Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant VIII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE VIII
LA ROME FUTURE : PALLANTÉE - BOUCLIER D'ÉNÉE
Origine : Hercule et Cacus (8, 190-267)
Évandre raconte à ses hôtes la légende d'Hercule et Cacus. La contrée fut longtemps victime des brutalités de Cacus, monstre sauvage, qui terrifiait les habitants depuis sa caverne sur l'Aventin. Hercule, qui, après avoir repris son troupeau à Géryon, revenait justement d'Espagne en passant par l'Italie, se vit dérober plusieurs bêtes par Cacus, lequel les cacha dans son antre. (8, 190-218)
Hercule réussit à les reprendre, et après un combat épique, il étrangla le monstre, au grand soulagement des habitants de la région (8, 219-267).
« Iam
primum saxis suspensam hanc aspice rupem, disiectae procul ut moles desertaque montis stat domus et scopuli ingentem traxere ruinam.
Hic spelunca fuit, uasto
summota recessu, semihominis Caci facies quam dira tenebat |
« Tout d'abord, regarde, parmi les pierres, ce rocher en surplomb ; tu vois au loin ces masses disjointes, ce refuge abandonné dans la montagne, ces rochers écroulés en un vaste éboulis. Là se trouvait jadis, cachée au fond d'un renfoncement, la caverne de Cacus, monstre à demi-humain, à face sauvage, |
8, 190 |
solis inaccessam radiis ; semperque recenti caede tepebat humus, foribusque adfixa superbis ora uirum tristi pendebant pallida tabo. Huic monstro Volcanus erat pater : illius atros ore uomens ignis magna se mole ferebat.
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grotte inaccessible aux rayons du soleil et dont le sol est toujours tiède d'un récent carnage ; fixées avec insolence sur les portes pendaient des têtes humaines livides, souillées de pus. Ce monstre avait pour père Vulcain ; il déplaçait sa masse énorme, tandis que sa bouche vomissait les sombres feux paternels.
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8, 195 |
Attulit et nobis aliquando optantibus aetas auxilium aduentumque dei. Nam maximus ultor, tergemini nece Geryonae spoliisque superbus Alcides aderat taurosque hac uictor agebat ingentis, uallemque boues amnemque tenebant. |
À nous aussi qui le souhaitions, le temps offrit un jour l'aide et l'arrivée d'un dieu. En effet, le grand justicier, fier du massacre du triple Géryon et de ses dépouilles, l'Alcide était chez nous ; en vainqueur, il menait des taureaux énormes, et ses troupeaux occupaient la vallée et les rives du fleuve. |
8, 200 |
At furiis Caci mens effera, nequid inausum aut intractatum scelerisue doliue fuisset, quattuor a stabulis praestanti corpore tauros auertit, totidem forma superante iuuencas ; atque hos, nequa forent pedibus uestigia rectis, |
Mais Cacus, l'esprit emporté par la fureur, pour ne pas passer pour n'avoir pas eu l'audace de pratiquer un crime ou une ruse détourna de leurs enclos quatre taureaux magnifiques, et autant de génisses, superbes de beauté. Et pour éviter de laisser les traces de leurs pas dirigés vers l'avant, |
8, 205 |
cauda in speluncam tractos uersisque uiarum indiciis raptos saxo occultabat opaco : quaerenti nulla ad speluncam signa ferebant.
Interea, cum iam stabulis
saturata moueret Amphytrioniades armenta abitumque pararet, |
il les tira par la queue dans sa caverne, et ayant inversé ainsi les indices de leur marche, il cacha sa prise dans son antre obscur. Pour qui les cherchait nul indice ne conduisait à la caverne. Cependant, tandis que le fils d'Amphitryon faisait sortir de leurs abris les bêtes rassasiées et préparait leur départ, |
8, 210 |
discessu mugire boues atque omne querelis impleri nemus et colles clamore relinqui. Reddidit una boum uocem uastoque sub antro mugiit et Caci spem custodita fefellit. Hic uero Alcidae furiis exarserat atro |
les boeufs, en partant, se mettent à mugir ; le bois tout entier résonne de leurs plaintes, et on quitte les collines dans les cris. Une des génisses donna de la voix et, dans l'antre immense, la prisonnière mugit et trompa ainsi les espoirs de Cacus. Alors la douleur embrasa d'une bile noire l'Alcide, fou de colère ; |
8, 215 |
felle dolor, rapit arma manu nodisque grauatum robur et aerii cursu petit ardua montis.
