Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 183b-190a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Virgile médiéval : Ses proches dans le contexte international - origine de tongres - varia [Myreur, p. 183-p. 190a]

Ans 501-507 de la transmigration = 88-82 a.C.n.

 

Introduction [sommaire] [texte]

On trouve ici le début du roman médiéval de Virgile, qui occupe une très grande place dans le Myreur. Cette longue biographie ‒ légendaire bien sûr ‒ sera évidemment interrompue à plusieurs reprises, en raison du procédé de présentation annalistique.

D’entrée de jeu, Jean attribue à son protagoniste une ascendance prestigieuse : le héros est apparenté à toutes les têtes couronnées de son temps. Rien d'étonnant à cela vu l'importance que notre chroniqueur attribue aux successions et aux mariages. Sans verser dans une analyse détaillée de tous ces liens, épinglons quelques éléments d’un arbre généalogique impressionnant.

Le grand-père de notre héros, qui porte aussi le nom de Virgile, est ly plus nobles et li plus puissans de corps, d’avoir, d’amis, de gran sancg et nation qui soit en monde (p. 184). Il occupe le trône de Sicile et est le fils de l’empereur de Grèce. Son fils, le père de Virgile, s’appelle Gorgile : il est roi de Bougie (première mention de ce qui est actuellement une ville d'Algérie) et apparenté par son épouse à la noblesse romaine : la belle Géda, en effet, mère du grand Virgile, est la sœur de Pompée (Pompeius), « un jeune noble romain », dont on reparlera. Virgile ne compte pas moins de onze oncles et trois tantes. L’une d’elles, Poléna, épouse le roi d’Athènes ; un de ses oncles, Grégoire, est marié à Vexa, princesse du Danemark ; ce Grégoire règne sur Bil (un territoire non localisé avec précision, probablement en Afrique du Nord, évoqué déjà p. 161). Ce Grégoire, roi de Bil, deviendra consul à Rome, élu à ce poste par les sénateurs de la ville, lesquels comptent d’ailleurs dans leurs rangs six de ses frères. Virgile occupe donc une place de choix dans le Gotha européen, entièrement fictif, faut-il le préciser ? On voit même dans cette section intervenir des royaumes, comme l'Arménie, la Serbie, la Navarre et le Pays Basque, dont il n'avait jamais encore été question auparavant et qui n'ont certainement pas leur place dans la géopolitique mondiale du premier siècle avant notre ère.

On est plongé dans la fantaisie médiévale quand on voit le roi d'Athènes envoyer au roi de Sicile une délégation de « quatre ducs, huit comtes et quarante chevaliers » pour lui demander la main de sa fille (p. 184). Quant à la composition du sénat romain de l'époque, seul un romancier, peu soucieux d'histoire authentique, oserait y introduire des personnages portant des noms comme Casdus, Ébroch, Ybonus, Sadoneus ou Amadoneus (p. 184). Le ton est donné. Ce qui s'ouvre ici, c'est le « roman médiéval de Virgile ».

Quelques événements autres que des données virgiliennes sont ensuite présentés. Un seul relève de l'histoire, celui qui concerne Alexandre Jannée, le roi de Judée (p. 185). Les autres relèvent de la fiction : la curieuse digression sur les Juifs enfermés dans les monts de Caspie (p. 186), avec ses prolongements (p. 282ss et p. 290) ; l'existence dans la Rome de 83 a.C.n. d'un Platon maître de Cicéron (p. 186) ; la succession au Danemark (p. 186) ; l'épisode des relations conflictuelles entre Rémois, Gaulois et Romains, et surtout le long développement consacré à Tongris et à la fondation de Tongres « en Hesbaye » (p. 188). Dans plusieurs de ces récits, l'épopée légendaire n'est pas loin. Elle apparaît dans les récits rapportant les actions, militaires ou autres, du Gaulois Priam, du Rémois Tongris, de Grégoire, l'ancien roi de Bil devenu consul romain. Épinglons l'épisode du cheval de Tongris qui devient fou, provoquant la défaite des Gaulois et la colère de leur roi Priam. Cette tonalité épique ramène à l'esprit les aventures de Clétus, de Franbal, d'Hannibal, d'Anynal et des autres. On imagine assez facilement une certaine infuence exercée sur ces récits par la Geste de Liege, dont on reparlera ci-dessous.

La grande importance accordée à Tongres et à Tongris est à souligner. Tongris est le petit-fils de Turnus (un personnage dont la position exacte n'est pas claire) et le fils de Hombris, roi de Reims, une ville dont la fondation remonte à Rémus (p. 54). Ce Tongris avait durement combattu les Romains qui l'avaient finalement défait, d'où sa fuite vers le Nord et son exil. La ville qu'il décide de fonder est censée compter à son époque « parmi les trois plus grandes du monde : Rome, Carthage et Tongres ; c'était même la plus belle des trois » (p. 190). La longue description de Tongres est influencée par la description de Rome, présente dans les Mirabilia urbis Romae, texte traduit par Jean (p. 58b-73a). Précédemment, le chroniqueur avait décrit, plus brièvement, la ville de Trèves (p. 15-17). La description des villes est un thème littéraire. Mais l'intérêt de Jean pour Tongres s'explique : cette ville, centrale dans Ly Myreur, est centrale aussi dans l'histoire de la Principauté de Liège.

Dans la description de Tongres, et à propos de sa fontaine (p. 189-190), Jean se place sous la garantie de Pline l'Ancien, comme il l'avait déjà fait à la p. 2 du Myreur en énumérant ses sources. Il s'agit en fait du texte du livre XXXI, 2, de L'Histoire Naturelle. Cette fontaine réapparaîtra très brièvement à la p. 306, dans la section intitulée Mappemonde, et, un peu plus longuement, aux p. 511-512, dans le récit du règne de Trajan, là où notre chroniqueur confond Pline l'Ancien, le Naturaliste, avec Pline le Jeune, celui qui écrivit à Trajan deux Lettres (X, 97-98) restées célèbres et traitant de la conduite à tenir avec les Chrétiens.

