FEC -  Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26  - juillet-décembre 2013


 

Des statues et un miroir. Chapitre 3 : Autres témoignages de la littérature allemande

 

A. Les statues magiques dans la Kaiserchronik (entre 1140 et 1150)

 

Jacques Poucet

Professeur émérite de l'Université de Louvain
Membre de l'Académie royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>

 

1. Introduction

La Kaiserchronik est une chronique anonyme de 17.283 vers, écrite en moyen haut-allemand et rédigée entre 1140 et 1150 par un (ou plusieurs) ecclésiastique(s) attachés à une cour de Rastisbonne. Son commanditaire nous est inconnu.

Dans cette chronique, qui va de la fondation de Rome à la préparation de la deuxième croisade en 1147, la matière n’est pas présentée sous la forme d’un récit continu mais découpée en une succession d’épisodes choisis, se succédant sans titres ni sous-titres. Les éditeurs modernes ont ainsi la délicate mission de dresser le plan de l’œuvre. Généralement ils dénombrent, après un très bref prologue, trente-quatre épisodes consacrés à Rome et aux empereurs romains, et dix-neuf aux empereurs allemands. Mais les divisions pourraient fort bien s’organiser autrement.

Quoi qu’il en soit, c’est l’ouvrage écrit au XIIe siècle en allemand qui est le plus largement attesté (quelque quarante témoins pour trois rédactions différentes). Il exerça une grande influence sur les écrits historiques ultérieurs, parmi lesquels la Weltchronik de Jans Enikel et la Sächsische Weltchronik, toutes deux du XIIIe siècle et dont il sera question plus loin.

Pour en revenir à la Kaiserchronik, on a pu la définir comme « une compilation indigeste et curieuse », où l’on trouve « une infinité de légendes prises ça et là, transposées et mêlées » (A. Graf, Roma, 1923, p. 184). Ainsi, l’essentiel du chapitre sur Tibère est consacré à la légende de Véronique et de son voile ; Néron sert de prétexte à l’histoire de saint Pierre et de saint Paul ; pour Tarquin (placé entre Néron et Galba !), c’est l’épisode de Lucrèce ; pour Trajan, c’est saint Grégoire ; pour Décius, c’est saint Laurent. On conçoit que les spécialistes de l’empire romain y trouvent moins leur compte que les historiens des légendes !

 

* Un volumineux article a été consacré à cet ouvrage par E. Nellmann, Kaiserchronik, dans Die deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon, Berlin, t. 4, 1983, col. 949-964.

La seule édition critique existante est celle de E. Schröder, Deutsche Kaiserchronik, Hanovre, 1892, 441 p. (Monumenta Germaniae Historica. Scriptores 8. Deutsche Chroniken und andere Geschichtsbücher des Mittelalters, 1,1). – Il en existe deux versions numériques accessibles, l’une sur le site des MGH, l’autre sur EText Virginia.

* Cette édition de E. Schröder avait été précédée, en 1849-54, par la publication monumentale de H.F. Massmann (Der keiser und der kunige buoch oder die sogenannyte Kaiserchronik, Quedlinburg-Leipzig, 3 vol., 1849-1854 [Bibliothek der gesammten deutschen National-Literatur von der ältesten bis auf die neuere Zeit, 4]). Cette œuvre, qui n’est pas une édition critique, reste encore utile pour l’énorme collection de textes parallèles que l’auteur a rassemblés dans le troisième volume (1192 p. à lui seul). – Il en existe aussi une version numérique sur OpenLibrary.

* L'ouvrage d'A. Graf qui vient d'être cité est intitulé Roma nella memoria e nelle immaginazioni del Medio Evo, Turin, 1882-1883, 2 vol. respectivement de 462 et 599 p. L'ouvrage a été réimprimé à Turin en 1923, en un seul volume et avec une pagination continue. Cette réimpression de Turin a été à son tour reproduite anastatiquement à Bologne, chez Forni, en 1987, 810 p. Nous citons la pagination de l'édition de 1923, mais le texte remonte en fait à la fin du XIXe siècle. 

 

2. Le contexte de l’insertion

Chronique des empereurs et non chronique universelle, la Kaiserchronik ne remonte pas à la création du monde mais commence par l’histoire de Rome. Comment la notice aux statues s’y insère-t-elle ?

