Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 479b-489a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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 événements divers sous Vespasien, titus et Domitien [Myreur, p. 479b-489a]

ans 74-93

Ce fichier contient trois parties :

Myreur, p. 479b-483a (A.  Sous Vespasien - Ans 74-81 )  [sommaire] [texte]

Myreur, p. 483b-485a (B.  Sous Titus - Ans 81-84) [sommaire] [texte]

Myreur, p. 485b-489b (C. Sous Domitien - Ans 84-93) [sommaire] [texte]

 

Note préliminaire : Cette longue introduction présente les trois parties du présent fichier mais propose aussi des observations générales sur l'histoire de l'Église primitive, une période dont il sera de plus en plus question dans les fichiers suivants.


 

Introduction générale à l'ensemble du fichier

[sommaire] [texte]

La présente section couvre les événements censés s'être déroulés sous les trois empereurs romains de la dynastie flavienne, qui succède à celle des Julio-Claudiens. Les règnes de Vespasien et de son fils Titus (69 à 81 de notre ère) sont souvent présentés ensemble parce que Titus gouverna en réalité avec son père jusqu'à la mort de ce dernier (en 79 de notre ère). Il en était en quelque sorte le co-régent, un titre inexistant comme tel dans les institutions romaines, et il ne fut seul au pouvoir que de 79 au 13 septembre 81, date à laquelle il mourut prématurément. Domitien, son frère, lui succéda de 81 à 96.

Vespasien mourut en 79, de « la courante », comme l'écrit Jean d'Outremeuse (p. 483). C'est assez proche de ce que décrit Suétone (Vespasien, XXIV), qui ne précise cependant pas, comme notre chroniqueur, qu'il en avait souffert « pendant près de neuf mois ». Le même Suétone rapporte que, frappé par la maladie, il avait dit, se moquant de la divinisation dont faisaient l'objet les empereurs après leur mort : « Malheur ! Je crois que je deviens dieu » (Vae, puto deus fio). La date de sa mort donnée par le chroniqueur (16 novembre) ne correspond pas exactement aux données antiques (23 juin).

SI Titus est un personnage exécré par l'historiographie juive surtout à cause de la destruction de Jérusalem et de son Temple, son image dans l'historiographie romaine est très positive. On lui attribue notamment la formule (diem perdidi) qu'il aurait prononcée un soir à table, « se rappelant que, pendant toute la journée, il n'avait accordé de bienfait à personne » (Suétone, Titus, VIII, 2). Cette expression est restée célèbre et Jean d'Outremeuse l'a reprise (p. 483). Ly Myreur (p. 484-485) attribue à Titus la construction d'un amphithéâtre, faisant manifestement allusion à l'édifice qui était pour les Romains l'amphitheatrum Flavium, appelé Colisée depuis le Moyen Âge. En fait cette construction monumentale fut commencée par Vespasien, achevée et inaugurée par Titus.

Sous le règne de Titus (le 24 août 79 de notre ère ; en juillet 81 dans le comput de Jean) se produisit l'éruption du Vésuve qui détruisit plusieurs villes des environs (Herculanum, Stabies, Pompéi). Jean (p. 482) n'a conservé qu'un souvenir très vague de cette éruption, car il ne donne ni le nom du Vésuve ni celui des villes détruites. ‒ Nous n'avons pas retrouvé l'origine de la notice, toujours sous Titus, d'un important tremblement de terre en Égypte. ‒ Signalons un dernier point : l'absence de toute mention des amours de l'empereur avec Bérénice, bien connues pourtant des sources antiques.

À la différence de celle de Titus, l'image de Domitien, dans l'historiographie romaine, est négative. Pour Tacite et Pline le Jeune par exemple, c'est un tyran. On lui reproche son autocratie, sa tendance à l'auto-déification, sa cruauté à l'égard des sénateurs et de ses proches, en un mot la terreur générale qu'il inspira. Rien d'étonnant dès lors à ce qu'il soit mort suite à un complot, poignardé en septembre 96 (de notre ère) et à ce que son nom ait été frappé de damnatio memoriae. Mais il faut être prudent. Pour lui, comme pour Caligula, Claude et Néron, les historiens actuels sont amenés à corriger la vision tendancieuse et partiale de l'historiographie romaine (p. ex. B.W. Jones, The Emperor Domitian, Londres, 1993, 304 p. ; cfr Wikipédia pour une synthèse rapide, informée et équilibrée).

Les tentatives d'empoisonnement de Titus et de sa famille attribuées par Jean à Domitien ne doivent pas être considérées comme des réalités historiques. Seul Philostrate (Vie d'Apollonius de Tyane, VI, 32) accuse, sans autre précision, Domitien d'avoir tué Titus, mais cette oeuvre grecque, écrite par un sophiste du début du IIIe siècle, tient plus du roman que d'un ouvrage d'histoire. Pour en revenir aux historiens romains plus anciens, même la méchante langue de Suétone n'en souffle mot, quand il évoque les rapports tendus entre Titus et Domitien (Titus, IX, 5 et Domitien, II, 6). Ces récits présents chez Jean doivent être les échos de constructions médiévales discréditant davantage encore un empereur censé, sans réelles preuves historiques, avoir « persécuté » les Chrétiens (P. Mattei, Christianisme antique, Paris, 2008, p. 121 et p. 134, n. 7). Ce sont en effet des historiens chrétiens des IIIe et IVe siècles, comme Eusèbe de Césarée (265-339), qui ont rangé Domitien parmi les premiers grands persécuteurs des Chrétiens. Le chroniqueur liégeois s'inscrit dans cette ligne. « Domitien fut alors pour la Sainte-Église un second Néron » (p. 485). Néron aussi, autre empereur maudit, autre « persécuteur » de Chrétiens, avait été accusé par l'historiographie antique tardive et surtout médiévale de crimes qu'il n'avait pas commis. En tout cas, A. Graf (Roma nella memoria e nelle immaginazioni del Medio Evo, 2 vol.,Turin, 1923) ne discute pas de la figure médiévale de Domitien, qu'il ne cite d'ailleurs qu'une seule fois dans son ouvrage, pour un détail sans rapport avec les actes de cet empereur.

En ce qui concerne la politique intérieure de Domitien, Jean signale qu'il a banni les philosophes et tué des sénateurs importants, ce qui est historique. Il est exact aussi qu'il a construit des bâtiments et des temples : Domitien avait de grands projets urbanistiques. L'historien anglais B.W. Jones (Domitian, p. 79) lui attribue près de cinquante nouveaux édifices monumentaux, construits, restaurés ou complétés. Mais le texte de notre chroniqueur, avec les exemples fournis, doit être nuancé. Ainsi il est inexact de dire que Domitien commença la construction du Panthéon et du Capitole. Dans l'Histoire, Domitien fit restaurer le Panthéon qui datait des années 25 de notre ère et qui avait été incendié en 80. La formule « commencer à construire le Capitole », n'a guère de sens. Peut-être le chroniqueur (ou sa source) rend-il mal un texte signalant que l'empereur avait fait restaurer à grands frais le temple dédié à Jupiter sur le Capitole. Signaler que ses propres statues trônaient dans les temples et qu'il les faisait adorer est une formulation fort discutable. Domitien a relancé le culte impérial et déifié des membres de sa famille après leur mort, ce qui ne n'était pas contraire aux usages romains de l'époque. Suétone (Domitien, XIII, 6) a écrit que Domitien « ne laissa ériger en son honneur au Capitole que des statues d'or ou d'argent et d'un poids déterminé », mais il ne dit pas qu'elles étaient érigées dans un temple et que l'empereur imposait de les adorer. Quant à la formule Dominus et deus noster, utilisée indiscutablement à l'époque des Flaviens pour caractériser cet empereur, elle n'a pas le même sens que dans le christianisme. Elle n'apparaît dans aucun texte officiel. « Il est davantage probable que ce titre ait été [...] utilisé [...] en guise de flatteries dans l'espoir de gagner la faveur impériale » (B.W. Jones, Domitian, p. 109). Aucune source antique ne signale que Domitien se soit fait adorer comme un dieu. Il faut se défier des sources ecclésiastiques chrétiennes, comme Eusèbe de Césarée aux IIIe et IVe siècles. Elles déforment les faits. En ce qui concerne les persécutions aussi, elles « assurent que les Juifs et les Chrétiens ont subi de sévères persécutions vers la fin du règne de Domitien [...], mais même si les Juifs ont été lourdement taxés sous Domitien, aucune source contemporaine ne mentionne des procès ou des exécutions pour un motif religieux, excepté pour des offenses à la religion romaine » (B.W. Jones, Domitian, p. 119).

La notice sur l'interdiction de planter des vignes (p. 489) est un bel exemple de la transformation que peut subir un texte antique chez les chroniqueurs médiévaux. Voici exactement ce qu'écrivait Suétone à ce propos (Domitien, VII, 2) : « Une année où le vin était en abondance, alors que le blé manquait, estimant que la culture exagérée de la vigne faisait négliger les terres, il interdit d'en planter davantage en Italie, et donna l'ordre de couper des ceps, dans les provinces, en n'en laissant que la moitié, au maximum ; mais il ne fit pas exécuter cet édit ».

Quelles furent les opérations militaires des Flaviens ? La section précédente (p. 475-479) a traité de l'implication de Vespasien et de Titus dans la guerre des Juifs. Il a été dit que la révolte juive avait été écrasée, Jérusalem détruite, ainsi que le Temple. Le fait que Titus et Vespasien aient ramené de Jérusalem une série d'objets précieux du Temple a déjà été signalé par Jean dans sa traduction des Indulgentiae (p. 75-76). C'est une réalité historique, attestée notamment par l'archéologie. L’intérieur de l'Arc de Titus, construit sur le Forum romain pour commémorer la prise de Jérusalem, montre deux panneaux ornés de bas-reliefs. L’un représente la procession triomphale avec du butin pris dans le Temple, en l'espèce le chandelier à sept branches ou Menorah, les trompettes d'argent et le Tabernacle ; l'autre montre Titus sur un char accompagné des déesses Victoria et Roma.

