dessent tous les chevaliers que li ouvre et la loialteit se monstroit bien. |
[Comment il montre sa loyauté] Quand Antipater entendit cela, il se dressa sur ses pieds, disant qu’il disposait de bons témoins qui prouveraient qu’il ne l’avait pas trahi, mais qu'il avait loyalement [p. 226] servi l’empereur. Antipater alors quitta la salle. Les assistants croyaient qu’il allait chercher des chevaliers pour témoigner pour lui et pour le disculper ; mais il se dévêtit et revint tout nu montrant à l’empereur et à tous ses barons comment son corps avait été couvert de plaies et de coups en de nombreux endroits, ce que les cicatrices laissaient apparaître. Il déclara qu'il avait enduré tout cela pour l’amour de l’empereur et des Romains, tandis qu’Antigone s’était enfui dans un autre pays. Alors tous les chevaliers reconnurent que ses actions et sa loyauté étaient évidentes. |
Quant l'emperere veit chu, se fist Antypater senescaul de Judée, et donnat à Sixte, I sien chevalier et cusien, la saingnorie de tout Surie entirement, et à ses heures apres luy. |
Quand l’empereur vit cela, il désigna Antipater sénéchal de Judée et donna la seigneurie de toute la Syrie à son cousin chevalier Sextus, et à ses héritiers après lui. |
[Antypater refist les casteals de Judée] Adont priat Antypater à l'emperere que ilh li plaisist que ilh redifiast les fortereches de Judée, partout où ilh avoient esteit abatues ; et ilh ly otriat. |
[Antipater reconstruit les forteresses de Judée] Alors Antipater pria l’empereur de lui permettre de reconstruire les forteresses de Judée, partout où elles avaient été détruites, ce qui lui fut accordé. |
[De Fasias et Herode qui furent freres] Adont revient Antypater en la terre de Judée ; et instablit tantoist son anneis fis Fasias, conistauble de Jherusalem desous luy, et Herode son aultre fis prevoste de Galilée. Chis Herode fut mult preux en armes, et fut fels et crueux. Chu fut chis qui fist ochire les innocens, enssi com vos oreis. Et puis fist Antypater porteir coronne com roy. |
[Phasaël et Hérode son frère] Aussitôt revenu en Judée, Antipater établit son fils aîné Phasaël comme connétable de Jérusalem sous ses ordres, et Hérode, son autre fils, comme prévôt de Galilée. Cet Hérode fut un valeureux homme d’armes, fourbe et cruel. C’est lui qui fit massacrer les innocents, comme vous l’apprendrez (p. 355). Antipater lui fit ensuite porter la couronne de roi. |
[Suite]
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