À propos de Tongres encore, on relèvera l'accumulation de concordances (p. 188-189) utilisée pour dater sa fondation. Tous les computs chronologiques possibles semblent avoir été convoqués. Ils sont douze, un record à notre connaissance. Ce système, qui vient de l'antiquité gréco-romaine, est une manière savante d'insister sur l'importance d'un événement. D'autres événements fort importants sont ainsi entourés dans Ly Myreur de savants développements chronologiques, parfois plus longs même, comme celui de la Naissance de Jésus (p. 347-349). La datation de l'Incarnation bénéficiera également de considérations chronologiques, sur les âges du monde, sur l'importance du 25 mars dans l'histoire de l'humanité et sur la notion d'années complètes ou incomplètes (p. 336-337). Dans ces deux cas toutefois, le système des concordances, comme tel, sera moins prégnant.

Comme preuve de l'influence épique repérée dans certains récits du Myreur, il faut savoir que Tongres, ses rois et leurs rapports avec les Gaulois et les Romains ont été très largement traités dans la Geste de Liege. Ainsi par exemple les règnes des quatre premiers rois de Tongres (Tongris, Hombris, Tongris II et Sédros, le contemporain de César) y occupent dans la Geste plus de 1400 vers (vers 265-1679). Le Myreur rapporte les mêmes événements, en les sélectionnant et en les résumant. Une analyse comparée de la version de la Geste et de celle du Myreur serait fort intéressante pour mettre en évidence les procédés littéraires et narratifs de notre chroniqueur. À notre connaissance, elle n'a jamais été faite. Nous ne pouvons évidemment pas l'envisager ici, nous bornant à fournir la référence des passages de la Geste correspondant à ceux du Myreur. Ainsi la fondation de Tongres, sa dénomination et son peuplement sont racontés aux vers 722-837 de la Geste de Liege, dans les laisses XXVII (Comment Tongre fut fondée), XXVIII (Tongre fut apellée), XXIX-XXX (Comment Tongre fut puplée de gens).

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Sommaire

La place de Virgile dans le Gotha européen fictif de l'époque - Le roi Virgile d’Athènes et le roi Virgile de Sicile, et ses douze fils, dont Gorgile et Grégoire - Virgile d'Athènes, gendre de Virgile de Sicile - Leur nombreuse descendance (88 a.C.n.)

Grégoire de Bil élu consul à Rome - Ptolémée X en Égypte - Hector, roi de Bil (87 a.C.n.) - Grégoire à la tête des Romains l'emporte sur les rebelles de Reims, menés par Humbris et Tongris (85/84 a.C.n.) - Alexandre Jannée, cruel roi de Judée, construit la tour Baris (84 a.C.n.) - Succession au Danemark - Présence à Rome de Platon, maître de rhétorique de Cicéron (83 a.C.n.) - Victoire provisoire des Gaulois à Pavie, mais riposte romaine de Grégoire (82 a.C.n.) - Digression : Juifs enfermés dans les monts de Caspie(85/82 a.C.n.)

* Bataille épique en Champagne - Les Sicambres de Priam et les Rémois de Tongris contre les Romains de Grégoire - Fuite involontaire de Tongris et défaite des Sicambres - Colère de Priam contre Tongris, qui s'exile sur le conseil de Turnus (82 a.C.n.)

Tongres - Tongris exilé trouve un endroit pour y fonder une ville - La fondation de Tongres : date et construction (82 a.C.n.) - Tongris couronné roi de Tongres (an 78 a.C.n.)

Description de Tongres : Fontaine miraculeuse - Portes fortifiées - Palais - Temples - Édifices publics - Tongres, une des trois grandes villes du monde

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Place de Virgile dans le Gotha européen fictif de l'époque - Le roi Virgile d’Athènes et le roi Virgile de Sicile et ses douze fils, dont Gorgile et Grégoire - Virgile d'Athènes, gendre de Virgile de Sicile - Leur nombreuse descendance (88 a.C.n.)

 

[p. 183] [De roy Virgile d’Athenne] En chist an meisme morut ly roy Ector d'Athennes ; si regnat apres son fis Virgils, qui astoit mult poisans de corps. Tantoist que ly roy Virgile fut coronneis, se li priarent ses prinches que ilh ly plaisist à prendre une femme, de laquelle ilh posist avoir enfans qui tenroient sa terre apres luy. Et ilh leur respondit qu'il astoit prest del prendre del tout à leur volonteit, se li querissent à luy apartinant une bonne.

[p. 183] [Le roi Virgile d’Athènes] Cette même année [88 a.C.n.] mourut le roi Hector d’Athènes, à qui succéda son fils Virgile, un homme à la stature puissante. Dès que le roi Virgile fut couronné, ses princes lui demandèrent d’accepter de prendre une épouse qui pourrait lui donner des enfants, lesquels hériteraient de son royaume après lui. Il répondit qu’il agirait en tout selon leur volonté, à condition qu'ils cherchent pour lui une bonne épouse.

Adont desent les barons qu'ilh avoit uns roy en Sezile qui avoit XII fis, dont les VI astoient senateurs de Romme, et les altres VI astoient roys ; et avait III filhes : Alexandrine, Edena et Polena ; laqueile Polena si n'astoit pais mariée, mains les aultres II l'astoient, car Alexandrine avait à [p. 184] maris le roy Trynagus de Hermenie, et Edena avoit le roy Castor de Scervies. Quant ly roy Virgile entendit chu, si at demandeit qui est chis roy et comment at-ilh à nom, et les noms de ses fis.

Les barons lui dirent alors qu’en Sicile il y avait un roi, père de douze fils : six d’entre eux étaient des sénateurs de Rome, et les six autres étaient des rois. Il avait aussi trois filles : Alexandrine, Édéna et Poléna. La dernière n’était pas mariée, mais les deux autres l’étaient. Alexandrine en effet avait [p. 184] épousé le roi Tigrane d’Arménie et Édéna le roi Castor de Serbie. Quand le roi Virgile apprit cela, il voulut savoir qui était ce roi, quel était son nom et comment s'appelaient ses fils.

