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Traduction Nisard du Livre I de Tite-Live

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Avant-Propos - Ante Vrbem conditam - Romulus - Interrègne et Numa - Tullus Hostilius - Ancus Marcius - Tarquin l'Ancien - Servius Tullius - Tarquin l'Outrancier


TITE-LIVE

Histoire de Rome depuis sa fondation

Livre I

Traduction nouvelle de Danielle De Clercq, Bruxelles, 2001

 Ancus Marcius (XXXII - XXXV 1a)

[XXXII] [XXXIII] [XXXIV] [XXXV]


        Un Numa guerrier

XXXII. 1. Après le décès de Tullus, le sénat, selon l'usage en vigueur depuis les débuts de la royauté, reprit la gestion des affaires et nomma un interroi. Celui-ci fit voter le peuple, qui élut Ancus Marcius roi. Le sénat entérina ce choix.

Ancus Marcius était petit-fils du roi Numa Pompilius par sa mère. 2. Dès le début de son règne, il prit conscience de la gloire de son grand-père et aussi du fait que le règne précédent, sans conteste hors du commun, avait cependant échoué sur un seul plan : les observances religieuses avaient été négligées ou, du moins, fait l'objet de pratiques déviantes. La première préoccupation d'Ancus fut de restaurer les cultes officiels tels que Numa les avait codifiés. Aussi reprit-il les notes de ce dernier et chargea-t-il le pontife de transcrire les rites sur un tableau blanc pour permettre au public d'en prendre connaissance.

Ses concitoyens, avides de tranquillité, tout comme les états voisins, se prirent à espérer que le roi s'inspirerait du comportement de son grand-père et des institutions que celui-ci avait mises en place. 3. Or les Latins, avec lesquels Tullus avait conclu un pacte, ranimèrent leurs ressentiments et menèrent une incursion en territoire romain. Quand les Romains vinrent réclamer la restitution de leurs biens, les Latins les prirent de haut en leur répondant : "Quelle souche que ce roi romain juste bon à régner entre des sanctuaires et des autels !"

4. Par sa personnalité Ancus se situait entre Numa et Romulus qu'il rappelait tous deux. Pour le nouveau roi il était évident que seule la paix avait permis à son grand-père de s'imposer à l'impétuosité d'un peuple nouveau. Mais si Numa avait eu la chance de vivre dans le calme sans rencontrer d'hostilité, ce ne serait pas chose aisée pour Ancus : sa patience était mise à l'épreuve, et, une fois éprouvée, elle ne suscitait que mépris. La conjoncture réclamait donc comme roi plutôt un Tullus qu'un Numa.

Un nouveau rituel de guerre

5. S'inspirant de l'exemple de Numa qui avait mis à profit la paix pour codifier la vie religieuse, Ancus tint à transmettre des rituels guerriers : selon lui, il ne fallait pas se contenter de faire la guerre, mais aussi la déclarer dans certaines formes. Aussi reprit-il un procédé juridique en vigueur autrefois chez les Équicoles pour se faire restituer des biens. Cette démarche est encore aujourd'hui observée par les féciaux :

6. Lorsque le légat, la tête couverte du filum (c'est un voile de laine), arrive à la frontière du territoire où il revendique une restitution, il dit :

"Écoute-moi, Jupiter, écoute-moi pays des... - (il cite alors le peuple dont il s'agit) - et puisse le droit divin m'écouter aussi ! Me voici : je suis l'envoyé officiel du peuple romain. Je viens comme légat dans le respect de ce qui est juste et sacré. Que l'on accorde foi à mes paroles !" Il expose alors l'objet de sa mission.

7. Puis il prend à témoin Jupiter : "Si c'est au mépris de ce qui est juste et sacré que j'exige la restitution de ces personnes et ces biens en tant que propriété du peuple romain, alors ne me permets plus jamais de revoir ma patrie." 8. Voilà ce qu'il dit en passant la frontière. Il le dit au premier venu qui croise son chemin. Il le dit en franchissant la porte du rempart. Il le dit en se présentant au forum. Seuls varient quelques termes de la formule et du serment qu'il prononce.

9. Si ceux qu'il réclame ne lui sont pas remis, il déclare l'ouverture des hostilités dans les trente-trois jours - c'est le nombre consacré par l'usage- en ces termes : "Écoute-moi, Jupiter, et toi, Janus Quirinus, et vous tous, dieux du ciel, et vous, dieux de la terre et vous, dieux des enfers ! 10. Moi, je vous prends à témoins et je déclare que ce peuple - il le cite- est injuste et ne s'acquitte pas de ce qu'il doit. Mais sur ces questions c'est dans notre patrie que nous consulterons les aînés pour savoir comment recouvrer ce qui nous est dû." Lorsque... (+..........+), le messager rentre à Rome pour cette consultation.