Dès la fin du prologue apparaissent quelques rapides allusions à la royauté et à la république : trois vers  (vers 51-54) pour la royauté (en fait les seuls Romulus et Rémus), puis une brève mention du gouvernement de la République avec notamment l’expression « les 300 sénateurs » (driu hundert althêrren, vers 57). Le vers 62 pour sa part rappelle la situation prédominante de Rome à cette époque : vil michel waert duo Rômaere gewalt « très grande était la puissance des Romains ».

L’épisode suivant (vers 63 à 185) est consacré aux affaires religieuses. Mais la religion romaine est rapidement expédiée sans détails ni nuances. Adoptant comme plan de son exposé les sept jours de la semaine, le rédacteur se borne à présenter des dieux romains (avec des cérémonies ou des temples en leur honneur) qu’il estime liés à chacun des jours. Ces dieux sont évidemment, pour lui, de faux dieux, car « les Romains ne connaissaient pas encore le vrai Dieu » (une formule répétée deux fois, vers 64 et 74). Le Soleil et la Lune sont ainsi mis en rapport avec le dimanche et le lundi, Mars avec le mardi, Mercure avec le mercredi, Jupiter avec le jeudi et Vénus avec le vendredi. Ici encore les spécialistes de la religion romaine seront plutôt déconcertés.

Le cas du samedi (vers 171-208) est un peu plus intéressant pour nous. Moins pour le rapport que le rédacteur établit (vers 174-182) entre le samedi d’une part, le dieu Saturne et la fête des Saturnales de l’autre, que parce qu’il introduit dans sa notice un temple qu’il appelle Rotundâ (vers 172) et où, dit-il, on honorait d’abord Saturne, ensuite tous les diables (dar nâch was iz aller tievel êre), entendez par « diables » les dieux païens. À lui seul le mot Rotunda fait, sans l’ombre d’un doute, référence à l’expression ad sanctam Mariam Rotundam, qui sert au Moyen Âge à désigner le Panthéon, et le fait que le bâtiment soit dit consacré « à tous les diables » confirme l’identification.

Si l’on avait encore besoin d’un autre argument, on le trouverait d’ailleurs dans les vers suivants (vers 186-208), qui, renvoyant à « un livre » non autrement nommé (daz buoch saget uns daz, vers 186), racontent que saint Boniface, le quatrième pape après le bienheureux Grégoire, consacra ce temple (daz selbe hûs) au dieu tout puissant (dem almehtigen gote), puis à sainte Marie, puis à tous les saints (allen gotes hailigen). Après avoir précisé que la cérémonie de consécration provoqua la fuite et la disparition de tous les « diables » qui occupaient le bâtiment, le rédacteur termine le passage par les mots : « on en voit encore les vestiges à Rome » (des ist ze Rôme noch hiute urchunde, vers 208). Il s’agit donc indiscutablement du Panthéon. On revient en quelque sorte en terrain connu. Le récit de l’expulsion des « démons » et de la consécration du Panthéon figure dans les plus anciennes versions des Mirabilia Romae.

Il ne faudrait toutefois pas conclure trop vite que le rédacteur de la Kaiserchronik s’en est inspiré. Ce récit sur le Panthéon se rencontre déjà dans un sermon latin de Bède (672-735) sur la Toussaint (Historia ecclesiastica gentis Anglorum, II, 4), qui,  comme le précise E. Schröder dans son édition (p. 83, n. 1), fut même traduit en allemand au IXe siècle. Ces informations sur le Panthéon médiéval existaient donc bien avant la rédaction de la Kaiserchronik et des premiers Mirabilia Romae.

On retrouvera Bède et cette question plus loin dans l'analyse d'un passage de Jacques de Voragine. Passons maintenant à la notice sur les statues magiques, qui nous concerne directement.

 

3. La notice elle-même

Les considérations sur le Panthéon sont immédiatement suivies d’un développement sur les statues aux clochettes (vers 209-234). Les deux vers de transition (Nû sculen wir wider grîfen / dâ wir die rede liezen ; vers 209-210) qui ont bien signalé un changement de sujet, ne comportent aucune indication d’un changement de lieu. Pour le lecteur en tout cas, sinon pour le rédacteur, les statues aux clochettes dont il va être question seraient localisées au Panthéon.

 

a. la description générale

La description du contenu suit un schéma relativement simple, pour ne pas dire simpliste. Dans l’ensemble, à quelques éléments près sur lesquels nous reviendrons dans un instant, elle ne surprend pas.

L’auteur souligne d’abord – en guise d’introduction en quelque sorte – la prédominance de Rome : « aussi bien sur terre que sur mer » (weder ûf der erde noch ûf dem mere, vers 213), personne ne pouvait s’opposer à elle. Puis il révèle le secret de la suprématie des Romains.

