FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26 - juillet-décembre 2013
1. Faictz merveilleux de
Virgille : généralités
Il a déjà été question à
plusieurs reprises dans nos travaux (par exemple FEC 23, 2012,
Panier 10) de l’œuvre intitulée
Faictz merveilleux de Virgile. Rappelons que ce petit roman anonyme du
début du XVIe siècle propose, sous forme de récits plus ou moins courts placés
les uns après les autres, une biographie légendaire complète de Virgile, allant
de son « naissement » à sa mort mystérieuse en haute mer et à la disparition de
son trésor.
De ce roman, plusieurs éditions ont vu le jour au XVIe siècle : en français d’abord
(c’est l’édition originale), puis en anglais (sur la version française), puis en
néerlandais (sur la version anglaise). D’autres traductions ont suivi : islandais (sur le texte néerlandais) et allemand. Devenu un livre à
succès, une sorte de « livre populaire » (libretto popolare, Volksbuch,
volksroman), il a été réimprimé (plusieurs fois encore en français au XIXe
siècle) et traduit à plusieurs reprises dans une même langue
(cfr
D. Comparetti,
Virgilio, 1896, p. 163-165 ;
P. Franssen, Tovenaar,
2010,
p.
27-30, 50-51).
Au fil
de son histoire (rééditions et traductions), il connut des variantes de divers
ordre, plus ou moins importantes : des noms changent, on en ajoute, on en
retire ; même chose pour les récits : on ajoute ou on supprime des épisodes, on
remplace un épisode par un autre. Tout cela sans altérer en profondeur le
caractère général du roman. Les spécialistes ont beaucoup discuté de ces
différences entre éditions sans parvenir à une explication qui fasse l’unanimité
(cfr P. Franssen, Tovenaar, 2010).
2. La Salvatio Romae dans la
version néerlandaise
L’épisode des statues magiques aux clochettes est un bel exemple de cette
diversité. La version française originale ne le connaît pas, mais il figure dans
la version néerlandaise, laquelle, soit dit en passant, comporte quatre épisodes
de plus que l’original français et ne propose pas le même épisode final. Bref, Si on veut étudier l’épisode des statues magiques dans le roman,
il faut se référer à une traduction. Pour des raisons de facilité, nous avons
choisi la version néerlandaise.
Il se fait en effet que tout récemment (en 2010) la vieille édition néerlandaise du XVIe siècle (Anvers, vers 1525) a été republiée et commentée par Piet J.A Franssen dans un livre intitulé De tovenaar Vergilius (« Virgile, le magicien »).
De tovenaar Vergilius, door Piet J.A. Franssen, Hilversum, 2010, 143 p. Son sous-titre Een tekstuitgave van : Virgilius. Van zijn leven, doot, ende van den wonderlijcken wercken die hi dede by nigromancien ende by dat behulpe des duvels. Antwerpen, Willem Vorsterman, circa 1525, précise donc bien qu’il s’agit de la réédition d’un ouvrage publié à Anvers vers 1525 et intitulé « Virgile : sa vie, sa mort et les faits merveilleux qu’il accomplit par magie et avec l’aide du diable ». – Outre le texte ancien accompagné de quelques notes de traduction en néerlandais moderne et illustré d’un certain nombre de reproductions de gravures anciennes (p. 73-100), ce bel ouvrage, très utile, propose aussi une longue introduction (p. 9-72), des commentaires (p. 103-122), une bibliographie et un index. – L’histoire de la Salvatio Romae figure aux p. 87-89 (avec une illustration), sous le titre Hoe Virgilius maecte Salvatio Rome (« Comment Virgile fit la Salvatio Romae »). – On peut trouver une version anglaise dans W.J. Thoms [Éd.], Early English Prose Romances with Bibliographical and Historical Introduction, Vol. II, Londres, 1889, p. 20-59. L'histoire de la Salvatio Romae est racontée aux p. 37-40.
Ce récit non seulement décrit le complexe magique mais raconte aussi sa
destruction, signe évident qu’au moins en partie – pour sa structure en tout cas
– il a subi l’influence de la tradition des Sept Sages de
Rome.
Nous présenterons d’abord la description des statues. En voici le texte
néerlandais, accompagné de sa traduction française.
