Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 280b-285a
Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)
[BCS] [FEC] [Accueil JOM] [Fichiers JOM] [Pages JOM] [Table des Matières JOM]
Digression I (liée à Auguste)
Comparaison entre César et Alexandre - Les monts de Caspie - Gog et Magog - Les rois et les peuples caspiens [Myreur, p. 280b-285a]
Introduction [sommaire et texte]
On trouve ici la première de deux digressions qui vont interrompre l'organisation annalistique du Myreur. Se présentant comme la description d'un débat entre deux personnages, elle est censée se dérouler en présence de l'empereur Auguste et porter sur une comparaison entre César et Alexandre le Grand.
C'est un genre d'exercices remontant à l'antiquité. On songera par exemple aux Vies Parallèles de Plutarque, où l'auteur expose l'une après l'autre la biographie de deux personnages, en la faisant suivre souvent d'une synkrisis (« une comparaison »). Celle qui a dû exister sous la plume de Plutarque entre Alexandre et César semble avoir disparu, ce qui n'a pas empêché M. Dacier, un traducteur célèbre de la fin du XVIIIe siècle, d'en proposer une « reconstitution » qu'il a intégrée dans le tome IX de sa traduction des Vies des Hommes Illustres (Paris, 1803). On songera aussi à Tite-Live (IX, 17, et à son excursus sur Alexandre, où il s'agissait toutefois moins de comparer Alexandre à César que de disserter sur les chances qu'auraient eues les armées et les généraux romains s'ils avaient dû affronter Alexandre. C'était là, pour reprendre les mots de B. Mineo (Tite-Live et l'histoire romaine, Paris, 2006, p. 250), un exercice à la mode ». Dans le cas de César et d'Alexandre, pareil exercice de comparaison se pratiquait encore au XVIIe-XVIIIe siècle (cfr par exemple le Jugement sur César et Alexandre de Charles de Saint-Évremond).
Pour en revenir au Moyen Âge et à notre texte, on évoquera le motif dit des « Neuf Preux » qui apparaît complètement formé dans les premières décennies du XIVe siècle dans un roman en vers composé par Jacques de Longuyon et intitulé Les Vœux du Paon (p. 109). Le héros de ce poème souhaite rivaliser avec les guerriers illustres du passé et puise successivement aux trois sources des antiquités gréco-romaines, juives et chrétiennes pour choisir ses modèles. Ensemble les « Neuf Preux » sont censés incarner toutes les vertus du parfait chevalier. Les Trois païens étaient précisément Hector, Alexandre et César. Quoi qu'il en soit, la comparaison entre César et Alexandre est un thème fréquent chez les chroniqueurs, leurs exploits faisant partie de ce que Jean Bodel, le trouvère-ménestrel d'Arras (né vers 1165 - mort vers 1210), nomme la matière de Rome (Wikipédia).
Cela dit, et pour aborder la version de Jean d'Outremeuse, on s'aperçoit très vite qu'il ne s'agit pas d'une comparaison en bonne et due forme. En effet, la confrontation vient à peine de commencer que l'empereur Auguste prist le debat sour ly, en jugeant qu'on ne peut s'opposer sur pareille question et qu'il faut considérer les deux conquérants comme également estimables. Et c'est l'empereur lui-même qui se charge de présenter leurs conquêtes respectives. Mais, sous la plume du chroniqueur, la présentation est totalement déséquilibrée en ce sens que la notice fait l'impasse sur les réalisations de César : l'empereur, note le chroniqueur qui renvoie à ce qu'il a dit plus haut, « se mit à nommer tous les pays conquis, les énumérant l’un après l’autre, dans l’ordre que j'ai adopté ci-dessus » (p. 280). Seules les conquêtes d'Alexandre font l'objet d'un véritable développement.