Tum primum nostri Cacum
uidere timentem turbatumque oculis : fugit ilicet ocior Euro speluncamque petit, pedibus timor addidit alas. |
il saisit ses armes, sa lourde massue de chêne noueux, et gagne en courant les crêtes élevées de la montagne. Alors, pour la première fois, les nôtres ont vu Cacus effrayé, ses regards se troubler ; il fuit aussitôt, plus rapide que l'Eurus, et rejoint sa caverne ; la peur lui collait des ailes aux pieds. |
8, 220 |
Vt sese inclusit ruptisque immane catenis deiecit saxum, ferro quod et arte paterna pendebat, fultosque emuniit obice postis, ecce furens animis aderat Tirynthius omnemque accessum lustrans huc ora ferebat et illuc, |
Une fois enfermé, il rompt les attaches d'un énorme roc, que des fers forgés par l'art paternel maintenaient suspendu ; il le jette à terre, et avec cette barrière, étaie et fortifie sa porte. Mais déjà le Tirynthien était là, la rage au coeur, cherchant un accès, il portait partout ses regards |
8, 225 |
dentibus infrendens. Ter totum feruidus ira lustrat Auentini montem, ter saxea temptat limina nequiquam, ter fessus ualle resedit. Stabat acuta silex, praecisis undique saxis speluncae dorso insurgens, altissima uisu, |
et grinçait des dents. Trois fois, bouillonnant de fureur, il fait le tour de l'Aventin, trois fois il attaque l'obstacle de pierre, en vain, trois fois il revient, épuisé, s'asseoir dans la vallée. Avec ses rocs tranchants de tous côtés, une aiguille de silex se dressait, apparaissant très haute au-dessus de la caverne, |
8, 230 |
dirarum nidis domus opportuna uolucrum.
Hanc, ut prona iugo laeuum
incumbebat in amnem, dexter in aduersum nitens concussit et imis auolsam soluit radicibus, inde repente inpulit, inpulsu quo maximus intonat aether |
repaire bienvenu pour les nids des oiseaux de malheur. Comme la pointe du rocher penchait à gauche vers le fleuve, Hercule s'appuya sur sa face droite, le secoua, l'arracha à ses assises profondes, puis brusquement le culbuta dans le vide. Sous le choc, l'immense éther gronde comme le tonnerre, |
8, 235 |
dissultant ripae refluitque exterritus amnis. At specus et Caci detecta apparuit ingens regia, et umbrosae penitus patuere cauernae : non secus ac siqua penitus ui terra dehiscens infernas reseret sedes et regna recludat |
les rives sont ébranlées et le fleuve, épouvanté, reflue. Alors, l'antre de Cacus, palais immense privé de toit, apparut, et l'on découvrit les profondeurs de ses cavernes ténébreuses ; c'était comme si la terre, largement ouverte sous un choc violent, dévoilait les séjours infernaux et découvrait les royaumes livides, |
8, 240 |
pallida, dis inuisa, superque immane barathrum cernatur, trepident inmisso lumine manes.
Ergo insperata deprensum
luce repente
inclusumque cauo saxo atque
insueta rudentem desuper Alcides telis premit omniaque arma |
honnis des dieux, comme si d'en haut, apparaissait un énorme gouffre, où s'agiteraient les Mânes tremblants à l'intrusion de la lumière. Donc Cacus est soudain surpris par cette clarté inattendue, prisonnier au creux de son antre et plus rugissant que jamais, et d'en haut, l'Alcide, faisant arme de tout, l'écrase sous les traits |
8, 245 |
aduocat et ramis uastisque molaribus instat. Ille autem, neque enim fuga iam super ulla pericli, faucibus ingentem fumum mirabile dictu euomit inuoluitque domum caligine caeca, prospectum eripiens oculis, glomeratque sub antro |
et l'accable de branches et de pierres énormes. Le monstre, qui n'a plus le moyen de fuir le danger, vomit de sa gueule, fait étonnant ! une épaisse fumée qui plonge sa demeure dans une obscurité aveugle qui le dérobe aux regards ; il accumule ainsi dans la grotte |
8, 250 |
fumiferam noctem commixtis igne tenebris. Non tulit Alcides animis seque ipse per ignem praecipiti iecit saltu, qua plurimus undam fumus agit nebulaque ingens specus aestuat atra.