[De XII fis le roy Virgiles de Sezile] Adont parlat Gondris, uns vilhars, dus de Palatie en Athennes, et dist enssi : « Sires, ly roy de Sezile est nommeis Virgile, enssi com vos esteis, et fis Alienus l'emperere de Gresse. C'est ly plus nobles et li plus puissans de corps, d'avoir, d'amis, de gran sancg et nation qui soit en monde. Et at XII fis dont ly anneis at à nom Gorgiles, qui est roy de Bugie, et est li plus grans clers qui soit en monde, car en son pays at escolles de toutes scienches. Chis at une femme mult belle qui at à nom Geda, et est la soreur à Pompilion, le noble donseal de Romme.

[Les douze fils du roi Virgile de Sicile] Alors le vieux Gondris, duc de Platée à Athènes, prit la parole et dit : « Sire, le roi de Sicile s'appelle Virgile comme vous. Il est fils d'Aliénus l’empereur de Grèce. Son physique, ses richesses, ses amis, sa haute naissance et sa nation font de lui l'homme le plus noble et le plus puissant au monde. Il a aussi douze fils. L’aîné se nomme Gorgile : il est roi de Bougie et c'est le plus grand clerc vivant, car son pays compte des écoles où sont enseignées toutes les sciences. Sa femme Géda, très belle, est la sœur de Pompée, le noble gentilhomme romain.

Ly secons fis at nom Grigoires ; chis est roy de Bil le maiour, et sa femme est nomée Vexa, la filhe le roy de Dannemarche. Ly thirs at nom Castor ; chis est roy de Pavie, et n'est pais mariées. Ly quars at nom Sartagonus de Cartage, et sa femme Polexa est filhe à roy de Dannemarche. Ly Ve roy at nom Alienus de Valsidone, qui at à femme Feda, la filhe le roy de Navaire ; et li plus jouene est appelleis Paris, qui est roy de Bascle en Espagne, et at à femme Gelbora la filh le roy d'Egypte.

Son second fils se nomme Grégoire : il est le roi de Bil la Grande et sa femme Véxa est la fille du roi de Danemark. Le troisième, nommé Castor, est roi de Pavie et n’est pas marié. Le quatrième se nomme Sartagonus de Carthage, et sa femme Poléxa est la fille du roi de Danemark. Le cinquième roi, appelé Aliénus de Valsidone, a épousé Féda, la fille du roi de Navarre. Paris, le plus jeune, roi du pays Basque en Espagne, a pour femme Gelbora, la fille du roi d’Égypte.

Ors aveis les VI roys, si vos diray les aultres. Sachiés que ly promirs des VI fis le roy Virgile de Sezile, qui sont senateurs, est nommeis Casdus, et les aultres apres : Ebrock, Virgile, Ybonus, Sadoneus et Amadoneus.

Maintenant que vous connaissez les six rois, je vous donnerai les noms des six autres fils, tous sénateurs. L'aîné se nomme Casdus, et ceux qui le suivent sont Ébroch, Virgile, Ybonus, Sadoneus et Amadoneus (p. 196).

[p. 184] [De Polena sa fille] Quant ly roy Virgile d'Athenne entendit la grant nobleche de roy Virgile de Sezile, se li plaist mult à avoir sa filhe Polena à femme ; se li mandat par IIII dus, VIII contes et XL chevaliers, lesqueiles le demandont al roy de Sezile en nom de roy d'Athennes. Et ilh ly envoiat volentirs, et ly roy d'Athenne l'esposat selonc sa loy. Chis roy Virgile d'Athennes oit puis de sa femme Polena VIII fis tous chevaliers ; et les aultres enfans, freres, soreurs orent oussi mult d'enfans de leurs femmes, et par especial li roy de Gorgiles de Bugie oit IIII fis et XI filhes, enssi com vos oreis chi-apres.

[p. 184] [Poléna, fille du roi] Quand le roi Virgile d’Athènes fut informé de la grande noblesse du roi Virgile de Sicile, il désira vivement épouser sa fille Poléna et le lui fit savoir. Au nom du roi d’Athènes, quatre ducs, huit comtes et quarante chevaliers la demandèrent en mariage au roi de Sicile. Celui-ci fut heureux d'envoyer sa fille au roi d’Athènes, qui l’épousa selon sa loi. Le roi Virgile d’Athènes et sa femme Poléna eurent huit fils, tous chevaliers. Les autres, frères et sœurs de Poléna, eurent aussi de nombreux enfants. Gorgile roi de Bougie, notamment, eut quatre fils et onze filles, comme vous l’apprendrez dans la suite (p. 192 et 193).

En cel an meisme li roy Virgile d'Athennes oit II fis à I porture, et furent nomeis Casdon et Ezoma. En cel an oit li roy Grigoires de Bil unc fis qui oit nom Yboneus. En cel [p. 185] an oit ly roy Alienus de Valsidoine de sa femme Feda à une seul fois III fis, qui puis viscarent tous plus de XL ans, et furent nomeis Virgile, Amenus et Paris.

Cette même année [88 a.C.n.], le roi Virgile d’Athènes eut des jumeaux, deux fils nommés Casdon et Ezoma. Et le roi Grégoire de Bil eut un fils, appelé Yboneus. La même année encore [p. 185], le roi Aliénus de Valsidone et sa femme Féda eurent trois fils, qui vécurent tous plus de quarante ans et s'appelèrent Virgile, Aménus et Paris.

 

Grégoire de Bil élu consul à Rome - Ptolémée X en Égypte - Hector, roi de Bil (87a.C.n.) - Grégoire à la tête des Romains l'emporte sur les rebelles de Reims, menés par Humbris et Tongris (85/84 a.C.n.) - Alexandre Jannée, cruel roi de Judée, construit la tour Baris (84 a.C.n.) - Succession au Danemark - Présence à Rome de Platon, maître de rhétorique de Cicéron (83 a.C.n.) - Victoire provisoire des Gaulois à Pavie, mais riposte romaine de Grégoire (82 a.C.n.) - Digression : Juifs enfermés dans les monts de Caspie

 

[p. 185] Item, l'an Vc et II, morut I des senateurs de Romme, qui fut nommeis Pallo, qui astoit enssi consule. Adont fut eslus consule par les senateurs de Romme li roy Grigoires de Bil, qui grant partie avoit à Romme, car VI des senateurs erent ses freres, si en astoit plus fors.