En réalité, l'exposé est biaisé en ce sens que l'accent est mis sur les merveilles associées aux voyages du héros. Il est sur ce plan significatif que le premier pays envisagé soit l'Inde, située aux extrémités du monde, et renfermant, comme l'Afrique, des populations totalement hors normes. Significatif aussi que l'essentiel de l'exposé soit consacré aux monts de Caspie et aux peuples également hors normes que cette région était censée abriter ou, plus exactement, contenir. Vingt-deux peuples seront ainsi énumérés avec leurs rois respectifs. Et le chroniqueur amène à la rescousse (si l'on peut dire) Gog et Magog, des êtres mystérieux cités dans la Bible et qui doivent se manifester à la fin du monde (Ézéchiel, XXXVIII-XXXIX ; Apocalypse, XX, 7, 8). Ces deux noms reviendront beaucoup plus loin dans Ly Myreur (p. II, 17) et surtout III, p. 65, dans l'histoire d'Ogier : Apres vint Ogier au mont de Caspie que ons dist Goch et Magoch, où Alixandre ly grand encloyt XXII roys des faux juiffz, que ons nommes commonnement les rouges juiffz.
Les monts de Caspie avaient déjà été cités plus haut (p. 186). En effet Jean, en distribuant les peuples sur la carte du monde, avait parlé des Juifs enfermés, par Alexandre précisément : le grand conquérant « les avait enfermés entre les monts de Caspie, en une zone de quarante-trois régions. Ils étaient bloqués d’un côté par la haute mer, et de l’autre par des rochers, et il n'y avait qu'une porte qu’on ne pouvait ouvrir ». Il n'est pas facile de mettre une cohérence entre les deux passages. Notons que le Coran (XVIII, 94-97) a conservé le souvenir de la légende de Gog et de Magog, en associant Alexandre le Grand à leur enfermement (cfr M. Chebel, Dictionnaire encyclopédique du Coran, Paris, 2009, p. 182-183).
L'examen quelque peu détaillé du thème de Gog et Magog, des Montagnes, des rois et des peuples de Caspie, en eux-mêmes ou en rapport avec Alexandre, nécessiterait de longs exposés, que nous ne pouvons faire ici. On trouvera déjà de substantielles indications chez S. Sáenz-López Pérez, Caspiennes (montagnes), dans le Dictionnaire des lieux et pays mythiques, de O. Battistini [et alii], Paris, 2011, p. 266-268, mais pour plus d'informations, on se reportera à : A.R. Anderson, Alexander's Gate, Gog and Magog, and the Inclosed Nations, Cambridge, 1932, 117 p. (The Mediaeval Academy of America. Monographs, 5. The Mediaeval Academy of America. Publications, 12). Le thème des peuples étranges et mystérieux, en liaison ou non avec les voyages d'Alexandre, est souvent traité dans l'antiquité gréco-romaine (Pline, Histoire Naturelle, VII, 2 ; le pseudo-Callisthène ; la littérature grecque sur les eschatiai tês oikoumenês en général) et au Moyen Âge.
Quand on parle d'Alexandre, il faut bien sûr citer Le Roman d'Alexandre, mais d'autres lectures sont également intéressantes, comme celle de l'Apocalypse du Pseudo-Méthode (éd. W.J. Aerts, G.A.A. Kortekaas, Louvain 1998, p. 108-121 [Corpus scriptorum christianorum orientalium, 569-570]). On pourra voir aussi M. Paulmier-Foucart, Peuples étranges et utopies dans le « Speculum Maius » de Vincent de Beauvais, dans En quête d'Utopies. Textes réunis par C. Thomasset et D. James-Raoul, Paris, 2005, p. 277-298. La lecture du chapitre LXXII du Livre des Merveilles de Jean de Mandeville (éd. M. Tyssens, R. Raele, La version liégeoise du Livre de Mandeville, Bruxelles, 2011, p. 144-146) est également fort intéressante. Ce contemporain de Jean mentionne en effet les Montagnes Caspiennes, les fruits merveilleux qui se transforment en oiseaux, Gog et Magog, la réclusion des Dix Tribus d'Israël et celle des vingt-deux peuples en liaison avec Alexandre, les Amazones qui gardent le passage, les événements qui se produisent lors de l'apparition de l'Antéchrist, ainsi que le renard qui perce un trou dans la barrière montagneuse et suscite l'étonnement des personnes enfermées. Compte tenu des rapports existant entre les deux auteurs, il est permis de penser qu'ils ont pu s'influencer.