11. Immédiatement le roi consultait les sénateurs à peu près en ces termes : "Il s'agit des biens, des réclamations, des chefs d'accusation au sujet desquels le père patrat du peuple romain des Quirites a pris un arrangement avec le père patrat des Anciens Latins et les Anciens Latins en personne. Mais, puisqu'ils n'ont ni donné ni payé ces biens, alors qu'il aurait fallu les donner et les payer, dis-moi, disait-il en s'adressant au premier qu'il consultait, ce que tu en penses."

12. "Je suis d'avis, disait alors ce dernier, de reprendre ces biens en menant une guerre juste et sainte : voilà la décision à laquelle je souscris." Ensuite les autres étaient interrogés à tour de rôle. Chaque fois que la majorité des sénateurs présents se rangeait au même avis, la guerre était déclarée de commun accord.

D'ordinaire le fécial se rendait aux confins du territoire ennemi avec une javeline armée de fer ou brûlée à son extrémité, si elle était en cornouiller,  et déclarait à pas moins de trois adultes :

13. "Attendu que les peuples des Anciens Latins ou des personnes parmi les Anciens Latins ont agi contre le peuple romain des Quirites et ont commis des erreurs envers lui,

attendu que le peuple romain des Quirites a décidé d'entrer en guerre contre les Anciens Latins et que le sénat du peuple romain des Quirites a donné son avis et a souscrit à la décision de déclarer la guerre aux Anciens Latins,

pour cette raison, moi-même au nom du peuple romain, je déclare la guerre aux peuples des Anciens Latins et aux citoyens Anciens Latins et je la déclenche".

14. À ces mots, il lançait la javeline sur le territoire ennemi.

Guerre contre les Latins et politique d'accroissement de la puissance romaine

Déplacement des populations vaincues et octroi de la citoyenneté

C'est donc ainsi que la réclamation fut introduite auprès des Latins et que la guerre leur fut déclarée. Ce procédé s'est perpétué. XXXIII. 1. Ancus confia la gestion des cultes aux flamines et aux autres prêtres, leva une nouvelle armée et entra en campagne. Il prit d'assaut la ville latine de Politorium. Dans la foulée de ses prédécesseurs, qui avaient accru la puissance romaine en accordant la citoyenneté à des ennemis, il en déplaça toute la population à Rome. 2. Or, à proximité du Palatin, premier établissement des anciens Romains, les Sabins avaient peuplé le Capitole et sa citadelle, tandis que les Albains occupaient le Caelius. L'Aventin fut alors dévolu aux nouveaux arrivants. Ce même endroit, un peu plus tard, dut accueillir de nouveaux citoyens, après les redditions de Tellènes et de Ficana.

3. Politorium fut à nouveau reprise par les armes car, vidée de ses habitants, elle était, depuis lors, occupée par les Anciens Latins. C'est pour cette raison que les Romains détruisirent cette ville, qu'ils ne voulaient plus jamais voir servir de base à leurs ennemis. 4. Enfin, ce fut à Médullia que se concentrèrent les hostilités engagées dans le Latium. Leur issue y fut longtemps incertaine car la victoire changeait de camp d'un combat à l'autre : en effet la ville était en sécurité derrière son rempart et une solide garnison la protégeait. Quant à l'armée latine, dont le camp était établi dans la plaine, elle avait livré quelques combats corps à corps avec les Romains. 5. Pour en finir, Ancus engagea son armée tout entière et sortit aussitôt vainqueur d'une bataille rangée.

Ensuite, se prévalant d'un immense butin, il rentra à Rome. Il y accorda le droit de cité à plusieurs milliers de Latins et les fit s'installer près du temple de Murcia, reliant ainsi l'Aventin au Palatin.

Extension de Rome et problèmes d'une grande ville

6. De même, le Janicule fut intégré à Rome, non par manque de place, mais pour éviter qu'il ne devînt un jour une citadelle ennemie. On le fit non seulement protéger par un rempart, mais on en facilita aussi l'accès en le reliant à la ville par un pont sur pilotis, le tout premier du genre sur le Tibre. 7. Quant au Fossé des Quirites, ouvrage de défense non négligeable du côté où un relief plus doux permet les intrusions, il est aussi l'oeuvre du roi Ancus.

8. Rome avait grandi dans des proportions énormes. Au sein d'une population si dense, la frontière entre moralité et perversité devenait floue, et des crimes se perpétraient dans l'impunité. Une prison surplombant le forum au coeur de la ville fut construite dans le but d'inspirer l'effroi à ceux qu'animait cette violence croissante.

Extension du territoire romain aux dépens de Véies

9. Sous ce règne, non seulement Rome s'étendit, mais aussi son territoire : Véies se vit confisquer la forêt Mésia et la souveraineté romaine s'exerça jusqu'à la côte. Ostie fut fondée à l'embouchure du Tibre et on créa autour d'elle des marais salants. Enfin, l'issue particulièrement heureuse de la guerre valut au temple de Jupiter Férétrien d'être agrandi.