Les autres informations livrées par notre chroniqueur sont sujettes à caution. Peut-être y eut-il sous Vespasien quelque sédition en Sicile, car on sait que cet empereur distribua une partie du territoire de Palerme à des vétérans (Libri coloniarum, I, 5, 1, éd. Cl. Brunet, 2008), ce qui était une manière pour les Romains de punir des villes « désobéissantes », mais le détail des événements ne nous est pas connu. On ne peut en tout cas pas écrire, comme le fait Jean (p. 481), que Vespasien aurait « remis sous la sujétion des Romains les Siciliens qui s'étaient rebellés ». Mais peut-être cette prétendue reconquête de la Sicile devrait-elle être mise au compte de la vaste « geste gauloise » dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises. ‒ Toutes les opérations militaires entre Vespasien, puis son fils Titus d'une part, et les Gaulois de Clobérius, puis de son fils Hector de l'autre, relèvent de la légende épique. Il en est de même, cette fois à propos de Domitien, de tous les développements du chroniqueur sur les rapports matrimoniaux d'abord, guerriers ensuite, entre l'empereur de Rome et Abron, le duc d'Aquitaine, et ses éventuels alliés. ‒ La seule épouse de Domitien mentionnée dans les sources antiques est Domitia Longina, qui lui donna un fils, dont le nom ne nous est pas connu et qui mourut à l'âge de trois ans. Elle n'était ni la fille d'un duc d'Aquitaine ni une princesse grecque, mais appartenait à l'aristocratie romaine. Le rôle de cette impératrice semble d'ailleurs avoir été très limité. ‒ Quant à Nerva, le successeur de Domitien, les sources antiques nous livrent le nom de ses parents : Marcus Cocceius Nerva et Sergia Plautilla, qui n'a absolument rien d'une princesse grecque.

En ce qui concerne nos régions, Jean continue l'histoire d'Euchaire, de Valère et de Materne à Trèves, qui a commencé à la p. 452 et sur laquelle on verra les chapitres 4 et 5 de l'étude détaillée que nous avons publiée dans le fascicule 37 (janvier-juin 2019) des Folia Electronica Classica (FEC).  ‒ À Tongres, Cornulo meurt, remplacé par son fils Tongris, qui devient le douzième roi de Tongres. ‒ Louvain et Anvers sont cités. Jonab, prince d'Anvers (p. 479), fait de Louvain la capitale de son pays. Il avait déjà été question du « prince de Louvain » à la p. 468. Sur cette période, on pourra se reporter au récit très détaillé de la Geste de Liege, vers 2892 à 3599.

 

Quelques remarques générales concernant l'histoire de l'Église primitive

Il existe quelques ouvrages généraux récents, en français et d'accès facile, qui fournissent, outre une très imposante bibliographie, une présentation sérieuse, historiquement parlant, du christianisme des origines. C'est le cas de S.C. Mimouni et P. Maraval, Le christianisme, des origines à Constantin, Paris, 2006, 528 p. (Nouvelle Clio), ou encore de P. Mattei, Le christianisme antique de Jésus à Constantin, Paris, 2008, 318 p. (Collection U. Histoire), ou encore, en particulier sur l'histoire de la Papauté, du Dictionnaire historique de la Papauté, dirigé par Ph. Levillain, Paris, 1994, 1759 p. ‒ Pour les premiers témoignages extérieurs sur les chrétiens et les premiers textes écrits par eux (Ier et IIe siècles), on verra le tout récent volume Premiers écrits chrétiens, publié sous la direction de B. Pouderon, J.-M. Salamito et V. Zarini, dans la Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 2016, 1579 p. [abrégé en PEC, 2016]. ‒ Ne manquent pas non plus d'intérêt certains articles de Wikipédia sur les « papes » et les événements qui interviennent dans les notices de Jean.

Le titre de pape, régulièrement utilisé par le chroniqueur liégeois, apparaît seulement au cours du IIIe siècle et n'est pas utilisé pour l'évêque de Rome avant le début du IVe (P. Levillain, Dictionnaire historique de la papauté, Fayard, 2003, s. v. « Pape »). Néanmoins, pour rester fidèles, au moins sur ce point au texte de Jean, nos présentations continueront à parler anachroniquement de « papes », tout en sachant que le terme désigne simplement des « évêques » de Rome. De même, nous utiliserons le mot « saint » comme le chroniqueur le fait, sans trop nous poser de questions sur la signification exacte du mot.

Si l'on ne connaît pas grand chose d'historique sur l'Église du Ier siècle, qu'il s'agisse de ses « papes », de ses « saints » et aussi d'ailleurs de ses « martyrs », il est en tout cas certain que les types de rapports, mentionnés par notre chroniqueur, entre un « pape » et l'empereur romain de son époque sont totalement fantaisistes. Il ne faut pas avoir la moindre idée de la situation historique de l'Église au Ier siècle de notre ère à Rome et dans le monde romain pour croire un instant, comme le raconte Jean dans le fichier suivant, que l'empereur Domitien n'ait pas osé mettre à mort le pape Clet (p. 489) ou que Jean l'évangéliste ait pu reprocher à l'empereur Domitien de ne pas croire en Dieu et de ne pas se faire baptiser (p. 490).

Qu'en est-il des informations disponibles sur les premiers évêques de Rome ? Ces informations remontent en dernière analyse à des catalogues fort anciens. On citera en tout premier lieu une liste de papes qui figure dans un manuscrit enluminé connu sous le nom de Chronographe de 354, du IVe siècle et appelé Catalogue Libérien parce que le dernier nom cité est celui du pape Libérius, mort en 366. Cette liste fournit sans plus le nom de chaque personnalité retenue et la durée de son épiscopat, définie en utilisant les noms des empereurs et le système des consulats. C'est maigre comme information.

Heureusement il y a le Liber Pontificalis. C'est le titre donné à une suite de notices biographiques des différents papes, présentés dans l’ordre chronologique depuis les origines jusqu’à la fin du IXe siècle (891). Ce catalogue fut compilé à Rome à partir de la fin du Ve siècle dans des milieux proches de la curie. Le (ou les) rédacteur(s) de ce Liber a (ou ont) travaillé sur les listes antérieures, comme le Catalogue Libérien, en les étoffant, probablement grâce à des récits hagiographiques (Vies de saints, Passions de martyrs) ou grâce à des traditions orales. Faut-il préciser que les données qu'il contient « doivent être reçues avec prudence, surtout pour la période antérieure à sa première rédaction qui reflète surtout l'état des connaissances de ceux qui l'ont écrit » ?

Quoi qu'il en soit, dans ce Liber Pontificalis, la notice consacrée à chaque pape comporte en principe non seulement la durée de son épiscopat et l'indication des empereurs de son époque, mais aussi son origine géographique, le nom de son père, les éventuelles constructions qu’il a ordonnées (surtout les églises de Rome), les ordinations auxquelles il a procédé, ses décisions majeures, les circonstances de sa mort, le lieu de sa sépulture, la durée de la vacance du siège apostolique jusqu’à l’ordination du pape suivant (cfr Wikipédia, avec une bonne synthèse sur la question). Mais toutes les données citées ne sont pas nécessairement présentes pour chaque pape nommé. Quoi qu'il en soit, le Liber Pontificalis est un ouvrage extrêmement important.

 Il en existe deux éditions savantes. Celle de L. Duchesne, dont la publication en deux volumes (Paris, 1886-1892) a fait date et qui est intitulée Le « Liber Pontificalis ». Texte, introduction et commentaire, est accessible sur la Toile. L'ouvrage a été réédité à Paris, en 1955, enrichi d'un troisième volume de compléments divers, qui n'est pas, lui, accessible sur la Toile. L'autre édition est celle de Th. Mommsen, dans les Monumenta Germaniae Historica (Gestorum Pontificum Romanorum vol. I), Liber Pontificalis, Berlin, 1908. Elle est également accessible sur la Toile. Les différences entre les deux éditions sont très peu nombreuses, encore que leurs traditions textuelles respectives comportent parfois des variantes manuscrites assez importantes. Précisons encore que les deux éditions sont accompagnées d'un apparat critique et d'un commentaire plus ou moins fournis.

Les sources de Jean d'Outremeuse.

Dans les notices sur les premiers papes, Jean d'Outremeuse ne semble pas avoir eu directement recours au Liber Pontificalis, se contentant d'utiliser des intermédiaires. Sa source privilégiée, souvent d'ailleurs sa source unique, est la Chronique de Martin d'Opava, qu'il ne suit toutefois pas nécessairement à la lettre. Il modifie, supprime, ajoute, commet des erreurs de traduction. Tout cela rend parfois difficiles des analyses précises.

S'il est possible en effet que des intermédiaires se soient glissés entre Martin et Jean, il est probable, voire certain, que ce fut le cas entre le Liber Pontificalis et Martin. Mais, même s'il est raisonnable de supposer leur présence, il est difficile de les identifier. Il peut s'agir d'informations livresques, mais aussi d'informations orales. Quoi qu'il en soit, l'utilisation par notre chroniqueur de la Chronique de Martin est absolument certaine. Rappelons que l'édition de cette chronique par L. Weiland (1872), dans les Monumenta Germaniae Historica, est accessible sur la Toile. Ce travail est ancien, pas toujours très satisfaisant, et une édition nouvelle de la Chronique est en préparation depuis plusieurs dizaines d'années dans les MGH.

En voilà assez pour les remarques générales. D'autres remarques plus particulières seront faites au fil des notices.

Quelques observations plus particulières sur le présent fichier

En ce qui concerne le présent fichier, on passera rapidement sur le fait que le chroniqueur liégeois revient (p. 482) sur Clément, évêque de Metz dont il avait déjà été question à deux reprises (p. 452 et p. 458) et sur le fait qu'à Trèves, Valère est devenu évêque de Trèves, après la mort d'Euchaire.