Mais restons-en là. Quoi qu'il en soit, l'évocation de toutes ces régions semble avoir amené à l'esprit du chroniqueur liégeois l'idée d'un exposé d'ensemble sur la géographie du monde. La digression suivante sera effectivement la « Mappemonde ».
* Préparation du débat en présence d'Auguste
* Les conquêtes d'Alexandre, ses réalisations, les merveilles observées
* Transition vers la description du monde (« Mappemonde »)
****
Préparation du débat en présence d'Auguste
[p. 280] [De champs esmuis entre March et Grispart] En cel an meismes, le XIIIe jour de julet vinrent devant August l'emperere de Romme Johans March, prinche de Antioche, Grispart d'Egypte prinche de Farinonde, dois gentilshommes et bons chevaliers et hardis de corps, et grant gens por loiier I champt de batalhe entre eaux dois devan l'emperere, à cuy ilhs astoient ambdois siervans ; et si astoit li champs entre eaux esmuis sour des parolles que Johans disoit et maintenoit, que Julius Cesaire avoit esteit myedre chevalier qui ly roy Alixandre, et plus conquis à son temps de fors paiis. Et Grispart disoit que Alixandre avoit plus de fors paiis conquis trois fois que Julius Cesaire, et avoit esteit miedre de la main. |
[p. 280] [Discussions entre Marcus et Agrippa] Le 13 juillet de cette même année [18 a.C.n.] se présentèrent devant Auguste, empereur de Rome, Jean Marcus, prince d’Antioche, et Agrippa d’Égypte, prince de Pharos, deux gentilshommes, bons et valeureux chevaliers, accompagnés d’une foule nombreuse pour mener une discussion entre eux devant l’empereur, qu’ils servaient tous les deux. La discussion était née des paroles de Jean qui disait et soutenait que Jules César avait été meilleur chevalier que le roi Alexandre et qu'il avait conquis à son époque plus de pays étrangers. Agrippa par contre disait qu'Alexandre avait conquis trois fois plus de pays extérieurs que César et avait été meilleur combattant. |
[De l’emperere coment ilh prist le debat sour ly] Mains ly emperere prist le debat sour ly, en disant que ons ne se doit point combatre por teils chouses, ains en doit-ons avoir solas à prisier l'unc et l'autre ; car ilhs furent ambdois mult à prisier : « Vos saveis, par vehue evidente, que Julius mon oncle conquist mult de terres et de paiis. » Là les alat declareir tous les paiis, et rechiteir l'unc apres l'autre en orden en teil maniere com je l'a declareit desus. |
[L’empereur prend le débat sur lui] Mais l’empereur prit sur lui le débat, disant qu’on ne doit pas s'opposer sur de telles questions mais prendre plaisir à estimer l’un et l’autre héros ; car ils furent tous deux très estimables : « Vous savez, par une évidence vécue, que mon oncle Jules a conquis de nombreux territoires et pays ». Et il se mit à nommer tous les pays et à les énumérer l’un après l’autre, dans l’ordre que j'ai adopté ci-dessus. |
Les conquêtes d'Alexandre, ses réalisations, les merveilles observées
[Des conquest Alixandre le Gran] Apres, quant ilh oit tout declareit de Julius Cesar, se dest que Alixandre [p. 281] par sa nobleche avoit mervelhe conquis à son temps plus que nuls altre qui oncques awist esteit. Si commenchat à dire son conquest, solonc les escriptures ; mains, portant que nos ne l'avons mie declareit à son temps, et vos avons renvoiet à l’escripture, nos en deviserons en partie, et todis à la correction de l’escripture à laqueile nos renvoions. |