Hic Cacum in tenebris
incendia uana uomentem |
une nuit enfumée où le feu se mêle aux ténèbres. La colère de l'Alcide ne le supporta pas. À travers les flammes, d'un saut il se précipita là où la fumée était le plus dense, et où l'immense caverne bouillonnait dans une noire nuée. Alors il saisit Cacus qui crache en vain ses feux dans l'obscurité ; |
8, 255 |
corripit in nodum complexus et angit inhaerens elisos oculos et siccum sanguine guttur. Panditur extemplo foribus domus atra reuolsis, abstractaeque boues abiurataeque rapinae caelo ostenduntur, pedibusque informe cadauer |
il l'enserre faisant un noeud de ses bras, et sans le lâcher, l'étrangle lui faisant jaillir les yeux de la tête et privant sa gorge de sang. Aussitôt, les portes sont arrachées, la sombre demeure est béante, les animaux volés, les rapines niées apparaissent au grand jour ; le cadavre informe est traîné par les pieds au-dehors. |
8, 260 |
protrahitur. Nequeunt expleri corda tuendo terribilis oculos, uoltum uillosaque saetis pectora semiferi atque extinctos faucibus ignis. » |
Les assistants ne peuvent rassasier leurs coeurs à regarder les yeux effrayants de cet être monstrueux, son visage et sa poitrine hérissée de poils, ainsi que les feux éteints de sa gorge. » |
8, 265 |
La cérémonie. L'hymne à Hercule (8, 268-305)
Lorsqu'Hercule eut tué le monstre, on dressa un autel, l'ara maxima, devenu le centre du culte solennel rendu à Hercule.Vient ensuite la description de la cérémonie, l'accent étant mis sur l'hymne à Hercule, chanté par les Saliens et des choeurs rappelant les célèbres « Travaux » du héros (8, 268-305).
« Ex illo celebratus honos, laetique minores seruauere diem, primusque Potitius auctor |
« Depuis lors, un culte est célébré et, dans l'allégresse, les générations ont conservé cette fête : Potitius en fut l'initiateur, |
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et domus Herculei custos Pinaria sacri, hanc aram luco statuit, quae maxuma semper dicetur nobis et erit quae maxuma semper. Quare agite, o iuuenes, tantarum in munere laudum cingite fronde comas et pocula porgite dextris |
et la maison Pinaria, la gardienne du culte d'Hercule, éleva dans le bois sacré cet autel, que toujours nous appellerons très grand, et qui toujours sera très grand. Aussi, jeunes gens, allons ! Pour célébrer de si grands bienfaits, ceignez vos cheveux de feuillage ; dans vos mains droites, tendez des coupes, |
8, 270 |
communemque uocate deum et date uina uolentes. »
Dixerat, Herculea bicolor cum populus umbra uelauitque comas foliisque innexa pependit et sacer impleuit dextram scyphus. Ocius omnes in mensam laeti libant diuosque precantur. |
priez notre dieu commun, et de bon gré faites des libations de vin. »
Évandre avait parlé ; le peuplier bicolore le couvrit de son ombre chère à Hercule, restant suspendue à ses cheveux entremêlés de feuilles tandis que la main du roi tenait un vase sacré. Aussitôt, dans l'allégresse, tous versent des libations sur la table et adressent des prières aux dieux. |
8, 275 |
Deuexo interea propior fit Vesper Olympo, iamque sacerdotes primusque Potitius ibant, pellibus in morem cincti, flammasque ferebant. Instaurant epulas et mensae grata secundae dona ferunt cumulantque oneratis lancibus aras. |