La mort en martyr du successeur de Pierre, Lin, s'accompagne d'une série de miracles (p. 483). Lin est remplacé par Clet, à propos duquel le chroniqueur fournit une série de précisions généalogiques et géographiques sur son origine (p. 483). Elles proviennent du Liber Pontificalis. ‒ La section suivante fournit d'autres détails encore sur ce Clet et aborde le cas du pape Clément (p. 489-503). ‒ Notons que, dans la suite du Myreur, le chroniqueur signale très régulièrement les successions et les réalisations pontificales, auxquelles il attache beaucoup d'importance.

 


 

 

A.  sous Vespasien [Myreur, p. 479b-483a]

 

Ans 74-81

Sommaire

* La Gaule et Rome : Clobérius, duc de Gaule, agrandit son territoire et affranchit les Gaulois du tribut aux Romains (74)

* Euchaire, Valère et Materne en Germanie : Valère, évêque de Trèves, après la mort d'Euchaire (74-75)

* Vespasien en Sicile et Clobérius en Gaule : Vespasien remet la Sicile sous domination romaine mais échoue à conquérir la Gaule - Clobérius, duc de Gaule, contre-attaque et soumet Bretagne, Normandie, Bourgogne, Auvergne, Limousin et Gascogne (75-76)

Divers : Tremblement de terre en Égypte - Tongris, douzième roi de Tongre, succède à Cornulo et achève le château de Cornillon - Clément évêque de Metz - Clobérius de Gaule renonce à attaquer Vespasien et meurt - Hector devient duc de Gaule - Le pape Lin est décapité et son successeur est Clet (77-81)

 

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La Gaule et Rome : Clobérius, duc de Gaule, agrandit son territoire et affranchit les Gaulois du tribut aux Romains (74)

 

[Coment les Gallyens orent à nom Franchois] En cel an, entrat li dus Cloberius en la terre de Gascongne à XXXm hommes ; mains ly [p. 480] dus de Gascongne, qui bien avoit LXm hommes, ne se pot onques defendre aux gens de Galle, que ons nom maintenant Franchois, tant astoient ilhs si gentis et durs aux armes. Ilh n'avoit gens en monde qui posist avoir poioir à eaux

[Les Gaulois reçurent le nom de Français] Cette année-là, le duc Clobérius entra en terre de Gascogne avec trente mille hommes ; mais le [p. 480] duc de Gascogne qui avait au moins soixante mille hommes ne put pas se défendre contre les gens de Gaule, qu'on nomme maintenant Français, tant ils étaient vaillants et endurants au métier des armes. Personne au monde ne pouvait les dominer.

[Cloberius, duc de Galle, conquestat grant terre] Item, l'an LXXIIII, conquist ly dus Cloberius toute Gascongne, et les mettit en sa subjection. Chis dus Cloberius fut mult bons batelhiers, et maintient mult bien son paiis en paix, et conquestat sour ses voisiens grant terre. Chis Cloberius fut chis qui afranquit son paiis de tregut que ilh rendoit aux Romans, por le servaige en queile Julius Cesar l'emperere les avoit mys enssi son temps, enssi com dit est par-desus.

[Clobérius, duc de Gaule, conquiert un vaste territoire] En l'an 74, le duc Clobérius conquit toute la Gascogne qu'il mit sous sa sujétion. Ce duc fut un très bon guerrier, il maintint son pays en paix et conquit de nombreuses terres sur ses voisins. Il affranchit son pays du tribut qu'il payait aux Romains, suite à l'asservissement où l'avait placé l'empereur Jules César en son temps, comme cela a été dit ci-dessus (p. 221).

 

Euchaire, Valère, Materne en Germanie : Valère, évêque de Trèves, après la mort d'Euchaire (74-75)

 

[p. 480] [Des sains Euchars, Valeir et Materne] En cel an meismes, convertissoient fortement les gens en Germayne à la foid Jhesu-Crist les trois sains proidhons : Euchars, Valeir et Materne ; et faisoit Dieu tant de myracles par eaux que ch'astoit grant mervelhe à tout gens.

[p. 480] [Saints Euchaire, Valère et Materne] En cette même année, en Germanie, trois saints, des hommes sages, convertirent beaucoup de monde à la foi en Jésus-Christ. C'étaient Euchaire, Valère et Materne. Par eux Dieu accomplissait de nombreux miracles qui faisaient l'admiration de tous.

[L’an LXXV - Sains Euchars morut] Or avient que, quant les trois sains deseurdis orent prechiet XXIII ans le peuple devers la citeit de Trieve, que Euchars, ly soverains paistre d'eaux, trespassat de chesti siecle, sour l'an LXXV.

[An 75 - Mort de saint Euchaire] Quand les trois saints nommés ci-dessus eurent prêché au peuple pendant vingt-trois ans du côté de la cité de Trèves, Euchaire, leur évêque, trépassa, en l'an 75.

[L’angle s’apparut à sains Euchars] Et deveis savoir que uns angle s'apparut à sains Euchars, une nuyt anchois que ilh trespassat, qui ly dest que Dieu ly mandoit que ilh devoit trespasseir ; et ly nomat le propre jour. Adont vint sains Euchars à ses dois compangnons et leurs dest que Dieu ly avoit mandeit que ilh trespasseroit, et les nomat le jour.

[L’ange apparaît à saint Euchaire] Il faut savoir qu'un ange était apparu à saint Euchaire, une nuit avant sa mort, lui disant que Dieu lui annonçait qu'il devait passer de vie à trépas. Il lui en précisa même le jour. Alors saint Euchaire vint trouver ses deux compagnons pour leur dire que Dieu l'avait averti qu'il allait mourir ; et lui aussi leur en précisa la date.

[Sains Valeir fut evesque apres Euchars] « Si vos prie, chiers freres et amys, dest-ilh, que vos ayés toudis ferme foid et vraie cariteit entre vos, por l'amour de Jhesu-Crist, et vos gardeis des erreurs des dyables, que vos ne soyés par luy dechus ; car mon corps est d'hour en avant recommendeit à la terre, et recommande mon esperit à Dieu et à vos saintes orisons et proiers. Et apres je recommande à Valeir le baston pastoraile, et ly prie que ilh garde sainte Engliese loialment et castement, si qu'ilh n'y ait à son temps nuls erreurs. Et faites tant que vos puissiés avoir à bon fien la gloire de paradis. »

[Saint Valère succède à Euchaire comme évêque] Il dit : « Chers frères et amis, je vous prie d'avoir toujours une foi solide et une vraie charité entre vous, pour l'amour de Jésus-Christ, de vous garder des erreurs du diable, afin qu'il ne vous trompe pas. Dorénavant mon corps est destiné à la terre ; je recommande mon esprit à Dieu et à vos saintes oraisons et prières. Je confie à Valère le bâton pastoral et le prie de veiller sur la Sainte-Église avec loyauté et chasteté, pour qu'il n'y ait de son vivant aucun trouble. Faites tout ce que vous pouvez pour atteindre finalement la gloire du paradis. »

[Grant myracle de sains Euchars] Enssi com sains Euchars disoit chu, si avient là et apparut subitement entre eaux une cleire lumire, enssi com alumire, qui durat par l'espause de une heure ; [p. 481] et awec chesti clarteit fut des sains angles enportée ly arme de luy, et en allant ilh dest : « Freres, soyés loials et proidhons, car je vos lay en chi triste siecle, et m'en vois awec Dieu en la gloire de paradis. » Atant s'en allat la clarteit, et demorat là ly corps tous vuys sens arme. Et chu fut sour l'an deseurdit, le Ve idus de decembre.

[Grand miracle de saint Euchaire] Pendant que saint Euchaire tenait ces propos, une lumière apparut soudain entre eux, aussi forte qu'un éclair, pendant une heure entière. [p. 481] L'âme de saint Euchaire fut emportée dans cette clarté par de saints anges et il s'en alla en disant : « Frères, soyez loyaux et sages. Je vous laisse dans ce triste siècle et je m'en vais avec Dieu dans la gloire du paradis ». Alors, la clarté disparut et le corps resta là, tout vide, sans âme. Cela se passa en l'an précité, le cinquième jour des ides de décembre.

Adont celebrarent ses disciples ses exeques devoltement, et ensevelirent son corps en l'egliese Sains-Johans ewangeliste, que ilh-meismes avoit fondeit devant et al defours de la citeit de Trieve devant le moiene porte ; et tout entour avoit benit la cymiteire et aournée. Et là furent dites maintes ymnes et orisons, et plorarent maintes larmes pour Euchars.

Ses disciples célébrèrent ses obsèques avec dévotion dans l'église Saint-Jean-l'Évangéliste, fondée précédemment par Euchaire, à l'extérieur de la ville de Trèves, devant la Porte du Milieu. Tout autour on avait béni le cimetière et on l'avait décoré. On prononça là nombre d'hymnes et d'oraisons, et on versa beaucoup de larmes pour Euchaire.

[Sains Valeir fut ly secon evesque de Trieve] Apres la mort sains Euchars, fut Valeir prestre et evesque de tout le paiis, et prechat le peuple devoltement, et mynat mult sainte vie par l'espause de XV ans ; et dedens chi temps ilh convertit mult grant peuple à la foid cristiene par Germaine et par Galle, por les signes et myracles que Dieu demonstroit par luy. Et si parloit tant douchement et saintement, que chascon soy convertoit à ly ; et queile part qu'ilh alloit le siwoient mult de gens.

[Saint Valère est le second évêque de Trèves] Après la mort de saint Euchaire, Valère fut prêtre et évêque de tout le pays. Il prêcha devant le peuple avec dévotion et mena une sainte vie durant quinze ans. Pendant cette période, il convertit une grande quantité de gens à la foi chrétienne en Germanie et en Gaule, grâce aux signes et aux miracles que Dieu manifestait par lui. Il parlait avec tant de douceur et de sainteté que chacun se convertissait à lui ; et partout où il allait, une foule le suivait.