Conquêtes d’Alexandre le Grand] Après avoir terminé son exposé sur Jules César, Auguste dit qu’Alexandre, [p. 281] grâce à sa valeur, avait fait à son époque de merveilleuses conquêtes, plus que nul autre guerrier qui l'avait précédé. Et il se mit à les énumérer, selon les textes. Mais, puisque nous ne les avons pas signalées en son temps, nous bornant à vous renvoyer aux textes écrits, nous en parlerons un peu, toujours sous le contrôle de la source écrite que nous utilisons. |
Promierement dist Auguste que Alixandre, roy de Machidone, conquist Ynde qui est I pays lontains et fours ; là conquist-ilh de gens de horrible regars, de flarans goste, de fais tres-hideux ; mains chu fut la volenteit de Dieu, qui plus li aida que le poioir de humaniteit. Alixandre astoit mult combatable. Si trovat mult de genre et manere de combatre ; ilh mettoit mult sagement les chiens en batalhes, sicom chevaliers, qu'ilh avoit instruis del combattre, et les armoit comme gens, et les pors aussy faisoit combattre aux hommes, et les fesoit armes de cures bolis, si les en vcstoit. |
En premier lieu, dit Auguste, Alexandre de Macédoine conquit l’Inde, un pays lointain et extérieur, où il soumit des êtres aux regards effrayants, à l’odeur nauséabonde, aux traits vraiment repoussants, aidé en cela plus par la volonté de Dieu que par la force humaine. Alexandre était un très valeureux guerrier. Il inventa maints types et méthodes de combats. Il rangeait très habilement en bataille, des chiens comme des chevaliers : il leur avait appris à combattre et les armait comme des hommes. Il faisait aussi combattre contre des hommes des porcs, armés et vêtus de cuirs bouillis. |
[Mervelhe des batalhes Alixandre] Alixandre trovat promier à contrefaire les sagittars d'hommes armeis enssi de cures bolis et monteis sour dromedars et chamos. Ilh soy combattit à ches gens qui avoient arcs et saietes pour traire, et les faisoit conduire olyphans pluseurs. Et cheaux sont gens qui ont tiestes de chiens, et des aultre qui n'ont qu’I oelhe qui stat emmy le front, les aultres à unc piet qui est si gran qu’ilh en font umbre à leur chief encontre le soleal, les aultres les tiestes dedens les espalles seant et la bouche en la poitrine, et les oelles aux dois espalles ; mains ilhs por l'apressement de la tieste portent de cel cuire bolit, nient tant qu’ilh soient mult enforchiés de combattre. Tous ches hommes monstrueux true-ons encors ens ysles d'Affrique ; et si true-ons des aultres qui ont faiche d’homme, le corps et les piés de lyon, le couwe de scorpion, trois dens joins ensemble. Ches gens nient tant seulement mangnent les herbes, mains ils mangnent oussi les arbres. |
[Merveille des batailles d’Alexandre] Alexandre fut le premier à imiter les archers avec des hommes armés eux aussi de cuirs bouillis et montés sur des dromadaires et des chameaux. Il se battit contre des gens armés d'arcs et de flèches, et il les faisait conduire de nombreux éléphants. Ces gens ont des têtes de chiens ; d’autres n’ont qu’un œil au milieu du front ; d’autres ont un pied si grand qu’ils s’en servent pour mettre leur tête à l’ombre face au soleil ; d’autres ont la tête enfoncée entre les épaules et la bouche sur la poitrine, et les yeux sur les deux épaules ; mais pour protéger (?) leur tête, ils portent de ce cuir bouilli, à moins qu'ils ne soient contraints à combattre. Tous ces hommes monstrueux, on les trouve encore dans des régions d’Afrique. Il y en a aussi qui ont des faces d’hommes, un corps et des pieds de lion, une queue de scorpion, trois dents liées ensemble. Ces gens non seulement mangent des herbes, mais aussi les arbres. |
