FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26 - juillet-décembre 2013
Mais nous n’en avons pas fini avec Hugo de Pise. Il est possible en effet de montrer que cet auteur a utilisé les travaux d’un de ses contemporains, Osbern de Gloucester (1123-1200), moine bénédictin anglais, auteur de Derivationes (ou Liber Derivationum, ou Panormia), compilées de 1150 à 1180.
Osberno,
Derivazioni, a cura di P. Busdraghi, M. Chiabó, A. Dessì Fulgheri, P. Gatti,
R. Mazzacane, L. Roberti, sotto la
direzione di F. Bertini e V. Ussani jr., Spolète, 2 vol., 1996, xxx-971 p.
(Biblioteca di Medioevo latino, 16)
C’est le passage de Jean de Vitkring qui nous a mis sur la voie. En effet
il ne permet pas seulement de compléter le début de la citation d’Hugo
de Pise. Son introduction (Et dicitur a Colens ossa et est res aliqua in
memoriam alicuius mortui facta ut tumuli et ymagines apud antiquos) trahit
aussi son origine. C’est que ce texte figure intégralement dans les
Derivationes d’Osbern de Gloucester, à qui Hugo de Pise, un de ses
contemporains, l'a tout simplement emprunté. Voyons les choses de plus
près.
*
Les Derivationes d’Osbern sont un énorme ouvrage de lexicographie,
proposant d’une part un dictionnaire de mots rares accompagnés de leur
signification (ex. Palinodia, laudes iterate ; Percatapsare,
valde decidere) et d’autre part des notices plus ou moins longues
rassemblant une série de termes censés « dériver » des
« mots-base » retenus (d’où le titre de
Derivationes).
Le verbe colere fait partie de ces « mots-base ».
Osbern
dresse une impressionnante série de termes latins qui lui seraient
« apparentés ». On y trouve pêle-mêle colonus, colonia, coluber,
cuniculus, columna et beaucoup d’autres encore, dont... colossus, « statue
monumentale ».
Voici le passage que le moine bénédictin consacre à ce mot et dont Hugo
de Pise est indiscutablement parti :
et hic colossus i aliqua res in memoriam alicuius mortui facta sicut tumuli et imagines apud antiquos et dicitur colossus quasi colens ossa, unde Ambrosius super Egisippum in templo medio colossum constituit Augusti ; et in eodem tribus colossis ingentibus totam porticus illius gratiam venustavit. (Osbern, Derivationes, C xiii, 13, p. 114, ed. P. Busdraghi et alii, 1996)
Osbern
définit d’abord le mot : colossus, i, « dérivé » de
colere, o, « une chose faite en mémoire d’un mort, comme les tumulus
et les statues chez les anciens ». Il en donne ensuite
« l’étymologie », dicitur colossus quasi colens ossa :
« on appelle ainsi le colossus, comme étant quelque chose qui honore
les ossements ». Puis, en guise d’exemples d’emploi du mot, il termine par
deux citations de saint Ambroise (Heges., I, 35, 6). L’important à
souligner, c’est qu’Osbern donne comme exemples deux textes latins, et pas du
tout des monuments comme le Colossus de Néron/Helios ou le Colisée. C’est
précisément sur ces points que Hugo de Pise est intervenu.
On voit clairement ce qui s’est passé. Dans la rédaction de son propre
Liber derivationum, Hugo de Pise a utilisé la notice sur colossus
qu’il trouvait dans les Derivationes d’Osbern, mais il ne l’a utilisée
que partiellement. Il a conservé le mot, la définition et
l’« étymologie » (dicitur a Colens ossa), mais, en guise d'exemple, il a remplacé les citations d’Ambroise par celui d’un imposant
monument romain. Songeait-il au Colossus, la statue colossale de
Néron/Helios ou à ce qui est pour nous le Colisée ? Il est parfois
difficile pour les Modernes de savoir ce qu’un auteur médiéval a en
tête lorsqu’il utilise ce mot (ou un terme de forme voisine) ; mais, à
lire la suite, on a l’impression que Hugo de Pise songeait davantage à un
bâtiment qu’à une statue. Il s’agirait donc bien de « notre » Colisée,
et pour lui, Hugo, ce Colisée abritait le complexe aux statues
magiques.
Comment reconstituer ce qui s’est passé ? Hugo a probablement trouvé quelque part une description des statues magiques et, utilisant le système du « copier-coller », il s’en sera emparé pour l’introduire dans son texte en guise d’exemple, à la place des citations d’Ambroise proposées par Osbern et qui s’appliquaient, elles, à un Colossus-statue.
Cela ne
résoud évidemment pas la question que nous posions plus haut : où Hugo a-t-il
trouvé la localisation des statues magiques au Colisée ? Sans avancer d’éléments
concrets, nous avions alors songé à Neckam. Mais nous n’avons rien de bien neuf
à offrir, sinon avoir reconstitué le travail d’adaptation mené par Hugo sur
Osbern.
Peut-être verrons-nous plus clair en continuant la recherche et l’analyse
des versions plaçant les statues magiques au Colisée.
Introduction - Partie thématique - Partie analytique (Plan) - Conclusions
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