FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26 - juillet-décembre 2013
Le Hugo mentionné par Jean de Galles et qui est également connu sous les noms de Ugutius, Uguitio, Ugutio, Uguccio, Uguccione, Ugwicio, est Hugo de Pise. Né dans cette ville vers la fin du premier tiers du XIIe siècle, il mourut à Ferrare, dont il fut évêque de 1190 à sa mort en 1210, ce qui explique qu’il s’appelle parfois Hugo de Ferrare. Quoi qu’il en soit, c’est un spécialiste du droit canon et ses travaux concernent surtout cette discipline. Mais on lui doit aussi un traité de dérivations étymologiques, intitulé Magnae Derivationes ou Liber derivationum.
* Sur Hugo de Pise : G. Cremascoli, Uguccione da Pisa : Saggio bibliografico, dans Aevum, t. 42, 1968, p. 123-168 ; W. Müller, Huguccio, the Life, Works, and Thought of a Twelfth-Century Jurist, Washington, 1994, 220 p. (Studies in Medieval and Early Modern Canon Law, 3).
Comme cet ouvrage n’a pas encore fait l’objet d’une édition moderne, on
est obligé de faire confiance à ce que les savants modernes ont lu de lui dans
des
manuscrits rencontrés lors de leurs recherches. Les pages suivantes nous
mettront en contact avec trois de ces lectures. Comme elles sont légèrement
différentes, nous tenterons de retrouver, avec le plus de précision possible, la
citation à laquelle faisait allusion Jean de Galles.
Pour y parvenir, nous
aurons ainsi à confronter trois témoignages :
a) le texte que J. Berlioz (Virgile dans la littérature des exempla, dans Lectures médiévales de Virgile. Actes du Colloque organisé par l'École française de Rome [Rome, 25-28 octobre 1982], Rome, École française, 1985, p. 111, n. 24 et 26 [Collection de l'École française de Rome, 80]) écrit avoir lu dans un manuscrit de Hugo de Pise à Paris (Bibl. nat., lat., 14090, f° 42, v°) ;
b) une citation de Hugo de Pise chez André de Ratisbonne (Andreas Ratisbonensis ou Andreas von Regensburg) (1380-1438), auteur, lui aussi, d’un Liber derivationum ;
c) une citation d’Hugo de Pise dans la Cronica Romanorum de Johann von Viktring (Jean de Viktring), écrite en latin dans la première moitié du XIVe siècle et conservée dans un manuscrit de Munich (cod. Lat. Monac. n. 22107).
1. Hugo de Pise dans un manuscrit de
Paris : la lecture de J. Berlioz
Le premier témoignage dont nous ferons état sera
celui de J. Berlioz, qui a
identifié dans un manuscrit de Hugo à Paris (Bibl. nat., lat., 14090, f° 42, v°)
un texte où il était effectivement question de l’étymologie du Colisée.
L’auteur y détaillait ce qu’on trouvait jadis (olim) dans ce bâtiment.
Voici ce texte transcrit par le savant français et traduit par nos soins
:
Hugo dans le
manuscrit de Paris |
Traduction
française |
(1) …unde hoc Colosseum ei
[sic] quidem [sic] locus Rome ubi olim erant ymagines omnium
provinciarum |
(1) …d’où ce Colisée ;
c’était un endroit de Rome où se trouvaient jadis des statues de toutes
les provinces |
(2) et in medio erat ymago
Rome tenens pomum aureum in manu sua utpote domina et regina sic
omnium |
(2) avec au centre la statue
de Rome, tenant une pomme d’or en main, comme maîtresse et reine de
tous ; |
(3) et erant ita disposite
arte nigromancia |
(3) ces statues étaient
disposées par magie |
(4) quod cum aliqua provincia
volebat insurgere contra Romanos, statim imago Rome obvertebat dorsum
ymagini illius provincie |
(4) de telle sorte que,
lorsqu’une province voulait se dresser contre les Romains, aussitôt la
statue de Rome tournait le dos à celle de cette
province |
(5) vel, ut dicunt, ymago
illius provincie insurgebat contra Romanorum
ymaginem ; |
(5) ou, à ce qu’on dit, la
statue de cette province se dressait contre celle des
Romains. |
(6) et tunc ex improviso
mittebant exercitum illuc |
(6) Alors
immédiatement ces derniers y envoyaient une armée |
(7) et
provinciam illam sibi subiugabant. |
(7) et
ramenaient la province rebelle à la
soumission. |
(8) Tali arte Romani totum
mundum subiugaverunt. |
(8) C’est de cette manière que
les Romains soumirent le monde entier. |
Les
trois différences mentionnées par Jean, à savoir :
(a) Loca le complexe aux statues se trouvait dans le Colisée (§ 1)
(b) Stat Disp la statue de Rome, au centre, tenait en main une pomme d’or (§ 2)
(c) Magi la magie était à l’origine de l’ensemble (§ 3)
sont effectivement là. Mais on s’aperçoit que la liste de Jean n’était pas complète : elle omettait en effet un point important concernant les mouvements des statues (§§ 4-5). Aux trois différences citées plus haut, il faut donc en ajouter une quatrième, plus longue et plus complexe, concernant la gestuelle :
(d) Stat Mouv la statue de Rome tourne le dos à la statue rebelle, ou bien, dans une autre version (vel, ut dicunt), la statue rebelle se dresse contre celle de Rome. Cette hésitation pourrait expliquer que Jean de Galles n’ait pas retenu ce quatrième point.
2. Hugo de
Pise chez André de Ratisbonne (1380-1438)
Le texte de Hugo se rencontre également chez un auteur plus tardif, André de Ratisbonne (Andreas Ratisbonensis ou Andreas von Regensburg) (1380-1438). Ce sera notre deuxième témoin. Ce chanoine régulier de l’ordre de saint Augustin, par ailleurs historien et chroniqueur allemand, fort intéressé aussi par la lexicographie, avait écrit un Liber derivationum, qui porte donc le même titre que celui de Hugo de Pise, tout en lui étant postérieur de quelque deux siècles.
Au cours de ses recherches, H.F. Massmann (Kaiserchronik, III, 1854, p. 427) a retranscrit un passage d'André de Ratisbonne qu'il a trouvé dans un manuscrit dont il ne donne pas la référence. N'ayant pas réussi à identifier le texte dans l'édition des oeuvres complètes d'André publiée par G. Leidinger au début du siècle dernier, nous avons dû nous contenter de la vieille lecture de H.F. Massmann. Nous y introduirons la division en paragraphes adoptée déjà pour le texte du manuscrit de Paris lu par J. Berlioz.