Tovenaar
Vergilius,
p. 87-88 (ed. P. Franssen, 2010) |
Traduction
française |
(1) Omdat Romen prospereren ende gheluckich zijn soude
ende veel landen ende provincien onder hem crighen ende om haer vyanden
tonderbrengen, so badt die keyser Virgilius oft hi hem niet en soude
moghen helpen dat hi weten mochte als teghen die stadt van Romen
partijscap of verraetschap van eenigen landen opstonden, opdat die
Romeynen die in tijts mochten bedwinghen. |
(1) Parce que Rome devait
prospérer dans la félicité, soumettre à son autorité beaucoup de pays et
de provinces, et l’emporter sur ses ennemis, l’empereur demanda à Virgile
s’il ne pourrait pas l’aider à savoir quand certains pays développaient
désaccord et trahison contre la ville de Rome, afin que les Romains
puissent s’y opposer à temps. |
(2) Doe seyde Virgilius: 'Dat sal ic wel doen.' Ende hy
maecte opt capitolium - dat was der stadthuys - een schoon werck van
uutgehouden beelden dat hi dede heten Salvatio Rome, dat is het werc der
behoudenis van Roomen. |
(2) Alors Virgile dit :
« Cela, je le ferai bien ». Et il construisit au Capitole –
c’était l’hôtel de ville – un bel ensemble de statues bien exécutées,
qu’il fit appeler Salvatio Romae, c’est-à-dire le moyen de protéger
Rome. |
(3) Ende hi maecte in ronde alle die afgoden der landen
die onder die subjectie van Roomen waren ende elck afgod had een clocxken
in zijn hant |
(3) Il plaça en cercle tous
les dieux des pays sous la domination de Rome ; chaque dieu avait une
clochette dans la main, |
(4) ende int middel van al den afgoden maecte hi den afgod
van Romen. |
(4) et au centre de tous les
dieux il plaça la déesse de Rome. |
(5) Ende wanneer eenich lantschap wilde teghen Romen
opstaen, so keerde hem die afgod omme metten rugghe totten afgod van
Romen. Ende die afgod van dyen lande die tegen Romen wilde opstaen,
clincte so lange met dat clocxken dat hi in zijn hant
hielt |
(5) Quand un peuple voulait se
dresser contre Rome, sa statue tournait le dos à celle de Rome. Et la
statue du pays qui voulait ainsi s’opposer à Rome faisait sonner la clochette qu’elle tenait en main
|
(6) tot dattet de heren ende senatoren hoorden ende si besagen
dan van wat lantschap dye afgod was. |
(6) jusqu’à ce que les chefs
et les sénateurs l’entendent. Ils savaient alors de quel pays était la
statue de ce dieu. |
(7) Ende terstont bereyden hen die Romeynen ter wapen ende
si trocken derwaerts ende bedwonghen haer
vyanden. |
(7) Et aussitôt les Romains se
préparaient aux armes, s’y rendaient et maîtrisaient leurs
ennemis. |
Le § 1, qui sert d’introduction, est intéressant en ce qu’il
souligne les mobiles hégémoniques de Rome et met en scène un petit dialogue
entre le magicien et l’empereur (dont le rédacteur ne donne toutefois pas
explicitement le nom ici). Nous avons déjà rencontré ailleurs ce type
d’introduction avec la mention des buts poursuivis par Rome, la demande de
l’empereur et l’acceptation de Virgile.
Vient ensuite la description du complexe. Elle est fort simple, mais ne
manque quand même pas d’intérêt.
Crea
Loca
Deno Magi Le
créateur du complexe est Virgile, ce qui va de soi, étant donné que le
roman (XVIe siècle) est censé rassembler tous les Faictz merveilleux du
magicien. La localisation est donnée, expressis verbis : le
Capitole. On aura apprécié au passage la glose présentant le
Capitole comme der stadthuys « l’hôtel de ville ».
L’expression Salvatio Romae est bien présente. Le fait,
suffisamment rare, mérite d’être souligné. L’expression est même accompagnée
d’une traduction néerlandaise : on a déjà rencontré dans
Renart le
Contrefait en prose une traduction française (« le Sauvement de
Romme »). La notice ne comporte pas de mention explicite de la
magie. Mais, étant donné le sujet même du roman, l’intervention de la
magie va de soi. Le titre de l’ouvrage néerlandais était d’ailleurs très
clair : il rassemblait les « faits merveilleux » que Virgile
avait accomplis « par magie et avec l’aide du diable » (by
nigromancien ende by dat behulpe des duvels).
Stat
Iden
Clo Les
statues représentent les dieux des pays soumis. On ne mentionne ni
inscriptions, ni un quelconque moyen d’identifier les statues. Les statues
ont simplement une clochette en main, pas au
cou.
Disp Mouv Les
statues font cercle autour d’une statue centrale, qui est celle
de Rome. La gestuelle mise en œuvre est simple. En cas de rébellion, la
statue rebelle tourne le dos à celle de Rome et sa clochette sonne. Elle
est la seule à donner l’alarme.
Surv Trans Exp Comme
il n’y a pas de surveillants et que l’alarme n’est donnée que par une
seule clochette, il faut attendre – un certain temps même, semble-t-il
– pour que le bruit parvienne aux oreilles des herren (littéralement
« les messieurs ») et des sénateurs. Il est dit qu’« alors les
sénateurs savaient de quel peuple était la statue de ce dieu ». Formulation
assez vague, quand on sait l’importance que certaines versions donnent à la
question de l’identification. Quoi qu’il en soit, une fois identifié le pays
rebelle, on y envoie un corps expéditionnaire pour maîtriser les
ennemis.
On relève certains points de contact avec la tradition des Sept Sages
de Rome. Nous avons évoqué plus haut la structure même du récit : une
rapide description du complexe, suivi d’un long récit de sa destruction. Il y en
d’autres. Si on songe à L’Ystoire des Sept Sages par exemple, on note de
part et d’autre la présence d’une statue centrale, l’absence d’inscriptions
permettant d’identifier la province rebelle, l’absence aussi de la procédure
classique de prêtres-gardiens chargés d’avertir les autorités reponsables (à
moins peut-être que des prêtres-gardiens ne se dissimulent derrière le terme
néerlandais herren).
Mais d’autre part des différences sensibles sont perceptibles entre les
deux textes. Les Faictz merveilleux ne placent pas dans la main de la
statue centrale la pomme d’or qui apparaît souvent dans la tradition des Sept
Sages de Rome. Les réactions de la statue rebelle également sont
différentes. Dans les Faictz merveilleux néerlandais, elle tourne le dos
à la statue centrale et est seule à donner l’alarme avec sa clochette, tandis
que dans L’Ystoire des Sept Sages, elle est animée d’un
mouvement différent : elle regardait vers l’extérieur en direction de
la province, elle y a vu le projet de rébellion et elle se tourne vers la statue
de Rome pour l’avertir du danger an agissant sa clochette. Toutes les autres
statues l’imitent, provoquant un tintamarre tel que les Romains sont informés.
Dans Les Faictz merveilleux, il fallait – semble-t-il – un peu plus de
temps pour que les autorités responsables entendent le
bruit.
Une différence beaucoup plus importante est à relever. Dans les Faictz
merveilleux néerlandais, il n’est pas question de « tour » :
le complexe aux statues magiques n’est pas situé « en haut d’une
tour ». La disparition d’une caractéristique essentielle de la tradition
des Sept Sages de Rome s’explique évidemment fort bien dans un récit qui
est censé concerner le Capitole et qui contient l’expression Salvatio
Romae.
Ce texte du XVIe siècle, relativement tardif donc, est
« contaminé » : il contient des éléments provenant de traditions
différentes.
3. La
destruction des statues
La suite traite de la destruction du complexe. Comme on le sait, le récit
de la destruction n’est « obligatoire » que dans la tradition des
Sept Sages de Rome. Dans les autres traditions, et quand elle existe (cfr
Alexandre Nekham,
Maître Grégoire,
Guillaume le Clerc de Normandie, le
document
Codagnellus), elle fait partie des événements merveilleux qui marquent à Rome la
naissance du Christ. Les deux optiques sont très
différentes.
Comme nous sommes dans la mouvance générale des Sept Sages, on
retrouve le récit devenu familier. Devant le danger que représente l’instrument
magique en possession des Romains, certains de leurs ennemis, ici des
Carthaginois, décident de le détruire. Voici le texte néerlandais (assez long).
Il sera accompagné d’une traduction et suivi d’un bref commentaire de synthèse,
rappelant les données du schéma de base.
Tovenaar
Vergilius,
p. 88-89 (ed. P. Franssen, 2010) |
Traduction
française |
(1) Dit
vernamen namaels die van Cartageo dye dat seer beniden, want si dicwils
groten laste ende druc van den Romeynen gehadt hadden. Ende si namen
sonderlinge raet ende sochten list hoe si dat were souden mogen doen
destrueren ende nedervallen. So schieten si uut drie heymelijcke mannen
dien si veel gelts en de gouts met ghaven.