[Mervelhe des myreurs ardents] Quant Alixandre les veit, se dest que chu astoient chouses destineez, qui ne poroit eistre conquise par forche. Si at troveit une arc de milh myreurs de fier [p. 282] blanquis et bien nettement brunis, se les fist porteir contre le soleal al encontre de ces gens ; si les ont tous ablawis et ars à poudre, car ons les nomme myreurs ardans ; si ardoient à cent cubites devant eaux. Et deveis savoir que les casteais et les hommes et les biesles ardirent tous ; si en oit Alixandre victoir. |
[Prodige des miroirs brûlants] Quand Alexandre les vit, il se dit que toute cela relevait de la magie et que la force ne pourrait l'emporter. Il inventa un demi-cercle fait de mille miroirs de fer [p. 282] blanchis et soigneusement polis, qu'il fit placer face au soleil contre ces gens qui furent tous éblouis et pulvérisés. On les appelle les miroirs brûlants ; ils brûlaient jusqu’à cent coudées devant eux. Et sachez que des châteaux, des hommes et des bêtes périrent totalement par le feu ; c’est ainsi qu’Alexandre les vainquit. |
Les monts de Caspie - Gog et Magog - Les noms et la description des vingt-deux rois et peuples caspiens - Autres merveilles
[p. 282] [Des innumerables peuples que Alexandre encloit entre les montangnes Caspies] Vos deveis savoir que les pays que Alixandre conquist sor si faites gens, sont plus grans que toute la conqueste que Julius Cesar fist oncques tout son temps, car ilhs s'extendent par les dois pars d'Affrique ; |
[p. 282] [Les innombrables peuples qu’Alexandre enferma dans les monts de Caspie] Vous devez savoir que les pays conquis par Alexandre sur des gens ainsi faits sont plus vastes que tous les pays conquis par Jules César durant toute sa vie ; ils s’étendent en effet sur les deux parties de l’Afrique. |
encors y demorat XXII royalmes à conquiere, desqueils cascon roy at VIIIc dus desous luy, et cascon dus at cent milh homme combattans. Quant Alixandre veit teile puissance, malgreit tous ses adversairs ne soy voult oncques combattre à eaux, et se les encloiit tous ensemble, par sa proiere qu'ilh fist à Dieu regardant vers le chiel ; si que Dieu omnipotent entendit les parolles Alixandre, et encloit les montangnes ensembles, excepteit qu'ilh demoront XV passe, lesqueils Alixandre encloiit artificielment par portes d'erain, et les absconsat si forte de pires que nuls ne les puet troveir, car les usuries [sic] des portes remanont plus fortes saielées, que fier soldeit par force de feu ly unc à l’autre ne sieroit. |
Vingt-deux royaumes restaient encore à conquérir, et chaque roi avait sous ses ordres huit cents ducs, et chaque duc cent mille combattants. Quand Alexandre vit pareille puissance, malgré la pression de ses adversaires, il ne voulut pas se battre contre eux. Regardant le ciel, il fit à Dieu une prière demandant qu'ils soient enfermés tous ensemble. Alors le Dieu tout puissant entendit Alexandre. Avec les montagnes qu'il rassembla, il fit un cirque, en laissant toutefois quinze passages qu’Alexandre ferma avec art et méthode par des portes de bronze. Ces passages étaient si bien cachés par des pierres que nul ne pouvait les trouver, et les battants (?) des portes furent plus solidement scellés l'un à l'autre que ne le seraient des fers soudés par le feu (cfr p. 186). |
[De Goche et Magoche] Et chu sont les montangnes de Goche et Magoche, lyqueis Goche soy combat d'espée à Magoche, qui commande benediction et malediction ; et Goche et Magoche sont les noms de dois principals roy, et est chu en Orient. |
[De Gog et Magog] Et ce sont les montagnes de Gog et Magog ; ce Gog combat à l’épée contre Magog, le maître de la bénédiction et de la malédiction. Gog et Magog sont les noms des deux principaux rois, et c’est en Orient. |
[p. 282] [Les noms des XXII roys de Caspie] Item, le promier roy des XXII fut nomeis Anoghit : chis avoit gens de XII cubites de hault, qui soy combattent aux griffons. Ly seconde roy avoit nom Ageteit : chis avoit fortes gens que ons nom Agrotos et Bramotos, qui le vie de chesti monde donnent Dieu, et s’ardent en feu por son amour. Ly thirs roy oit nom Cavenagon, qui a des gens que ons nom Cenochephalos, qui ont tiestes de chiens et corps d’hommes. Ly quars roy oit nom Dapar : cheaux sont gens à ly [p. 283] apartinant qui ochient leurs peires et leurs meires quant ilhs sont vies, et les mangnent ; et qui ne le fait ilh est jugiés à grant paine. Ly Ve est dit Apodineir, qui at des gens qui ont à nom Andrios, qui mangnent les peissons tous crus, et boivent la mere salée. Ly VIe roy oit nom Libnius, qui at des gens qui ont nom Palmos, qui ont VIII dois en leurs mains et ès piés. Ly VIIe roy est Limius, qui at gens qui ont nom Arismapos, qui ont une oelhe en leur frons. Ly VIIIe roy est dit Pariseus, qui n'at qu'on piet, et ses gens enssy ; mains chi piet est si gran qu'ilh en font umbre contre le soleal, sicom en Affrique. Ly IXe roy at nom Declocius, et ont ses gens à nom Agapites, qui sont tous polhus par leurs corps, excepteit leur col : cheaux ont les bouches, et nées, et oeux emmy le pis. Ly Xe at nom Zarmeus, qui at des gens c'on nom Bivos et Sachinos, qui ont tiestes cornues enssi com loche, et nées et oeux emmy le pis, le pis al forme d'hommes, les coxes et les piés enssi corn boche. Ly XIe roy est dit Thebeus, qui at des gens qui sont nomeis Centauros, qui le tieste et le pis ont d'hommes et le corps de cheval. Ly XIIe roy est dit Carmatius : chis at des gens qui le chair des biestes crue mangnent, et soy combatent aux grans serpens, et les devorent enssi com corbaux. Ly XIIIe roy at nom Calcoenus, qui at des gens qui ons apelle Cumetos, qui ont le corps d'aysnes et les gambes et les piés de lyons. Ly XIIIIe roy est Amardeus, qui gouverne les Tantaleus entre lesqueis est Cariama, une bieste qui at les piés de unc olyphan, les masselles cornues de la longeche de II cubites. Ly XVe roy est dit Germarons : chis at des gens que ons nomme Elchios, qui ont tiestes d'hommes et corps de lyon et d'olyphan. Ly XVIe roy est dit Anafragius, qui at les noires Mardinigos, et si ont awec eaux I maistre/mostre de meire que ons nomme Manticora : et at fache d'homme et trois dens en ordre, corps et jambes de lyon et couwe de scorpion, oeux senglans. Le XVIIe roy est dit Alfagius, qui at des gens qui ont nomme Obfaresos, qui ont tiestes de cheval, qui sont useis de traire de saiettes et de ars. [p. 284] Ly XVIIIe roy est dit Alaneus, qui at des gens qui sont nommé Mylvos, qui ont piés de griffons et sont valhans combatteurs. Ly XIXe roy est dit Canibus, qui at des hommes de bonne manere, et ament grandement les reverentes gens, et ne regardent mie qu'ilh fachent maul pour leur amour. Ly XXe roy est dit Philonicus, et ses gens ont nomme Glaciiens, qui ont fache d'hommes et corps de toreal ; et awec eaux est I maistre/mostre de meire qui est nommeis Menochetos qui at le corps de cheval, piés d’oliffans et le tieste de chierf, et at une corne emmy le front, acuit et resplendant. Ly XXIe roy est dit Artineus, et ses gens ont nom Bellions. Et li XXIIe roy est dit Saltarius, qui at des gens qui ons nom Syrenos, qui à chanteir font les gens dormir.
|
[p. 282] [Les noms des vingt-deux rois de Caspie] Le premier de ces vingt-deux rois se nommait Anoghit : ses sujets, hauts de douze coudées, se battaient contre des griffons. Le second roi avait pour nom Ageteit ; il avait des gens forts, nommés Agrotos et Bramotos, qui donnent leur vie de ce monde à Dieu et se brûlent par le feu par amour pour lui. Le nom du troisième roi est Cavenagon. Ses sujets sont appelés Cynocéphales, parce qu'ils ont des têtes de chiens et des corps d’hommes. Le quatrième roi se nomme Dapar. Certains de ses [p. 283] sujets tuent leurs pères et leurs mères quand ils sont vieux, et les mangent. Celui qui ne le fait pas est condamné à une lourde peine. Le cinquième roi est Apodineir. Ses sujets ont pour nom Andrios ; ils mangent les poissons tout crus et boivent l’eau salée de la mer. Le sixième roi se nomme Libius et ses sujets ont pour nom Palmos. Ils ont huit doigts aux mains et aux pieds. Le septième roi est Limius, et ses sujets, nommés Arismapos, ont un œil sur le front. Le huitième roi, Pariseus, n’a qu’un pied, et ses sujets de même ; mais ce pied est si grand qu’ils en font de l’ombre contre le soleil, comme en Afrique. Le neuvième roi est nommé Declocius, et ses gens Agapites. Tout leur corps est couvert de poils, excepté leur cou. Ils ont leur bouche, leur nez et leurs yeux au milieu du torse. Le dixième roi a pour nom Zarmeus, et ses sujets, nommés Bivos et Sachinos, ont des têtes cornues de boucs, le nez et les yeux sur la poitrine, de forme humaine, les cuisses et les pieds de boucs. Le onzième roi est appelé Thebeus et ses sujets Centaures. Ils ont la tête et le torse d’un homme et le corps d’un cheval. Le douzième roi a nom Carmatius. Ses sujets mangent la chair crue des animaux et s'attaquent aux grands serpents, qu’ils dévorent comme les corbeaux. Le treizième roi se nomme Calconeus, et ses sujets, appelés Cumetos, ont des corps d’âne et des pieds de lion. Le quatorzième roi, nommé Amardeus, gouverne les Tantaleus, parmi lesquels se trouve Cariama, une bête avec des pieds d’éléphant et des joues aux cornes longues de deux coudées. Le quinzième roi se nomme Germarons. Ses sujets, qu’on nomme Elchios, ont des têtes d’hommes et des corps de lion et d’éléphant. Le seizième roi est Anafragius, qui a pour sujets les noirs Mardinigos. Chez eux vit un monstre marin, nommé Manticora. Il a une face humaine et un rang de trois dents, un corps et des pattes de lion, une queue de scorpion, et des yeux injectés de sang. Le dix-septième roi est nommé Algagius, et ses sujets, appelés Obfaresos, ont des têtes de cheval. Ils sont habitués à se servir de flèches et d'arcs. [p. 284] Le dix-huitième roi, nommé Alaneus, a des sujets qu’on appelle Mylvos. Ils ont des pieds de griffons et sont de valeureux guerriers. Le dix-neuvième roi est appelé Canibus. Ses sujets ont de bonnes manières. Ils aiment beaucoup les gens respectables et n’hésitent pas à se mettre en peine par amour pour eux. Le vingtième roi est nommé Philonicos. Ses sujets, nommés Glaciens, ont une face d’homme et un corps de taureau. Ils ont chez eux un monstre marin, nommé Menochetos, qui a un corps de cheval, des pieds d’éléphant et une tête de cerf, avec aussi, au milieu du front, une corne pointue et brillante. Le vingt et unième roi est appelé Artineus, et ses sujets sont nommés Bellions. Et le vingt-deuxième roi est nommé Saltarius. Ses sujets, nommés Sirènes, endorment les gens en chantant. |
[Cheaux del generation Cham] Toutes ches generations de gens devant dit sont del generation Cam, le fis Noé ; les roys sont del generation Israel que ons apelle infernal Goche et Magoche, enssi com sains Johan dist en l'Apocalips que en les derains temps, por les pechiés de peuple, soy releveront Goche et Magoche qui preoccuperunt la terre. Item dist une altre escripture que les Ysmahelit venront, et possideront le sainctuare de Dieu. |