Pendant ce temps, Vesper se rapproche, dans l'Olympe qui décline, Et déjà les prêtres, Potitius en tête, allaient en procession, enveloppés de peaux selon la coutume, et portaient des flambeaux. On reprend le banquet ; on amène les présents agréables d'un second service ; on couvre les autels de plateaux d'offrandes. |
8, 280 |
Tum Salii ad cantus incensa
altaria circum populeis adsunt euincti tempora ramis, hic iuuenum chorus, ille senum ; qui carmine laudes Herculeas et facta ferunt : ut prima nouercae monstra manu geminosque premens eliserit angues, |
Alors les Saliens, prêts à chanter autour des autels éclairés, sont là, les tempes entourées de rameaux de peuplier. Voici les choeurs des jeunes gens et des vieillards, dont le chant rappelle les louanges et les exploits d'Hercule : comment il étouffa ses premiers monstres, les deux serpents |
8, 285 |
ut bello egregias idem
disiecerit urbes, Troiamque Oechaliamque, ut duros mille labores rege sub Eurystheo fatis Iunonis iniquae pertulerit. « Tu nubigenas, inuicte, bimembris Hylaeeumque Pholumque, manu, tu Cresia mactas |
envoyés par sa marâtre ; comment aussi il détruisit par la guerre les villes magnifiques de Troie et d'Oechalie, comment il endura , sous le roi Eurysthée, mille travaux éprouvants par la volonté fatale de l'inique Junon. « Toi, l'Invaincu, qui abattis les fils nés des nuages, les hybrides Hyléus et Pholus, et les monstres de la Crète, |
8, 290 |
prodigia et uastum Nemeae sub rupe leonem. Te Stygii tremuere lacus, te ianitor Orci ossa super recubans antro semesa cruento ; nec te ullae facies, non terruit ipse Typhoeus, arduus arma tenens ; non te rationis egentem |
et sous son rocher le gigantesque lion de Némée ! Les marais du Styx ont tremblé devant toi, ainsi que le portier d'Orcus, couché sur des ossements à demi-rongés, entassés dans son antre sanglant ; aucun visage ne t'effraya, Typhée même ne te fit pas peur, brandissant bien haut ses armes ; tu n'as pas perdu tes esprits, |
8, 295 |
Lernaeus turba capitum circumstetit anguis. Salue, uera Iouis proles, decus addite diuis, et nos et tua dexter adi pede sacra secundo. » Talia carminibus celebrant ; super omnia Caci speluncam adiciunt spirantemque ignibus ipsum. |
lorsque t'a assailli le serpent de Lerne, avec ses multiples têtes. Salut, incontestable fils de Jupiter, gloire nouvelle parmi les dieux, bienveillant, viens à nous d'un pas propice participer à ta fête sacrée. » Voilà ce que célèbrent leurs chants ; à tout cela, ils ajoutent la caverne de Cacus, et le monstre lui-même crachant le feu. |
8, 300 |
Consonat omne nemus strepitu collesque resultant. |
Tout le bois résonne de ces cris, et les collines en renvoient l'écho. |
8, 305 |
Notes (8, 190-305)
Cacus (8, 194). L'adversaire d'Hercule est un monstre local, du nom de Cacus, qui habitait une caverne de l'Aventin, non loin du Tibre. Plusieurs auteurs anciens (Cassius Hémina, chez OGR, VI, 1-7 ; Cnéius Gellius, chez Solin, 1, 7 ; Tite-Live, 1, 7 ; Denys d'Halicarnasse, 1, 39 ; Properce, 4, 9 ; Ovide, Fastes, 1, 543ss ; Valérius Flaccus, 4, 177), chacun à leur manière, ont raconté cet affrontement, mais chez Virgile, Cacus est présenté comme le fils de Vulcain, le dieu du feu, et le combat prend des allures presque cosmiques.