Ces derniers avaient fait « fondre en bronze tous les pays qu’ils avaient soumis à leur pouvoir » (Duo hiezen Rômære / giezen ûzzer êre / elliu diu lant / diu si hêten bidwungen in ir gewalt, vers 217-220).

Si l’on en croit les trois vers suivants qui, s’ils ne sont pas difficiles à traduire, ne sont pas simples à mettre en situation :

 

224          ze Rôme man wol erchande

À Rome on reconnaissait facilement

225          die liute alle in ir gebæren

tous les gens à leurs manières (habits ?)

226          als si da heime geboren wæren.

comme s’ils étaient nés dans leur pays

 

ces pays auraient même été représentés d’une manière plutôt réaliste. Il s’agit d’une observation générale, mais, appliquée au complexe en cause, elle pourrait vouloir dire que chaque statue était modelée de manière à renvoyer clairement à un pays déterminé : en d’autres termes, les Romains auraient représenté des statues à l’image d’un Germain, d’un Breton, d’un Égyptien, etc., le pays rebelle devenant ainsi facilement reconnaissable. On aura l’occasion de revenir sur cette interprétation.

Les clochettes attribuées à chaque pays étaient en or (ir guldîne schellen / iechlîchem lande, vers 222-223). Elles étaient probablement suspendues au cou, mais le sens du vers 221 qui les introduit (dar uber hiengen duo die snellen) n’est pas clair.

Ce qui est en tout cas certain, c’est que si un pays voulait s’opposer à Rome, « sa clochette sonnait à l’instant même » (die scelle lûtte sich sâ ze stete, vers 228), parce que sa statue bougeait. Peut-être les cloches des autres statues sonnaient-elles aussi, mais le vers 229 (ân aller slahte menscen hant) n’est pas facile à comprendre.

Quoi qu’il en soit, entendant le bruit, les sénateurs se rendaient immédiatement sur place pour identifier le pays rebelle en lisant notamment l’inscription qu’il portait. « Heureusement » (mit lôzze, vers 230) on trouvait sans tarder « quelqu’un de qualité » (ain edelen hêrren, vers 231), particulièrement qualifié, à qui confier la mission de se rendre dans le pays rebelle et de le soumettre. Dans le cas bien précis développé par le chroniqueur allemand, nous verrons dans un instant que les rebelles sont les Germains, et le héros choisi par le sénat pour les réduire, Jules César.

Quelques éléments sont particuliers : d’abord l’intérêt manifeste du rédacteur pour les matières – les statues sont en bronze, les clochettes en or – ; ensuite (et si nous avons bien compris le texte) l’importance que, selon lui, les Romains auraient portée aux critères permettant l’identification de la statue qui donne l’alarme.

 

b. l’application à un cas particulier

Après la description générale du complexe (vers 211 à 234) vient son application à un cas particulier (vers 235 à 266). Cette structure est loin d’être courante. De nombreuses versions se bornent en effet à décrire en général le complexe aux statues. Ce n’est pas ce que fait le chroniqueur allemand : pour lui, la description n’est pas une fin en soi, mais un élément qui permet d’introduire un événement précis.

« Un jour que le sénat était en séance, il arriva que… » (Aines tages iz gescach / der senâtus ze râte gesaz …) une cloche se mette à sonner. Les sénateurs se levèrent, se rendirent sur place en hâte pour identifier le problème. Il était clair : daz Dûtisc volch wider si ûf gestanden was (vers 246 : « le peuple allemand s’était à nouveau rebellé »).

Le texte ne précise pas que les sénateurs ont reconnu les Germains grâce aux particularités (vêtements, allure, cheveux ou barbe, etc.) de la statue qui avait donné l’alarme. Par contre il note explicitement qu’ils « prirent connaissance des inscriptions » (vers 242 : die buochstabe si lâren). C’est là un détail que nous avons souvent rencontré et qui permet l’identification facile des statues.

Cela implique-t-il que l’interprétation des vers 224-226 donnée plus haut soit inexacte ? Pas nécessairement. Dans l’esprit du rédacteur, il peut y avoir deux moyens d’identifier la statue : d’une part son aspect extérieur ; d’autre part, son inscription.

Quoi qu’il en soit, une fois le problème identifié, la procédure, qu’énonçait déjà la description générale, suit son cours. Elle est ici répétée. Il s’agit de trouver la personne adéquate, à savoir « un héros habile » (ain vermezzen helt, vers 249) pour l’envoyer « en Germanie » (ze Dûtiscen landen, vers 253).