[p. 185] En l’an 502 [87 a.C.n.], mourut un sénateur de Rome, Pallo, qui était aussi consul. Pour le remplacer, les sénateurs romains choisirent comme consul le roi Grégoire de Bil, très influent dans la ville. En effet six des sénateurs étaient ses frères, ce qui le rendait plus fort.

A cel temps, assavoir l'an Vc et III, morut ly IXe Ptholomes d'Egypte« ; si regnat apres son fis Esdron X ans, et oit nom ly Xe Ptholomes.

 En ce temps-là, en 503 [86 a.C.n.] mourut Ptolémée IX d’Égypte. Son fils Esdron lui succéda et régna durant dix ans sous le nom de Ptolémée X.

Item, en cel an, fut coroneis à roy de Bil Ector, li fis d'onne des senateurs de Rome, à cuy li roy Grigoire le donnat, liqueis regnat XXII ans.

Cette année-là, le fils d’un des sénateurs de Rome, Hector, fut couronné roi de Bil par le roi Grégoire ; il régna durant vingt-deux ans.

[p. 185] [De Humbris et Tungris] Sor l'an del transmigration de Babylone Vc et IIII, furent rebelles cheaux de Rains en Campangne del payer le tregut aux Romans, et encommenchat grant guerre entre les Romans et eaux par l'annortement des Sycambiens, qui aux Romans avoient hayme. Adont astoient roys de Rains Humbris et Tongris, qui furent les fis le roy Hongris de Rains. Adont commencharent les Romans fortement à chevalchier sour eaux« ; et ly roy Grigoirs conduisoit les Romans, si com soverains consule ; et avoit awec luy VI de ses freres senateurs, et V roys awec leurs enfans.

[p. 185] [Humbris et Tongris] En l’an 504 de la transmigration de Babylone [85 a.C.n.], les habitants de Reims en Champagne se rebellèrent contre le tribut à payer aux Romains et, sur le conseil des Sicambres qui haïssaient les Romains, ils engagèrent contre eux une grande guerre. À cette époque régnaient à Reims Humbris et Tongris, les fils du roi Hongris de Reims. Les Romains envoyèrent contre eux d'importantes forces de cavalerie. Le roi Grégoire, en tant que consul souverain, les dirigeait ; il avait avec lui ses six frères sénateurs, ainsi que cinq rois avec leurs enfants.

Si avient que les Romans et cheaux de Rains orent batalhe le Xlllle jour de junne l'an Vc et V. Là fut mors mult de chevaliers et d'aultres gens ; mains les Romans gagnont, et desconfirent leurs annemis. En cel batalhe fut ochis li roy Humbris« ; et ly roy Tongris, son frere, s'enfuit et rentrat en la citeit de Rains, tres fortement navreis. Là perdirent cheaux de Rains XLm hommes et leur roy. Adont retournarent les Romans vers Rome, por le dobtanche des Sycambiens qui avoient faite alianche à cheaux de Rains por les Romans à destruire.

Romains et Rémois s'affrontèrent le 14 juin de l’an 505 [84 a.C.n.]. Un grand nombre de chevaliers et d’autres combattants furent tués, mais les Romains l’emportèrent et défirent leurs ennemis. Au cours de la bataille le roi Humbris fut tué, et le roi Tongris, son frère, grièvement blessé, prit la fuite et regagna Reims. Dans ce conflit, les Rémois perdirent leur roi et quarante mille hommes. Les Romains rentrèrent à Rome, car ils redoutaient les Sicambres qui s'étaient alliés aux Rémois pour les anéantir.

[Le tour Baris] Item, en cel an, fondat ly roy Alixandre de Judée une mult fort tour sour une roche, et le nommat le tour Baris, laqueile fut de si grant forche que II hommes, qui y eussent asseis à mangier, le defendissent encontre tout le monde ; et le fondat por le paour de ses gens, qui mult le haioient por sa grant malvasteit et fellonie, qu'ilh sourjournoit sovent en cel thour. [p. 186] Belle thour fut cel thour, de quoy Tytus l'emperere blamat les Juys, et tient à recreans portant qu'ilh l'avoient enssi guerpie ; et dest que elle ne fust jà prise par li ne par altre. Chi roy Alixandre demandoit sovent à ses gens par queile manire ilh poroit avoir pais à tous eaux ; mains ilhs respondirent mult fellement que ilh seroit à eaux apaisiés, s'ilh astoit mors, et nient altrement ; por chest response fist-ilh prendre par forche IIIIxx de plus grans proidhommes qui fussent en la citeit de Jherusalem, et awec eaux toutes leurs femmes et leurs enfans, et les fist ochire.

 [La tour Baris] Cette même année, le roi Alexandre de Judée construisit sur un rocher une fort belle tour, nommée la tour Baris ; elle était si fortifiée que deux hommes, s'ils étaient suffisamment nourris, l’auraient défendue seuls contre tous. Alexandre l’avait construite par crainte de ses sujets, qui le haïssaient pour sa méchanceté et sa traîtrise. Il y séjournait souvent. [p. 186] Cette tour était belle, et l’empereur Titus (plus tard) blâma et méprisa les Juifs de l’avoir ainsi abandonnée, et il disait que jamais, ni lui ni un autre ne pourrait la prendre. Le roi Alexandre demandait souvent à ses sujets de quelle manière il pourrait être en paix avec eux, mais ils lui répondirent de façon très impertinente qu’il ne serait en paix avec eux que quand il serait mort. Après cette réponse, Alexandre fit saisir de force quatre-vingts des plus grands sages de la cité de Jérusalem, ainsi que leurs femmes et leurs enfants et les fit mettre à mort.

[p. 186] Item, l'an Vc et VI, morut Nabugodonosor, li roy de Dannemarche ; si regnat apres luy son fis Eneas XV ans.

En 506 [83 a.C.n.] mourut Nabuchodonosor, roi du Danemark. Son fils Énée régna après lui durant vingt-cinq ans.

 [Plato] En cel an lesit à Romme uns gran clers qui oit à nom Plato, portant qu'ilh astoit si gran clerc, et lesit l'art de rethorique. Chi Plato ne fut mie le maistre Aristotle, mains chu fut ly maistre Cyceron le philosophe.

[Platon] Cette année-là, un grand savant, nommé Platon, enseignait à Rome : c'était un très grand érudit et il enseignait l’art de la rhétorique. Ce Platon n'était pas le maître d’Aristote, mais celui de Cicéron le philosophe.

En cel an oit ly roy Gorgile de Bugie I fis de sa femme qui fut nomeis Aristobes.

Cette année encore, le roi Gorgile de Bougie eut de sa femme un fils nommé Aristobes.

[p. 186] [Orible bataille] Item, l'an Vc et VII assemblat ly dus Prians de Galle et li roy Tongris de Rains leurs gens ; si entrarent en Ytale et destruirent pluseurs citeis ; mains li roy Grigoirs leurs vient à l'encontre à grant gens. Si oit batalhe à eaux mult orible droit à Pavie, qui durat jusqu'à la nuit ; et furent les Romans desconfis, et si en fut mors XLm. Si s'en ralerent li remanans à Romme, et les Sycambiens revinrent vers leurs pays ; et fut cel batalhe le XII jour de mois d'avrilh l'an devantdit. Mains quant li roy Grigoirs veit qu'il astoit desconfis, si assemblat grant gens et revient en Galle, si conquist Borgongne et Avergne et mult de pays, et vient jusqu'en Campangne.

[p. 186] [Terrible bataille] En l’an 507 [82 a.C.n.], le duc Priam de Gaule et le roi Tongris de Reims rassemblèrent leurs hommes. Ils pénétrèrent en Italie et détruisirent plusieurs cités, mais le roi Grégoire se porta à leur rencontre avec une grande armée. Il y eut entre eux, précisément à Pavie, une terrible bataille, qui se prolongea jusqu’à la nuit. Les Romains furent défaits et comptèrent quarante mille morts. Les survivants rentrèrent à Rome, et les Sicambres dans leurs pays. Cette bataille eut lieu le 12 avril de l’an susdit. Mais quand il se vit vaincu, le roi Grégoire rassembla une grande armée, revint en Gaule, conquit la Bourgogne, l'Auvergne et beaucoup de terres, jusqu’en Champagne.

Digression : Les Juifs enfermés dans les monts de Caspie

[p. 186] [Des juys encloux es montangnes de Caspie] A cel temps n'avoit en monde altres gens que sarasins, payens et juys, et demoroient les juys seulement en la royalme de Judée et de Surie ; et s'en avoit enclous ly roy Alixandre entres les montangnes de Caspie où ilh en at XLIIII regions, et sont enclouz d'on costeit de la haulte mere et de l'autre de roches ; et si a I porte que ons ne puet ovrir ; et toutes les aultres gens dechà mere et delà astoient tous sarasins et paiens, si que cheauz de Galle et les aultres en l'isle d'Europ astoient payens.

[p. 186] [Des Juifs enfermés dans les monts de Caspie] En ce temps-là il n'y avait dans le monde que des Sarrasins, des Païens et des Juifs. Les Juifs occupaient seulement le royaume de Judée et de Syrie, mais le roi Alexandre en avait enfermés entre les monts de Caspie, où il y a quarante-trois régions. Ils sont bloqués d’un côté par la grande mer, et de l’autre par des rochers, et il n'y a qu'une porte qu’on ne peut ouvrir. Tous ceux qui se trouvaient en deçà et au-delà de la mer étaient Sarrasins et Païens. Les Gaulois et les autres habitants de l'Europe étaient Païens.

 

Bataille épique en Champagne - Les Sicambres de Priam et les Rémois de Tongris contre les Romains de Grégoire - Fuite involontaire de Tongris et défaite des Sicambres - Colère de Priam contre Tongris, qui s'exile sur le conseil de Turnus (82 a.C.n.)

 

[Ly promir grant batalhe que fut unc declaré] Et li roy Grigoirs vient à grant gens parmy Campangne, et ly dus Prian et li roy Tongris [p. 187] vinrent contres les Romans, et ordinarent leurs batalhes ; et là commenchat I de fort batalhe qui fust oncques faite ; et ch'est la promier batalhe qui fuist oncques declarée. Si vos dirons comment chu fust. Les dois oust s'asemblarent li unc à l'autre ; là oit grant labeure de colpeir escus et hyames, et hommes et chevauls ochire à grant planteit. Tongris fut bons chevaliers et hardis ; si brochat vers Amandoniers, I senateur frere à roy Grigoire ; et chis le voit, se broche vers luy. Enssi là se sont ferus par teile manire, qu'ilh ont les escus fendus et les lanches tronchonées ; mains li senateur fut mors et chaiit à terre.

[La première grande bataille jamais racontée] Le roi Grégoire avec de grandes forces arriva en Champagne, où les rois Priam et Tongris [p. 187] marchèrent contre les Romains et organisèrent les combats. Là se déroula une des grandes batailles qui eurent jamais lieu ; elle fut la première à être racontée. Nous vous dirons comment elle se passa. Les deux armées se rencontrèrent avec beaucoup d'acharnement : on frappa sur les écus et les heaumes. Hommes et chevaux furent tués en grand nombre. Tongris se montra excellent et vaillant chevalier. Il piqua sur Amandoniers, un sénateur, frère du roi Grégoire ; ce dernier le vit et fonça vers lui. Ils se battirent si violemment qu’ils fendirent leurs écus et brisèrent leurs lances. Le sénateur fut tué et terrassé.