triple Géryon (8, 202). Dans la mythologie, Géryon (cfr aussi 6, 289 ; 7, 662) était un géant à trois têtes ou à trois corps, qui habitait une île située dans les brumes de l'Occident, « au-delà de l'immense Océan », qui fut assimilée à la région de Gadès en Espagne. Héraclès, sur l'ordre d'Eurysthée, vint tuer le monstre pour s'emparer du magnifique troupeau qu'il possédait et le ramener en Grèce, en passant par l'Italie. Cet épisode constitue un des douze travaux d'Hercule. Sur le chemin du retour, le héros s'arrêta sur le site de la future Rome, au bord du Tibre, pour y prendre un peu de repos. Pendant son sommeil, Cacus lui déroba quelques génisses et tenta de le tromper par une ruse grossière, en tirant les animaux par la queue pour les dissimuler dans sa caverne. Mais Hercule déjoua l'astuce, tua Cacus et récupéra son bien, délivrant du même coup la région des méfaits du monstre. On sait qu'Hercule joue dans l'antiquité le rôle d'un héros libérateur, d'un bienfaiteur débarrassant la terre des monstres qui la peuplent.
Alcide (8, 202). On a déjà présenté plus haut (8, 102n et 103n) Hercule (Héraclès en Grèce), appelé aussi fils d'Amphitryon (8, 103 et 8, 213). Ce dernier, on le sait, n'était en fait que son père adoptif, son vrai père étant Zeus qui avait trompé Alcmène. Le héros est désigné par d'autres périphrases, comme ici « Alcide », du nom d'Alcée, le père d'Amphitryon, comme encore (8, 228)« le Tirynthien », du nom de la ville de Tirynthe, en Argolide, où Hercule avait vécu, y exécutant les ordres du roi Eurysthée.
vainqueur (8, 203). L'épithète « vainqueur » (uictor ou inuictus en latin) est souvent accolée au nom d'Hercule, en souvenir précisément de toutes ses victoires.
Eurus (8, 223). C'est proprement le vent du sud-est, mais manifestement le terme désigne ici le vent en général.
fers forgés par l'art paternel (8, 226). Il s'agit de Vulcain, le dieu du feu, le maître forgeron, qui intervient longuement dans la suite du chant (8, 370-415).
royaumes livides (8, 244). Le royaume des morts. C'est comme si la terre s'était entrouverte jusque dans ses profondeurs infernales.
les rapines niées (8, 263). Cacus avait tenté de dissimuler son larcin en tirant les animaux par la queue pour les faire entrer dans sa caverne. Selon une autre version beaucoup plus anthropomorphique de la légende (chez Denys d'Halicarnasse, I, 39, 3), Cacus, interrogé par Hercule sur le seuil de sa caverne, aurait protesté de son innocence et appelé au secours. Le texte de Virgile ne fait pas nécessairement allusion à ce détail du récit de Denys.
un culte est célébré (8, 268-272). Le récit étiologique continue mais, maintenant qu'est terminé le « morceau de bravoure » " constitué par l'affrontement entre Hercule et Cacus, il s'accélère avec l'évocation, très rapide, des deux gentes qui s'occupaient du culte d'Hercule, à l'ara maxima, les Potitii et les Pinarii, présentés comme des contemporains d'Évandre. Tite-Live (1, 7, 12-15) les signale comme des familles particulièrement importantes à cette époque et fournit plus de détail que Virgile sur elles et sur leurs rôles respectifs dans la cérémonie. Quoi qu'il en soit, Potitii et Pinarii avaient disparu dès la fin du 4e siècle avant Jésus-Christ, lorsque le culte d'Hercule à l'ara maxima fut repris par l'État.
Potitius en fut l'initiateur (8, 269). La tradition hésite sur le fondateur de l'ara maxima et du culte qui y était rendu à Hercule, et le texte de Virgile est pour sa part quelque peu ambigu. Pour une partie de la tradition romaine (Tite-Live, 9, 34, 18 ; Ovide, Fastes, 1, 581ss, et n. ; Properce, 4, 9, 67), Hercule lui-même aurait dressé son autel, qui fut appelé l'ara maxima. Selon une autre version (Plutarque, Questions romaines, 90 ; Pline, 34, 7 ; Denys d'Halicarnasse, 1, 39, 4 et 1, 40, 2 ; Strabon, 5, 290), Hercule aurait bien dressé un autel, mais à Iuppiter Inuentor (« Jupiter qui découvre »), pour le remercier d'avoir retrouvé ses animaux ; Évandre ensuite aurait élevé l'ara maxima en l'honneur du héros.
