FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 12 - juillet-décembre 2006


Les épigrammes de l’Anthologie latine attribuées à Sénèque (14-23)

© Stéphane Mercier, 2006


Praefatio Introduction
Carmina
1-13, 14-23, 24, 25-34, 35-47, 48-60, 61-72
Annexe

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Carmina 14-23 : texte et traduction

 

14 (R.405) — À un excellent ami

Crispe, meae uires lassarumque ancora rerum,
Crispe, uel antiquo conspiciende foro,
Crispe, potens numquam, nisi cum prodesse uolebas,
naufragio litus tutaque terra meo,
solus honor nobis, arx et tutissima nobis [5]
et nunc afflicto sola quies animo,
Crispe, fides dulcis placideque acerrima uirtus,
cuius Cecropio pectora melle madent,
maxima facundo uel auo uel gloria patri,
quo solo careat si quis, in exilio est : [10]
antiquae iaceo saxis telluris adhaerens,
mens tecum est, nulla quae cohibetur humo.

Cripsus, toi ma force et mon soutien lorsque je n’en puis plus ;
Crispus, admirable aussi sur l’ancien forum ;
Crispus, qui jamais n’as usé de ton influence sinon pour te rendre utile,
toi la rive et la terre ferme qui abrite mon naufrage,
toi notre unique gloire, la citadelle où nous sommes en toute sécurité
et à présent le repos de notre âme en détresse ;
très cher et fidèle Crispus, toi dont la vertu est énergique et tranquille,
dont le cœur est gorgé du miel Cécropien,
toi qui es la gloire suprême de ton éloquent aïeul et de ton père,
c’est être en exil que d’être privé de toi seul :
quoique je gise, accroché aux rochers d’une terre antique,
mon esprit que n’entrave aucune terre est auprès de toi.

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15 (R.406) — Rituels de ceux qui invoquent les âmes de Magnus

Fata per humanas solitus praenoscere fibras
impius infandae religionis apex
pectoris ingenui salientia uiscera flammis
imposuit ; magico carmine rupit humum,
ausus ab Elysiis Pompeium ducere campis. [5]
Pro pudor, hoc sacrum Magnus ut aspiceret !
Stulte, quid infernis Pompeium quaeris in umbris ?
Non potuit terris spiritus ille premi.

Habitué à connaître par avance le destin dans les entrailles des hommes,
l’officiant impie d’un culte immonde
a placé sur les flammes les entrailles palpitantes arrachées à la poitrine
d’un homme de naissance libre ; il a fendu la terre par une incantation magique,
il a osé convoquer Pompée depuis les champs Élysées.
Quelle honte ! Pour faire de Pompée le spectateur de ce rituel !
Insensé ! Pourquoi recherches-tu Pompée parmi les ombres infernales ?
Cette grande âme ne peut être ensevelie sous la terre !

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16 (R.407) — Une vie assez humble 

‘Viue et amicitias regum fuge’. Pauca monebas :
maximus hic scopulus, non tamen unus erat.
Viue et amicitias nimio splendore nitentes
et quicquid colitur perspicuum, fugito.
Ingentes dominos et famae nomina clarae [5]
inlustrique graues nobilitate domos
deuita et longe uiuus cole ; contrahere uela
et te litoribus cymba propinqua uehat.
In plano semper tua sit fortuna paresque
noueris : ex alto magna ruina uenit. [10]
Non bene cum paruis iunguntur grandia rebus :
stantia namque premunt, praecipitata ruunt.

« Vis et fuis l’amitié des puissants » : ce n’était pas assez dire,
car pour être le pire écueil, ce n’est toutefois pas le seul.
Vis et fuis les amitiés qui brillent d’un éclat trop vif
et tout ce qu’il évident d’honorer.
Les puissants seigneurs, les noms porteurs d’une réputation brillante,
les maisons chargées du lustre de la noblesse,
évite-les et vis loin d’eux ; réduis les voiles
et laisse-toi transporter par une barque qui demeure à proximité de la rive.
Contente-toi d’une fortune au ras du sol et fréquente
tes pairs, car les grandes catastrophes s’abattent depuis les cimes.
Les intérêts des puissants ne font pas bon ménage avec ceux des humbles :
ils exercent en effet sur eux leur pression aussi longtemps qu’ils tiennent bon et  précipitent leur chute lorsqu’il s’écroulent.

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17 (R.408) — Même sujet 

‘Viue et amicitias omnes fuge’ : uerius hoc est
quam ‘regum solas effuge amicitias’.
Et mea sors te<s>tis : maior me afflixit amicus
deseruitque minor. Turba cauenda simul.
Nam quicumque pares fuerant, fuge<re> fragorem, [5]
necdum conlapsam deseruere domum.
<I> nunc et reges tantum fuge ! Viuere doctus
uni uiue tibi ; nam moriere tibi.

« Vis et fuis toutes les amitiés » : cela est plus exact
que « fuis l’amitié des seuls puissants ».
Mon propre sort en est témoin : un ami plus puissant que moi m’a abattu,
un autre qui l’était moins m’a abandonné. On doit en même temps se garder de la foule :

tous ceux en effet qui avaient été mes pairs ont fui devant le fracas de la ruine prochaine
et déserté ma maison sans attendre de la voir s’écrouler.
Va donc à présent ne fuir que les seuls puissants ! Toi qui a appris à vivre,
vis pour toi seul, car c’est pour toi seul que tu mourras.

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18 (R.409) — À sa patrie

Corduba, solue comas et tristes indue uultus,
inlacrimans cineri munera mitte meo.
Nunc longinqua tuum deplora, Corduba, uatem,
Corduba non alio tempore maesta magis :
tempore non illo, quo uersis uiribus orbis [5]
incubuit belli tota ruina tibi,
cum geminis oppressa malis utrimque peribas
et tibi Pompeius, Caesar et hostis erat ;
tempore non illo, qui ter tibi funere centum
heu nox una dedit, quae tibi summa fuit ; [10]
non Lusitanus quateret cum moenia latro,
figeret et portas lancea torta tuas.
Ille tuus quondam magnus, tua gloria, ciuis
infigor scopulo. Corduba, solue comas
et gratare tibi quod te natura supremo [15]
adluit oceano : tardius ista doles.

Cordoue, dénoue tes cheveux et arbore un visage consterné
en t’acquittant avec des larmes de l’offrande due à ma cendre.
Pleure désormais, lointaine Cordoue, ton poète,
Cordoue, qui jamais n’as été plus affligée qu’aujourd’hui.
Car tu ne l’étais pas davantage le jour où, comme les forces de la terre étaient  bouleversées,
la ruine causée par la guerre s’est abattue sur toi,
lorsque, accablée par des calamités jumelles, ta situation était désespérée de part et d’autre
et que Pompée et César étaient pour toi des ennemis.
Tu ne l’étais pas non plus davantage quand, hélas, une seule nuit t’a apporté trois fois cent cadavres,
une nuit qui fut pour toi la dernière ;
pas non plus alors que le brigand Lusitanien ébranlait tes murailles
et enfonçait tes portes en faisant tournoyer sa lance.
Moi, qui étais jadis ton plus illustre citoyen, moi ta gloire,
je me retrouve cloué sur un roc ! Dénoue tes cheveux, Cordoue,
mais félicite-toi car la nature te baigne
de l’ultime océan et tu endures plus tardivement ces malheurs.

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19 (R.410) — La garde du tombeau

Quisquis es – et nomen dicam ? dolor omnia cogit ! –,
qui nostrum cinerem nunc, inimice, premis
et non contentus tantis subitisque ruinis
stringis in extinctum tela cruenta caput :
crede mihi, uires aliquas natura sepulcris [5]
attribuit : tumulos uindicat umbra suos.
Ipsos crede deos hoc nunc tibi dicere, liuor,
hoc tibi nunc Manes dicere crede meos :
res est sacra miser ; noli mea tangere fata :
sacrilegae bustis abstinuere manus ! [10]

Qui que tu sois – dirai-je également ton nom ? la douleur obtient tout par la contrainte ! –
qui foules à présent notre cendre en ennemi
et qui, non content de la si grande et soudaine catastrophe qui s’est abattue
sur nous, décoches des traits cruels à la tête d’un mort :
crois-moi, la nature a alloué quelques forces aux tombeaux,
l’ombre défend sa sépulture.
Jaloux ! crois les dieux qui te le disent à présent eux-mêmes,
crois mes Mânes qui te le répètent à leur tour :
c’est une chose sacrée que le malheureux ; ne touche pas mes restes :
que tes mains sacrilèges s’écartent de mon tombeau !

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20 (R.411) — Athènes

Quisquis Cecropias, hospes, cognoscis Athenas,
quae ueteris famae uix tibi signa dabunt,
‘Hasne dei’ dices ‘caelo petiere relicto ?
Regnaque partitis hic fuit urna deis ?’
Idem, Agamemnonias, dices, cum uideris arces : [5]
‘Haec uictrix uicta uastior urbe iacet !’
Hae sunt, quas merito quondam est mirata uetustas :
magnarum rerum parua sepulcra uides.

Qui que tu sois, étranger, qui visites la Cécropienne Athènes,
c’est à peine si elle te montrera une trace de son ancienne gloire.
« Est-ce là », demanderas-tu, « celle que recherchèrent les dieux après avoir  abandonné le ciel ?
Et après qu’ils se furent réparti les règnes, est-ce ici que se trouva l’urne ? ».
Tu diras la même chose à la vue de la citadelle d’Agamemnon :
« Cette cité victorieuse gît, plus ravagée que celle qu’elle a vaincue ! ».
Les voilà, celles que jadis l’Antiquité admirait à bon droit :
tu les vois, ces modestes tombeaux de grandes cités.

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21 (R.412) — À un mauvais plaisant

Carmina mortifero tua sunt suffusa ueneno
et sunt carminibus pectora nigra magis.
Nemo tuos fugiat, non uir non femina, dentes ;
<h>aut puer, <h>aut aetas undique tuta senis.
Vtque furens totas inmittit saxa per urbes, [5]
in populum sic tu uerba maligna iacis.
Sed solet insanos populus compescere sanus
et repetunt notum saxa remissa caput.
In te nunc stringit nullus non carmina uates
inque tuam rabiem publica Musa furit. [10]
Dum sua compositus nondum bene concutit arma
miles, it e nostra lancea torta manu.
Bellus homo es ? Valide capitalia crimina ludis
deque tuis manant atra uenena iocis !
Sed tu per<que> iocum dicis uinumque ? Quid ad rem, [15]
si plorem, risus si tuus ista facit ?
Quare tolle iocos : non est iocus esse malignum.
Numquam sunt grati, qui nocuere, sales.

Tes poèmes sont imprégnés d’un poison mortel
et ton âme est plus noire encore que ceux-ci.
Personne, homme ou femme, ne peut échapper à tes morsures,
ni l’enfant ni le vieillard, à un âge où l’on ne représente plus aucun danger.
Et de même qu’un furieux jette des pierres par toutes les villes,
tu blesses les gens par de méchantes paroles.
Mais un peuple en bonne santé a pour habitude de tenir en respect les malades,
et les pierres que ceux-ci ont envoyées se reportent vers un visage connu.
Il n’y a pas un poète à cette heure qui ne lance à ton encontre des poèmes
et la Muse publique se déchaîne contre ta fureur.
Tant que le soldat qui ne s’est pas encore bien préparé soulève
ses armes, la lance s’échappe en tournoyant de notre main.
Tu es un homme plein d’esprit ? Tu te moques à merveille des accusations capitales
et tes plaisanteries répandent un venin perfide.
Et toi, tu assures que c’est pour plaisanter ou à cause du vin ? Quelle importance,
si cela peut me causer de la peine, que ce soit pour rire ?
Cesse donc tes plaisanteries : ce n’est pas une plaisanterie que d’être méchant.
Les traits d’esprit blessants ne sont jamais agréables.

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22 (R.413) — Les hommes illustres privés de sépulture

Litore diuerso Libyae clarissima longe
nomina uix ullo condita sunt tumulo,
Magnus et hoc Magno maior Cato. Quam procul a te
aspicis heu cineres, Roma, iacere tuos !

Au loin, sur le rivage opposé de la Libye,
c’est à peine s’ils ont reçu une sépulture, ces noms très illustres,
Magnus et Caton, plus que grand que ce Magnus.
Hélas ! Tu regardes, ô Rome, les cendres des tiens reposer bien loin de toi !

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23-23a (R.414-414a) — De Térentius Varron Atacinus et Réponse

Marmoreo Licinus tumulo iacet, at Cato nullo,
Pompeius paruo, credimus esse deos ?
*
Saxa premunt Licinum, leuat altum fama Catonem,
Pompeium tituli : credimus esse deos.

Licinus repose dans un tombeau de marbre, mais Caton n’en a point
et Pompée un petit : croyons-nous qu’il existe des dieux ?
*
Des blocs de pierre écrasent Licinus, mais Caton est élevé par sa renommée
et Pompée par ses titres de gloire : nous croyons qu’il existe des dieux !

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Commentaire des carmina 14-23

Carmen 14

Le Crispus dont parle le poète dans cette épigramme est sans doute C. Sallustius Crispus Passiénus (apparenté à l’historien Salluste), que nous connaissons surtout par une très brève biographie de Suétone (De poetis, Vita Passieni Crispi) : nous apprenons ainsi qu’il était avocat, avait plaidé à plusieurs reprises de son plein gré devant les centumvirs et s’était vu décerner une statue dans la basilique Julia. Deux fois consul, il épousa successivement une certaine Domitia puis la très célèbre Agrippine. Si l’on en croit Suétone, la mère du futur empereur Néron le fit empoisonner afin de pouvoir épouser l’empereur Claude. Nous reviendrons sur la fin de Crispus dans le commentaire du carm. 53, où le poète déplore le décès de cet ami très cher dont il avait chanté les louanges dans notre carm. 14.

Nous savons que Sénèque rapporte dans son œuvre deux bons mots de ce personnage et nous révèle, dans la préface au quatrième livre de ses Questions naturelles (IV praef., 6), combien il avait d’estime pour cet homme « plus subtil qu’aucun autre parmi ceux qu’il a connus, surtout lorsqu’il s’agissait de mettre en évidence les vices et de leur porter remède » (quo ego nil cognoui subtilius in omnibus quidem rebus, maxime in distinguendis et curandis uitiis)[1].

L’anaphore du nom de Crispus (quatre occurrences dans les six premiers vers) rappelle l’insistance avec laquelle le poète, dans le carm. 2 (en tête de chacun des cinq premiers vers de l’épigramme), apostrophait la Corse.

Si la leçon honora du Vossianus au vers 5 est tout naturellement corrigée par les éditeurs en honor[2], un problème d’interprétation plus important surgit au vers 11, dont le premier mot est antucui dans le manuscrit. Nous adoptons la correction proposée en même temps par Prato et par Herrmann, qui paraît être tout à la fois la plus raisonnable et la plus proche du texte fourni par le Vossianus[3].

Au vers 8, le miel cécropien est une manière métaphorique de désigner l’éloquence, dont la douceur persuasive est figurée par le miel. L’adjectif Cécropien, que nous retrouverons ci-dessous dans le carm. 20, 1, renvoie à Athènes et est tiré du nom de Cécrops, premier roi légendaire de l’Attique.

La famille de Crispus est évoquée au vers 9 : facundo… auo d’une part, et patri de l’autre. Le premier était un célèbre déclamateur dont parle Sénèque le Père dans ses Controverses (II 5, 17), où il est décrit en termes élogieux comme uir eloquentissimus et temporis sui primus orator, « un homme très éloquent et le premier orateur de son époque ». Le second est Lucius Passiénus Rufus, consul en 4 av. J.-C. sous le principat d’Auguste.

Le vers 10 rappelle un passage de la Consolation à Helvia (9, 4-6) : Sénèque y parle d’un traité Sur la vertu écrit par Brutus (celui de la conjuration contre César en 44 av. J.-C.) dans lequel celui-ci parle de l’exil de Marcellus, relégué à Mytilène. Dans ce passage nous retrouverons à trois reprises l’idée que l’on peut être en exil quand on se retrouve séparé d’une seule personne : les sénateurs demandèrent le retour de Marcellus « non pas pour Marcellus mais pour eux-même, pour ne pas être en exil en étant séparés de lui » (non pro Marcello sed pro se deprecari, ne exules essent si sine illo fuissent, 9, 6).

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Carmen 15

Cette composition, l’une des plus étonnantes de notre recueil, dénonce les prétentions d’un nécromancien, « l’officiant impie d’un culte immonde » (impius infandae religionis apex – une expression qu’aurait certainement appréciée l’écrivain américain H.P. Lovecraft) invoquant l’âme de Pompée par un sacrifice humain[4] et des formules magiques. Mais, conformément à l’eschatologie sénéquienne telle qu’elle est par exemple formulée dans la Consolation à Marcia[5], le poète soutient que cette tentative est vaine, car l’âme d’un homme tel que Pompée ne se trouve certainement pas sous terre.

Le terme apex (corrigé sur la leçon apes du Vossianus) désigne une sorte de bonnet ou de coiffe rituelle, et vaut ici pour celui qui s’en pare, donc l’officiant ou le prêtre d’une religion (noter ici l’emploi en poésie élégiaque du terme religio, normalement exclu sous cette forme ; Lucrèce écrit relligio) ou d’un culte.

Au vers 6 (où l’on notera également la traiectio de ut), l’expression pro pudor sert à exprimer l’indignation et, comme l’écrit Prato (1964), p. 137, est « molto in uso nell’età imperiale ».

Le dernier vers, en plus de la destinée de l’âme chez Sénèque que nous évoquions ci-dessus, peut être rapproché du distique qui ouvre le livre IX du Bellum ciuile de Lucain : At non in Pharia manes iacuere fauilla, / nec cinis exiguus tantam compescuit umbram, « non, les mânes [Pompée] n’ont pu reposer dans la poussière de Pharos, et la cendre fine n’a pu contenir une si grande ombre ». Le poème dans son ensemble n’est du reste pas sans rappeler l’épisode de la guerre civile où Lucain décrit la consultation par Sextus Pompée de la sorcière Erichto[6].

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Carmina 16-17

Ces deux poèmes ont pour point de départ une recommandation formulée par Ovide dans ses Tristes (III 4, 4) : uiue tibi et longe nomina magna fuge, « vis pour toi-même et fuis loin des grands noms ». L’ambiance rappelle Horace[7] recommandant de fuir le commerce des grands – fuge magna ! (Ep., I 10, 32) – mais n’est pas du tout étrangère à Sénèque qui, à plusieurs reprises dans son œuvre, vante les mérites d’une vie tranquille : nec inuideamus altius stantibus : quae excelsa uidebantur praerupta sunt, « ne portons pas envie à ce qui occupe une position plus élevée, car ce qui paraît être plus haut est aussi fort abrupt » (De tranquillitate animi, 10, 5).

Ce qui distingue essentiellement les deux carm. 16 et 17 est le crescendo qu’ils esquissent : le poète commence par dire qu’il faut éviter les amitiés non des seuls « rois »[8] mais de tous les puissants en général, puis il en vient à dire, comme saisi par un accès de misanthropie, qu’il faut éviter les amitiés tout court. Cette dernière disposition n’est pas étrangère à une recommandation de Sénèque (Ep., I 10, 1) s’adressant à Lucilius : fuge multitudinem, fuge paucitatem, fuge etiam unum, « fuis la multitude, fuis le petit nombre, fuis même la fréquentation d’une seule personne ».

En 16, 4, l’expression quicquid colitur perspicuum est difficile à cerner : que veut dire exactement le poète ? Littéralement, perspicuus a le sens de « très clair, évident, transparent », aussi traduisons-nous saluo meliori iudicio « tout ce qu’il est évident d’honorer ». Prato (1964, p. 51) traduit « tutto che è oggetto di culto per il suo splendore », et Canali (1994, p. 29) « tutto ciò che si venera perché molto in vista ».

Au même vers 4, on notera la forme de l’impératif futur fugito. L’impératif futur est rare en dehors de textes de loi, et donne à la prescription une plus grande valeur formelle[9].

Au vers 7 du même carm. 16, l’expression ambivalente longe uiuus cole est particulièrement adroite et autorise également deux lectures selon que l’on entend le verbe colo au sens de ‘vivre’ ou de ‘honorer’ ; selon le cas, le poète dit « vis en demeurant loin d’eux » ou « vis en les honorant de loin ».

Nous rencontrons en 16, 9, une expression imagée : in plano semper tua sit fortuna, une fortune « au ras du sol », c’est-à-dire une fortune modeste dont le peu d’élévation prémunit contre une chute sinon d’autant plus douloureuse que l’on tombe de haut.

En 17, 3, le Vossianus présente la leçon et mea mors tetis (sic), que la plupart des éditeurs ont corrigé, et à bon droit semble-t-il, en est mea mors testis. De même plus loin, le vers 5 est trop court d’une syllabe et les éditeurs corrigent sans difficulté fuge en fugere (forme syncopée pour fugerunt ; au passage, remarquer l’allitération fuerant fugere fragorem). La reconstitution du début du vers 7 pose plus de probèmes : ici aussi le vers est incomplet. Nous adoptons la conjecture de Heinsius, acceptée entre autres par Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso : i nunc et reges tantum fuge, où l’expression i nunc « denota ironia o deplorazione » (Prato, [1964], p. 142) ; le sens est donc : « va donc à présent ne fuir les amitiés que des seuls puissants ! ». Cette option de restitution, parce que la formule revient régulièrement chez Martial (par exemple I 43, 6 ou VIII 63, 3), paraît plus satisfaisante que celle proposée par Burmann : nunc et non reges tantum fuge, « à présent, ne fuis pas seulement l’amitié des puissants ».

Le dernier vers du carm. 16 fait écho à un passage dans lequel Sénèque (De breu. uit., 7, 6) dresse le portrait de ceux « qu’une grande prospérité accable » (quos magna felicitas grauat) et qui, au milieu des mille soucis qui les sollicitent de toutes parts, s’exclament : Viuere mihi non licet, « il ne m’est donc pas permis de vivre ! ».

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Carmen 18

Dans la suite des carm. 2 et 3 dans lesquels le poète déplore son exil en parlant du lieu de sa relégation, il s’adresse maintenant à Cordoue, sa patrie, sur un ton plaintif[10]. Cordoue est en deuil, car son poète, sa gloire, est en exil, et elle n’a jamais connu d’événement plus douloureux que celui-là.

Au vers 2, les munera sont les rituels et les devoirs dus à la cendre du défunt, le poète qui se donne ici le nom de uates. Ce terme est plus solennel que poeta et est issu de la langue religieuse ; on peut en un sens le rapprocher d’Horace (Carm., III 1, 3) qui se qualifie, en tant que poète, de sacerdos Musarum, « prêtre des Muses ».

Trois événements historiques sont évoqués dans cette pièce, trois malheurs qui ont frappé la ville de Cordoue, trois malheurs que le poète estime moindres que son exil… Le premier (vers 5-8) se rapporte à un épisode de la guerre civile, lorsque César gagne l’Espagne en 46/45 av. J.-C. pour lutter contre Sextus Pompée. Après la bataille de Munda, Cordoue (qui avait servi de bastion aux troupes républicaines) est prise d’assaut, s’ensuit un massacre et la cité doit s’acquitter d’une très lourde indemnité de guerre. Ensuite, et à moins qu’il ne s’agisse pas d’un second événement mais d’un simple développement du premier[11], le poète peut avoir en vue (vers 9-10) le tremblement de terre[12] qui a ébranlé la ville en 76 av. J.-C. Quant à l’épisode du « brigand lusitanien » (vers 11-12), c’est une référence à la révolte de Viriatus contre Rome à partir de 147 av. J.-C. et jusqu’à son assassinat huit ans plus tard[13].

On notera au vers 12 l’association de torta à lancea, que l’on retrouvera dans le carm. 21, également au vers 12 et occupant la même position. La coïncidence est fortuite, elle n’en est pas moins remarquable.

La fin adluit n’est pas très convaincante sur la plan géographique – Cordoue est tout de même fort éloignée de la côte… – mais Prato (1964, p. 146) voit là une « espressione generica, vaga, senza preoccupazioni d’ordine geografico ». D’autres éditeurs, estimant que l’on ne peut décidément pas dire que Cordoue est « baignée de l’ultime Océan », ont estimé devoir corriger la leçon du Vossianus en conjecturant addidit ou encore abstulit.

Dans le même dernier vers, signalons encore dolens qui est un praesens pro futuro (le sens est bien celui de dolebis), comme nous en avions déjà rencontré un dans le carm. 9, 6 (non dubitas pour non dubitabis).

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Carmen 19

Ce poème n’est pas sans rappeler le carm. 14 et « più che un componimento sepolcrale (…), come intendeva l’autore dell’inscriptio, sembra l’invettiva di un esiliato esasperato contro un maligno denigratore », comme le fait justement remarquer Prato (1964, p. 146). Si rien dans le texte ne permet de dire que le poète, qui parle de lui non plus comme d’un mourant (c’était le cas dans le carm. 14) mais comme d’un mort, est un exilé, c’est assurément un homme qui se juge fini. Cependant, un de ses ennemis, que rien ne permet d’identifier, ne doit pas s’autoriser de la situation pénible du poète pour fouler aux pieds sa cendre – qui nostrum cinerem nunc, inimice, premis (noter le vocatif en avant-dernière position dans le vers, comme souvent dans notre recueil). Tout mort qu’il se dit, le poète rappelle qu’il n’est pas pour autant dépourvu de ressources et que personne ne doit lever la main sur un défunt.

L’interpellation quisquis es au vers 1 rappelle le quisquis scrutare du carm. 6, 1 ; nous retrouverons encore la même formule au début de l’épigramme suivante (quisquis Cecropias) et plus loin dans le carm. 45, 1 (quisquis adhuc).

L’adversaire du poète est désigné au vers 7 comme Liuor, c’est-à-dire envieux, ou plutôt même comme l’envie ou la jalousie personnifiée. Dans le carm. 25, 4-5, l’ennemi sera appelé successivement inuidiose et liuide.

Au vers 9, sacra est une correction de plusieurs éditeurs, et notamment Riese et Shackleton Bailey, pour la leçon atra (qui signifie ‘triste’ ou ‘sinistre’) du Vossianus, suivie entre autres par Prato et Canali & Galasso. Nous adoptons la correction en sacra, ici au sens de ‘sacré’ sans exclure la dimension de ‘tabou’ également véhiculée par ce terme ; il nous semble en effet que le mouvement du distique, et notamment l’emploi de sacrilegae et d’abstinuere militent en ce sens et que le poète entend donner à sa mise en garde un surcroît de valeur par la mise en évidence d’une dimension religieuse.

Au même vers 9, le sens de mea fata peut être rendu par « mes restes » ; on trouve un emploi similaire de ce terme chez Properce (I 17, 11) : an poteris siccis mea fata reposcere ocellis, « pourrais-tu réclamer mes restes en gardant les yeux secs ? » [14].

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Carmen 20

Cette épigramme, de même que le carm. 55, évoque la triste destinée des grandes villes (ou des grandes nations) dont l’ancienne gloire survit seulement à l’état de ruines qui contrastent si durement avec la célébrité qu’elles s’étaient acquises autrefois. Le poète ici s’adresse à l’étranger – l’apostrophe hospes, équivalente au grec xeine est habituelle pour désigner un visiteur de passage – visitant la « Cécropienne Athènes » (pour cette épithète, cf. ce que nous avons dit à propos du carm. 14, 8) d’abord, Mycènes ensuite, qualifiée de « citadelle d’Agamemnon ».

On comprendra sans peine le sens général du second distique en se rappelant qu’Athènes est theophilestatês, la ville à laquelle les dieux portent un amour de prédilection (Eschyle, Euménides, 869). La division ou le partage dont il est question au vers 4 est également évoqué par Platon dans le Critias (109b) : Theoi gar hapasan gên pote kata tous topous dielanchanon, « un jour les dieux se partagèrent la terre tout entière par régions ». Mais la difficulté de ce distique tient à l’avant-dernier mot du vers 4 : hic fuit urna est la correction de Herter, que nous suivons ici avec Prato parce qu’elle nous paraît offrir le sens le plus satisfaisant : l’urne est bien sûr alors celle dont se sont servis les dieux pour se répartir en les tirant au sort les différentes régions du monde. Mais le Vossianus présente la leçon una, « che a finora tormentato i filologi » (Prato, 1964, p. 150) ; en effet : on ne voit pas ce que veut dire alors le poète, et il n’y a guère que Herrmann pour lier una à regna au mépris de la syntaxe. Parmi les nombreuses corrections proposées par les éditeurs et philologues, signalons seulement umbra au sens de dulce otium (Russo), cura (Riese) et ora (Baehrens) : ces différentes conjectures sont autant d’alternatives viables, mais ne valent pas à notre avis urna.

La citadelle d’Agamemnon est Mycènes, la cité victorieuse du vers 6 ; la cité vaincue est bien sûr la ville de Troie. Agamemnon est, parmi les chefs grecs, celui qui a été désigné pour prendre la tête de l’expédition qui devait conduire Ilion à sa perte.

Au vers 8, parua est une correction de Tollius, généralement retenue par les éditeurs (Riese, Prato, Shackleton Bailey, etc.) pour la leçon magna du Vossianus. Celle-ci, à vrai dire, n’est pas impossible : il est permis de comprendre qu’Athènes et Mycènes ne présentent plus guère que les restes imposants des grandes réalisations d’autrefois. Toutefois le mouvement d’ensemble du poème (et particulièrement le uix du vers 2) invite à adopter la correction parua.

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Carmen 21

Bien que l’on soit tenté de la lier aux carm. 6, 19 et (ci-dessous) 25, cette épigramme se distingue essentiellement des autres pièces du même ton dans la mesure où l’adversaire fait figure ici non d’ennemi personnel mais d’ennemi public. Un beau parleur apparemment, qui ne respecte rien et qui, lorsqu’on lui reproche sa méchanceté, la met sur le compte de la plaisanterie ou du vin. Mais le poète l’avertit : son comportement le rend odieux à tout le monde et une plaisanterie cesse d’être vraiment plaisante lorsqu’elle vise à blesser.

Au vers 3, le dernier mot est fugiet (corrigé sur le manuscrit même, qui présentait initialement fagiet) dans le Vossianus et cette leçon est acceptée par Riese, Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso. Nous préférons corriger avec Burmann et Baehrens en lisant fugiat.

Le correction de aut (deux fois) au vers 4 en haut (= haud) est due à Scaliger et ne pose pas de problème particulier.

Au vers 8, nous adoptons la correction notum de Riese (acceptée par Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso) pour le motum du Vossianus et que soutiennent Rossbach et Ziehen. L’expression, comme le note Prato (1964, p. 152), est « di sapore proverbiale » ; son sens est clair et peut être rapproché de ce que nous disons : on récolte ce qu’on a semé. Autrement dit ici, les fous qui avaient commencé par lancer des pierres un peu partout sont lapidés en retour avec leurs propres projectiles.

Au vers 12, nous retrouvons l’expression lancea torta exactement à la même position à laquelle nous l’avions déjà rencontrée ci-dessus dans le carm. 18, 12.

L’adjectif bellus au vers 13 n’a pas le sens de ‘beau’ mais plutôt celui de ‘gracieux’ ou ‘aimable’, c’est-à-dire, comme ici, de ‘spirituel’.

Au vers 15, le texte du Vossianus n’est pas clair : p [avec la queue barrée, pour per] totum. Outre que cela pose un problème au niveau du sens, il manque une syllabe pour que l’hexamètre soit complet. La correction per<que> iocum que nous adoptons est de Scaliger et est retenue par Riese, Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso[15] ; pour totum, plusieurs hypothèses ont été proposées à côté de iocum : talum (osselet pour jouer aux dés et de là sans doute jeu), lusum ou potum.

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Carmen 22

Avec cette épigramme, le poète revient aux deux groupes consacrés ci-dessus à Caton (carm. 7, 8 et 9) et la maison de Pompée (carm. 10, 11, 12 et 13) ; le thème développé ici reprend les considérations sur la petitesse du tombeau des grands hommes, un thème que nous avions déjà rencontré dans les carm. 11, 34 et 13, 2 et que nous retrouverons plus loin encore dans les carm. 45 et 46.

L’expression litore diuerso sera encore utilisée dans le carm. 62, 1 : diuerso terrarum litore. L’adjectif diuersus n’a pas le sens de ‘divers’ mais plutôt de ‘opposé’, comme la chose est patente ici.

Au vers 3, nous adoptons la correction hoc Magno de Scaliger (qui préférait cependant hoc humano), également retenue par Riese, Prato et Canali & Galasso. Le Vossianus porte hoc homine, qui ne pose à vrai dire pas de problème mais exploite moins le jeu de mots sur le nom de Pompée, Magnus, « le Grand »[16].