 

Lucumon et Tanaquil de Tarquinies

Mariage mixte et ambition

XXXIV. 1. Ancus régnait encore quand Lucumon vint s'établir à Rome. C'était un homme d'action, influent par sa richesse et animé du vif désir et de l'espoir de jouer dans notre ville un rôle important. Cela ne lui avait été pas possible à Tarquinies car, là aussi, il était d'origine étrangère. 2. Il était fils de Démarate. Celui-ci, un Corinthien, que des troubles politiques avaient chassé de sa patrie, s'était par hasard établi à Tarquinies. Il y trouva une épouse, qui lui donna deux fils, Lucumon et Arruns.

Survivant à Démarate, Lucumon hérita de toute sa fortune car Arruns était décédé avant son père, laissant une veuve enceinte. 3. Démarate n'avait pas longtemps survécu à son fils et, ignorant la grossesse de sa bru, était mort sans prendre de dispositions pour son petit-fils. Son indigence fit appeler Égérius cet enfant né après le décès de son grand-père et destiné à ne recevoir aucun bien.

4. Mais revenons à l'héritier de tous les biens, Lucumon. Fier de sa richesse, il s'affirma davantage encore en épousant Tanaquil. Fille de grande famille, celle-ci, n'allait pas supporter facilement de vivre auprès de son mari dans un milieu plus humble que celui où elle était née. 5. Or les Étrusques n'avaient que mépris pour Lucumon, ce fils de réfugié, et Tanaquil ne pouvait supporter cet affront. Oubliant l'attachement que d'instinct on porte à sa patrie, elle préféra voir son mari occuper une position honorable et se résolut à quitter Tarquinies pour s'établir ailleurs. 6. Rome lui parut l'endroit idéal : "Au sein d'un peuple jeune, pensait-elle, où l'ascension sociale est foudroyante et redevable à la valeur personnelle, il y aurait place pour un homme énergique et actif. D'ailleurs Tatius, un Sabin, y a régné. Les Romains sont allés chercher Numa à Cures pour lui offrir le pouvoir royal. Fils d'une Sabine, Ancus Marcius s'y est imposé tout en n'ayant que Numa comme portrait d'ancêtre." 7. En même temps que le goût des honneurs, les arguments de Tanaquil eurent vite fait de convaincre son mari, pour qui Tarquinies n'était que la patrie de sa mère. Emportant tous leurs biens, ils partirent tous deux s'établir à Rome.

Un présage de réussite

8. Ils étaient arrivés au Janicule. Lucumon était assis dans son chariot avec sa femme, lorsqu'un aigle descendit sans se faire remarquer en vol plané et lui ôta son bonnet. L'oiseau voltigea au-dessus du chariot en poussant de grands cris, puis, comme s'il remplissait une mission divine, il reposa convenablement le bonnet sur la tête de Tarquin et s'envola dans les airs. 9. Tanaquil, dit-on, accueillit ce présage avec joie. Comme la plupart des Étrusques, cette femme était à même d'interpréter des prodiges envoyés par le ciel. Étreignant son mari, elle l'invita à espérer l'élévation d'une haute destinée : "Cet oiseau est venu de telle région du ciel et c'est le messager de tel dieu : il a rendu un présage auprès de la partie la plus haute d'un être humain ; il a soulevé ce qui orne la tête d'un homme pour le rendre par une opération divine à ce même homme."

10. Comblés par l'espoir que donnait cette interprétation, ils entrèrent dans Rome. Après y avoir élu domicile, ils se firent connaître sous la dénomination de Lucius Tarquin l'Ancien.
 

L'irrésistible ascension de Tarquin dans les sphères du pouvoir

11. Pour les Romains, sa condition d'homme nouveau et ses richesses faisaient de Tarquin un personnage en vue. Et lui-même aidait le destin par son abord agréable et la générosité de son accueil. Il s'attirait aussi le plus de monde possible grâce à ses bienfaits, si bien que les bruits qui couraient à son sujet arrivèrent jusqu'au palais royal.

12. Auprès d'Ancus, qu'il obligeait avec autant d'habileté que de courtoisie, la réputation de Tarquin lui avait valu en peu de temps les droits que donne une amitié intime. Il entra ainsi dans le cercle des conseillers officiels et privés auxquels recourait le roi en temps de guerre comme de paix. Il se montra à la hauteur dans toutes les situations si bien que finalement une disposition testamentaire d'Ancus l'instaura tuteur des enfants royaux.

Bref éloge funèbre d'Ancus

XXXV. 1. Ancus régna vingt-quatre ans. Son savoir-faire à la guerre et dans la paix, de même que sa gloire, en firent l'égal de tous ses prédécesseurs.


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