très grand (8, 272). C'est l'ara maxima, dont il avait déjà été question à plusieurs reprises, pour la première fois en 8, 102n.
ceignez vos cheveux de feuillage (8, 274). Invocation lancée aux participants, comme si la cérémonie allait seulement commencer, alors qu'on était déjà en train de la célébrer lors de l'arrivée des Troyens à Pallantée (8, 102ss). La mention de la couronne de feuillage renvoie à un détail du rite grec. Dans ce dernier, l'officiant sacrifiait nu-tête, avec simplement une couronne, tandis que dans le rite romain, il se couvrait complètement la tête d'un pan de sa toge. Quelques vers plus loin (8, 276), Évandre joint le geste à la parole.
notre dieu commun (8, 275). Les Troyens et les Arcadiens, s'étant alliés et ayant du reste une origine commune, peuvent maintenant vénérer en commun Héraclès / Hercule.
bicolore (8, 276). La feuille du peuplier, arbre consacré à Hercule, est verte d'un côté, blanche de l'autre.
sur la table (8, 279). Cfr 8, 110. Sur l'autel ou sur la table du repas (1, 736) ?
des prières aux dieux (8, 279). On a déjà discuté plus haut (8, 103n) cette curieuse mention d'autres divinités dans le culte d'Hercule à l'ara maxima.
Vesper (8, 280). L'étoile du Soir ou du Berger, qui apparaît dans le ciel, indique la fin du jour.
enveloppés de peaux selon la coutume (8, 282). On sait qu'aux Lupercales du 15 février les Luperques, considérés dans certains textes anciens comme les prêtres de Faunus, fêtaient le dieu, revêtus de peaux de chèvres (cfr 8, 663). Mais nous ne possédons aucune information qui nous permettrait de supposer à la cérémonie de l'ara maxima la présence d'officiants ceints de peaux de bêtes. Virgile a peut-être voulu donner à la scène une touche d'archaïsme.
reprend le banquet (8, 283). Le verbe latin utilisé par Virgile (instaurare) est le terme technique qui désigne la reprise d'une cérémonie religieuse qui a été interrompue et qu'on doit rituellement recommencer. Mais la suite du texte semble contredire cette idée, si du moins il y est vraiment question de seconds services (le vin et les fruits). Selon P. Veyne, p. 257, n. 4, il s'agit d'un autre repas, le soir, et non des seconds mets du banquet évoqué en 8, 110, 180, 275.
Saliens (8, 285). Virgile imagine deux choeurs de Saliens, qui vont chanter les exploits d'Hercule et demander l'aide du dieu. Les Saliens, qui formaient à Rome une très vieille sodalité, étaient des prêtres chargés d'ouvrir et de fermer rituellement la saison guerrière, laquelle, à l'époque très ancienne, courait de mars à octobre. La tradition attribue leur création au roi Numa, qui leur avait confié la garde d'un bouclier merveilleux d'une forme particulière (ancile) envoyé par Jupiter et considéré comme un talisman d'empire. Numa en avait fait fabriquer onze répliques. Ce sont ces anciles (ancilia) que les Saliens sortaient en mars et promenaient dans la ville de Rome, habillés en guerriers archaïques et exécutant des danses sacrées. Ils chantaient également un chant rituel (carmen Saliare), dont plusieurs auteurs anciens signalent le caractère incompréhensible (Horace, Epodes, 2, 1, 86 ; Quintilien, 1, 6, 40). Ces Saliens sont mis en rapport avec Mars, le dieu de la guerre. Virgile est le seul à les faire intervenir dans le culte d'Hercule, ce qui pose un problème. On est amené à penser qu'on se trouve devant une création virgilienne, sans appui dans la réalité religieuse. Le poète aurait voulu reconstituer une atmosphère religieuse particulière en empruntant des éléments à plusieurs contextes différents. On l'a vu également pour les peaux de bêtes dont Virgile affuble les prêtres d'Hercule et Potitius, décalque probable de ce qui se passait pour les Luperques. On retrouvera Luperques et Saliens unis sur une des scènes du bouclier d'Énée à la fin du livre (8, 663-664).