Adont Tongris, qui astoit poisans, soy ferit en l'estour si enforchiement que chut fut unc tempieste, el abatoit tous mors tous cheaux qu'ilh encontroit, ne nuls ne l'oisoit aprochier. Et enssi faisoit ly dus Prian de Galle et ses gens awec les Campinois, encontre les Romans qui bien soy defendoient; et ly roy Grigoire faisoit mult de fais de chevalerie, et fendoit ches tiestes et ochioit les Campinois. Chi en orent les Romans de peiour, car Tongris at ochis Godras le senateur et Herdant de Puciez ; mains que vault chu ? la fortune leur fut contraire.

Alors Tongris, qui était fort, se porta au combat avec la violence d'une tempête : il frappait à mort tous ceux qu’il rencontrait et personne n’osait l’approcher. Le duc Priam de Gaule et ses gens faisaient de même avec les Champenois, face aux Romains qui se défendaient bien. Le roi Grégoire accomplissait de nombreux exploits de chevalerie, fracassait les têtes et tuait les Champenois. Les Romains cependant furent pris de peur, car Tongris avait tué le sénateur Godras et Herdant de Puciez. Mais à quoi bon tout cela ? La fortune leur fut contraire.

[p. 187] [Del fuite le roi Tongris] Car les Romans astoient tous tourneis al desconfiture, quant une estrangne hisdeur vient à cheval Tongris, si qu'ilh soy mist al fuyr tout contreval les camps, si fort que ly roy Tongris ne le pooit oncques tenir ne ravoir ; car li cheval astoit chals el bolans, et fut espoenteis, se ne targat del fuyr jusqu'à la nuyt. Et quant les Romans l'ont enssi veyut fuyr, si l'ont juppeit et hueit.

[p. 187] [La fuite du roi Tongris] Les Romains s’attendaient tous à la défaite, quand une étrange frayeur agita le cheval de Tongris qui se mit à fuir en dévalant dans les champs. Le roi Tongris ne pouvait ni le retenir ni le maîtriser. Le cheval était ardent et fougueux, et il était si épouvanté qu’il ne cessa de fuir jusqu’à la nuit. Quand les Romains le virent fuir ainsi, ils poussèrent des cris et le conspuèrent.

[Sycambiens desconfis] Sycambiens furent adont mult esmaiiés de cel fuite que Tongris faisoit ; et li uns dest que ilh est vaincus ou despereis, et li aultre dest« : « Anchois at trahit et nous volt dechivoir, nous serons tous ochis. » Adont soy prisent tous al fuyr à une fois, et furent desconfis, et les Romans ont repris cuer, se les ont cachiés et en ochirent pluseurs. Et puis sont les Romans à Romme raleis, por faire fieste à Jupiter de grant myracle qu'il avoit faite, de chu qu'ilh avoit encachiet le roy Tongris de la batalhe apres chu qu'ilh avoit le roy Grigoire navreit si vilainnement ; car Tongris jostat à Grigoire si fort qu'ilh chairent ambdois à terre, et le ferit teile cop [p. 188] de son espée, quant ilhs furent releveis, qu'ilh li copat l'orelhe et le masal et le johe tout jus ; si fut emporteis en I casteal en Tynpol, enssi le nom ons.

[Sicambres défaits] Les Sicambres furent très inquiets de la fuite de Tongris ; les uns le voyaient vaincu ou désespéré, les autres disaient : « Il nous a trahis et veut nous tromper, nous serons tous tués ». Alors d’un coup, tous se mirent à fuir et ils furent vaincus. Car les Romains, ayant repris courage, les poursuivirent et en tuèrent un grand nombre. Ils rentrèrent ensuite à Rome, pour célébrer Jupiter et le remercier du grand miracle qu’il avait accompli, en excluant de la bataille le roi Tongris qui avait si grièvement blessé le roi Grégoire. En effet Tongris l'avait heurté si fortement que tous deux étaient tombés : lorsqu’ils s'étaient relevés [p. 188], Tongris d'un coup d’épée très violent avait coupé l’oreille, la mâchoire et la joue de Grégoire, qui fut transporté dans un château, nommé Tynpol.

[p. 188] [Ly dus Prian corachiés] Et ly dus Prian en astoit mult corochiés, et manechoit fort Tongris qu'ilh en perderoit la tieste. Quant ly roy Turnus qui astoit ayon de roy Tongris car ly roy Hungris de Rains, qui fut peire aux roys Humbris et Tongris, oit à femme la filhe le roy Turnus Andelis quant ilh entendit ches manaches, si prist congiet et se soy partit ; car ilh ne poioit oiir ches paroles, et ne soy voloit corochier à duc Prian, car ilh li astoit trop forte. Et Tongris s'en vat fuyant, et Turnus le vat sywant ; si le rachusut al matin à casteal de Gastinois, et li at racompteit le fait et les manaches del duc Prian ; de quoy Tongris at teile deulh qu'ilh soy fuist ochis, quant Turnus li tollit son espée et li conselhat qu'ilh allast demoreir en alcuns lieu, tant que ly dus Prian fuist refroidiés ; et li dest que ilh feroit la pais.

[p. 188] [Le duc Priam en colère] Le duc Priam, très irrité, menaçait de couper la tête de Tongris. Lorsque le roi Turnus, grand-père du roi Tongris en effet, le roi Hongris de Reims, père des rois Humbris et Tongris, avait épousé Andelis, la fille du roi Turnus eut entendu ces menaces, il prit congé et s’en alla. Il ne pouvait supporter ces paroles, mais ne voulait pas non plus provoquer la colère de Priam, dont la puissance était trop grande. Lorsque Tongris s’enfuit, Turnus le suivit. Il le rattrapa le matin au castel du Gâtinois, où il lui fit part de la situation et des menaces du duc Priam. Tongris en fut si affligé qu’il était prêt à se donner la mort, lorsque Turnus lui retira son épée et lui conseilla d’aller s’installer quelque part, en attendant que s'apaise le duc Priam. Il dit aussi qu’il rétablirait la paix entre eux.

