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Historiographie du XVe au XVIIIe siècle
Baronius (1538-1607)
L'auteur
Cesare Baronius est né à Sora, dans le Royaume de Naples, le 31 octobre 1538. La famille est aisée, la mère de Cesare, très pieuse. Le jeune homme entame sa formation dans la ville voisine de Veroli, puis à Naples où il étudie le droit. En 1557, il arrive à Rome pour poursuivre dans cette voie : son père envisage pour lui une carrière administrative ou judiciaire. Mais l'étudiant rencontre Philippe Neri, le fondateur de l'Oratoire, et s'attache à ce saint prêtre qui devient son confesseur et son directeur de conscience. Il termine pourtant ses études de droit, puis suit sa vocation religieuse. Il est ordonné prêtre en 1564. Il exerce son ministère paroissial tout en faisant, à la demande de Philippe Neri, des conférences destinées aux membres de l'Oratoire naissant. D'abord à caractère spirituel, ces exposés vont rapidement s'orienter vers l'histoire de l'Église, toujours pour répondre au souhait de Neri. Lui-même n'est guère attiré par cette matière : « non era secondo il mio gusto », dit-il (cf. H. Jedin, Kardinal Caesar Baronius, p. 19). En 1593, Neri abandonne la direction de la Congrégation des Oratoriens ; Baronius lui succède. En 1596, bien qu'il déteste les honneurs, il est créé cardinal et, l'année suivante, devient Bibliothécaire de la sainte Église romaine. À la mort de Clément VIII 1605), Baronius est pressenti pour lui succéder mais il suscite l'opposition du clan espagnol et d'ailleurs, il ne désire nullement accéder au souverain pontificat (cf. de Thou, T 18). C'est le cardinal Alexandre Médicis qui est élu (Léon XI), lequel ne règne qu'un mois environ. Nouveau conclave, on songe encore à Baronius qui n'a pas changé d'avis : les cardinaux choisissent alors Camille Borghèse (Paul V). Baronius meurt deux ans plus tard, le 30 juin 1607.
Les Annales ecclésiastiques
Baronius a commencé très tôt à s'intéresser à l'histoire ecclésiastique, poussé, il est vrai par son directeur de conscience, Ph. Neri, plus que par goût personnel. Le fondateur de l'Oratoire songeait-il alors à une réplique catholique aux Centuriateurs de Magdebourg ? Ce n'est pas impossible mais il se peut aussi que Neri ait surtout vu dans l'histoire de l'Église une source d'édification pour ses premiers disciples, et que Baronius ait été dans le même état d'esprit quand il faisait ses conférences à l'Oratoire. « C'est que Baronius, autant qu'historien, se veut directeur d'âme », note C. Mouchel (Éloquence et méditation dans la première Centurie des Annales, p. 82). Quoi qu'il en soit, Baronius sera plus tard officiellement chargé de contre-attaquer les positions protestantes. Les papes Pie V et Grégoire XIII sont résolus à répondre aux accusations portées contre l'Église et ses dirigeants et cherchent « l'uomo capace » à qui confier ce vaste projet. