FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 12 - juillet-décembre 2006


Les épigrammes de l’Anthologie latine attribuées à Sénèque (1-13)

© Stéphane Mercier, 2006


Praefatio Introduction
Carmina
1-13, 14-23, 24, 25-34, 35-47, 48-60, 61-72
Annexe

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Carmina 1-13 : texte et traduction

 

1 (R.232) — De Sénèque sur la nature du temps

Omnia tempus edax depascitur, omnia carpit,
omnia sede mouet, nil sinit esse diu.
Flumina deficiunt, profugum mare litora siccat,
subsidunt montes et iuga celsa ruunt.
Quid tam parua loquor ? Moles pulcherrima caeli [5]
ardebit flammis tota repente suis.
Omnia mors poscit. Lex est, non poena, perire :
hic aliquo mundus tempore nullus erit.

Le temps glouton dévore tout, il déchire tout,
il déplace toutes choses et ne permet à rien de subsister longtemps.
Les fleuves perdent leurs forces, la mer dans sa fuite met à sec
les rivages, les montagnes s’affaissent et leurs sommets élevés s’écroulent.
Pourquoi parlé-je de choses tellement insignifiantes ? La voûte grandiose du ciel
sera soudain tout entière la proie de ses propres flammes.
La mort réclame tout ; mourir n’est pas une peine mais une loi :
un jour viendra où ce monde cessera d’exister.

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2 (R.236) — De Sénèque / La Corse

Corsica Phocaico tellus habitata colono,
Corsica quae Graio nomine Cyrnos eras,
Corsica Sardinia breuior, porrectior Ilua,
Corsica piscosis peruia fluminibus,
Corsica terribilis, cum primum incanduit aestas, [5]
saeuior, ostendit cum ferus ora Canis :
parce relegatis, hoc est : iam parce sepultis.
Viuorum cineri sit tua terra leuis !

Terre de Corse où s’est établi le colon de Phocée,
Corse qui en grec répondais au nom de Cyrnos,
Corse moins étendue que la Sardaigne mais plus que l’île d’Elbe,
Corse parcourue de fleuves poissonneux,
Corse terrible aux premiers feux de l’été
et plus encore lorsque le Chien féroce montre sa face :
ménage ceux qui sont relégués, ceux donc qui désormais sont ensevelis en toi.
Que ta terre soit légère pour la cendre des vivants !

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3 (R.237) — Du même auteur / Même sujet

Barbara praeruptis inclusa est Corsica saxis,
horrida, desertis undique uasta locis.
Non poma autumnus, segetes non educat aestas
canaque Palladio munere bruma caret.
Imbriferum nullo uer est laetabile fetu [5]
nullaque in infausto nascitur herba solo.
Non panis, non haustus aquae, non ultimus ignis ;
hic sola haec duo sunt : exul et exilium.

La Corse inculte est enserrée entre d’abrupts rochers ;
elle est sauvage et ce ne sont partout que déserts sur une terre désolée.
Point de fruits à l’automne ni de moissons en été,
et le blanc hiver est dépourvu du don de Pallas.
Nulle production n’égaie le printemps chargé de pluie,
et le sol sinistre ne donne naissance à aucune plante.
On n’y trouve pas de pain, on n’y puise pas d’eau, il n’y a pas d’ultime foyer,
mais il n’y a ici que ces deux choses : l’exilé et son exil.

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4 (R. 238) — Au départ d’Ovide 

Iam nitidum tumidis Phoebus iubar intulit undis
emeritam renouans Tethyos amne facem.
Astra subit niueis Phoebe subuecta iuuencis,
mitis et aetherio labitur axe sopor.
Adludunt pauidi tremulis conatibus agni [5]
lacteolasque animas lacteus umor alit.

Déjà Phoebus a précipité dans les flots gonflés la lumière éclatante du soleil,
renouvelant l’astre épuisé dans le fleuve de Téthys.
L’astre lunaire monte, élevé sur de jeunes taureaux blancs comme neige,
tandis qu’une douce torpeur s’étend sur la voûte céleste.
Des agneaux craintifs s’ébattent en mouvements vacillants,
et un liquide laiteux nourrit ces animaux couleur de lait.

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5 (R.239) — Éloge de Xerxès 

Xerses magnus adest ; totus comitatur euntem
orbis ; quid dubitas, Graecia, ferre iugum ?
Tellus iussa facit, caelum texere sagittae,
abscondunt clarum Persica tela diem.
Classes fossus Athos intra sua uiscera uidit, [5]
Phryxeae peditem ferre iubentur aquae.
Quis nouus hic dominus terramque diemque fretumque
permutat ? Certe sub Ioue mundus erat.

Voici le grand Xerxès : tout l’univers accompagne sa progression.
Pourquoi hésites-tu, ô Grèce, à porter son joug ?
La terre exécute ses ordres, ses flèches ont couvert le ciel,
les traits lancés par les Perses cachent la clarté du jour.
L’Athos creusé a vu en son sein ses escadres,
les eaux de Phrixos reçoivent l’ordre de porter son infanterie.
Qui est ce nouveau maître qui bouleverse la terre, le jour et la mer ?
Assurément, Jupiter a cessé de gouverner le monde !

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6 (R.396) — Le misérable doit être ménagé

Occisum iugulum quisquis scrutare inimici,
tu miserum necdum me satis esse putas ?
Desere confossum ! Victori ulnus iniquo
mortiferum impressit mortua saepe manus.

Qui que tu sois, toi qui examines la gorge tranchée d’un ennemi,
ne me crois-tu pas encore assez misérable ?
Éloigne-toi d’un homme percé de coups ! Souvent la main d’un mort a frappé
d’un coup mortel un adversaire vainqueur.

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7 (R.397) — La mort de Caton

Inuictum uictis in partibus, omnia Caesar
uincere qui potuit, te, Cato, non potuit.

César, qui tout a pu vaincre, toi, Caton,
invaincu dans la faction vaincue, il n’a pu te vaincre.

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8 (R.398) — Même sujet

Ictu non potuit primo Cato soluere uitam :
defecit tanto uulnere ui<c>ta manus.
Altius inseruit digitos : quo spiritus ingens
exiret, magnum dextera fecit iter.
opposuit Fortuna moram uoluitque Catonis [5]
sciremus ferro plus ualuisse manum.

Caton n’a pu s’affranchir de la vie au premier coup :
vaincue par l’intensité de la douleur, sa main lui a fait défaut.
Il a alors introduit plus profondément ses doigts et sa main droite a ouvert
à son âme une large voie par laquelle elle pût sortir.
La Fortune lui a opposé un obstacle et a voulu que nous sûmes
que la main de Caton a plus de force que le fer.

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9 (R.399) — Même sujet

Iussa manus sacri pectus uiolasse Catonis
haesit et inceptum uicta reliquit opus.
Ille ait infesto contra sua uulnera uultu :
‘Estne aliquid magnum, quod Cato non potuit ?
Dextera, num dubitas ? durum est iugulasse Catonem ? [5]
Sed <si> liber erit, iam, puto non dubitas !
Fas non est uiuo quemquam seruire Catone,
nedum ipsum : uincit nunc Cato, si moritur’.

La main qui a reçu l’ordre de profaner la poitrine de l’auguste Caton
a été arrêtée et, vaincue, elle a abandonné l’œuvre déjà commencée.
Mais lui, tournant vers ses blessures un visage courroucé, s’est exclamé :
« Est-il une belle action que n’a pu accomplir Caton ?
Ô ma droite, tu hésites ? est-il difficile de tuer Caton ?
Mais lorsqu’il sera libre, dès ce moment, je crois, tu n’hésiteras plus !
Tant que vit Caton, il n’est permis à personne d’être esclave,
et surtout pas à lui-même : à présent, Caton triomphe s’il meurt ».

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10 (R.400-401) —Épitaphe de Pompée

Magne, premis Libyam ; fortes, tua pignera, nati
Europam atque Asiam. Nomina tanta iacent !
Quam late uestros duxit Fortuna triumphos,
tam late sparsit funera, Magne, tua.

Magnus, tu écrases la Lybie, et tes courageux enfants, objets de ton affection,
l’Europe et l’Asie. De si grands noms sont étendus à terre !
Ô Magnus, la Fortune a dispersé les cadavres des tiens sur une étendue aussi vaste
que celle sur laquelle elle a conduit vos triomphes.

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11 (R.402) — Même sujet

Pompeius totum uictor lustrauerat orbem,
at rursus toto uictus in orbe iacet :
membra pater Libyco posuit male tecta sepulcro ;
filius Hispana est uix adopertus humo ;
Sexte, Asiam sortite tenes ; diuisa ruina est : [5]
uno non potuit tanta iacere solo.

Pompée avait parcouru tout l’univers en vainqueur,
mais en retour c’est une maison vaincue qui repose sur toute la terre :
le père a déposé ses membres dans un tombeau mal couvert ;
l’un de ses fils est à peine recouvert par la terre d’Espagne ;
toi Sextus, le sort te donne l’Asie ; la ruine a été répartie :
elle était trop grande pour ne s’étendre qu’à un seul continent.

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12 (R.403) — Même sujet

Aut Asia aut Europa tegit aut Africa Magnos :
quanta domus, toto quae iacet orbe, ruit !

L’Asie, l’Europe ou l’Afrique couvrent les Magnus :
comme elle est grande, la maison qui s’est écroulée et gît sur toute la terre !

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13 (R.404) — Même sujet

Maxima ciuilis belli iactura sub ipso est :
quantus quam paruo uix tegeris tumulo !

La plus grande perte de la guerre civile est sous elle :
si grand, et pourtant c’est à peine si tu es recouvert par un si petit tombeau !

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Commentaire des carmina 1-13

Carmen 1

Dans ce poème philosophique, l’auteur développe le thème de la conflagration du monde, l’ekpurôsis héraclitéenne, une doctrine réinvestie par les penseurs du Portique. Sénèque, dans son œuvre, parle à plusieurs reprises de cette conflagration, et particulièrement dans la Consolation à Marcia où, donnant la parole à Crémutius Cordus, le père de celle-ci, il écrit :

« (…) il n’est rien qui doive demeurer à sa place, rien que le temps ne doive renverser et entraîner tôt ou tard dans son cours. Et ce n’est pas seulement des hommes qu’il se jouera (que sont les hommes dans l’infini domaine où la Fortune exerce sa puissance ?), mais des lieux, des contrées, des différentes parties de l’univers. Il aplanira les montagnes et fera surgir ailleurs de nouveaux sommets escarpés ; il desséchera les mers, détournera les fleuves et, supprimant les communications entre les peuples, abolira la société et l’union du genre humain ; ailleurs il ouvrira des gouffres formidables où les villes s’engloutiront, ou les secouera de tremblements de terre ; il fera monter du sol des vapeurs pestilentielles ; il couvrira d’inondations la surface du monde habité et fera périr sous les flots toutes les espèces animales ; il répandra des flammes dévastatrices, qui consumeront et dévoreront tout ce qui respire. Et quand l’heure sera venue où le monde doit s’anéantir pour se renouveler de fond en comble, toute substance se détruira elle-même, les astres heurteront les astres, le feu embrasera l’univers, et tous ces corps lumineux, qui brillent dans un si bel ordre aujourd’hui, ne formeront plus que la flamme d’un vaste et unique incendie »[1].

Comme on le voit, de nombreux éléments du poème sont manifestement empruntés à ce texte ou inspirés de lui : les mers se retirent, les montagnes s’écroulent et l’univers s’embrase tout entier.

L’idée d’une destruction de l’univers tel que nous le connaissons n’est du reste pas propre aux philosophes du Portique mais constitue une donnée intégrée par une partie au moins de la tradition romaine et dont on peut voir l’écho chez Ovide par exemple, qui l’évoque dans ses Métamorphoses (I, 256 et suiv.), ou encore chez Lucain (Bel. ciu., VII, 814 et suiv.). Du reste, une certaine communauté de pensée avec la pensée chrétienne ne manque pas d’apparaître dans cette doctrine, avec une différence notable cependant, puisque l’ekpurôsis n’est pas la fin des temps mais la fin d’un monde : hic aliquo mundus tempore nullus erit. Dans la perspective stoïcienne, la conflagration du monde n’est que la fin d’un cycle qui doit se répéter indéfiniment. Sénèque parle bien en effet du tempus… quo se mundus renouaturus extinguat (nous soulignons).

À côté du thème de l’ekpurôsis, le poème n’est pas étranger à ce qui sera le propos des carm. 26 et 27 sur les ravages causés par le temps. Dans les Lettres à Lucilius (XIV 91, 9-12), Sénèque développera une idée semblable en méditant sur la ruine des cités et les bouleversements qui affectent le monde qui nous entoure. Et de conclure alors en écrivant : hoc unum scio : omnia mortalium opera mortalitate damnata sunt, inter peritura vivimus, « je sais cette unique chose : toutes les œuvres des mortels sont vouées à la mortalité, nous vivons parmi des choses appelées à périr ».

L’expression tempus edax est un souvenir d’Ovide qui emploie dans ses Métamorphoses (XV, 234-235) la même expression : tempus edax rerum, tuque, invidiosa vetustas, / omnia destruitis. Notons au passage que, dans notre corpus sénéquien, nous rencontrerons plus loin l’expression annosa uetustas dans un contexte similaire (carm. 27, 1). Nombre d’exemples utilisés ici dans le carm. 1, outre qu’ils font écho au passage de la Consolation à Marcia, renvoient de même à des passages du poète de Sulmone, ainsi par exemple nil sinit esse diu au vers 2 fait penser à nil equidem durare diu sub imagine eadem (Met., XV, 259) ou encore profugum mare littora siccat au vers 3 peut être rapproché de mare contrahitur siccaeque est campus harenae / quod modo pontus erat (Met., II, 263-264).

Nous retrouverons l’expression sede mouet du vers 2 dans le carm. 52, 13-14 : hoc quisquis poterit, licebit ille / Fortunam moueat loco superbus.

Au vers 5 nous traduisons le superlatif pulcherrima par ‘grandiose’, qui évoque tout ensemble l’idée de beauté et celle de puissance. Comme le note en effet Prato (1964, pp. 109-11), « il contesto farebbe pensare che l’aggettivo, più che alla bellezza del creato, voglia alludere alla sua potenza, con un valore di pulcher, non estraneo alla lingua primitiva (…) e bene attestato nella poesia classica » (1964, pp. 109-110). Parmi les exemples qu’il propose, citons le rerum facta est pulcherrima Roma de Virgile (Georg., II, 534).

L’idée de la mort qui sollicite toutes choses (omnia mors poscit au vers 7) et les rend ainsi égales sera exploitée plus loin encore dans les carm. 45 et 46. Le poète mentionne ici le caractère « normal » de la mort : lex est, non poena, perire. Cette idée se retrouve également dans l’œuvre de Sénèque, qui affirme dans ses Questions naturelles (VI 32, 12) que mors naturae lex est et demande par ailleurs à Helvia de « regarder le dernier jour non comme s’il s’agissait d’une peine, mais comme une loi de la nature » (ultimum diem non quasi poenam, sed quasi naturae legem aspicis, Cons. Helu., 13, 2).

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Carmen 2

Cette épigramme et la suivante sont consacrées à la Corse, où Sénèque a été relégué, c’est-à-dire exilé, entre 41 et 49 sur ordre de l’empereur Claude. Les circonstances de cette relégation sont bien connues : Sénèque était accusé d’avoir entretenu une liaison avec la sœur de Gaius, l’empereur Caligula. Nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer aujourd’hui sur la réalité de cette liaison, mais « que le faute ait été réelle ou non », écrit Pierre Grimal, « il est certain que les accusateurs ne furent pas poussés par des considérations morales. Les poursuites (…) firent partie des ‘règlements de compte’ attendus après le triomphe de Valéria Messalina sur la faction de ses rivales », Julia Livilla (la sœur de Gaius) en tête[2].

Bien qu’il se soit efforcé de se convaincre que l’exil n’est rien, Sénèque a détesté la Corse et le brillant orateur, l’homme de lettres cultivé est consterné par le milieu dans lequel le confine sa relégation et où « on a bien de la peine à manier le vocabulaire latin quand on n’entend parler autour de soi que le jargon d’un peuple barbare, si grossier qu’il choquerait même les oreilles des barbares les plus civilisés »[3]. Même dans le Consolation à Helvia, où il tâche de voir le bon côté de son exil, il ne peut s’empêcher d’écrire :

Quoi d’aussi nu, quoi d’aussi escarpé que le rocher où je suis ? Est-il un sol plus dépourvu de ressources ? une population plus sauvage ? un pays d’aspect plus affreux ? un climat plus malsain ?[4]

Les deux épigrammes attribuées à Sénèque et relatives à la Corse vont dans le sens de cette dépréciation : rien en ce lieu ne trouve grâce au yeux du poète, qui dresse de l’île un portrait sinistre et rappelle les plaintes d’Ovide exilé à Tomes, au bord du Pont-Euxin.

Aux vers 1-2, nous lisons que la Corse a été colonisée par les Phocéens et portait le nom de Cyrnos (Kurnos), comme nous l’apprend également Pline l’Ancien (Nat. hist., III 6, 12) : Corsica, quam Graeci Cyrnon appellauere[5]. De même, nous lisons chez Sénèque, dans la consolation qu’il adresse à sa mère Helvia (7, 8), Phocide relicta Graii, qui nunc Massaliam incolunt, prius in hac insula [sc. Corsica] consederunt. On notera dans ce texte l’emploi de Graii pour Graeci : notre poète ne fait pas autrement au vers 2 lorsqu’il se sert du premier, qui a du reste la préférence des poètes en général[6].

La comparaison proposée au vers 3 est un peu superflue et creuse, tant les trois îles couvrent des étendues différentes : la Corse a une superficie de plus de 8.500 kilomètres carrés, soit plus du tiers de la Sadaigne ; l’île d’Elbe pour sa part fait moins de 250 kilomètres carrés.

Au vers 6, saeuior signifie littéralement « plus sauvage », mais est de toute évidence employé ici comme comparatif de terribilis dans le vers précédent et auquel il répond, la forme terribilior n’étant pas viable sur le plan métrique en poésie élégiaque.

Ostendit cum ferus ora Canis (on notera la traiectio du cum), « lorsque le Chien féroce montre sa face » : le lever de la constellation du Chien définissait une période de « canicule » dans la seconde moitié du mois de juillet[7].

Le dernier mot du vers 7 divise les éditeurs. Ce poème, comme le suivant qui lui fait suite sans interruption dans les manuscrits, est proposé par trois témoins : le Salmasianus du VIIIe siècle, le Thuaneus du IXe ou Xe siècle et le Vossianus du IXe siècle. Le premier présente la leçon solutis, le second porte également solutis, mais le mot sepultis, qui est la leçon du Vossianus, a été écrit par-dessous. Nous adoptons avec Burmann et Canali & Galasso la leçon sepultis plutôt que celle du Salmasianus retenue par Prato et Shackleton Bailey. Toutefois, l’une et l’autre alternatives sont acceptables : en faveur de solutis on peut faire valoir une observation de Sénèque qui note, dans ses Lettres à Lucilius (VIII 71, 14), que nobis solui perire est ; en faveur de sepultis, on citera Virgile (Aen., III, 41) : iam parce sepulto ! Le choix d’une leçon ne doit dès lors pas tellement se faire au détriment de l’autre, mais en considérant la leçon concurrente comme une alternative également viable.

Le pentamètre final du carm. 2 est une variante d’une formule funèbre bien attestée : sit mihi (ou tibi) terra leuis, dont Prato (1964, p. 113) propose de nombreux exemples, notamment chez Tibulle (II 4, 50) : terraque securae sit super ossa leuis. La belle image paradoxale de la « cendre des vivants » est sans doute inspirée d’Ovide qui, dans son poème contre Ibis (vers 16), écrit : Non patitur uiui funera flere uiri, « il ne souffre pas qu’elle pleure le cadavre de son mari vivant ».

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Carmen 3

Si la pièce précédente s’achevait sur un souhait et gardait quelque espoir (l’exilé qui se présente comme un mort-vivant formule le vœu que la terre de son exil soit légère à sa cendre), le ton du carm. 3 est résolument désabusé et beaucoup plus sinistre : la Corse est un désert rocailleux et inhospitalier, impropre à la vie, où il n’y a « que ces deux choses : l’exilé et son exil » (hic sola haec duo sunt : exul et exilium).

La description donnée ici de la Corse par le poète rappelle de très près le texte de la Consolation à Helvia que nous citions ci-dessus, et le lieu d’exil est tout à l’opposé de l’aimable paysage décrit par Ovide dans ses Remèdes à l’amour (187) : poma dat autumnus, formose est messibus aestas, « l’automne donne des fruits et l’été est embelli par des moissons ». Rien de tout cela en Corse où, comme nous le lisons ici dans le carm. 3, 3 : non poma autumnus, segetes non educat aestas. Cette sinistre description rappelle en écho les Pontiques du poète de Sulmone (I 3, 51) : non ager hic pomum, non dulces educat herbas, « ici [à Tomes] le champ ne produit pas de fruit et il n’y pousse point d’herbe molle ».

 Le Palladium munus dont il est question au vers 4 est l’olivier car, comme le dit Virgile (Georg., I 18), sa découverte est le fait de Minerve : oleaeque Minerua inuentrix. Ovide (Ars amat., II, 518) lui aussi parle de l’olivier comme de Palladis arbor.

Au vers 7, le poète parle d’un ultimus ignis, un « ultime feu » que l’on ne trouverait pas non plus en Sicile. Il s’agit, d’après Prato (1964, p. 116) du feu du bûcher funèbre : « Si tratta del rogo della morte ». Cette interprétation est solidement étayée par une série de loci similes (par exemple Properce, I 9, 2 : extremo… rogo ; ou encore chez Sénèque lui-même, Oed., 60 : supremum… ignem). Le sens est clair : la Corse est tellement déserte, que la mort elle-même l’a désertée, et l’on n’y trouve rien que l’exilé et son exil.

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Carmen 4

Comme l’indique le titre que lui donne le lemmatiste, cette pièce est de Ouidio, c’est-à-dire non pas qu’elle porte sur le poète de Sulmone, mais qu’elle s’inspire de lui. Le premier vers de notre carm. 4 évoque en effet les Fastes (II, 149-150) : quintus ab aequoreis nitidum iubar extulit undis / Lucifer, « l’Étoile du matin, pour la cinquième fois, a fait surgir des flots son éclat étincelant ».

Phébus, c’est bien entendu Apollon, le dieu associé à l’astre du jour qui chaque soir est précipité dans l’Océan pour refaire ses forces et reparaître le lendemain. L’Océan est ici désigné par le syntagme Tethyos amne, « le fleuve de Téthys » (et non Thétys, qui est une graphie incorrecte, ni Thétis, qui est le nom d’une Néréïde) ; Téthys est l’une des Titanides, fille d’Ouranos et de Gaïa, elle a elle-même épousé le dieu Océan et lui est donc tout naturellement associée lorsqu’il s’agit de parler de l’océan.

Au vers 3, l’astra… Phoebe est la lune. Phébé est elle aussi l’une des Titanides ; on l’associe traditionnellement à la lune et elle est souvent confondue avec Diane. Notre poète écrit que l’astre de Phébé est élevé sur de jeunes taureaux (iuuencis) blancs, alors qu’Ovide (Rem. am., 258) nous présente la lune tirée par des chevaux de même couleur : in niueis luna uehetur equis.

Les vers 5-6 sont tenus par Riese et Shackleton Bailey pour une pièce indépendante, et Baehrens estime qu’il manque plusieurs vers entre les deux pour que nous soyons en présence d’une composition unique. Prato (1964, p. 118) soutient toutefois que les six vers forment une unique épigramme : « [Q]uesta idillica scenetta [décrite dans les vers 5-6] (…) doveva e voleva efficacemente inquadrarsi nel clima di mitis sopor creato dai versi precedenti ». La chose est discutable, mais nous suivons Prato avec Canali & Galasso.

Le dernier distique, à supposer donc que nous soyons en présence d’une composition unique, est très proche d’un passage de Lucrèce, tant par le thème exploité que par le vocabulaire utilisé :

 C’est cela qui fait que les moutons fatigués reposent leur corps à travers les prairies riantes, et un liquide laiteux s’écoule tout blanc de leurs mamelles distendues ; c’est cela qui fait qu’une jeune portée joue avec plaisir parmi les herbes sur ses pattes mal assurées, une portée dont les âmes encore jeunes sont bouleversées par un lait pur[8].

Dans la marge du Salmasianus, notre seul témoin pour cette épigramme, une leçon concurrente est proposée : cum matribus, mais la métrique ne permet d’adopter cette lecture qu’à condition de supprimer quelque part une syllabe ; on peut proposer : Ludunt (plutôt que adludunt, la correction rapproche du reste notre vers du texte de Lucrèce) pauidi tremulis cum matribus agni, « les agneaux craintifs jouent avec leurs mères tremblantes ». Mais cela n’est qu’une hypothèse.

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Carmen 5

Nous avons déjà évoqué dans notre introduction le problème posé par cette épigramme et celles qui lui sont apparentées, soit les carm. 50 et 68, où le Grand Roi est loué par la bouche de notre poète[9]. Xerxès, rex stolidus (De const. sap., 4, 2) ou Persarum rex insolentissimus (De breu. uit., 17, 2), est systématiquement dénigré par Sénèque dans son œuvre certainement authentique. Mais, comme nous l’avons dit, même cet élément ne suffit pas à rejeter les épigrammes à la louange de Xerxès du corpus attribué à Sénèque, puisque rien ne permet d’écarter la possibilité que celui-ci ait composé une pièce à mettre dans la bouche d’un des courtisans du Grand Roi. Aussi préférons-nous ne pas nous associer au jugement de Prato (1964, p. 119) lorsqu’il écrit que « il tono ammirato dell’epigramma dovrebbe escludere, io credo, la paternita senechiana ».

Les deuxième et troisième distiques de notre poème esquissent trois tableaux successifs de quelques-uns des traits les plus marquants de l’avancée de Xerxès contre la Grèce : l’armée de Xerxès est si nombreuse (Hérodote, VII 184) que ses traits sont capables d’obscurcir la clarté du jour (Id., VII 226), elle traverse à sec l’Hellespont sur un gigantesque pont de bateaux (Id., VII 36), elle traverse l’Athos (Id., VII 22-24) pour éviter d’avoir à doubler la montagne. Ces différents éléments, propres à frapper les imaginations, reviennent régulièrement sous la plume des auteurs antiques et Prato (1964, pp. 119-121) propose de nombreuses références que nous ne reproduirons pas ici.

Au vers 6, le poète désigne l’Hellespont sous le nom de Phryxeae… aquae. D’après la légende, Phryxos et sa sœur Hellé échappèrent à leur belle-mère Ino en traversant l’Hellespont sur le dos du bélier à la toison d’or qui devait les mener en Colchide. Malheureusement pour Hellé, elle lacha prise et se noya dans la mer, lui donnant ainsi son nom. Le poète choisit ici de parler plutôt de « l’eau de Phryxos », comme le fait par exemple Lucain (Bel. ciu., VI, 56 : Phrixeum… pontum).

Les bouleversements à l’origine desquels Xerxès se situe et que nous avons brièvement mentionnés ci-dessus affectent, comme l’écrit le poète au vers 7 terramque diemque fretumque, c’est-à-dire, suivant une description analytique, tout l’univers. En effet, la terre, la mer et les régions du ciel sont, comme le dit Ovide (Met., XII, 40-41) les trois parties de l’univers, terrasque fretumque / caelestesque plagas, triplicis confinia mundi, ou (Fast., V, 11) les trois « corps » du monde, tria corpora mundi.

Au dernier vers, les éditeurs (notamment Prato et Canali & Galasso) corrigent le Iouem du Salmasianus, notre unique source pour cette épigramme, en Ioue. Si la préposition sub peut également régir l’accusatif, des raisons métriques imposent l’ablatif Ioue ; du reste la leçon du manuscrit s’explique facilement si l’on observe que le mot suivant commence par un : mundus.

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Carmen 6

Le poète, parlant au nom d’un mourant, ou se présentant plutôt lui-même sous les traits d’un homme blessé, frappé à la gorge (occisum iugulum) met en garde un adversaire qui, visiblement, s’est approché pour jouir du spectacle de son malheur. Il commence par en appeler à sa pitié – tu miserum necdum me satis esse putas ? – avant de le menacer en faisant valoir qu’un mourant (littéralement une main déjà morte, mortua… manus) peut encore représenter un danger, et que l’on a déjà vu un vainqueur frappé à mort par celui dont il venait de triompher. Il est possible que cette composition soit la réponse du poète accablé par un grave malheur (peut-être l’exil) par lequel il détourne un ennemi personnel de se réjouir de son revers de fortune. Ci-dessous, dans le carm. 19, le poète parlera plus au long dans le même sens, mais plutôt qu’un mourant, il se présentera alors sous les traits d’un défunt, mort et enterré.

La leçon du Vossianus, qui seul nous transmet cette épigramme, pose aux éditeurs un difficile problème d’interprétation à la fin du premier vers[10]. Le manuscrit porte en effet scrutaris unamici. Une correction s’impose, tant parce que unamici n’est pas un mot latin, que parce que cette leçon présente un hexamètre trop long d’une syllabe. Riese écrit scrutaris amici, en ayant soin de faire précéder le dernier mot d’un obèle[11]. Cependant, on ne voit pas très bien ce que vient faire ici le nom d’un ami (à moins qu’il ne s’agisse d’un ancien ami ?), puisque cette épigramme s’adresse à un ennemi : tu miserum etc. Prato propose par conséquent de lire scrutare, inimice (mieux que le inimicus de Baehrens), en quoi il est suivi par Canali & Galasso, une correction que nous adoptons à notre tour comme la solution offrant le plus de sens.

Au même vers 1, on notera l’interpellation sous la forme quisquis scrutare, apparentée à celles que nous retrouverons plus loin, dans les carm. 19, 1 (quisquis es) ; 20, 1 (quisquis Cecropias) ; et 45, 1 (quisquis adhuc).

À propos du vers 3, Prato (1964, p. 124) note que l’expression desere confossum « sostanzialmente vale parce sepulto [comme dans le carm. 2, 7 : parce relegatis… sepultis], con un’accezione per desero estranea, mi pare, al latino classico ». Toutefois, nous ne pensons pas que les deux expressions aient exactement le même sens, puisque desero signifie ‘abandonner’, ‘délaisser’ et est d’un usage tout à fait classique dans cette acception (par exemple chez Cicéron, In Cat., I 11, 4) ; aussi traduisons-nous « Éloigne-toi d’un homme percé de coups », c’est-à-dire « abandonne-le à son sort » ou « laisse-le mourir en paix ».

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Carmen 7

Cette épigramme et les deux suivantes sont consacrées à la gloire de Caton le Jeune, le très célèbre suicidé d’Utique et le parangon de la vertu romaine. La laus Catonis ne pose pas de problème particulier sous l’Empire, et Auguste lui-même n’hésite pas à faire l’éloge du héros républicain[12]. Sans multiplier ici les références relatives à un thème qui mériterait à lui seul une étude très complète[13], il faut dire que Caton est le héros par excellence de Sénèque, qui parle de lui à plus de quarante reprises dans son oeuvre[14].

Le distique rapelle un passage d’Horace (Carm., II 1, 23-24) évoquant la figure de Caton, seul capable de tenir bon tandis que le reste du monde est à genoux : et cuncta terrarum subacta / praeter atrocem animum Catonis, « et la terre tout entière est soumise, à l’exception de l’âme inflexible de Caton ». Parmi les textes de Sénèque qui expriment l’invincibilité de Caton, il y a tout particulièrement ce passage des Lettres à Lucilius (VIII 71, 8) où Sénèque déclare que le bien de Caton est de demeurer invaincu dans un parti vaincu, bonum quo uictis partibus non potest uinci.

On sait que Caton s’est suicidé à Utique pour ne pas survivre à la liberté de la République qui venait à ses yeux de périr après que César eut triomphé du parti pompéien à la bataille de Thapsus en 46 av. J.-C. César aurait vaincu Caton s’il avait pu lui accorder d’avoir la vie sauve, comme nous le lirons ci-dessous dans le carm. 9, 8 : uincit nunc Cato, si moritur, car c’est à la seule condition de se donner la mort que celui-ci ne sera redevable de rien au tyran.

Cette épigramme et les deux suivantes nous sont transmises non seulement par le Vossianus, mais également par le Reginensis 1414 du XIe siècle[15]. Or l’un et l’autre manuscrits présentent au vers 1 la leçon inuictus, acceptée par Baehrens mais rejetée par tous les autres éditeurs, notamment Burmann, Riese, Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso, qui tous corrigent en inuictum. Nous adoptons également cette correction, tout en reconnaissant que la leçon des manuscrits n’est pas intenable : le fait d’avoir un nominatif inuictus n’impose pas sur la plan syntaxique d’en faire l’épithète du nominatif Caesar : il peut être associé au vocatif Cato du vers 2, de la même façon que nous rencontrerons plus loin dans le carm. 32, 2 où l’épithète positus au nominatif est liée à Caesar uterque, vocatif sujet avec Mars pater et Quirine du verbe cernitis.

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Carmen 8

Avec les carm. 8 et 9, le poète revient sur l’épisode de la mort de Caton, dont les circonstances nous sont bien connues tant par Sénèque (Ep., III 24, 6-8 pour ne citer qu’un exemple) que par Plutarque (Cato minor, 70, 4). Le distique final de notre carm. 8 fait d’ailleurs écho à ce passage de la lettre 24 à Lucilius, dans laquelle Sénèque fait dire à Caton : « C’est en vain, ô Fortune, que tu as essayé de me barrer la route à mes efforts » (nihil, inquit, egisti, fortuna, omnibus conatibus meis obstando, 7).

 Prato (1964, p. 125) pose sur les deux épigrammes 8 et 9 un jugement sévère que nous ne partageons pas : « Si tratta, mi pare, di due componimenti privi di spunti originali e, sopratutto, di quell’ardente, sincera ammirazione, che dettò a Lucano pagine di poesia ». On peut fort bien ne pas rivaliser avec le souffle poétique dont est capable un Lucain exaltant le héros stoïcien, sans pour autant tomber dans la banalité ou l’exercice scolaire dénoncé ici par Prato.

Au vers 2, la correction de la leçon uita des manuscrits en uicta est admise par les divers éditeurs, ainsi chez Riese, Prato, Shackleton Bailey ou Canali & Galasso. Sur le plan syntaxique, on peut concevoir uita à l’ablatif associé au verbe defecit ; mais la métrique exige une finale brève et le nominatif uita ne peut convenir ici, d’où la nécessité de corriger[16].

Plus loin, au vers 3, nous lisons digitos, qui est la leçon du Vossianus suivie (à bon droit, cf. le récit des derniers instants de Caton chez Sénèque ou Plutarque, ou encore, très proche de notre distique, ce passage du De prouidentia, 2, 10 : una manu latam libertati uiam faciet) par une partie des éditeurs, notamment Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso. Curieusement, Baehrens et Riese optent de préférence pour la leçon gladium du Reginensis.

Dans le même vers 3, nous corrigeons avec Heinsius la leçon qua des manuscrits en quo. Bien que qua ait la faveur des éditeurs (notamment Riese, Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso), nous optons pour quo qui, parce qu’il s’accorde avec iter, nous semble plus naturel[17].

Au vers 5, tant le Vossianus que le Reginensis présentent la leçon inuoluitque (avec une rature entre in et uoluitque dans le second manuscrit) ; l’élément in est supprimé par Pithoeus, Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso entre autres, et nous les suivons sur cette voie, car la correction paraît s’imposer dans la mesure où l’emploi du verbe inuoluo ne fait absolument pas sens ici. Par ailleurs et pour des raisons métriques, uoluitque est préférable puisque, en l’absence de l’élision provoquée par inuoluitque, elle permet une césure hepthémimère.

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Carmen 9

Dans cette épigramme qui constitue une variation sur la même thème que la précédente, le poète donne à son héros la parole : après que sa main a flanché, Caton s’exhorte à achever ce qu’il a commencé en se convainquant que le victoire est au prix de son suicide. On connaît le mot célèbre de Valère Maxime (VI 2, 5) : Quid ergo ? libertas sine Catone ? non magis quam Cato sine libertate !, auquel fait écho cette parole de Sénèque (De const. sap., 2, 2) : neque enim Cato post libertatem uixit nec libertas post Catonem, « car Caton ne survécut pas à la liberté [c’est-à-dire à la République] ni la liberté à Caton ».

On notera au vers 1 l’emploi de uiolasse, soit un infinitif parfait, là où l’on attendrait plutôt un infinitif présent uiolare. Plusieurs éditeurs, parmi lesquels Burmann et Riese, optent pour la correction mais, à vrai dire, celle-ci n’est pas nécessaire et, avec notamment Prato et Shackleton Bailey, nous préférons conserver la leçon des manuscrits (le Reginensis porte uiolasset, mais le t final est absurde). On trouve en effet chez Catulle (62, 42), Properce (I 1, 15), Virgile (Aen., VI, 79) et d’autres un emploi semblable de l’infinitif parfait là où la prose exige plutôt le présent[18].

Au vers 4, le Vossianus présente la leçon magnus tandis que la Reginensis a magnum ; bien que magnum paraisse plus raisonnable et détermine opportunément aliquid, magnus constitue une alternative parfaitement viable, auquel cas notre adjectif s’accorde avec Cato dans le second hémistiche. Pour le sens, on rapprochera ce vers d’une remarque de Sénèque (Ep., I 8, 5) : cogitate nihil praeter animum esse mirabile, cui magno nihil magnum est, « songez que rien n’est admirable que l’âme, et que rien n’est grand pour une grande âme ».

Les deux derniers distiques ont donné lieu à diverses conjectures de la part des éditeurs. Bien que cela soit un peu fastidieux, on nous permettra de considérer les choses dans le détail. Voyons pour commencer le vers 5 : me dubitas est la leçon des deux manuscrits (sans espace entre me et le verbe dans le Vossianus, où le e est affecté d’un petit trait ad infra), acceptée par Prato et Canali & Galasso à la suite de Ziehen ; pour Burmann, il faut plutôt lire quid dubitas ; Riese opte pour nunc dubitas ; Baehrens propose ne uitas ; Scaliger ne dubita ; Heinsius ne dubites ; enfin Shackleton Bailey (que nous suivons ici) num dubitas sur base d’un rapprochement, peu convaincant il est vrai, avec un passage de la tragédie Hercule sur l’Œta, 1719 : quid dextera tremuit ? num manus pauida impium / scelus refugit ? Le sens général ne pose pas de problème et les différentes options se valent à peu près. Nous adoptons la correction de Shackleton Bailey, parce qu’elle imprime au texte plus de mouvement que la construction un peu embarrassée des manuscrits ; à défaut, la correction de Heinsius est phonétiquement très proche de la leçon du Vossianus et du Reginensis, et a du reste beaucoup d’aisance elle aussi.

Le vers 6 pose un problème différent aux éditeurs confrontés cette fois à un vers où manque un mot, un vide que le copiste du Reginensis (suivi par Baehrens et Riese) a comblé en ajoutant quia après sed. À côté de Burmann qui propose modo, Rossbach suggère de suppléer par si ou par sic : si a la faveur de Prato et de Canali & Galasson, tandis que Shackleton Bailey opte de son côté pour sic. Ici encore, les différentes solutions sont autant d’alternatives qui méritent d’être prises en compte, et nous adoptons pour notre part un si, tout en nous écartant de Prato (1964, p. 126) qui reconnaît à la conjonction une valeur causale : il nous semble plutôt qu’il y a lieu de lui reconnaître une valeur temporelle[19].

Enfin, le dernier distique est l’un de ceux qui, dans notre recueil d’épigrammes, divise le plus profondément les éditeurs (avec, notamment, le dernier vers du carmen de spe) : à la leçon uiuo quemquem seruire Catoni du Vossianus s’oppose la leçon uiuo cuiquam seruire Catonem du Reginensis. Au vers 8, la leçon du Vossianus est nedum ipsum uincit, avec une rature entre ne et dum (sans doute la correction d’un nondum initial d’après Prato [1964], p. 47), tandis que le Reginensis porte necdum etiam uiuit. Parmi les éditeurs, les deux principales variantes que l’on peut discerner sont les suivantes, avec des nouvelles corrections (« con libere correzioni », Prato [1964], p. 127) apportées aux textes des deux manuscrits :

— Baehrens : Fas non est uiuom [sic] cuiquam seruire Catonem, quin etiam uiuit nunc Cato si moritur, c’est-à-dire « il n’est pas permis à Caton d’être de son vivant l’esclave de quiconque ; bien plus : Caton vit à présent, s’il meurt »[20] ;
— Prato (suivi par Shackleton Bailey qui note que « ad meliora reversus est Prato ») : Fas non est uiuo quemquam seruire Catone, nedum ipsum : uincit nunc Cato, si moritur, c’est-à-dire : « il n’est permis à personne d’être esclave du vivant de Caton, et surtout pas à lui-même : à présent Caton triomphe, s’il meurt ».

Nous optons pour le texte retenu par Prato et Shackleton Bailey, sans cependant cesser de considérer la construction de Baehrens (et de Riese) comme une alternative viable. Toutefois, au niveau du dernier vers, nous préférons nettement la leçon uincit du Vossianus à la formulation un peu excessive du Reginensis. Mais ici encore, les deux leçons sont acceptables : s’il meurt, Caton triomphe (il n’est pas esclave) et, en un sens, il vit (sa gloire lui survit éternellement).

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Carmen 10

Cette épigramme ouvre une première série de quatre pièces consacrées au destin posthume de la famille de Pompée. Gnaeus Pompée dit « le Grand » (c’est lui qui est désigné sous le nom de pater ou simplement Magnus) et ses deux fils Gnaeus et Sextus : le poète les appelle ensemble Magni, qui est le cognomen du père depuis qu’il lui a été décerné par ses soldats en 82 av. J.-C. (voir sur ce point Plutarque, Pompeius, 13, 4) et nous a valu chez Ovide (Fast., I, 603) ce beau vers : Magne, tuum nomen rerum est mensura tuarum, « Magnus, ton nom est la mesure de tes réalisations ! ».

 Le Grand Pompée a été vaincu définivitement par César à Pharsale en 48 av. J.-C., d’où il a pris la fuite pour l’Égypte où il devait périr assassiné à Péluse sur ordre du roitelet Ptolémée XIV auprès duquel il avait trouvé refuge. Gnaeus Pompée mourut en 45 av. J.-C., exécuté pour haute trahison à la suite de sa capture peu de temps après sa défaite contre César à Munda en Espagne. Sextus enfin lutta non sans succès contre les triumvirs Marc Antoine et Octave en Sicile ; vaincu par Agrippa au cap Nauloque en 36 av. J.-C., il partit se réfugier en Orient mais fut capturé et exécuté sommairement à Milet l’année suivante. Pompée était considéré dans l’Antiquité comme un conquérant de tout premier ordre, une sorte d’Alexandre le Grand romain, et quoique d’une manière différente, il était avec Caton le symbole de la République luttant pour sa survie, et donc aussi de de la liberté contre la tyrannie. Jusqu’au règne de Gaius[21], l’éloge de Pompée ne posait pas de problème particulier, non plus que celui de Caton, comme nous l’avons vu ci-dessus.

Le thème développé dans ces épigrammes, de même que dans la série des carm. 61-63, est essentiellement celui de la dispersion de la maison de Pompée : l’un repose en Afrique, l’autre en Espagne et le troisième en Asie. Ce thème est présent chez plusieurs auteurs, et Sénèque, dans une de ses Lettres à Lucilius (VIII 71, 9), écrit à propos de la défaite du parti républicain que « les débris d’un si grand empire voleront à travers toute la terre, une part tombera en Égypte, une autre en Afrique, une autre en Espagne » (tam magni ruina imperii in totum dissiliet orbem : aliqua par eius in Aegypto, aliqua in Africa, aliqua in Hispania cadet)[22].

Prato (1964, p. 127) observe à propos de la série d’épitaphes de Pompée que le sujet y est traité « secondo luoghi comuni e un frasario trito » et que l’ensemble « si rivela materia di fredda esercitazione ». Mais nous trouvons chez Martial une épigramme très proche à tous égards de nos deux séries de pièces, et tout particulièrement du carm. 11 :

L’Asie et l’Europe ont couvert les jeunes Pompée, mais lui [Magnus], c’est la terre de Libye qui l’a couvert, si toutefois une terre l’a couvert. Quoi d’étonnant si [leur maison] est répandue sur le monde entier ? Une si grande ruine ne pouvait reposer en un lieu unique[23].

L’Europe, l’Asie et l’Afrique, c’est-à-dire pour un homme de l’Antiquité le monde tout entier[24], d’où l’expression toto orbe que nous lisons tant dans l’épigramme de Martial qu’ici dans les carm. 11, 2 ; 12, 2 ; auquel il faut ajouter l’expression omnis… plaga dans le carm. 61, 3.

Ici, au vers 1, nous avons l’expression tua pignera nati avec pignus au sens de « objet d’affection » ; l’association de pignus avec natus revient régulièrement chez les poètes, on peut citer par exemple Properce (IV 11, 73) : nunc tibi commendo communia pignora natos, « je te recommande à présent ces enfants, objets de notre commune affection ».

Au vers 2, nomen vaut pour la personne qui le porte. On a un bel exemple chez Horace par exemple (Carm., III 3, 45-46) : Horrenda late nomen in ultimas / extendat oras, « que son nom [celui de Rome, autrement dit la puissance romaine] couvre une effrayante étendue, jusqu’aux rivages des confins »[25].

L’idée exprimée au vers 3 à propos de l’étendue des triomphes de Pompée renvoie aux nombreuses conquêtes de l’illustre général romain, qui tot habet triumphos, quot orae sunt partes terrarum, « qui compte autant de triomphes qu’il y a de rivages et de parties dans le monde » (Cicéron, Pro Balbo, IV 9). À l’ensemble du distique constitué par les vers 3-4 répond ce vers de Lucain (VI, 818) : distribuit tumulos uestris Fortuna triumphis, « la Fortune a réparti vos sépultures comme vos triomphes ».

Dans la mesure où l’ensemble constitué par les pièces 10-13 forme un tout dans le Vossianus qui est pour ces épigrammes notre seul témoin, la division en quatre ou cinq poèmes dépend des éditeurs, selon qu’il voient dans notre carm. 10 une épitaphe unique (ainsi Burmann, Prato et Canali & Galasso) ou deux pièces distinctes (ainsi par exemple Riese et Shackleton Bailey)

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Carmen 11

Pour le commentaire général, cf. ce que nous avons dit ci-dessus à propos du carm. 10.

Au vers 2, uictus est une correction de Heinsius généralement acceptée par les éditeurs (ainsi Baehrens, Riese, Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso) pour la leçon uictus du Vossianus, retenue par Burmann. La correction nous paraît préférable, bien que uictus ne soit pas dépourvu de sens : « mais le vainqueur [c’est-à-dire le vainqueur d’autrefois] gît à son tour sur toute la terre ». On notera du reste que, littéralement, c’est Pompée qui repose sur toute la terre, mais le sens impose de comprendre ici « la maison de Pompée », comme nous l’avons vu précédemment[26].

L’expression male tecta sepulcro (une expression que l’on trouve telle quelle chez Ovide, Her., 3, 103) vaut substantiellement uix adopertus humo au vers suivant. Le thème de la petitesse du tombeau de Pompée est également un thème récurrent dans nos épigrammes, cf. carm. 13, 22, 23 (que nous aurons à discuter) et 46. Dans son Bellum ciuile (X, 380-381), Lucain exprime très exactement la même idée lorsqu’il écrit : tumulumque e puluere paruo / aspice Pompei non omnia membra tegentem, « regarde le tombeau de Pompée, il n’est formé que d’une fine poussière et ne recouvre pas son corps tout entier ! ».

À propos de l’expression Asiam sortite[27] au vers 3, il faut comprendre non pas qu’il a tiré au sort l’Asie (comme on tirait au sort le lieu où l’on allait entrer en charge, ainsi par exemple chez Suétone, Vespasien, 3 : quaestor Cretam et Cyrenas prouinciam sorte cepit) mais qu’il « tient », c’est-à-dire ici repose, en Asie par un coup du sort. Nous avons dit en effet que Sextus Pompée avait mené une guerre contre les triumvirs depuis la Sicile mais avait été contraint de prendre la fuite vers l’Asie après sa défaite dans un engagement contre Agrippa. C’est là que le sort a voulu qu’il fût capturé et exécuté par ses adversaires.

Pour l’ensemble de ce carm. 11, nous renvoyons à l’épigramme V 74 de Martial citée dans le commentaire au carm. 10 : la proximité entre l’une et l’autre composition est telle qu’il est permis de penser que, si notre carm. 11 est de Sénèque ou d’un de ses contemporains, Martial l’a copiée et légèrement adaptée pour l’intégrer à son propre recueil.

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Carmina 12-13

Pour le commentaire général et les détails relatifs à ces deux pièces, cf. ce que nous avons dit dans notre commentaire des deux épigrammes précédentes sur l’extension de la ruine des Pompée à toute la terre (carm. 12) et la petitesse du tombeau de Magnus (carm. 13).

Dans le carm. 12, 2, ruit est la leçon du Vossianus, défendue par Timpanaro (cité par Prato [1964], p. 132) : « Tra ruit e iacet c’è relazione di causa ad effetto », et acceptée par Prato, Shackleton Bailey et Canali & Galasso. Baehrens et Riese proposent, mais cette correction n’est pas nécessaire, de lire plutôt fuit, « quelle grande maison ce fut, celle qui gît à présent sur toute la terre ! ».

Dans le carm. 13, 1, sub ipso est est la leçon du Vossianus, que plusieurs éditeurs se sont efforcés de corriger. Mais Prato (1964, p. 132) estime avec Ziehen que le texte n’a pas besoin d’être amendé, si l’on entend par ipso la pierre tombale sur laquelle peut venir s’inscrire ce distique. Shackleton Bailey propose une lecture différente au prix d’une légère correction de ipso en isto, et invite à voir dans la forme du Vossianus un es et non un est : maxima ciuilis belle iactura sub isto es / (quantus quam paruo uix tegeris !) tumulo, c’est-à-dire : « Toi, la plus grande perte de la guerre civile, tu gis sous ce tertre (si grand et pourtant un si petit [tombeau] te recouvre !) ».

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Notes

[1] Sénèque, Cons. Marc. 26, 6 : « (…) nihil quo stat loco stabit, omnia sternet abducetque secum uetustas. Nec hominibus solum (quota enim ista fortuitae potentiae portio est ?), sed locis, sed regionibus, sed mundi partibus ludet. Totos supprimet montes et alibi rupes in altum nouas exprimet; maria sorbebit, flumina auertet et commercio gentium rupto societatem generis humani coetumque dissoluet ; alibi hiatibus uastis subducet urbes, tremoribus quatiet, et ex infimo pestilentiae halitus mittet, et inundationibus quicquid habitatur obducet necabitque omne animal orbe submerso, et ignibus uastis torrebit incendetque mortalia. Et cum, tempus aduenerit quo se mundus renouaturus extinguat, uiribus ista se suis caedent, et sidera sideribus incurrent, et, omni flagrante materia, uno igni quicquid nunc ex disposito lucet ardebit » (trad. R. Waltz). Ailleurs Sénèque évoque plus brièvement la conflagration du monde dans le traité sur Les bienfaits (VI 22, 1), les Lettres à Lucilius (VIII 71, 12) et les Questions naturelles (III 13, 2).

[2] Pierre Grimal, Sénèque ou la conscience de l’Empire, Paris, Fayard, 1991 (1ère édition : Les Belles Lettres, 1978), p. 84. Sur les circonstances de l’exil de Sénèque, cf. pp. 83-84 et 94-96. On consultera également Miriam Griffin, Seneca. A Philosopher in Politics, Clarendon, 1992 (1ère édition : Clarendon, 1976), pp. 59-61.

[3] Sénèque, Cons. Pol., 18, 9 : « (…) non facile Latina ei homini uerba succurrant, quem barbarorum inconditus et barbaris quoque humanioribus grauis fremitus circumsonat » (trad. R. Waltz).

[4] Sénèque, Cons. Helu., 6, 5 : « Quid tam nudum inueniri potest, quid tam abruptum undique quam hoc saxum ? Quid ad copias respicienti ieiunius ? Quid ad homines inmansuetius ? Quid ad ipsum loci situm horridius ? Quid ad caeli naturam intemperantius ? » (trad. R. Waltz légèrement modifiée).

[5] Diodore de Sicile, à propos de la Corse, note lui aussi que onomazetai hupo tôn Hellênôn Kurnos, hupo de tôn Romaiôn kai tôn enchôriôn Korsika (V 13, 3).

[6] Toutefois, la leçon Graio nomine, retenue par Riese, Prato et Canali & Galasso, est contestée par les autres éditeurs. Les deux manuscrits qui nous proposent cette pièce, le Salmasianus et le Thuaneus, portent pario (corrigé en patrio sur le Salmasianus) ; Burmann et Shackleton Bailey adoptent la correction patrio.

[7] Pline l’Ancien écrit dans son Histoire naturelle (II, 123) que « ardentissimo autem aestatis tempore exoritur Caniculae sidus, sole primam partem Leonis ingrediente : qui dies xv ante Augusti calendas est » ; les calendes étant le premier jour du mois, les quinze jours dont parle ici Pline sont les deux dernières semaines du mois de juillet.

[8] Lucrèce, De rerum natura, I, 257-261 : « Hinc fessae pecudes pingui per pabula laeta / corpora deponunt, et candens lacteus umor / uberibus manat distentis ; hinc noua proles / artubus infirmis teneras lasciua per herbas / ludit, lacte mero mentes perculsa nouellas » (nous traduisons – de même que tous les passages que nous ne faisons pas suivre du nom d’un traducteur). C’est d’ailleurs le rapprochement avec ce texte de Lucrèce, qui, chez Prato (1964, p. 43), explique la traduction de tremulis conatibus par « tremule gambe », alors que cette expression signifie « avec des mouvements (littéralement des efforts) vacillants ».

[9] Pour ce qui est de l’étonnante similitude entre le carm. 5 et le carm. 50, nous renvoyons à notre commentaire sur cette dernière pièce où nous discutons ce point de même que celui de la transmission manuscrite de l’une et l’autre compositions.

[10] Le début du vers est également discuté, mais la chose est moins importante : le manuscrit porte occisum, accepté par Prato et à sa suite par Canali & Galasso ; les éditeurs en général (notamment Riese et Shackleton Bailey) préfèrent adopter la correction occisi, mais celle-ci n’est pas nécessaire et c’est pourquoi nous suivons la leçon du Vossianus.

[11] Dans le même sens, on lit chez Shackleton Bailey scrutaris unus amici, avec des obèles encadrant les deux derniers termes.

[12] Macrobe (Saturnales, II 4, 18) en effet nous rapporte une anecdote fort intéressante : à Seius Strabon qui voulait flatter Auguste en lui parlant avec dédain de la peruiuacia (c’est-à-dire l’entêtement ou l’obstination) de Caton dont il visitait la demeure, Auguste répondit en faisait valoir que « quiconque ne veut pas modifier le présent état de la Cité est tout ensemble un homme de bien et un bon citoyen » (quisquis praesentem statum ciuitatis commutari non uolet et ciuis et uir bonus est). Bien qu’il soit permis de penser qu’Auguste était sincère, ce jugement favorable à l’égard du héros de la République était aussi un acte politique : en ne désapprouvant pas Caton, Auguste prétendait que le principat n’était pas la tyrannie contre laquelle a lutté Caton mais s’inscrivait dans la continuité des valeurs républicaines.

[13] Ainsi, en langue anglaise, le petit livre de Robert J. Goar, The Legend of Cato Uticensis from the First Century B.C. to the Fifth Century A.D. With an Appendix on Dante and Cato, Bruxelles, coll. « Latomus », n° 197, 1987.

[14] Nous espérons pouvoir proposer sous peu une étude sur la figure de Caton d’Utique chez Sénèque dans les Folia Electronica Classica.

[15] Curieusement, comme nous allons le voir, malgré le fait que ces trois pièces soient parmi les seules à être proposées par plus d’un manuscrit, leur texte présente un nombre particulièrement élevé de difficultés au niveau des corrections et conjectures qu’il suggère.

[16] Au même vers 2, Shackleton Bailey a cru bon de corriger le manus final en acies, contre la leçon des manuscrits et l’accord de tous les autres éditeurs (et que renforce encore, si besoin était, un texte similaire chez Ovide, Met., VIII, 492 : deficiunt ad coepta manus), mais nous ne voyons absolument pas le motif qui peut expliquer cette correction que rien n’exige. (Dans son apparat critique, Shackleton Bailey renvoie, semble-t-il, à plusieurs autres pièces du recueil et de l’Anthologie, mais nous ne voyons malheureusement pas où il veut en venir.)

[17] Un cas similaire se représentera dans le carm. 24, 2 où nous corrigeons de même qua en quo (à la suite non seulement de Heinsius, mais également de Riese) ; Prato (1964, p. 157) observera alors que « [n]el nostro caso qua = quo », et donne l’exemple d’un cas similaire chez Ovide, Met., I, 510 : aspera, qua properas etc. Lorsque nous disons qu’une correction en quo nous paraît « plus naturelle », nous voulons dire que l’emploi de la forme figée qua au sens de « par où » n’est selon nous préférable au pronom qu’en l’absence d’antécédent, comme par exemple lorsque Sénèque écrit (De prou., 2, 10), à propos justement de la mort de Caton : Cato qua exeat habet.

[18] L’emploi de l’infinif parfait iugulasse au vers 5 est tout à fait comparable ; toutefois, à côté de la leçon uiolasse du Vossianus, le Reginensis porte iugul suivi de l’élément asse raturé et en-dessous duquel le copiste a écrit iugulare : sans doute cette liberté poétique lui était-elle mal connue ou lui a-t-elle semblé inutile et non avenue.

[19] En lien avec le verbe dubitas qui est un praesens pro futuro, qui insiste sur la réalité du fait en le présentant comme déjà réalisé. Nous rencontrerons un autre cas de ce type dans le carm. 18, 16.

[20] Dans un sens très proche, nous avons chez Riese : Fas non est uiuum cuiquam seruire Catonem rectius et uiuit nunc Cato si moritur.

[21] Sous Gaius en effet, la situation devait évoluer dans la mesure où Pompée tendait à camper le modèle de la liberté du sénat face au pouvoir tyrannique de l’Empereur.

[22] Comme on le voit, Sénèque ne fait pas ici exclusivement allusion à la maison de Pompée mais aux défaites du parti républicain : l’Égypte vaut pour la mort de Pompée après la bataille de Pharsale (qui avait eu lieu en Grèce), l’Afrique renvoie à la bataille de Thapsus, et l’Espagne à celle de Munda.

[23] Martial, V, 74 : « Pompeios iuuenes Asia atque Europa, sed ipsum / terra tegit Libyes, si tamen ulla tegit. / Quid mirum toto si spargitur orbe ? Iacere / uno non poterat tanta ruina loco ».

[24] En effet, nous lisons dans l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (III 1, 3) que terrarum orbis uniuersus in tres diuiditur partes, Europam, Asiam, Africam.

[25] On notera au passage le très bel hypallage : horrendum late nomen : c’est le « nom », c’est-à-dire la puissance de Rome qui effraye par son étendue ; horrenda late nomen vaut donc pour horrendum late nomen.

[26] De façon intéressante, Prato (1964, p. 49) et Canali & Galasso (1994, p. 25) traduisent bien Pompeius au vers 1 par Pompée mais paraissent embarrassés par le fait que le même personnage soit dit gésir par toute la terre ; ils traduisent dès lors « giace… nel mondo » en omettant de rendre le toto, qui, nous l’avons dit, s’explique simplement si l’on considère que Pompée est nommé au vers 1 pour l’ensemble de sa maison.

[27] Curieusement , nous lisons sortitus habes (sens identique) dans l’édition de Shackleton Bailey, alors que celle de Prato présente sortite tenes ; rien dans l’apparat de l’un ou de l’autre ne signale une variante, et il faut donc conclure que l’un des deux s’autorise une correction qu’il ne signale pas.

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Praefatio Introduction
Carmina
1-13, 14-23, 24, 25-34, 35-47, 48-60, 61-72
Annexe

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FEC - Folia Electronica Classica  (Louvain-la-Neuve) - Numéro 12 - juillet-décembre 2006

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