Ende dese drye mannen quamen te Romen binnen ende gaven hen uut
voor waerseggers ende waerdromers. |
(1) Cela
vint à la connaissance des Carthaginois qui en furent très envieux, car
ils avaient eu souvent à souffrir de la pression des Romains. Ils
réunirent un conseil spécial et cherchèrent un moyen habile de détruire et
d’abattre [cet instrument]. Ils se servirent de trois agents secrets à qui
ils donnèrent beaucoup d’argent et d’or. Ces trois hommes vinrent à Rome
où ils se présentèrent comme des gens qui disaient la vérité (des devins)
et des gens qui voyaient la vérité dans leurs rêves. |
(2) Op eenen nacht ghingen dese drie aen eenen berch ende
groeven daer eenen groten pot met ghelde diep in deerde. Daerna ghingen si
noch op die brugghe van den Tyber ende lieten op een plaetse int water
sincken een tonneken met gouden penningen. Daerna zijn dese drie mannen
ghegaen aen de heren van Romen ende seyden : 'Eerwaerdighe heeren,
ons is ghedroomt dat aen den voet van eenen berch hier binnen Romen eenen
groten pot met ghelde is. Wilde ghi heren ons jonnen, wy souden die costen
daertoe doen om daer na te graven.' Twelc hen die heren consenteerden.
Ende doe namen si arbeyders ende groeven dat ghelt uuter aerden ende doe
ghinghen die droomers ende maecten blide chiere. |
(2) Une
nuit ces trois hommes se rendirent sur une hauteur et enterrèrent
profondément un grand pot plein d’argent. Ensuite ils allèrent sur le pont
du Tibre et, à un certain endroit, immergèrent un tonnelet rempli de
pièces d’or. Ils allèrent alors trouver les chefs de Rome et leur
dirent : « Messieurs, nous avons rêvé qu’au pied d’une hauteur,
ici, à Rome, se trouve un grand pot avec de l’argent. Si ces messieurs le
voulaient, nous pourrions assumer les frais d’une fouille à cet
endroit ». Les chefs de Rome y consentirent. Ils prirent alors des
ouvriers et sortirent l’argent de la terre ; alors à l’arrivée des
spécialistes des rêves, ce fut une grande joie. |
(3) Niet langhe daerna quamen dese dromers weder bi den heren
ende seyden : 'Eerweerdighe heren, wildi ons een avontuer jonnen daer
ons af gedroomt is, wi soudent u hertelic bidden, want dat sal doch
verloren blijven.' Doe vraechden die heeren wat henlieden ghedroomt hadde.
Si antwoorden : 'Eerweerdige heren, ons heeft gedroomt dat op een
plaetse in den gront van den Tyber leyt een tonneken met gulden
penningen.' De heeren seiden : 'Ghi hebt onsen oorlof, doet ghi
lieden u beste daerom.' Ende doen namen si schepen ende volck ende
sochtent daer zijt ghesoneken hadden ende si vonden dat tonneken metten
goude, waeraf si verblijt waren. Ende si maecten doe blijde chiere ende
schencten den heren costelijcke gaven. |
(3) Peu de
temps après, les rêveurs revinrent auprès des chefs et leur dirent :
« Messieurs, si vous vouliez nous fournir un avantage financier pour
ce que nous avons vu en rêve, nous vous le demandons instamment, car
autrement cela restera à jamais perdu ». Alors les chefs demandèrent
de quoi ils avait rêvé. Ils répondirent : « Messieurs, nous
avons vu en rêve qu’à un certain endroit au fond du Tibre se trouve un
tonnelet avec des pièces d’or ». Les chefs dirent : « Vous
avez notre parole, faites de votre mieux à ce sujet ». Alors ils
prirent des bateaux et des gens, cherchèrent là où ils l’avaient mis à
l’eau, trouvèrent le tonnelet avec l’or et le sortirent. Ils manifestèrent
beaucoup de plaisir et donnèrent aux chefs de riches cadeaux. |
(4) Ten laetsten omdat se haer propoost ende meyninghe souden
volbringen, so quamen die droomers weder totten heren ende seiden :
'Eerwaerdighe heren, ons is te nacht weder ghedroomt, hoe dat onder dat
fondament van dat Capitolium daer Salvatio Roome staet, zijn twaalf tonnen
gouts. Ende believet u heren omdat ghy ons grote dinghen gheoorloft hebt
tot onsen profijte, so wilden wi ooc den heren ende der stadt profijte
doen, so doet ons gravers ende wi sullen daertoe ons beste doen.' Ende die
heeren meenden al tsamen waers, omdat se twee reysen waer gheseyt hadden
van haren dromen. So bestelden hen die heren gravers ende arbeyders ende
die dromers deden graven onder tfondament van den huyse daer Salvatio Rome
in stont. Ende als den dromers dochte dattet fondament ghenoech uut was
ghegraven, so vertrocken si van Romen. Ende des anderen daghes so viel dat
huys daer neder ende dat werck van Virgilius brack in veel stucken ende
wert gedestrueert ende bedorven, sodat dye heeren wel saghen dat sy
bedroghen waren ende si werden seer bedroeft, mer het was te late.