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Carmina 23 et 23a

Les deux épigrammes seraient, la première un distique de M. Térentius Varron Atacinus, et la seconde une réponse sous la même forme proposée par Sénèque. Le Vossianus comporte seulement le distique Marmoreo etc. et le place à la suite de l’épigramme 22 sans lui donner de titre. Cependant, un autre manuscrit aujourd’hui perdu mais connu du premier éditeur de Pétrone, le Bellovacensis (date inconnue), présentait la même pièce en la faisant précéder de l’inscription (sans doute rédigée après-coup) Terentii Varroni Atacini pour en désigner l’auteur présumé. Le même Bellovacensis proposait, à la suite de ce distique, une réponse de même facture que les éditeurs ont attribuée à Sénèque. Cette « réponse », puisque tel est le titre que lui donne Baehrens, ne figure pas dans le Vossianus, mais a été intégrée au corpus des épigrammes de Sénèque en raison de la présence au sein dudit corpus de la pièce 23 à laquelle elle est liée par le Bellovacenis (lequel présentait de même le carm. 1).

À cette tradition toute particulière s’ajoute une difficulté de taille : Cato nullo, Pompeius paruo est la leçon du Vossianus ; mais le Bellovacensis disait très exactement le contraire : Cato paruo, Pompeius nullo. Nous avons vu cependant dans les carm. 10-13, qu’il était question d’un tombeau de Pompée ; plus loin, selon l’interprétation que nous adoptons (c. notre commentaire), le carm. 46 ira dans le même sens, de même que le groupe constitué par les carm. 61-63.

Mais une difficulté surgit avec le carm. 40, qui parle d’un tombeau de Caton, inconnu par ailleurs, sinon par la leçon du Bellovacensis pour le carm. 23. La chose se complique encore si l’on prend en compte une pièce étrangère à notre recueil et fournie par un manuscrit du XVe siècle (cité par Prato [1964], p. 155) et dans laquelle on peut lire : Marmoreo tumulo hic iacet Nero : sed Cato paruo, / Pompeius nullo : credimus esse deos.

Nous avons donc un ensemble qui parle d’un tombeau de Pompée, historiquement avéré. Face à lui, le carm. 40 signale un tombeau de Caton, dont l’existence ne se trouve confirmée par ailleurs que par un doublet du carm. 23 niant l’existence d’un tombeau de Pompée d’un côté, et de l’autre par une épitaphe de même facture d’époque indéterminée et fournie par un manuscrit tardif. Ces considérations permettent aux philologues d’éliminer la leçon du Bellovacensis pour le carm. 23 en lui préférant celle du Vossianus, et de considérer avec la plus grande méfiance la valeur historique du témoignage fourni par le carm. 40 sur l’existence éventuelle d’un tombeau de Caton.

Pour ce qui est du texte de notre carm. 23 et de la réponse 23a, nous y voyons apparaître la figure de Licinus. Il est très vraisemblable que soit visé ici le Licinus affranchi par Jules César et dont les exactions en Gaule lyonnaise ont rendu le nom proverbial, ainsi par exemple chez Juvénal (1, 108-109) dont un personnage s’exclame : Ego possideo plus / Pallante et Licinis, « moi, je possède davantage que Pallas et les Licinus ». Dans ses Lettres à Lucilius (XX 119, 9 et 120, 19), Sénèque cite deux fois Licinus comme exemple de personnage richissime en associant son nom à celui du triumvir Crassus[17].

Le premier mot du carm. 23a, saxa, répond admirablement à marmoreo tumulo, puisque saxum désigne un rocher, un bloc de pierre ou plus spécialement de marbre. Le tombeau de marbre où repose Licinus devient donc une enceinte marmoréenne qui écrase son cadavre.

Le sens de la finale credimus esse deos est le suivant : le distique attribué à Varron, après avoir noté l’injustice de la destinée posthume des mécréants (Licinus) et des grands hommes (Caton, Pompée) se demande si vraiment les dieux existent, eux qui permettent qu’une telle chose se produise. La réponse affirme l’existence des dieux en rétablissant la vérité sur le destin des mêmes grands hommes, une destin lié non à la taille de leur tombeau mais à leur vertu.

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Notes

[1] Comme on le voit, ce témoignage d’estime constitue, quoi qu’on ait parfois pu en penser, une base un peu faible pour authentifier les carm. 14 et 53 comme étant de Sénèque : que Crispus soit un homme pour qui il a éprouvé de l’admiration, c’est un fait, mais le témoignage des textes ne nous permet pas de conclure plus avant et nous ne savons rien d’autre d’une éventuelle amitié liant Sénèque et Cripus.

[2] Au même vers encore, la leçon ars est corrigée en arx par les éditeurs : ars tutissima ne fait guère sens ici et l’on trouve arx associé au même adjectif tutus chez Virgile (Aen., X, 805).

[3] Les éditeurs et autres philologues ont multiplié les conjectures en proposant des variations aussi diverses que an tua Cyrneae (Scaliger, rappelons-nous que Cyrnos est le nom grec de la Corse), en hic qui (Pithoeus), at mea qui (Juste Lipse), angustae (Ribbeck), intactae (Riese, dans sa première édition ; il se ravise dans la seconde et propose… artubus hic), longinquae (Shackleton Bailey), etc. Devant une telle floraison de conjectures, Canali & Galasso ont préféré retenir la leçon du manuscrit en la faisant précéder d’un obèle et en signalant dans la traduction qu’un mot intelligible fait défaut.

[4] C’est un homme (ou un enfant, le poète ne précise pas) de condition libre qui est sacrifié ; comme le note en effet Prato (1964), p. 136, « evidentemente le viscere di uno schiavo non potevano avere le stesse virtù vaticinatorie ».