 

Tongres : Tongris exilé trouve un endroit pour y fonder une ville - La fondation de Tongres : date et construction (82 a.C.n.) - Tongris couronné roi de Tongres (78 a.C.n.)

 

[p. 188] Et Tongris le creit et desquendit en Allemangne, et Turnus awec ly ; si allarent tant les boscaiges qui astoient adont parmy les paiis que ons nom maintenant Hesbain, qu'ilh trovarent une mult belle plache alqueile la mere batoit, et y amenoit cascon jour gran planteit de peisons. Quant ly roy Turnus le veit, si dest : « Veichi une plache qui est attemprée por habiteir gens, et siet en crais pays ; bon y seroit del faire une citeit par ma foid. » Et Tongris dest : « Je y feray faire une citeit ; anchois qui passent XV jours sierat commenchié, si plaist à Jupiter. »

[p. 188] Tongris lui fit confiance et, accompagné de Turnus, se dirigea vers l’Allemagne. Ils passèrent par les lieux boisés situés dans les régions qu’on nomme maintenant la Hesbaye, où ils trouvèrent un très bel endroit, baigné par un cours d’eau, qui y amenait chaque jour une grande quantité de poissons. Quand Turnus vit ce lieu, il dit : « Voici un endroit bien adapté pour être habité ; il se situe dans un pays fertile ; ce serait bon, ma foi, d’y fonder une cité. » Tongris dit alors : « J’y ferai construire une cité ; on la commencera avant quinze jours, s’il plaît à Jupiter. »

[p. 188] [De Tongre] Tongre fut commenchié à fondeir, et fut jettée la promier pire del fondement sor l'an del origination del monde Vm C et XVII, qui fut li an del delueve Noé IIm VIIIc LXV, et li an del nativiteit Abraham mil IXc et XXXIIII ans, et l'an del nativiteit Ysaac M VIIIc et XXXv, et l'an del nativiteit Jacob M VIIc LXXIII, et l'an del nativiteit Joseph M VIc IIIIxx et V, et l'an de la destruction de la grant Troie M IIIIxx et XVIII, et l'an del coronation le roy David IXc XCIII, et le deraine année de cent et LXXII olimpiade, et l'an del coronation Romulus sicom empere VIc et LXIII, et l'an del edification de la citeit de Romme VIc et XXXIII, et l'an del [p. 189] transmigration Babylone Vc et VII le XIIIe jour de mois de fevrier, qui astoit le derain mois de l'an.

[p. 188] [Tongres] La fondation de Tongres commença. On en posa la première pierre en l'an 5117 de la création du monde, en l'an 2865 du déluge de Noé, en l'an 1934 de la naissance d'Abraham, en l'an 1835 de celle d'Isaac, en l'an 1773 de celle de Jacob, en l'an 1685 de celle de Joseph, en l'an 1098 de la destruction de Troie, en l'an 993 du couronnement du roi David, en la dernière année de la cent soixante-douzième olympiade, en l'année 663 après le couronnement de Romulus comme empereur, en l'année 633 de la fondation de la ville de Rome et en l'année 507 [82 a.C.n.] [p. 189] de la transmigration de Babylone, le treizième jour de février, qui était le dernier mois de l'année.

[p. 189] Adont fut Tongre commenchié à edifiier par VIc ovriers que Tongris avoit mandeit por les melheurs de pays, et qui toudis onyement ovroient par tous temps ; les carpentirs et les machons targoient trois mois, et dedens chu ilh aparelhoient leur ovraige, assavoir novembre, decembre et jenvier, por ovreir à la saison, sicom de talhier pires, faire mortier et glutineir ; et se misent bien VI ans anchois qu'elle fuste parfaite.

[p. 189] La construction de Tongres commença avec six cents ouvriers parmi les meilleurs du pays, mandés par Tongris. Ils travaillaient ensemble par tous les temps. Charpentiers et maçons s’arrêtaient trois mois, de novembre à janvier, période durant laquelle ils préparaient l'ouvrage de la prochaine saison, comme tailler des pierres, faire du mortier et de la colle. Il fallut au moins six ans pour achever Tongres.

[Tongris coronneit à roy] Mais al chief de IIII ans se soy fist Tongris coronneir à roy de Tongre, et l'apellat enssi apres luy, anchois qu'elle fuste parfaite. Se le coronnat le roy Turnus, qui astoit son ayons ; si oit là mult grant fieste et sollempniteit, puis soy partit ly roy Turnus, si s'en ralat en sa terre en Galle.

[Tongris couronné roi] Mais au bout de quatre ans, Tongris se fit couronner roi de Tongres et donna son nom à la ville avant qu'elle ne soit terminée. C'est le roi Turnus, son aïeul, qui le couronna. Il y eut là une fête grandiose et solennelle, puis le roi Turnus s'en retourna en Gaule, dans son pays.

 

Description de Tongres : Fontaine miraculeuse - Portes fortifiées - Palais - Temples - Édifices publics - Tongres, une des trois grandes villes du monde

 

[p. 189] Ly roy Tongris avoit fait jetteir en la belle plache où Tongre seioit, avoit tout promeir fait par les ovriers circuier la circuit et le tour de la grandeur de la citeit. Si fut troveit qu'elle tenoit XXX miles de circuitude dedens les murs, et sens compteir ens les superbiens, ch'est à entendre les forbos stesans al defours des mures ; elle tenoit ortant de grandeur y ne s'en falloit que XII miles que elle ne fust del grandeiche de Romme.

[p. 189] Le roi Tongris avait décidé de s'installer dans le bel endroit où s'élèverait Tongres. Il avait d'abord fait mesurer par les ouvriers le circuit de la grande cité. Elle avait un pourtour de trente milles à l’intérieur des murailles, sans compter les parties ajoutées, c’est-à-dire les faubourgs en dehors des murs. Son étendue était telle qu'il ne lui manquait que douze milles pour égaler la grandeur de Rome.