Ende die Romeynen en
hadden na dier tijt sulcken voorspoet nyet als si ghedaen
hadden. |
(4) Enfin,
parce qu’ils voulaient atteindre leur but et leurs efforts, les rêveurs
vinrent à nouveau trouver les chefs pour leur dire :
« Messieurs, cette nuit nous avons à nouveau rêvé que dans les
fondations de ce Capitolium qui accueille la Salvatio de Rome, se trouvent
douze tonnes d’or. Et croyez-le [doet het u genoegen ?],
Messieurs, comme vous nous avez accordé beaucoup de profit, nous voudrions
aussi vous en accorder, à vous les chefs et à la ville ; nos ouvriers
vont fouiller et nous agirons en cela au mieux ». Les chefs crurent
tous que cela était vrai, parce qu’ils avaient dit vrai deux fois de leurs
rêves. Aussi les chefs leur fournirent terrassiers et ouvriers, et les
rêveurs firent des trous sous les fondations de la maison où se trouvait
la Salvatio de Rome. Et lorsque les rêveurs pensèrent qu’ils
avaient assez creusé dans les fondations, ils quittèrent Rome. Et le
lendemain la construction s’effondra et l’œuvre de Virgile tomba en mille
morceaux, détruite et ruinée. Les chefs se rendirent alors très bien
compte qu’ils avaient été dupés et en furent très affligés. Mais c’était
trop tard. Et les Romains, après cela, ne connurent plus de progrès
semblables à ceux qu’ils avaient faits
auparavant. |
La
mission est donc confiée ici à trois envoyés, des espèces d’« agents
secrets », qui vont par la ruse, gagner et tromper la confiance des Romains
et de leurs chefs. Ils leur font croire qu’ils sont de « grands
voyants », capables de voir en rêve l’or caché. Deux démonstrations
spectaculaires mais truquées leur suffisent pour convaincre leur public de leur
pouvoir particulier. Jouant alors à fond sur l’avidité et la cupidité de leurs
auditeurs, ils leur racontent qu’ils savent – pour l’avoir vu en rêve – que des
tonnes d’or sont cachées dans les fondations du Capitole là où se trouve la
Salvatio de Rome (onder dat fondament van dat Capitolium daer Salvatio
Roome staet). Ils
reçoivent l’autorisation de fouiller. On connaît la suite. De nuit ils sapent
les fondations du Capitole pour faire s’effondrer le bâtiment abritant
« l’arme secrète » de Rome, puis disparaissent. Et le lendemain
l’œuvre de Virgile tombe en mille morceaux, détruite et ruinée, ce qui marqua la
fin de la puissance invincible de Rome.
On l’a vu, le motif des « agents secrets » envoyés à Rome par
un ennemi – dont la nationalité varie – avec mission de détruire les moyens
magiques qu’ont les Romains d’assurer leur domination est largement attesté dans
la tradition des Sept Sages de Rome. Ces agents, qui jouent sur la
cupidité des Romains et notamment celle de leur empereur, utilisent – avec
quelques variations – le stratagème qui vient d’être décrit et qui réussit
toujours. Il y est toutefois généralement appliqué à la destruction, non pas des
statues aux clochettes, mais d’une autre arme secrète de Rome, utilisée aussi
comme moyen magique de défense, à savoir le « miroir
magique ».
Introduction - Partie thématique - Partie analytique (Plan) - Conclusions
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