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Suétone (généralités)
Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)
LXVIII. Leur amour pour lui. Leur bravoure
(1) C'est ainsi qu'il
leur inspira un entier dévouement à
sa personne, et un courage invincible. (2) Quand il
commença la guerre civile, les centurions de
chaque légion s'engagèrent à
lui fournir
chacun un cavalier,
sur leurs propres économies,
et tous les
soldats à le servir gratuitement, sans
ration ni paie, les plus riches devant subvenir aux
besoins des plus pauvres. (3) Pendant une
guerre aussi longue, aucun d'eux ne l'abandonna; il
y en eut même un grand nombre qui, faits
prisonniers par l'ennemi, refusèrent
la vie qu'on leur offrait
sous la condition de porter les armes contre
lui. (4)
Assiégés ou assiégeants, ils
supportaient si patiemment la faim et les autres
privations, que Pompée, ayant
vu
dans les retranchements de
Dyrrachium
l'espèce de pain
d'herbes dont
ils se nourrissaient, dit "qu'il avait affaire
à des bêtes sauvages;" et il le fit
disparaître aussitôt, sans le montrer
à personne, de peur que ce témoignage
de la patience et de l'opiniâtreté de
ses ennemis ne décourageât son
armée. (5) Une preuve de
leur indomptable courage, c'est qu'après le
seul revers éprouvé par eux
près de Dyrrachium, ils demandèrent
eux-mêmes à être
châtiés,
et leur général dut plutôt les
consoler que les punir. Dans les autres batailles,
ils défirent aisément, malgré
leur infériorité numérique,
les innombrables troupes qui leur étaient
opposées. (6) Une
seule cohorte
de la sixième légion, chargée
de la défense d'un petit fort, soutint
pendant quelques heures le choc de quatre
légions de Pompée, et périt
presque tout entière sous une multitude de
traits: on trouva dans l'enceinte du fort cent
trente mille flèches. (7) Tant de bravoure
n'étonnera pas, si l'on considère les
exploits individuels
de quelques-uns
d'entre eux: je ne citerai que le centurion Cassius
Scaeva et le soldat Gaius Acilius. (8) Scaeva,
quoiqu'il eût l'oeil crevé, la cuisse
et l'épaule traversées, son bouclier
percé de cent vingt coups, n'en demeura pas
moins ferme à la porte d'un fort dont on lui
avait confié la garde. (9) Acilius,
dans un combat naval près de Marseille,
imita le mémorable exemple donné chez
les Grecs par Cynégire:
il avait saisi de la main droite un vaisseau
ennemi; on la lui coupa; il n'en sauta pas moins
dans le vaisseau, en repoussant à coups de
bouclier tous ceux qui faisaient
résistance. (1)
Quibus rebus et deuotissimos sibi et fortissimos
reddidit. (2)
Ingresso ciuile bellum centuriones cuiusque
legionis singulos equites e uiatico suo optulerunt,
uniuersi milites gratuitam et sine frumento
stipendioque operam, cum tenuiorum tutelam
locupletiores in se contulissent. (3)
Neque in tam diuturno spatio quisquam omnino
desciuit, plerique capti concessam sibi sub
condicione uitam, si militare aduersus eum uellent,
recusarunt. (4)
Famem et ceteras necessitates, non cum obsiderentur
modo sed et si ipsi alios obsiderent, tanto opere
tolerabant, ut Dyrrachina munitione Pompeius uiso
genere panis ex herba, quo sustinebantur, cum feris
sibi rem esse dixerit amouerique ocius nec cuiquam
ostendi iusserit, ne patientia et pertinacia hostis
animi suorum frangerentur. (5)
Quanta fortitudine dimicarint, testimonio est quod
aduerso semel apud Dyrrachium proelio poenam in se
ultro depoposcerunt, ut consolandos eos magis
imperator quam puniendos habuerit. Ceteris proeliis
innumeras aduersariorum copias multis partibus ipsi
pauciores facile superarunt. (6)
Denique una sextae legionis cohors praeposita
castello quattuor Pompei legiones per aliquot horas
sustinuit paene omnis confixa multitudine hostilium
sagittarum, quarum centum ac triginta milia intra
uallum reperta sunt. (7)
Nec mirum, si quis singulorum facta respiciat, uel
Cassi Scaeuae centurionis uel Gai Acili militis, ne
de pluribus referam. (8)
Scaeua excusso oculo, transfixus femore et umero,
centum et uiginti ictibus scuto perforato,
custodiam portae commissi castelli
retinuit. (9)
Acilius nauali ad Massiliam proelio iniecta in
puppem hostium dextera et abscisa memorabile illud
apud Graecos Cynegiri exemplum imitatus transiluit
in nauem umbone obuios agens.
CommentaireFournir un cavalier : dans son récit des débuts de la guerre civile, César ne parle pas de cette promesse généreuse des centurions, ni de l'engagement des troupes à servir gratuitement.
Refusèrent la vie qu'on leurr offrait : si l'on en croit les commentaires de César, ses hommes capturés par ceux de Pompée étaient d'ordinaire exécutés sans pitié (cf. Guerre civile, III, 14, 3 ; 28, 4 ; 71, 4).
Pain d'herbe : César reconnaît que, lors du siège de Dyrrachium, ses troupes ont souffert de la faim (Guerre civile, III, 43, 3 ; 47, 4) et il explique (III, 48) comment était fabriquée cette sorte de pain d'herbe.
Châtiés : Appien (Guerres civile, II, 63) est plus précis, disant que les soldats auraient réclamé d'être punis de la décimation (un soldat sur dix, tiré au sort, est exécuté).
Une seule cohorte : le dixième de la légion, environ 600 hommes. César (Guerre civile, III, 53, 4) note qu'environ 30.000, et non 130.000 flèches, se sont abattues sur le fortin.
Cassius Scaeva : on est toujours dans le contexte des combats autour de Dyrrachium. César (Guerre civile, III, 53, 3-5) signale que quatre centurions y ont perdu un il et que Scaeva, pour son héroïsme, a reçu une promotion et 200.000 sesterces.
C. Acilius : soldat de la Xe légion, précise Valère-Maxime (III, 2, 22), qui regrette qu'Acilius n'ait pas connu la gloire qui est celle de Cynegire.
Cynegire : frère du poète tragique Eschyle. À la fin de la bataille de Marathon (490), Cynegire veut retenir un bateau perse qui allait prendre le large et trouve la mort, la main coupée d'un coup de hache (Hérodote, VI, 114).