[5] Dans cette Consolation (25, 1), Sénèque encourage Marcia à ne plus pleurer la mort de son fils, qui a laissé ici-bas la moindre partie de lui-même pour voguer librement parmi les âmes célestes, où il contemple des réalités si grandes qu’il n’y a pas lieu pour lui de regretter le temps où il vivait sur la terre : « Proinde non est quod ad sepulcrum fili tui curras ; pessima eius et ipsi molestissima istic iacent, ossa cineresque, non magis illius partes quam uestes aliaque tegimenta corporum. Integer ille nihilque in terris relinquens sui fugit et totus excessit ; paulumque supra nos commoratus, dum expurgatur et inhaerentia uitia situmque omnem mortalis aeui excutit, deinde ad excelsa sublatus inter felices currit animas ».

[6] Cf. Lucain, Bellum ciuile, VI, 413 et suiv. Mais le rapprochement ne vaut que pour le thème (la nécromancie ; invocation de l’âme d’un mort à partir du v. 619) : notre carm. 15 ne prétend bien entendu pas rivaliser avec le fantastique développement du neveu de Sénèque.

[7] On rapprochera tout particulièrement l’expression contrahe uela (carm. 16, 7) de cette ode d’Horace (II 10, 22-24) où le poète de Venouse écrit : sapienter idem / contrahes uento nimium secundo / turgida uela, « tu auras aussi la sagesse de réduire tes voiles trop gonflées par un vent favorable » (trad. F. Villeneuve).

[8] Sur ce point, cf. ce que nous dirons plus loin dans un note au carm. 30 à propos du terme rex et de sa réhabilitation due en partie à Sénèque (De clementia, à partir de I 3, 3).

[9] Dans le même sens, nous avons suggéré ailleurs [dans étude inédite sur quelques carmina horaciens] que, dans son Ode, III, 3, Horace emploie délibérement l’impératif futur regnanto (au vers 39 de cette ode) pour donner au discours de Junon l’aspect d’un contrat, en corrélation avec l’expression hac lege dico au vers 58.

[10] On peut être tenté de voir, dans cette pièce où l’auteur déplore son exil en s’adressant à Cordoue sa patrie, une confirmation de l’authenticité sénéquienne de ce poème ou du recueil, mais l’argument ne vaut pas, dans la mesure où rien n’interdit à un admirateur de composer une pièce que Sénèque aurait pu écrire pour déplorer son exil. Nous pensons du reste et à titre personnel que le ton geignard et la dramatisation pathétique de la gravité de l’exil, décrit par le poète comme plus déplorable que tous les autres malheurs qui ont pu frapper la ville, sont plutôt indignes de Sénèque.

[11] Prato (1964, p. 144) paraît estimer que les vers 9-10 s’inscrivent dans la continuité des vers 5-8 et évoquent l’épisode de la guerre civile dont nous avons parlé. Mais, avec Canali & Gallaso (1994, p. 93) nous préférons voir dans les vers 9-10 une allusion au tremblement de terre, dans la mesure où il est question de trois fois cent cadavres (ter… funera centum) : même si c’est là une manière de dire « un grand nombre », cela paraît bien peu en comparaison des 22.000 victimes dont parle l’auteur du Bellum Hispaniense, 34. Au contraire, le tremblement de terre a pu ne causer qu’un nombre beaucoup plus restreint de victimes tout en menaçant de rayer Cordoue de la carte comme cité à part entière à cause des dégâts causés aux bâtiments.

[12] Ce tremblement de terre est rapporté par Salluste dans la partie conservée de ses Histoires (II 28).

[13] Sur Viriatus, nous sommes renseignés par l’Epitome de Florus (I 33, 15 et suiv.).

[14] À propos de l’expression mea fata dans ce vers de Properce, Butler et Barber (The Elegies of Propertius, Hildesheim – Zürich – New York, Georg Olms, 1996, p. 180) notent que « for this use there is no exact parallel. But fatum often = mors, and for fata mea = me mortuum ».

[15] Pour les vers 13 et 15, le rapprochement avec Catulle, 12, 2, s’impose : non belle uteris in ioco atque in uino. Ce locus similis appuie les conjectures de correction auxquelles nous nous rangeons ici avec la majorité des éditeurs.

[16] D’autres corrections ont également été proposées, mais sont selon nous moins intéressantes : Baehrens propose ob finem, au sens où Caton serait dit ici plus grand que Pompée « à cause de sa fin » (ce qui, du point de vue du sens est exact : la mort glorieuse de Caton contraste vivement avec la triste fin de Pompée, lâchement assassiné sur ordre d’un roitelet sans envergure). Shackleton Bailey propose hinc Magno, sans que l’on s’explique bien la raison de ce hinc.

[17] En 119, 9, Sénèque parle en effet de ceux quorum nomina cum Crasso Licinoque numerantur, « dont les noms sont comptés avec ceux de Crassus et de Licinus » (dans les manuscrits des Lettres, nous avons une variante : Croesus Licinioque [sic], mais Crassus ou Crésus valent également comme exemples d’hommes richissimes). Dans la lettre 120, 19 (même si la tradition manuscrite n’est pas unanime), il parle, au milieu d’une série d’associations de personnages avec des vices, des vertus, etc., de ceux qui « rivalisent en richesse avec Licinus » : Licinum diuitiis… contendant. Sur le personnage de Licinus, voir Cassius Dion, LIV 21, 3.

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Praefatio Introduction
Carmina
1-13, 14-23, 24, 25-34, 35-47, 48-60, 61-72
Annexe

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FEC - Folia Electronica Classica  (Louvain-la-Neuve) - Numéro 12 - juillet-décembre 2006

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