[De sains Valeir] Chis sains hons fut de mult bonne vie et multipliat grandement la loy Jhesu-Crist, com proidhons et sains et de bonne memoire.

[Saint Valère] Ce saint homme mena une très bonne vie et fit se développer grandement la religion de Jésus-Christ, par sa sagesse, sa sainteté et le bon souvenir qu'il laissa.

 

Vespasien en Sicile et Clobérius en Gaule : Vespasien remet la Sicile sous domination romaine mais échoue à conquérir la Gaule - Clobérius, duc de Gaule, contrattaque et soumet Bretagne, Normandie, Bourgogne, Auvergne, Limousin et Gascogne (75-76)

 

[p. 481] [Wespasianus conquist grant terres] Item, en cel an, Wespasianus l'emperere entrat en la terre de Sezile à grant gens, et le conquestat par forche, et les mist en la subjection des Romans à cuy ilhs astoient rebelles.

[p. 481] [Vespasien conquiert de grandes terres] Cette année-là, l'empereur Vespasien entra en Sicile avec des troupes nombreuses. Il la conquit de force et mit sous la sujétion des Romains les Siciliens qui s'étaient rebellés.

[L’an LXXVI] Et, en marche apres, ilh entrat en la petit Bretangne, que ly dus de Galle Cloberius avoit mys en sa subjection ; et les reconquist l'an LXXVI, le promier jour de may. Puis ilh entrat en la terre des Normans, et les remist en sa subjection, l'an deseurdit, en mois de jule. Apres en Bourgongne, et remist en sa subjection Borgongne, Avergne, Lymosins, Gascongne et tous les paiis là atour. Et allat tant qu'ilh entrat en Galle.

[An 76] En mars de l'année suivante, Vespasien pénétra dans la petite Bretagne, que le duc de Gaule Clobérius avait soumise à son pouvoir ; il en fit la reconquête en l'an 76, le premier jour de mai. Puis il gagna la terre des Normands, qu'il soumit, la même année, en juillet. Ensuite, en Bourgogne, il remit sous son pouvoir la Bourgogne, l'Auvergne, le Limousin, la Gascogne et tous les pays alentour. Et finalement il pénétra en Gaule.

[Guerre des Galliiens contre les Romans] Mains ly dus Cloberius ly vient à l'encontre et le corut sus, et oit là grant batalhe ; et y furent mult de gens mors des dois parties. Mains les Galliiens astoient si poissans, que al derain les Romans ne parent endureir leur forche ; ains furent tous desconfis et s'en refuirent vers Romme. [p. 482] Adont en ralat Wespasianus à Romme mult corochiés de son maulaventure ; et ly dus Cloberius reconquist tout chu que les Romans avaient conquist, se les remist tous en sa subjection.

[Guerre des Gaulois contre les Romains] Mais le duc Clobérius marcha contre lui, l'attaqua, déclenchant une grande bataille ; il y eut beaucoup de morts dans les deux camps. Mais les Gaulois étaient si puissants qu'à la fin les Romains ne purent résister à leur force. Ils furent complètement défaits et s'enfuirent vers Rome. [p. 482] Vespasien retourna dans la ville, très irrité par sa mésaventure. Le duc Clobérius reprit tout ce que les Romains avaient conquis et remit le tout sous sa domination.

 

 Divers : Tremblement de terre en Égypte - Tongris, douzième roi de Tongres, succède à Cornulo et achève le château de Cornillon - Clément évêque de Metz - Clobérius de Gaule renonce à attaquer Vespasien et meurt - Hector devient duc de Gaule - Le pape Lin, exorciste (cas de la fille du consul Saturninus) est décapité et son successeur est Clet (77-81)

 

[p. 482] [Grant movement de terre] Item, l'an LXXVII, en mois de june, fut si grant movement de terre, que trois citeis chairent en la terre d'Egypte et pluseurs fors casteals.

[p. 482] [Grand tremblement de terre] En l'an 77, en juin, il y eut en Égypte un si violent tremblement de terre que trois cités et plusieurs châteaux-forts furent anéantis.

[Le casteal de Cornulhon fut fondeis où sont les Cartroux] En cesti an meismes, en mois d'awoust, morit Cornulo, ly XIe roy de Tongre, en temps que ilh faisait faire unc casteal beais et jolis asseis pres de Jupilhe, qui puis fut parfais par aultre, si fut appelleis Cornulo apres ledit roy, où les freres des Chartroux sont à present fundeis deleis le pont d'Amercourt et de la vilhe de Pevilhe.

[Fondation du château de Cornillon où sont les Chartreux] En cette même année, au mois d'août, mourut Cornulo, le onzième roi de Tongres, au moment où il faisait construire, très près de Jupille, un beau château, fort joli, appelé Cornulo d'après son nom, mais achevé par un autre (cfr II, p. 400). Actuellement, les Frères Chartreux y sont installés, près du pont d'Amercourt et de la ville de Péville.

[Tongris, li XIIme roy de Tongre] Apres Cornulo fut roy de Tongre son fis, qui oit nom Tongris et regnat XX ans. A cel temps astoit evesque de Mes Clemens, qui mult astoit sains hons et mult bien demonstroit sa creanche et la foid de Jhesu-Crist à toutes gens de bonne volenteit : si baptizoit mult de gens par sa predication.

[Tongris, douzième roi de Tongres] Après Cornulo, son fils Tongris devint roi de Tongres et régna vingt ans. À ce moment-là, Metz avait comme évêque Clément (p. 452 et p. 458), un très saint homme qui expliquait fort bien sa croyance et la foi en Jésus-Christ à tous les gens de bonne volonté. Sa prédication amenait au baptême beaucoup de monde.

[L’an LXXVIII] Item, l'an LXXVIII, fist ly dus de Galle une grant assemblée, et s'en allat vers Romme par prendre venganche de chu que ly emperere Wespasiain ly avoit fait ; mains quant ilh vient à Melan en Lombardie, ons ly dest que Wespasiain astoit mult bien ameis de ses gens, et que il venroit encontre luy à si grant forche des Romans que ses gens ne le poraient souffrir. Adont oit Cloberius teile conselhe, que ilh retournat et donnat congier toutes ses gens qui en raltont cascon en son paiis.

[An 78] En l'an 78, le duc de Gaule rassembla une grande foule d'hommes et se dirigea vers Rome pour se venger des maux que lui avait causés Vespasien. Mais une fois arrivé à Milan, en Lombardie, il apprit que Vespasien, qui était très aimé de son peuple, viendrait à sa rencontre avec des forces si importantes que ses gens ne pourraient résister. Clobérius prit alors la décision de se retirer et de donner congé à tous ses hommes qui retournèrent chacun dans leur pays.

[L'an LXXIX] Item, l'an LXXIX, recommenchat Tongris, ly roy de Tongre, à faire et parfaire le casteal de Cornulo, et le nommat enssi après son pere qui l'avait commenchiet.

[An 79] En l'an 79, Tongris, le roi de Tongres, se remit à la construction et à l'achèvement du château de Cornulo, qu'il nomma d'après le nom de son père, qui l'avait commencé.

[L’an IIIIxx] Item, l'an IIIIxx en mois de fevrier, morut Cloberius, ly dus de Galle, qui avoit regneit XLV ans ; si fut apres dus son fis Ector qui regnat XLVII ans.

[An 80] En l'an 80, au mois de février, mourut Clobérius, le duc de Gaule, après un règne de vingt-cinq ans ; son fils Hector lui succéda, qui régna quarante-sept ans.

[Mervelhe] Item, l'an LXXXI en mois de jule, issit feu et flemme si grant de une montangne qui seoit en Romenie, si que de gran feu la montangne rumpit et ferit fours et ardit pluseurs vilhes là entour, et pluseurs gens y furent mors et bruis.

[Merveille] En l'an 81, au mois de juillet, une montagne [le Vésuve] dans la région de Rome cracha tellement de feu et de flamme qu'elle s'ouvrit : du feu en sortit et anéantit de nombreuses villes environnantes. Beaucoup de gens moururent calcinés.

[De pape Lynus] En cel an meismes, le XXIII jour de mois de septembre, morut Linus ly thiers pape de Romme, comptant le promier Jhesu-Crist. Chis fist à commandement de sains Pire, son predicesseur, que les [p. 483] femmes velées entrassent en l'engliese.

[Le pape Lin] Le 28 septembre de cette même année mourut Lin, le troisième pape de Rome si on compte Jésus-Christ comme étant le premier. Il décida, sur l'ordre de saint Pierre, son prédécesseur, que [p. 483] les femmes devraient entrer voilées à l'église.

[Grans myracles] Dieu fist mult de myracles par chesti pape ; car ilh faisoit les dyables fuir des corps des gens, les mors resusciteir, et tant d'aultres myracles que sens nombre de gens soy baptisoient.

[Grands miracles] Dieu réalisa de nombreux miracles par l'intermédiaire de ce pape. Il chassait les diables du corps des possédés, ressuscitait les morts, et faisait tant d'autres miracles encore que beaucoup demandaient le baptême.

[Lynus li pape fut decolleis] Et par especial uns des consules de Romme, qui avoit nom Saturne, avoit une filhe qui avoit le dyable en corps ; ilh l'en delivrat, mains Saturne dest que ch'astoit enchantement, se le prist et l'enprisonat, et en la fin ilh le decolat. Enssi fut martyrisyés Lynos, et son corps fut promirs mis en Vaticane par-deleis la sepulture sains Pire ; mains apres chu le fist Gregoire, ly cardynal de Hostie, à mult grant sollempniteit des clers esleveir ; et fut porteis en Hostie, en l'englise Sains-Lorent.

[Le pape Lin est décapité] Un cas spécial fut celui d'un des consuls de Rome, nommé Saturninus. Il avait une fille, possédée par le diable. Lin l'en délivra mais Saturninus affirma que c'était le résultat d'un enchantement. Il arrêta le pape, l'emprisonna et finalement lui coupa la tête. Tel fut le martyre de Lin. Son corps fut d'abord enseveli au Vatican, près de la sépulture de saint Pierre ; mais par la suite, Grégoire, le cardinal d'Ostie, le fit enlever très solennellement par des clercs ; il fut transporté à Ostie, en l'église Saint-Laurent.

[Cletus fut fais pape] Apres, quant Lynus fut ensevelis, si fut eslus et fais pape Cletus, qui astoit de la nation de Romme del rue Patriciain, et fut son peire nomeis Emilianos, qui fut pape XII ans I mois et XI jours ; et les altres dient XVII ans trois mois et VIII jours, et les aultres XI ans. Chi pape, par le commandement sains Pire, ordinat XXI preistre à Romme en mois de decembre.

[Clet est fait pape] Quand Lin fut enseveli, Clet fut élu et nommé pape. C'était un Romain de la rue Patricius et son père s'appelait Émilien. Il occupa le pontificat douze ans, un mois et onze jours ; d'autres disent dix-sept ans trois mois et huit jours, et d'autres encore onze ans. Ce pape, selon les commandements de saint Pierre, ordonna vingt et un prêtres à Rome durant le mois de décembre.

 


 

B.  sous Titus [Myreur, p. 483b-p. 485]

 

Ans 81-84

 

Sommaire

* Mort de Vespasien - Titus, son fils aîné, lui succède et est défait par Hector de Gaule - Jonab, prince d'Anvers, choisit Louvain comme capitale (81-82)

Domitien, jaloux de son frère Titus, tente de l'empoisonner, lui, sa femme et ses fils - Seul Titus échappe à la mort (82) - Titus ramène à Rome des objets précieux de Jérusalem et construit un amphithéâtre - Le fourbe Domitien réussit à empoisonner Titus sans se trahir (83- 84)

 

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Mort de Vespasien - Titus, son fils aîné, lui succède et est défait par Hector de Gaule - Jonab, prince d'Anvers, choisit Louvain comme capitale (81-82)

 

[p. 483] [Wespasian mourut] En cel an prist à l'emperere Wespasianus une maladie de flu de ventre que ons appelle la corenche, de laqueile ilh languist pres de IX mois ; et pois se morit le XVIe jour de mois de novembre, qui fait ly an de son eage LXIX.

[p. 483] [Mort de Vespasien] Cette année-là [an 81], l'empereur Vespasien fut atteint de diarrhée, une maladie qu'on appelle la 'courante', dont il souffrit pendant près de neuf mois. Il mourut le 16 novembre, à l'âge de soixante-neuf ans.

[Des dois fis Wespasianus] Chis Wespasianus avoit dois fis : Tytus, ly anneis, et Domitianus, l'autre, qui astoient contraire de nature ; car Tytus astoit debonnaire, gratieux et plaisans, et soy faisoit de cascon ameir, et Domitianus astois fels, malgratieux et displaisans, et se soy faisoit de cascon hayr.

[Les deux fils de Vespasien] Ce Vespasien avait deux fils, Titus l'aîné et Domitien le second, qui étaient de nature opposée. Titus en effet était bon, charmant, plaisant et se faisait aimer de tous ; Domitien était fourbe, sans charme, déplaisant et détesté de tous.

[Tytus, ly XIIme emperere] A thier jour que Wespasianus fut mors, assavoir XIX jour de novembre, fut fais Tytus emperere et coroneis ; si regnat III ans, II mois IX jours. Chis fut bien endoctrineis de parleir latien, romans et grigois, et fut plantiveux del donneir, et disoit qu'ilh avoit perdut son jour, quant une journée ly passoit sens donneir beals dons à altruy.

[Titus, le douzième empereur] Trois jours après la mort de Vespasien, c'est-à-dire le 19 novembre, Titus fut nommé et couronné empereur ; son règne dura trois ans, deux mois et neuf jours. On lui avait appris à parler latin, roman et grec. Il fut très généreux, disant qu'il avait perdu sa journée quand il avait passé un jour sans faire des dons généreux à autrui.

[L’an IIIIXX et II - Li dus de Galle desconfist les Romans] Item, l'an IIIIXX et II, s'en allat Tytus l'emperere à grant gens sour le duc de Galle ; mains ly dus Hector, ly fis Cloberius, qui astoit preux et hardis, assemblat ses gens et corrit sus Tytus et le desconfist ; et retournat à Romme à grant perde.

[An 82 - Le duc de Gaule défait les Romains] En l'an 82, l'empereur Titus avec une troupe importante alla attaquer le duc de Gaule. Mais le duc Hector, fils de Clobérius, qui était preux et hardi, rassembla ses gens, courut contre Titus et le défit. L'empereur retourna à Rome après de lourdes pertes.

[Jonab fist Lovay chief de son paiis] Item, en cel an, morut ly prinche d'Antwerpe qui fut nommeis Cletus ; si [p. 484] fut prinche après luy son fis Jonab. Item, en cel an, fist ly prinche Jonab chief de son paiis de Lovay, portant que ilh astoit plus volentiers là habitant en la vilhe de Lovay que altrepart ; et oussi ilh y avoit esteit neis.

[Jonab fait de Louvain la capitale de son pays] Cette année-là mourut Clétus, le prince d'Anvers ; [p. 484] son fils Jonab (p. 479) devint prince d'Anvers. Cette même année, le prince Jonab fit de Louvain la capitale de son pays. C'est dans cette ville qu'il préférait habiter plutôt qu'ailleurs ; c'est là aussi qu'il était né.

 

Domitien, jaloux de son frère Titus, tente de l'empoisonner, lui, sa femme et ses fils - Seul Titus échappe à la mort - Titus ramène à Rome des objets précieux de Jérusalem et construit un amphithéâtre - Le fourbe Domitien réussit à empoisonner Titus sans se trahir (83-84)

 

[p. 484] [Domitiain enpuisonat la femme Tytus et ses II enfans] En cel an s'avisat Domitianus, le frere Tytus l'emperere, et oit grant envie de chu que son frere astoit plus grans sires de luy ; se prist une puison et le donnat à la femme Tytus, qui fut nomée Gadoza, qui fut filhe Eneas, le roy de Hongrie, laqueile damme morut dedens III jours ; puis en donnat ly faux Domitian à dois enfans Tytus, qui astoient mult beais dammoiseais Wespasiain et Tytus et Gabos si morurent. Et quant li faux parjures oit tout chu fait, si soy prist pres del donneir à son frere Tytus ; mains ilh n'oisat, car ilh ne savoit en queile manere ilh li poroit donneir.

[p. 484] [Domitien empoisonne la femme de Titus et ses deux enfants] Domitien, le frère de l'empereur Titus, était très envieux de voir que son frère était un seigneur plus important que lui. Cette année-là, il se procura du poison qu'il donna à Gadoza, la femme de Titus, fille d'Énée, le roi de Hongrie (p. 444). La dame mourut dans les trois jours. Le fourbe Domitien empoisonna ensuite les deux enfants de Titus, Vespasien et Titus Gabus, deux beaux jeunes gens, qui moururent. Après tout cela, le traître parjure fut bien près d'empoisonner aussi son frère Titus ; mais il n'osa pas, ne sachant comment lui administrer le poison.

[Domitiain enpuisonnat toute la famille Tytus, et Tytus escapat par la medicine] Adont soy avisat de une mult grant mervelhe, car ilh prist le puison et le venien, si entrat en la cusine de palais l'emperere, si jettat tout chi brodium en la viande que ons devoit drechier por servir en palais ; et puis soy partit de là, et s'en allat parmy Romme joweir jusques apres-dyneir.

[Domitien empoisonne toute la famille de Titus, et Titus échappe grâce à un remède] Domitien imagina alors un moyen très étonnant. Il prit du poison et du venin, entra dans la cuisine de l'empereur et jeta tout ce mélange dans la nourriture qu'on devait préparer pour la servir au palais. Puis il quitta les lieux et s'en alla à Rome pour se distraire jusqu'après le dîner.

Ly emperere Tytus et tous ses hommes sont assis al dyneir, et ons servit des viandes plaines de venyn par-devant l'emperere et par-devant tous les aultres grans et petis ; mains ly venyen astoit teile, que ons ne le sentoit mie tantoist jusqu'à trois jours ou plus. En teile manere fuit enpuisoneis Tytus, et tout sa masnie por l'amour de luy. Si morirent tous ; mains Tytus soy déjunoit toutes les matineez de une medecine, dont ilh astoit gardeis de puisons tout le jour, se ne morut mie adont. Adont fut Domitiain dolans, quant ilh veit que tous sont mors les hommes qui avoient esteit al dyneir, fours que Tytus. Mains Tytus fut bien malaides gisant à lit ; si dest qu'ilh ont esteit enpuisonneit par les coques, si les fist mettre à mort.

L'empereur Titus et son entourage étaient attablés pour dîner. On servit de la nourriture empoisonnée à l'empereur et à tous les autres convives, grands et petits. Cependant les effets de ce poison ne se manifestaient pas immédiatement, mais après au moins trois jours. C'est ainsi que furent empoisonnés Titus et tous les membres de sa famille. Tous moururent, sauf l'empereur qui prenait chaque matin un remède le protégeant pour la journée, ce qui explique qu'il survécut. Domitien regretta de voir que tous les participants au dîner étaient morts, sauf Titus. Ce dernier fut toutefois très malade et resta cloué au lit. Il déclara que tous avaient été empoisonnés par les cuisiniers et il les fit mettre à mort.

[p. 484] [L’an IIIIXX et III - Tytus aportat tous les joweals de Jherusalem à Romme] Quant Tytus fut garis, si chevalchat vers Jherusalem sor l'an IIIIXX et III, et aportat de Jherusalem, qui astoit destruite, si at pris tous les aournemens qui astoient là qu'ilh avoit mys al garde de Josephus, si les at aporteis à Romme, et furent, mys en temple de Pais. Chis Tytus edifiat à Romme [p. 485] amphitiatrum.

[p. 484] [An 83 - Titus transporte à Rome tous les objets précieux de Jérusalem] Quand Titus fut guéri, en l'an 83, il chevaucha vers Jérusalem qui avait été détruite et en ramena tous les objets précieux qui s'y trouvaient et qu'il avait confiés à la garde de Josèphe. Il les transporta à Rome, où ils furent placés dans le temple de la Paix (p. 61 et p. 65). Ce Titus édifia à Rome [p. 485] un amphithéâtre.

 [Domitiain enpuisonat son frere Tytus] Item, l’an IIIIXX et IIII, fut Tytus encor unc pau malaide de venyn, et Domitiain son frere qui le visentat ly dest qu'ilh voloit faire l'expruve devant luy dedont en avant, car ilh voloit mies qu'ilh morist que luy. Tytus fut bien contens de chu, si le laisat faire l'expruve devant ly.

[Domitien empoisonne son frère Titus] En l'an 84, tandis que Titus était encore un peu malade du poison, son frère Domitien lui rendait visite. Il lui dit vouloir dorénavant goûter personnellement la nourriture de son frère, car il préférait mourir lui-même plutôt que voir mourir Titus. Celui-ci fut très content de sa déclaration et le laissa goûter sa nourriture avant lui.

Si avient que, en cel an meismes en mois de jenvier, faisoit l'exprue Domitian devant l'emperere Tytus son frere, et portant que ilh astoit son frere se ly laisoit faire l'expruve à son propre hanappe où ilh avoit buit ; si qu'ilh avoit à cel heure de venyn fort sour son doit, dont ilh reforbit le hanap quant ilh oit fait l'expruve. Si le donnat Tytus en la main si que à boire, qu'ilh fist : ilh fut envynemeis dont ilh morut dedens trois jours, assavoir le XXVIIIe jour de mois de jenvier deseurdit. Adont fist semblant Domitiain qu'ilh astoit mult dolant de la mort de son frere.

Or donc, en janvier de cette année, Domitien goûtait le vin avant Titus et, comme ils étaient frères, il tendit à Titus le verre même où lui, Domitien, venait de boire. Mais Domitien, qui avait à ce moment-là un poison violent sur le doigt, en avait frotté le verre après y avoir bu, et c'est ce verre qu'il avait ensuite tendu à Titus qui l'avait bu. Titus fut empoisonné et mourut au bout de trois jours, c'est-à-dire le 28 janvier de l'an précité. Domitien fit alors semblant d'être très chagriné par la mort de son frère.

 


 

C. sous Domitien [Myreur, p. 485-489a]

 

Ans 84-93

Sommaire

* Domitien, un second Néron, hostile aux chrétiens, dévoile ses crimes à son épouse, la fille du duc d'Aquitaine - Pour avoir révélé ce secret, celle-ci est mise à mort - Domitien épouse une princesse grecque, la mère de Nerva, qui sera son successeur - Successions en Hongrie et en Flandre (84-85)

Conflits entre Domitien et une coalition (Gaulois, Hongrois et Danois) autour du duc Abron d'Aquitaine - Succès et revers se succèdent entre Romains et alliés d'Abron, qui meurt dans les combats - Après un siège de quinze semaines, Hector de Gaule renonce à s'emparer de Rome et rentre en Gaule - Domitien devient de plus en plus cruel (85-87)

* Politique intérieure de Domitien : Domitien bannit de Rome les philosophes et tue d'importants personnages - Il construit des bâtiments et des temples où ses propres statues doivent être adorées comme des dieux (88-90)

Reprise des conflits entre Domitien et la coalition alliée : Domitien soumet l'Aquitaine et remporte une victoire sur les Hongrois, puis sur les Danois - Les Danois se réfugient dans une cité où ils sont assiégés par Domitien durant six mois - Hector de Gaule rejoint le Danemark, capture Domitien et, en guise de rançon, obtient pour les trois alliés l'exemption du tribut réclamé par les Romains - Retour peu apprécié de Domitien à Rome - Son interdiction concernant les vignes (90-92)

 

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Domitien, un second Néron, hostile aux chrétiens, dévoile ses crimes à son épouse, la fille du duc d'Aquitaine - Pour avoir révélé ce secret, celle-ci est mise à mort - Domitien épouse une princesse grecque, la mère de Nerva, qui sera son successeur - Successions en Hongrie et en Flandre (84-85)

 

[p. 485] [Domitius fut ly XIIIe emperere et fut li secon Nero] Et quant Tytus fut mors, si fut coroneis Domitian, son frere, qui regnat XIII ans X jours moins. A cel temps oit Sainte-Engliese unc secon Nero qui ly donnat mult à souffrir ; car ilh fut mult felon et contraire aux cristiens, sy en fist pluseurs mettre à mort.

[p. 485] [Domitien treizième empereur et second Néron] Après la mort de Titus, son frère Domitien fut couronné et son règne dura treize ans moins dix jours. Il fut alors pour la Sainte-Église un second Néron, qui la fit beaucoup souffrir. Hostile aux chrétiens et très cruel à leur égard, il en fit mettre à mort un grand nombre.

[Domitiain dest à sa femme tous les mals qu’ilh avoit fait] IIh oit à femme Genoda, la filhe de dus d'Acquitaine, à laqueile ilh confessat en secreit comment ilh avoit enpuisonneit son frere Tytus, sa femme et ses enfans. Et ly dest encor qu'ilh avoit donneit certain puison à son peire Wespasianus, de laqueile la maladie dont ilh morut ly astoit prise et li dist qu'ilh avoit fait murdreir sa propre mere qui l'avoit porteit. Quant la damme entendit chu, si fut mult espawentée, car ilh dobtat que ilh ne fesist enssi de lée.

[Domitien avoue à sa femme tous les crimes qu’il avait commis] Domitien avait pour épouse Génoda, la fille du duc d'Aquitaine, à qui il avoua en secret comment il avait empoisonné son frère Titus, sa femme et ses enfants. Il lui dit aussi avoir empoisonné son père Vespasien, mort de la maladie qu'il avait alors contractée. Il lui dit encore qu'il avait fait mettre à mort sa propre mère, la femme qui l'avait porté. Quand elle apprit cela, Génoda fut épouvantée, car elle redoutait de subir le même sort.

Si mandat son pere le duc d'Acquitaine, se li dest tot chu ; mains ly dus ne le woult mie croire. Et celle le fist encloure une nuit en sa chambre pasieblement, et quant elle fut cuchié awec son marit l'emperere, se li demandat comment ilh pot enssi avoir ochis son pere et sa mere, son frere awec sa femme et ses enfans. Adont ly racomptat tout Domitian comment chu fut, si que ly dus l'entendit bien, et lendemain dest à sa filhe qu'ilh ly avoit dit veriteit, mains de chu n'awist nulle dobtanche car ilh ne ly feroit ja maul, [p. 486] solonc chu que ilh poioit veioir. Adont soy partit et s'en rallat en son paiis, et la damme demorat à Romme deleis l'emperere son marit.

Elle fit venir son père le duc d'Aquitaine et lui raconta tout, ce qu'il ne voulait pas croire. Elle le fit secrètement enfermer une nuit dans sa chambre à elle et, une fois au lit avec l'empereur, elle demanda à ce dernier comment il avait pu ainsi tuer son père, sa mère et son frère avec sa femme et leurs enfants. Domitien lui raconta alors ce qui s'était passé et le duc entendit tout. Le lendemain, il dit à sa fille qu'elle lui avait bien dit la vérité mais qu'elle ne devait avoir aucune crainte, car Domitien ne lui ferait jamais de mal, [p. 486] selon ce qu'il pouvait voir. Alors le duc d'Aquitaine s'en alla et regagna son pays, et la dame resta à Rome, près de l'empereur, son mari.

[Nota des femmes] Elle resemblat les femmes, et à chascon, qui devant ly venoit, elle disoit comment son saingnour l'emperere ly avoit tout racompteit comment ilh avoit fait tous ches mauls deseurdis. De quoy chascon s'enmervelhoit.

[Remarque sur les femmes] Génoda rassembla alors des femmes et à chacune de celles qui se présentaient, elle répéta tout ce que son seigneur lui avait raconté et comment il avait accompli tous les méfaits évoqués ci-dessus. Toutes en furent très surprises.

En cel an morut Eneas, ly XIIe roy de Hongrie, qui avoit regnoit XXXVI ans ; si regnat Goubas son fis apres luy XXIX ans.

En 84 mourut Énée, douzième roi de Hongrie, après trente-six ans de règne ; son fils Goubas lui succéda durant vingt-neuf ans.

[Domitien fist ochire sa femme] Item à cel temps fut Romme tout plaine del famme que ly emperres avoit fours jetteit sour l'emperere, et tant que l'emperere le soit ; si en oit grant coroche, et fist sa femme fendre del bodine jusques à la boche, si que toutes entralhes ly issoient hours de son ventre ; et apres le fist ardre, et le pourdre venteir en voie. Et fut chu sour l'an LXXXIIII, en mois de marche. Mains quant ly dus d'Aquitaine soit la veriteit, si fut mult corochiet, et jurat tous ses dieux que ilh ferat allianche al duc de Galle por guerroier Domitiain, et enssi le fist-ilh asseis tempre là apres.

[Domitien fait tuer sa femme] À ce moment-là, Rome fut toute remplie de rumeurs concernant les secrets dévoilés par l'impératrice sur l'empereur. Lorsque celui-ci en fut informé, il entra dans une violente colère et fit pourfendre sa femme du nombril à la bouche, si bien que toutes ses entrailles lui sortaient du ventre. Puis il la fit brûler et fit jeter ses cendres au vent. Cela se passa au mois de mars de l'an 84. Quand le duc d'Aquitaine connut la vérité, il fut très en colère et jura par tous ses dieux qu'il s'allierait au duc de Gaule, pour faire la guerre à Domitien. C'est ce qu'il fit assez rapidement après.

En l'an LXXXV, reprist ly emperere Domitiain une aultre femme, qui fut nomée Gendora, et fut la filhe le roy d'Athennes. De cest damme oit-ilh une fis qui fut nomeis Nerva, et fuit puis emperere de Romme apres son peire.

En l'an 85, Domitien reprit une autre femme, qui s'appelait Gendora. Elle était la fille du roi d'Athènes. De cette dame, il eut un fils, nommé Nerva, qui fut empereur de Rome après son père.

En cel an, en mois de may, morut li conte de Flandre Julius ; si regnat apres luy son fis Jonadas XXXI an.

Cette année-là (85), le comte de Flandre Julius mourut ; son fils Jonadas lui succéda et régna durant trente et un an.

 

Conflits entre Domitien et une coalition (Gaulois, Hongrois et Danois) autour du duc Abron d'Aquitaine - Succès et revers se succèdent entre Romains et alliés d'Abron, qui meurt dans les combats - Après un siège de quinze semaines, Hector de Gaule renonce à s'emparer de Rome et rentre en Gaule - Domitien de plus en plus cruel (85-87)

 

[p. 486] En cesti an meismes, alat ly dus Abron d'Aquitaine en Galle, et demonstrat à duc Hector comment ly emperere Domitiain avoit mys à mort sa filhe que ilh avoit à femme, et comment ilh ly avoit oiit cognostre que ilh avoit malvaisement son pere, sa mere, son frere et la femme son frere awec ses dois enfans mis à mort, et awec chu bien Vc hommes qui tous furent enpuisonneis awec Tytus, son frere. Tant fist ly dus Abron, que ly dus Hector ly oit encovent de luy aidier et demandeir ses hommes.

[p. 486] Cette même année, le duc Abron d'Aquitaine alla en Gaule et expliqua au duc Hector que l'empereur Domitien avait tué son épouse, qui était sa fille. Elle lui avait révélé, dit-il, que son époux Domitien avait cruellement fait mourir son père, sa mère, son frère ainsi que la femme de son frère et leurs deux enfants ; qu'il avait en outre empoisonné au moins cinq cents hommes en même temps son frère Titus. Le duc Abron plaida si bien sa cause que le duc Hector tomba d'accord avec lui pour l'aider et convoquer ses hommes.

Adont s'avisat encor ly dus Abron, et s'en alat en Hongrie à roy Gombas, et li dest tout le fait, et comment Domitiain avoit mis à mort par puison sa soreur Godoza, filhe à roy Eneas son pere, que Tytus avoit à femme.

Alors le duc Abron eut aussi l'idée de se rendre en Hongrie, chez le roi Gombas, à qui il raconta tout, disant notamment que Domitien avait empoisonné sa soeur Godoza, fille du roi Énée son père, et épouse de Titus.

[Guerre entre le dus d’Aquitaine et les Romans] Quant ly roy Gonbas entendit chu, si fut mult corochiés et dest que ilh vengerat sa soreure, et priat al duc Abron [p. 487] qu'ilh s'en ralaist en son paiis ; si entrat en l'empire à unc des costeis, et ly dus de Galle à l'autre, et ly roy de Dannemarche à l'atre costeit, leur cusien. Enssi fut faite.

[Guerre entre le duc d’Aquitaine et les Romains] Quand le roi Gombas entendit cela, il fut très en colère et dit qu'il vengerait sa soeur. Après avoir invité le duc Abron [p. 487] à regagner son pays, il attaqua l'empire (romain) d'un côté ; le duc de Gaule le fit d'un autre, et leur cousin, le roi de Danemark, d'un troisième. Ainsi fut fait.

[L’an IIIIXX et VI] Ils ont mandeit leurs oust de tous paiis, en chevalchant vers Romme sour l'an IIIIXX et VI ; et entrarent en l'empire à trois costeis à feu et à flamme. Quant Domitiain le soit, si assemblat ses gens bien Cm hommes et plus, et s'en allat promiers à costeit où ly roy hongrois et danois venoient droitement ; et se soy combattit à eaux mult firement, el oit à chest fois victoire. Et ly roy hongrois y perdit dois fis et VIm hommes, et ly roy danois y perdit une frere et IIIIm hommes, et ly remanant en rallont en leurs paiis.

[An 86] Les coalisés firent venir leurs armées de tous les pays et marchèrent vers Rome en 86. Ils pénétrèrent dans l'empire par trois côtés, répandant feu et flamme. Quand Domitien le sut, il rassembla ses troupes, cent mille hommes ou plus. Il se dirigea d'abord du côté où les rois hongrois et danois arrivaient directement. Il les combattit farouchement et, cette fois, remporta la victoire. Le roi hongrois perdit deux fils et six mille hommes, le roi danois un frère et quatre mille hommes. Les rescapés rentrèrent dans leurs pays.

[p. 487] [L’an IIIIxx et VII - Galliens ont desconfis les Romans] Apres allat l'emperere contre cheaux d'Aquitaine, et oit batalhe à eaux et les desconfist encors : et fut là mors ly dus Abron et XIIIc de ses hommes. Chu fut l'an IIIIxx et VII. Apres cest victoire s'en allat l'emperere contre les Galliiens et oit batalhe à eaux ; mains les Romans furent tantost desconfis, car les Galliiens astoient poissans, si les abatoient enssi com brebis. Et y perdit ly emperere XIm hommes, et furent prisonniers VIm ; si refuirent ly remanant à Romme.

[p. 487] [An 87 - Les Gaulois défont les Romains] Après cela, l'empereur marcha contre les Aquitains, les combattit et remporta une autre victoire. Le duc Abron et treize cents hommes y périrent. Cela se passa en 87. Après cette victoire, l'empereur alla affronter les Gaulois. Mais cette fois les Romains furent défaits immédiatement, car les Gaulois étaient puissants et abattaient les Romains comme des moutons. Là l'empereur perdit onze mille hommes et six mille furent faits prisonniers. Les rescapés s'enfuirent à Rome.

[Hector assegat Rom] Adont assegat Romme li dus Hector de Galle, et y seit XV samaine qu'ilh n'y pot riens forfaire. Et puis soy partirent, portant que ons leur dest que ly roy d'Athennes venoit aidier son genre Domitiain, qui avoit sa filhe à femme ; et sy amynoit awec ly III aultres roys qui amynoient tant de gens que toute terre en astoit coverte. Et chu le faisoit-on croire al duc, affin qu’ilh soy deslogast.

[Hector assiège Rome] Alors, le duc Hector de Gaule assiégea Rome, durant quinze semaines, sans aboutir à rien. Alors les Gaulois se retirèrent, ayant appris que le roi d'Athènes venait aider son gendre Domitien, l'époux de sa fille, et amenait avec lui trois autres rois à la tête de forces si nombreuses qu'elles couvraient l'ensemble du territoire. C'est ce qu'on faisait croire au duc, pour qu'il s'éloigne.

[Ector creioit le conselhe de ses barons, car ilh li estoient toudis loials] Atant retournat Ector et revient en son paiis ; et laisat le siege par le conselhe de ses barons, car ilh faisoit volentiers le conselhe de cheaux cuy ilh avoit troveit bons et loyals. Quant Domitiain fut enssi quitte de siege, si fut mult liies, et devient adont plus malvais com devant n'avoit esteit. IIh fut oussi malvais ou plus que onques n'awist esteit Nero, qui tant fist de maul.

[Hector écoute le conseil de ses barons, car ils lui étaient toujours fidèles] Alors Hector s'en retourna et rentra dans son pays. Il abandonna le siège sur le conseil de ses barons, car il suivait volontiers l'avis de ceux de ses vassaux qu'il avait trouvés bons et fidèles. Quand Domitien fut ainsi délivré du siège, il fut très satisfait et devint pire encore qu'auparavant. Il fut aussi ou même plus mauvais que ne l'avait jamais été Néron, qui fit tant de mal.

 

 Politique intérieure de Domitien : Domitien bannit de Rome les philosophes et tue d'importants personnages - Il construit des bâtiments et des temples où ses propres statues doivent être adorées comme des dieux (88-90)

 

[p. 487] [L’an IIIIxx et VIII - Domitiain fist banir tos les philosophes, et ochire XXI de plus grans de Romme] Item, l'an IIIIxx et VIII, fist Domitiain l'emperere banir fours de son empire tous les philosophes et les nygromanchiens qui astoient à Romme, et fist ochire et mettre à mort XXI des plus grans senateurs et prinches de Romme, portant qu'ilh le reprendoient des mauls que ilh faisait. Et envoiat encor en cel an pluseurs prinches et senateurs en exilh.

[p. 487] [An 88 - Domitien fait bannir tous les philosophes et tuer vingt-et-un des plus grands personnages de Rome] En l'an 88, l'empereur Domitien fit bannir de son empire tous les philosophes et les magiciens qui se trouvaient à Rome. Il fit aussi exécuter et mettre à mort vingt et un des plus importants sénateurs et princes de Rome, parce que ceux-ci lui reprochaient les méfaits qu'il accomplissait. Et cette année-là aussi, il exila de nombreux princes et sénateurs.

[Ly Capitole et Pantheon furent fais à Romme] Item, l'an IIIIxx et IX, en mois de marche, fut commenchiet à faire en la citeit de Romme [p. 488] le Capitole et une aultre edifisse qui fut nommeis Pantheon, et pluseurs aultres temples, lesqueiles furent parfais en mois de jule l'année apres, assavoir l'an LXXXX.

[Le Capitole et le Panthéon sont construits à Rome] En l'an 89, au mois de mars, on commença à construire dans la cité de Rome [p. 488] le Capitole, et un autre édifice nommé Panthéon, ainsi que beaucoup d'autres temples, qui furent achevés en juillet de l'année suivante, c'est-à-dire en l'an 90.

