FEC -  Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26  - juillet-décembre 2013


 

Des statues et un miroir Chapitre 7 : Récits divers

E. Les statues magiques chez Ladislas Pelbertus (1430-1505)

Jacques Poucet

Professeur émérite de l'Université de Louvain
Membre de l'Académie royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>

 

Ladislas Pelbertus est un moine franciscain hongrois, né en 1430 à Temesvár (l’actuelle Timişoara en Roumanie) et mort à Buda  en 1504. Il a notamment laissé de nombreux sermons, dont la première édition imprimée date de 1483.

L’un d’entre eux intègre le motif des statues aux clochettes. Il est édité dans la deuxième partie du recueil de ses sermons (Pelbertus de Themeswar, Sermones Pomerii de sanctis II. [Pars aestivalis], Augsburg 1502, dont une version numérisée est accessible sur le site de la Hungarian Electronic Library). Il s’agit du Sermo LXXXIV, pour la Toussaint, intitulé comme il se doit De omnibus sanctis

Au début de son sermon, le moine hongrois se demande pourquoi l’Église a voulu que cette fête de la Toussaint soit célébrée partout (Quare Ecclesia instituit celebrandum festum omnium universaliter sanctorum ?). Des quatre raisons qu’il avance, la première est que Dieu l’a voulu ainsi, afin que nous reconnaissions le vrai Dieu et que nous chassions les statues des faux dieux. Et nous aurons la surprise de voir apparaître, comme preuve de cette volonté divine, un récit remontant des siècles en arrière et racontant d’abord l’histoire du Panthéon romain, ensuite ses diverses transformations médiévales.

 

Ladislas Pelbertus, Sermo, LXXXIV

Traduction française

(1) Prima ratio ex parte ipsius Dei, ut scilicet Deum verum, in cuius fide sancti omnes salvati sunt, recognoscamus, et idola falsorum deorum respuamus.

(1) La première raison remonte à Dieu lui-même. C’est pour que nous reconnaissions le vrai Dieu, dans la foi de qui tous les saints ont été sauvés, et pour que nous rejetions les statues des faux dieux.

(2) Legitur enim, quod cum Romani universo orbi dominarentur, quoddam templum construxerunt in honorem omnium idolorum, quod vocaverunt Pantheon, a ’pan’, quod est ’totum’, et ’theos’ ’deus’, et sic sonat ’toti dii’.

(2) On lit en effet qu’à l’époque où les Romains dominaient le monde, ils construisirent un temple en l’honneur de tous leurs dieux, qu’ils appelèrent Panthéon, de pan, c’est-à-dire « tout » et de theos, c’est-à-dire « dieu », ce qui signifie donc « tous les dieux ».

(3) In huius templi medio suum idolum collocantes omnium provinciarum simulacra per circumitum statuerunt respicientia rectis vultibus ad idolum Romanorum.

(3) Installant leur propre dieu au milieu du temple, ils élevèrent tout autour les statues de toutes les provinces, le visage tourné vers le dieu des Romains.

(4) Si quando autem aliqua provincia rebellaret, continuo – ut aiunt arte diabolica – illius provinciae simulacrum idolo Romanorum terga vertebat innuens, quod ab eius dominio recessissent, et sic Romani statim illuc exercitum mittebant ad subiugandum.

(4) S’il arrivait qu’une province se rebelle, aussitôt – par magie, dit-on – sa statue tournait le dos au dieu des Romains, voulant ainsi montrer qu’elle s’était retirée de la domination romaine. Alors les Romains sans délai y envoyaient des troupes pour la ramener à l’obéissance.

 

Cette première partie présente un certain nombre de points de contact avec le passage sur les statues aux clochettes dans La légende dorée de Jacques de Voragine, sans pour autant qu’on puisse envisager une copie ou une étroite filiation. Peut-être s’agissait-il de considérations habituelles lorsqu’il était question de la fête de la Toussaint. En tout cas la question mériterait une exploration plus particulière que nous ne pouvons faire ici. Bède le Vénérable, déjà rencontré plus haut dans l’analyse du texte de Jacques de Voragine, y aurait évidemment sa place.

La partie qui suit a été rencontrée beaucoup moins souvent que la première dans notre enquête sur les diverses notices traitant des statues aux clochettes. À l’origine pourtant, c’est-à-dire dans la tradition primitive des Mirabilia (Mirab., 16), le récit de la fondation du Panthéon par Agrippa (qui incluait la mention des statues du Capitole) était immédiatement suivi par celui de l’empereur Phocas faisant cadeau du bâtiment au pape Boniface lequel l’avait consacré à la Vierge Marie.

 

Ladislas Pelbertus, Sermo, LXXXIV

Traduction française

(5) Tempore igitur Phocae imperatoris, dum iam Roma dudum fidem Domini receperat, Bonifacius papa impetravit hoc templum a caesare circa annos Domini DCV., et eliminata idolorum spurcitia consecravit ipsum in honore Beatae Virginis Mariae et omnium martyrum Christi.

(5) Mais à l’époque de l’empereur Phocas, lorsque Rome avait depuis longtemps reçu la foi du Seigneur, le pape Boniface réclama le temple à l’empereur aux environs de l’an 605 et, après en avoir chassé la saleté des idoles, le consacra à la bienheureuse Vierge Marie et à tous les martyrs du Christ.

(6) Quae ecclesia nunc Sancta Maria Rotunda a populo appellatur.

(6) C’est l’église maintenant appelée par le peuple Sancta Maria Rotunda.

(7) Nondum enim confessorum sollemnia ab Ecclesia agebantur, sed postea quidem Gregorius papa instituit per universum mundum hunc diem dedicationis illius templi in honorem omnium sanctorum celebrari Kal. Novembris, ut hodie omnes sancti venerarentur, et Deus in eis glorificaretur.

(7) Les cérémonies en l’honneur des confesseurs de la foi n’étaient pas encore célébrées par l’Église, mais plus tard le pape Grégoire décida, pour le monde entier, que le jour de la dédicace du temple serait célébré aux calendes de Novembre en l’honneur de tous les saints, afin que tous les saints soient vénérés ce jour-là et que Dieu soit glorifié en eux.

 

Mais sur ce « prolongement », le texte des Mirabilia est fort différent de celui du Sermon sur la Toussaint de Pelbertus. Les Mirabilia par exemple ne mentionnaient pas à cet endroit le rôle du pape Grégoire. Il pourrait d’ailleurs fort bien se faire que les deux volets de l’histoire du Panthéon (l’antique et le chrétien) aient été transmis différemment et séparément, certains auteurs, davantage soucieux de diffuser l’enseignement chrétien, ayant peut-être davantage tendance que les autres à les regrouper.

Un mot encore à propos de Phocas, l’empereur byzantin de 602 à 610, avec lequel aurait négocié Boniface IV, pape de 608-617, pour obtenir la cession de l’ancien Panthéon. Il est ici bien à sa place dans la chronologie, tout comme il l’était dans la notice des Mirabilia (Mirab., 16, p. 35, l. 11). Mais on se souviendra que Jans Enikel (Welt., 20411-20412) le range parmi les rois de Rome en lui consacrant quelque 500 vers traitant d’événements byzantins. Ce n’est là qu’une des nombreuses curiosités anachroniques qu’on trouve chez les chroniqueurs médiévaux. Mais le rôle joué par Phocas dans l’histoire du Panthéon aurait-il pu contribuer à introduire ce Byzantin du VIIe siècle au début de l’histoire romaine ? La chose est possible.

 

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