exploits (8, 288). Plusieurs auteurs anciens du début de l'Empire évoquent ce « chant des Saliens» (carmen Saliare), mais c'est pour signaler qu'il était devenu totalement incompréhensible. Avec la liberté du poète, Virgile imagine ici qu'il célébrait les exploits d'Hercule. Pour fonder son choix, il semble s'être inspiré d'un passage d'Euripide, Héraclès, 1266-1278, mais il a ajouté, nouvelle liberté créatrice du poète, Typhée qu'aucun autre texte ne met directement aux prises avec Hercule et qu'on retrouvera plus loin.
ses premiers monstres (8, 288-289). Encore au berceau, Hercule étouffa deux serpents envoyés par Junon (« la marâtre »), qui en voulait à ce fils que Jupiter avait eu d'Alcmène.
Troie (8, 291). Neptune avait aidé le roi Laomédon (cfr 8, 18 et 8, 158) à construire les murs de Troie mais n'avait pas reçu le salaire convenu. Il avait alors envoyé un monstre marin pour les détruire. Mais Hercule intervint et fit périr le monstre, sauvant aussi Hésione, la soeur de Laomédon. Mais à son tour Hercule fut trompé par Laomédon ; il punit ce second parjure en faisant périr le roi et en détruisant la ville. Troie fut donc détruite deux fois dans son histoire, la première fois par Hercule à l'époque de Laomédon, la seconde fois par les Grecs sous le règne de Priam.
Oechalie (8, 291). Le roi d'Oechalie, Eurytus, avait promis sa fille, Iole, à celui qui le vaincrait au tir à l'arc. Battu par Hercule, il ne tint pas sa promesse. Il fut châtié par le héros qui détruisit sa cité. Il existe dans l'histoire plusieurs villes du nom d'Oechalie. On pense généralement qu'il s'agissait ici de celle d'Eubée.
Eurysthée, Junon et les Travaux d'Hercule (8, 291-300). Dans un accès de colère, Hercule avait tué les trois enfants qu'il avait eus de Mégara, fille de Créon, le roi de Thèbes. Comme châtiment, il fut envoyé par la Pythie au service d'Eurysthée, le roi de Tirynthe, qui, à l'instigation de Junon, toujours hostile au héros, lui imposa les fameux Travaux d'Hercule, dont plusieurs seront énumérés dans les vers suivants. On trouvera aussi de nombreuses informations à propos d'Hercule au début du livre 9, 1-273 des Métamorphoses d'Ovide.
les fils nés des nuages (8, 293-294). Il s'agit de la victoire d'Hercule sur les Centaures (cfr 7, 304-305 et 7, 674 ; cfr aussi Ovide, Mét., 9, 191, mi-hommes, mi-chevaux, nés d'Ixion et d'une Nuée façonnée à l'image d'Héra. Hyléus et Pholus étaient deux Centaures, qui furent massacrés avec d'autres par Hercule, dans les circonstances que voici. Un jour qu'il était l'hôte de Pholus, Héraclès lui demanda du vin. « Pholos lui dit qu'il n'en avait qu'une jarre, mais qu'elle appartenait en commun à tous les Centaures. Héraklès lui dit de ne pas avoir peur et d'ouvrir la jarre. Ce qu'il fit. Mais les Centaures, à l'odeur du vin, accoururent vers la grotte de Pholos, armés de rochers, d'arbres et de torches. Héraclès engagea la lutte contre eux. Pholos fut tué accidentellement » (P. Grimal, Dictionnaire, 1969, p. 372 ; cfr aussi p. 199). En réalité, cet épisode de Pholos et les Centaures constitue une aventure secondaire qui ne fait pas partie intégrante du groupe des Douze Travaux.
monstres de la Crète (8, 294). Un des Travaux, tenu d'habitude pour le septième, concerne un taureau magnifique que Neptune avait envoyé pour dévaster l'île de Crète. Hercule le captura et le ramena vivant à Eurysthée. Le pluriel « monstres » est probablement poétique.
lion de Némée (8, 295). Un lion envoyé par Junon dévastait la vallée de Némée, en Argolide. Comme il avait une peau invulnérable aux flèches, Hercule l'étouffa dans ses bras, et revêtit désormais sa dépouille (cfr 7, 666-669n). C'est traditionnellement le premier des Travaux.