[Del fontaine de Tongre] Et dist Plinius le philosophe en ses croniques qu'elle astoit plus belle, et plus gratieux, et de miedre edifis, et plus gentis que Romme n'estoit. Et parole Plinius de une fontaine qui astoit à Tongre dedens les mures de la citeit, et qui astoit bien aournée d'or et d'argent, et bien enfermée de pieres prechieux, qui faisoit aparamment myracle et garisoit de toutes maladies de monde, se mort n'y astoit, queilconques por boivre de ly ; et se ly maladie astoit de navreir ou de plaies, ons le lavoit del aywe, si garissoit legierement.

[La fontaine de Tongres] Pline le philosophe dit dans ses chroniques que Tongres était plus belle, plus charmante, mieux bâtie et plus agréable que Rome. Pline parle aussi d’une fontaine se trouvant à Tongres, à l'intérieur des murs de la ville, entièrement décorée d’or et d’argent, et toute cerclée de pierres précieuses. Elle passait pour miraculeuse et guérissait tous ceux qui en buvaient, de toutes les maladies du monde, si elles n'étaient pas mortelles ; et s'il s'agissait de blessures ou de plaies, un malade lavé avec son eau était aussitôt guéri.

[Des portes de Tongre] [Des castels] Et astoient les mures halt de L cubites plantiveusement, et espesses de XX cubites. Si avoit altour XX portes aux entrées de la citeit ; et avoit [p. 190] atour des mures LX grosses thours et mult fortes, et tenait cascon par dedens IIc piés de largeche. Et si avait XII casteals grans et puissans et mult fors desus les XII maistres portes de la citeit, desqueiles cascon casteal contenait demy bonnier de porpris.

[Les portes de Tongres] [Les castels] Les murs étaient hauts de cinquante coudées bien comptées, et larges de vingt. Tout autour, vingt portes se trouvaient aux entrées de la cité. Les murs [p. 190] étaient flanqués de soixante grosses tours fortifiées, chacune large de deux cents pieds à l’intérieur. En outre, douze grands castels fortifiés surmontaient les douze portes principales, chacun disposant d'un enclos d’un demi-bonnier1.

[Des palais] [Des temples] Item, ilh y avait IIII palais de roys à IIII costeis d'orient, d'occhident, de medis et de septentrion, et y avait trois temples : ly unc de Jupiter, l'autre de Mars et le thier de Venus ; et tenait ly marchiet VI bonier plantivoisement. Et passait parmy le marchiet la mere ; si avait tout al delonque, sour la rivaige dechà et delà, murs hauls de LX piés, et des aneais de fer atachiés dedens les mures, là ons arivoit, lez naves venantes là, sour mere. Et avait XII postiches ès mures dechà et delà, par où ons allait al rivage.

[Les palais] [Les temples] Il y avait sur les quatre côtés, à l’est, à l’ouest, au sud et au nord, quatre palais royaux, et trois temples : l’un de Jupiter, l’autre de Mars, et le troisième de Vénus. Le marché occupait largement six bonniers [plus de huit hectares]. La rivière passait au milieu du marché. Tout le long, des deux côtés, on trouvait des murs hauts de soixante pieds [quelque 20 mètres], et des anneaux de fer fixés dans les murs, là où arrivaient les bateaux. De part et d’autre, douze escaliers dans les murs permettaient de monter et de descendre.

Apres astoit asseis pres de rivaige une grosse thour et grant, où les juges seioient ; et al encontre avait une altre thour et uns gran palais où les gens d'armes habitoient. Et y avait beals plains par la citeit, qui puis furent mainsonneit. Et y vient demoreir à chesti fois, de borgois nobles et ignobles, jusques à la somme de LXXm hommes. Ilh semblait que les maisons de la citeit fussent casteals.

En outre, assez près de la rive, se dressait une tour grosse et haute, où siégeaient les juges, et en face une autre tour et un grand palais, où résidaient les hommes d’armes. De beaux espaces dans la cité étaient occupés par des maisons. Des bourgeois, des nobles et des roturiers vinrent alors s'y installer, soixante-dix mille personnes au total. Les maisons de la ville ressemblaient à des châteaux.

[p. 190] Tant de nobles edifis oit en la citeit, si com racompte Plinius, et tant de mervelhes, que ons n'aroit mie racompteit en long temps chu qu'ilh y avait ; et tant que chu astoit la soveraine citeit de monde de bealteit et de gentis edificesses. Et fut de tout Allemangne, hault et basse, la principaul citeit et capitaine, et compteit une des trois plus grant citeit de monde et la plus belle des trois : ç'astoit Romme, Cartaige et Tongre. Romme fut li plus grant, Cartaige fut la plus année, et Tongre fut la plus noble.

[p. 190] La cité comptait tant d’illustres édifices, comme le raconte Pline, et tant de merveilles qu'un long moment ne suffirait pas pour les décrire. C’était vraiment la cité souveraine du monde pour sa beauté et ses constructions élégantes. De toute l’Allemagne, haute et basse, elle fut la cité principale et capitale. Elle comptait parmi les trois plus grandes villes du monde, et c'était même la plus belle des trois : Rome, Carthage et Tongres. Rome était la plus grande, Carthage la plus ancienne, et Tongres la plus noble.

Ches trois citeis furent les plus grandes de monde al temps que Tongre astoit, car la citeit de Nynyve, que ly roy Nynus fondat, et la citeit de la grant Babylone, qui furent les II plus grant de monde, astoient adont destruites, se ne les comptoit-ons mie. Nous ne parlerons plus de Tongre tant com aors ; car ons le fait jusques à tant qu'elle serat parfaite ; et parlerons d'aultres mateires.

Ces trois cités étaient les plus grandes du monde du temps de Tongres, car Ninive, fondée par le roi Ninus, et la grande Babylone, qui avaient été les deux plus grandes cités du monde, étaient alors détruites. On ne les compte donc pas. Nous ne parlerons plus maintenant de Tongres ; on y reviendra quand elle sera achevée (p. 192-193). Nous allons aborder d’autres sujets.

 

1 Bonnier : Ancienne mesure de terrain utilisée autrefois, équivalant tantôt à 1 hectare, tantôt à 1,4 hectare.

 

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