[La famille de Cham] Tous les peuples cités ci-dessus sont issus de Cham, le fils de Noé. Quant aux rois qu’on appelle l’infernal Gog et l'infernal Magog, ils sont de la famille d’Israël, selon ce que dit saint Jean dans l’Apocalypse [XX, 7-8] : « À la fin des temps, à cause des péchés du monde, se relèveront Gog et Magog, qui précédemment occupèrent la terre ». Un autre texte [Genèse, XVII, 20] dit que les descendants d'Ismaël viendront et posséderont le sanctuaire de Dieu. |
[p. 284] [De renart qui foiit la montangne] Dont mult de generations de biestes furent awec eaux enclouse ; mains renars ly vulpis n’y fut mye enclouz, qui de malvais enforchement foiit tant la montangne, qu’il le trawat et vient là dedens awec les altres, lequeil fait ilh tinrent por myracle. Si vinrent apres ly jusques aux portes, si aporchurent l'yssue par la divine puissanche, si voirent fours yssir ; mains Dieu qui veit leurs malisches, si les fermat celle entrée que ons appelle le porte de Caspie, si qu’ilh ne puelent fours issir jusques devant le jugement, que renard les assengnerat la voie dont ilh isseront. |
[p. 284] [Le renard qui creusa la montagne] De nombreuses espèces de bêtes furent enfermées avec eux, mais pas Vulpis le renard. Sous l'emprise d'une force mauvaise, il creusa tellement la montagne qu'il réussit à la percer et arriva à l'intérieur au milieu des autres, qui considérèrent cela comme un miracle. Ils le suivirent jusqu’aux portes, aperçurent la sortie aménagée par la puissance divine et voulurent l'utiliser. Mais Dieu, qui vit leur malice, leur ferma ce passage appelé la porte de Caspie, pour qu'ils ne puissent pas en sortir avant le jugement, lorsque le renard leur montrera la route par où ils sortiront. |
[Mervehle des Sicropes - Mervelhe des Pigmeaux] Dieu at fait mult de mervelhes à monde, on ne s'en doit point mervelhier, car ons voit les Sicropes qui n’ont que une oelhe, qui ne voient nient mains que cheaux qui ont II oeux ; et tout enssi com nos tenons les Pigmeaux pour nains, portant qu'ilh sont si petis, tout enssi nos tinent-ilh por geans. Entres les Etyopiens, les plus noires sont les plus beals à eaux. |
[Merveilles des Cyclopes et des Pygmées] Dieu a fait d’innombrables merveilles dans le monde, on ne doit pas s’en étonner. On voit les Cyclopes qui n’ont qu’un œil et qui ne voient pas moins bien que ceux qui ont deux yeux. Nous considérons les Pygmées comme des nains, vu qu’ils sont si petits, mais eux nous prennent pour des géants. Chez les Éthiopiens, les plus noirs sont les plus beaux. |
En Ybernie sont oiseals ens arbres nasquant com [p. 285] fruis ; quant ilhs sont meurs ilh chient en l'aighe, et se commenchent à volleir ; la chair de ches oyseals ons mangnoit en Quaremme. Et de chu n'ont nulle ammiration cheaux qui là frequentent. |
En Hibernie, des oiseaux poussent dans les arbres comme [p. 285] des fruits ; quand ils sont mûrs, ils tombent dans l’eau et se mettent à voler ; c’est la chair de ces oiseaux qu’on mange durant le Carême. Et ceux qui fréquentent cette région ne s’en étonnent nullement (p. 264). |
Transition vers la description du monde (« Mappemonde »)
[p. 285] Toutes ches conquestes fist Alixandre, et encors pluseurs aultres, car nos n'avons riens dit de chu qui est notoire à cascon, et se n'avons riens dit des ysles de mere de Aisie, de Affrique et d'Europpe, où ilh conquist et où ilh at à conquere mult de paiis beals, et bons, et fors. |
[p. 285] Alexandre accomplit toutes ces conquêtes, ainsi que beaucoup d'autres. Car nous n’avons rien dit de ce qui est connu de tous ; nous n’avons rien dit des terres d’Asie, d’Afrique et d’Europe, où il fit des conquêtes et eut à conquérir nombre de pays beaux, bons et puissants. |
[Suite]
[Bibliotheca Classica Selecta] [Folia Electronica Classica] [Accueil]
Accès vers Ly Myreur : [Par pages] [par fichiers] [par Table des Matières]