Comme le rédacteur veut manifestement retarder la révélation du nom de l’élu, celui-ci n’apparaît pas tout de suite. Il sera finalement cité,  à deux reprises d’ailleurs (vers 258 et vers 261) : c’est Jules César et, à chaque mention de son nom, le rédacteur précise qu’il reçoit le commandement d’une force de 30.000 hommes (drîzec tûsent).

Il est clair que la Kaiserchronik utilise le motif du complexe aux statues comme un procédé de technique narrative pour introduire le personnage du « premier empereur » des Romains et lancer son histoire. Un peu comme l’avait fait, à peu près à la même époque, le rédacteur des premières versions des Mirabilia. Dans sa notice sur le Panthéon, il avait en effet évoqué les statues magiques pour introduire Agrippa dans le récit de la fondation du temple.

Mais revenons à la suite de la chronique. La Kaiserchronik consacre à César plus de 330 vers (vers 267 à 602), alors que son successeur, Auguste, n’en reçoit même pas 70. Mais César, on le sait, jouit dans le monde germanique d’une aura de loin supérieure à celle d’Auguste, qui est pourtant aux yeux de l’Histoire le premier véritable empereur de Rome.

 

4. Quelques réflexions sur le contenu et l’insertion du motif

Il est temps maintenant de réfléchir quelque peu sur ce motif aux statues, son contenu, son origine, ses finalités et les modalités de son insertion dans la Kaiserchronik.

a. la simplicité du schéma général

Ce qui frappe d’abord à propos du traitement dans la Kaiserchronik du motif aux statues, c’est la simplicité du schéma : des statues représentent chacune un pays soumis à Rome ; en cas de rébellion d’un pays, sa statue bouge, ce qui agite la clochette qu’elle porte ; le bruit alarme les sénateurs, qui viennent voir, identifient le problème en lisant le nom du pays sur la statue, et chargent quelqu’un d’aller y remettre de l’ordre. C’est vraiment le minimum minimorum de la description.

Aucune précision n’est donnée sur la disposition des statues, sur les éventuels mouvements des statues (mis à part le fait que l’une d’entre elles bouge), sur le rôle joué par la magie dans l’ensemble, sur le nom du créateur, sur le système de surveillance, sur la procédure de transmission de l’information ; il n’y a aucune intervention de prêtres surveillants ; le bruit de la clochette seul suffit à faire venir les sénateurs.

Les seuls détails quelque peu originaux concernent – on l’a dit – le bronze des statues (ce qui va un peu de soi ; nous rencontrerons plus loin une version évoquant du bois comme matière), l’or des clochettes (ce qui est plus particulier) et les détails réalistes des sculptures. On ne perdra toutefois pas de vue que les poètes font généralement preuve d’une plus grande liberté créatrice que les prosateurs.

b. la localisation au Panthéon

La localisation reste un gros problème. Le motif des statues aux clochettes est nettement antérieur à la Kaiserchronik ; il a circulé longtemps avant que la tradition des Miracula mundi d’abord, celle des Mirabilia urbis ensuite, ne s’en emparent. Mais ce qui doit être souligné, c’est que, dans les états les plus anciens de ces deux traditions, le complexe des statues aux clochettes était lié au Capitole, pas au Panthéon. Les Miracula mundi sont muets sur le Panthéon ; quant à la tradition des Mirabilia Romae, aucune de leurs multiples versions n’a jamais confondu le Capitole et le Panthéon.

Cela dit, il peut être intéressant de rappeler brièvement – une fois de plus – l’histoire du motif des statues aux clochettes dans la tradition des Mirabilia.

Il apparaît d’abord dans la notice que les Mirabilia primitifs et la Graphia consacrent au Panthéon (sa fondation par Agrippa et sa consécration par Boniface). Dans cet épisode, les statues sont clairement localisées au Capitole, mais  – on l’a déjà dit plusieurs fois – cette présentation même présentait un certain risque, un lecteur ou un rédacteur inattentif pouvant les croire installées au Panthéon.

La compilation de N. Rosell les introduira dans la notice sur le Capitole « à la bonne place » donc, mais sans supprimer l’allusion aux statues dans la présentation du Panthéon. À partir de ce moment, le motif apparaît dès lors deux fois dans la tradition des Mirabilia.

c. la structuredu récit de la Kaiserchronik

Ce rappel permet en tout cas de mettre en évidence une correspondance possible entre la notice de la Kaiserchronik et les versions anciennes des Mirabilia.