Orcus (8, 296). Nom d'un ancien démon de la mort chez les Romains. Cfr 2, 398 ; 4, 243 ; 6, 273 ; 9, 527 ; 9, 785.
marais du Styx (8, 296-299). Allusion à la descente d'Hercule aux Enfers, qui lui fut imposée par Eurysthée (cfr 6, 123). Le héros délivra Thésée (cfr 6, 123 ; 6, 393 ; 6, 618) et Pirithoüs (cfr 6, 393 ; 6, 601). Le portier d'Orcus est Cerbère (cfr 6, 393 ; 6, 400 ; 6, 417), le chien à trois têtes, Orcus étant le nom d'un démon de la mort chez les Romains (cfr 6, 273). Hercule capturera Cerbère, le ramènera sur terre pour le montrer à Eurysthée, puis le renverra dans les Enfers. Cet exploit est considéré d'habitude comme le douzième Travail.
Typhée (8, 298). Typhée ou Typhon était un être monstrueux, selon Hésiode, fils du Tartare et de Gaia (la Terre). Monstre hybride (il avait par exemple des têtes de dragons au lieu de doigts, et était entouré de vipères en-dessous de la ceinture ; il avait des ailes et ses yeux lançaient des flammes) ; énorme (il était plus grand que toutes les montagnes et parfois sa tête heurtait les étoiles), il s'attaqua à lui tout seul au Ciel. Pris de panique, les dieux s'enfuirent jusqu'en Égypte où ils se cachèrent dans le désert, se transformant en divers animaux. Seul Jupiter résista, qui finit par le réduire à l'impuissance en l'écrasant sous l'Etna (cfr 9, 716). Les flammes qui sortent du volcan sont celles que vomit encore le monstre. Si aucun texte antique, on l'a dit (8, 288n), ne met Typhée en rapport direct avec Hercule, il se fait que Typhée, comme d'autres monstres ou comme certains Titans, est parfois abusivement rangé parmi les Géants. Or Héraclès est intervenu activement aux côtés des dieux dans la Gigantomachie primitive. On a pensé aussi (J. Perret) que Virgile a mentionné ici Typhée parce que ce dernier, comme Cacus, lançait des flammes. En tout cas, Virgile insiste sur le fait que rien ni personne n'avait fait peur à Héraclès, même pas Typhée. On se souviendra que ce dernier avait fait fuir tous les dieux, sauf Jupiter.
serpent de Lerne (8, 300). Le serpent ou l'Hydre de Lerne, en Argolide, dans le Péloponnèse, était un monstre à plusieurs têtes (de 5 à 100 selon les auteurs ; souvent 9), qui renaissaient et repoussaient chaque fois qu'on les coupait. Hercule les trancha et son aide, Iolaüs, les cautérisa, les empêchant ainsi de repousser (cfr 7, 658ss à propos d'Aventinus). La tête centrale, la seule immortelle, fut enfouie sous un pesant rocher près de Lerne. Cet épisode est considéré comme le deuxième Travail. On dit encore que le héros trempa ses flèches dans le sang de l'hydre, et qu'elles en demeurèrent empoisonnées. Cfr aussi 6, 287 ; 6, 803 ; 8, 300 ; 9, 69-76, et 12, 518.
gloire nouvelle parmi les dieux (8, 301). Hercule vient d'accroître le nombre des dieux. Dans le récit de l'épisode chez Tite-Live (1, 7, 10), Évandre, après avoir reconnu le héros, lui dit : « Fils de Jupiter, Hercule, je te salue ; tu dois, selon la prédiction de ma mère, fidèle interprète des dieux, aller grossir le nombre des habitants du ciel et posséder ici un autel auquel le peuple, qui sera un jour le plus puissant du monde, donnera le nom d'Autel Maxime et où il célébrera ton culte » (trad. G. Baillet).
viens participer (8, 302). Les dieux sont censés venir participer en personne aux cérémonies organisées en leur honneur.
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