[L’an LXXXX - De Domitiain] En tous ches temples fist mettre ly emperreur ymaiges d'emperrere faites à sa semblanche, d'or et d'argent, et faisait, par son orguelh aorer ches ymaiges com dieux.

[An 90 - Domitien] Dans tous ces temples, l'empereur fit poser des statues impériales faites à sa ressemblance, en or et en argent. Et par orgueil, il faisait adorer ces statues comme des dieux.

 

Reprise des conflits entre Domitien et la coalition alliée : Domitien soumet l'Aquitaine et remporte une victoire sur les Hongrois, puis sur les Danois - Les Danois se réfugient dans une cité où ils sont assiégés par Domitien durant six mois - Hector de Gaule rejoint le Danemark, capture Domitien et, en guise de rançon, obtient pour les trois alliés l'exemption du tribut réclamé par les Romains - Retour peu apprécié de Domitien à Rome - Son interdiction concernant les vignes (90-93)

 

[p. 488] Et, cel an, s'avisat l'emperere Domitian, et assemblat ses oust ; si alat en Aquitaine et exilhat la terre, mains les gens de paiis soy misent en la subjection de son empire par tregut, enssi demoront-ilhs en pais. Puis montat sour mere, et jurat grant seriment qu'ilh yroit destruire Hongrie et Dannemarche et si revenroit par Galle destruant tout. Mains unc chevalier, qui astoit cusien à Ector le duc de Galle, soy partit de l'emperere pasieblement, et vint à Lutesse, et comptat al duc Ector tout chu que Domitiain avait dit et jureit.

[p. 488] Cette année-là, l'empereur Domitien décida de rassembler ses armées. Il se rendit en Aquitaine et dévasta le territoire, mais les habitants se soumirent à son pouvoir en acceptant le tribut et ainsi ils restèrent en paix. Domitien prit ensuite la mer et fit le serment solennel d'aller détruire la Hongrie et le Danemark et de revenir par la Gaule en détruisant tout sur son passage. Mais un chevalier, qui était cousin du duc de Gaule, Hector, quitta l'empereur sans se faire remarquer, se rendit à Lutèce et rapporta au duc Hector tout ce que Domitien avait dit et juré de faire.

[L’an IIIIxx et XI - Domitiain mit Hongrois et Danois à hontaige] Quant ly duc entendit le chevalier, sy fut mult corochiés ; se fist grant seriment sour ses dieux Jupiter et Appollin que ilh en yrat en Hongrie et en Dannemarche guerre son anemis, ne ja ilh n'atenderat que ons le vengne assalhir en son paiis. Chis dus Ector fut mult valhans hons et poissans ; si assemblat ses gens et say mist à la voie ; mains anchois qu'ilh venist en Hongrie, astoit ja venus ly emperere et les avait desconfis en batalhe et mis en la subjection des Romans. Et fut la batalhe l'an IIIIxx et XI, en mois de may. Et quant Domitiain oit enssi mys les Hongrois en sa subjection, ilh s'en partit et vint vers Dannemarche. Si oit batalhe aux Danois, en mois de decembre, et les desconfist ; et s'enfuyrent ly roy et ses gens en une citeit qui oit nom Paladas, en laqueile ly emperere les asseghat, et y seit VI mois devant qu'ilh n'y pot riens forfaire.

[An 91 - Domitien inflige une défaite aux Hongrois et aux Danois] Quand le duc entendit le chevalier, il fut très en colère. Il jura solennellement devant ses dieux Jupiter et Apollon qu'il irait en Hongrie et au Danemark faire la guerre à ses ennemis et que jamais il n'attendrait qu'on vienne l'attaquer chez lui. Ce duc Hector était un homme très valeureux et puissant. Il rassembla ses troupes et se mit en route, mais avant son arrivée en Hongrie, l'empereur était déjà passé : il avait vaincu les Hongrois dans une bataille et les avait soumis aux Romains. Cette bataille eut lieu en l'an 91, au mois de mai. Quand Domitien eut ainsi soumis les Hongrois, il partit pour le Danemark. Il combattit les Danois en décembre et les défit ; le roi et ses gens s'enfuirent dans une cité du nom de Paladas (cfr I, p. 506), où l'empereur les assiégea pendant six mois sans pouvoir leur faire le moindre tort.

[L’an IIIIxx et XII - Ector de Galle prist Domitiain et desconfist ses gens] Et en chi terme vint là ly dus de Galle, sour l'an IIIIxx et XII, en mois de junne. Et deveis savoir que ly dus Ector n'avait mie tant de gens de motié que ly emperere avait ; et finablement ly dus Ector les corit sus, et si desconfist les Romans ; et fut ly emperere pris par forche, car ly dus Ector l'abatit al josteir, et ses gens le prisent.

[An 92 - Hector de Gaule s'empare de Domitien et défait ses gens] C'est à ce moment-là, en juin 92, que le duc de Gaule arriva là (= à Paladas). Vous devez savoir que le duc Hector avait deux fois moins d'hommes que l'empereur, mais finalement il fonça sur les Romains et les défit. L'empereur fut capturé, car le duc Hector l'avait fait tomber dans une joute, et ses gens s'étaient saisis de lui.

[Domitiain quittat à Hongrois, Dannois et Galliiens leut tregut pour son ranchon] Adont fut ly emperere myneis en la citeit, et là fut faite entre eaux une accorde que ilh donnat lettres aux Danois, et aussi envoiat le parhelles aux Hongrois, que jamais ilh ne demanderait à eaux tregut, et les quittat le servaige où ilh les avait mys, sens jamais riens à demandeir por li ne por ses successeurs ; et quittat en teile manere le duc Ector son [p. 489] tregut qu’ilh devoit aux Romans ; mains chu ne poioit-il faire de duc de Galle, solonc la constitution de Rome de chouse publique, portant qu’ilh ne l’avoit mie conquis. Si il les quittat sa vie tant seulement, car Julius Cesar le conquist à sontemps, ch’est-à-dire le reconquist ; car devant Julius l’avoit conquis uns altre roy de Romme, enssi qu’il fait mention ci-devant. Si que portant ly emperere Domitiain ne le poioit quitteir perpetuelment solonc la loy qui astoit adont à Romme.

[En guise de rançon, Domitien exempte Hongrois, Danois et Gaulois du tribut] L'empereur fut alors emmené dans la ville, où fut conclu un accord, stipulant que Domitien remettrait un document écrit aux Danois et enverrait aux Hongrois le même écrit dans lequel il s'engageait à ne jamais leur imposer de tribut et à les libérer de la sujétion où il les avait mis, sans jamais rien demander en échange ni pour lui ni pour ses successeurs. Il exempta aussi le duc Hector [p. 489] du tribut dû aux Romains ; mais la législation romaine ne lui permettant pas de le traiter comme les autres, puisqu'il n'avait pas conquis la Gaule, il n'exempta les Gaulois que pour la durée de sa vie. En effet, Jules César en son temps avait conquis la Gaule, ou plutôt l'avait reconquise, car avant lui, un autre roi de Rome l'avait déjà conquise, comme signalé ci-dessus (p. 126). Domitien ne pouvait donc pas exempter pour toujours la Gaule du tribut, selon la loi de Rome.

Et portant dist-ons et le truet-ons en l'escripture, jasoiche chouse que ly dus de Galle Cloberius por sa forche ne vosiste point payer le tregut à son temps, nonporquant ilhs n'astoient mie affranqais, ains astoient tousjours retributars aux Romans ; mains ilhs ne le voloient mie paiier por leur forche, et enssi demoront-ilh en pais jusques à temps Constan le gran Cesar, que ilh furent remis à paiie, enssi com chi apres serat deviseis. Mains Dannois et Hongrois poioit-ilh bien quitteir, puisqu'ilh les avoit conquis, et anchois qu'ilh retournast à Romme, car s'ilh astoit retourneis à Romme, ilh ne les poroit quicteir.

 On dit et on trouve en effet affirmé dans le texte, que le duc de Gaule, Clobérius, vu sa position de force, n'avait pas voulu de son temps payer le tribut, mais que les Gaulois n'en étaient pas pour autant affranchis. Ils restaient tributaires des Romains mais ne voulaient pas payer, sûrs de leur force. Ils demeurèrent ainsi en paix jusqu'à l'époque de Constantin le Grand (Myreur, II, p. 56), quand ils recommencèrent à payer comme on le dira ci-après (Myreur, II, p. 72, 85, 87-88). Domitien pouvait exempter les Danois et les Hongrois, les ayant conquis. Et il le fit avant de retourner à Rome, car une fois rentré, il n'aurait plus pu les tenir quittes.

[p. 489] [L’an IIIIxx et XIII] Item, l'an IIIIxx et XIII, en mois de marche le derain jour, revient ly emperere à Romme, de quoy les Romans furent mult dolans ; et en devant ilhs astoient liies et joians de chu qu'ilh quidoient que ilh fust mors en la terre de Dannemarche, où ilh avoit esteit desconfis. Et adont ilh les fust plus fel que ilh n'avoit oncques esteit le temps devant.

[p. 489] [An 93] En l'année 93, le dernier jour du mois de mars, l'empereur revint à Rome, ce qui affligea beaucoup les Romains. Avant son retour, ils étaient contents et se réjouissaient, car ils le croyaient mort en terre de Danemark, où il avait été vaincu. Et dès lors, Domitien se montra envers eux plus fourbe qu'il ne l'avait jamais été dans les temps qui précédaient.

[Domitiain defendit que nuls ne plantast vingne] En cel an meismes defendit Domitiain que nuls ne plantast vingnes dedens Romme, por son malvaiseteit et fellonie.

[Domitien défend à chacun de planter des vignes] En cette même année Domitien, à cause de sa méchanceté et de sa fourberie, interdit qu'on plantât des vignes dans Rome.

 

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