Les rédacteurs des Mirabilia primitifs et de la Graphia, lorsqu’ils mentionnent les statues pour la première fois, ne se bornent pas à les décrire en général mais ils les mettent en scène dans une situation concrète. Il s’agit – on s’en rappelle – d’une région qui se révolte (la Perse) et d’un personnage historique (Agrippa) qui reçoit la charge de rétablir l’ordre dans la région rebelle.

Il est difficile de ne pas faire un parallèle structural avec le récit de la Kaiserchronik. Cette dernière aussi décrit d’abord cette « arme » très spéciale, puis la met à l’œuvre dans une situation particulière (la révolte des Germains) où il est fait appel à un personnage historique (Jules, le premier empereur des Romains) à qui sera confiée une armée de 30.000 hommes avec mission de partir in Dûtiscen landen (vers 263).

À notre connaissance, et – encore une fois – si l’on fait bien sûr abstraction des chroniques allemandes influencées par la Kaiserchronik, qu’on examinera dans un instant – ce sont les deux seuls exemples dans la littérature où la procédure de l’alarme par les statues magiques est présentée appliquée à un cas concret.

d. l’origine du récit de la Kaiserchronik

On ne peut pas déboucher sur une certitude. Mais au vu de ces éléments avancés, nous serions tenté de croire que le rédacteur de la Kaiserchronik, cherchant à introduire le premier empereur dans son récit, a jugé commode de faire appel au motif des statues, connu depuis longtemps. Il n’aurait pas été le chercher dans la tradition des Miracula mundi, mais dans celle des Mirabilia urbis où il trouvait, outre un exemple d’actualisation à un cas concret (Agrippa et la Perse), une possibilité de faire intervenir un bâtiment (le Panthéon) dont l’histoire, bien connue elle aussi depuis longtemps, de la consécration par Boniface devait également l’intéresser. Dans cette interprétation, le rédacteur allemand aurait laissé tomber la précision topographique (le quae erat in Capitolio, de Mirab. 16). Non pas qu’il l’ait mal comprise. Peut-être plus simplement il n’en aurait pas tenu compte parce qu’elle ne l’intéressait pas. Il agissait en poète.

e. encore la localisation au Panthéon

Revenons d’ailleurs à cette localisation au Panthéon. Peut-être devrions-nous rester prudent et ne pas trop vite accuser d’imprécision ou de légèreté le rédacteur de la Kaiserchronik. Après tout, dans le passage où il traite des statues, il ne dit nulle part expressis verbis que les statues se trouvaient au Panthéon. C’est nous qui avons déduit cette information topographique du contexte qui précède et qui contenait notamment le mot Rotunda.

Allons même plus loin. Peut-être attachons-nous beaucoup trop d’importance à la localisation précise du complexe aux statues. Le rédacteur de la Kaiserchronik partageait-il pareil souci lorsqu’il traitait de l’histoire romaine ? Nous avons vu combien sa présentation de la religion romaine était insatisfaisante. Et, pour en revenir à la topographie, on remarquera avec quelque surprise que l’index de la Kaiserchronik des MGH ne comporte aucune mention ni du Capitole, ni du Panthéon. Ce dernier n’apparaît même pas sous ce nom dans la chronique, mais uniquement sous celui de Rotunda (vers 172), une seule fois d’ailleurs, là où le chroniqueur présente (avec quelle fantaisie !) les activités religieuses liées au samedi.

f. la technique d’insertion

Si la Kaiserchronik est proche par la date des premières versions des Mirabilia urbis, ses objectifs et son organisation sont très différents : les Mirabilia présentent, sous une forme atomisée, élément par élément, « les curiosités de la ville de Rome » ; la Kaiserchronik propose, dans une perspective linéaire, une « histoire » des empereurs romains et germaniques.

Il semble clair que la Kaiserchronik utilise le motif des statues aux clochettes moins pour lui-même que comme un procédé de technique narrative lui permettant d’introduire César dans son récit. À notre connaissance, cette astuce – tout à fait artificielle – ne se retrouve nulle part ailleurs, sinon dans quelques textes allemands dont nous parlerons plus loin et qui se placent dans la mouvance (directe ou indirecte) de la Kaiserchronik.

Voyons maintenant comment se présente le motif des statues dans deux autres chroniques allemandes qui furent influencées par la Kaiserchronik. Et d’abord dans la Weltchronik de Jans Enikel, dont il a déjà été question dans un autre article (FEC 23, 2012) à propos des épisodes virgiliens du panier et de la vengeance.

 

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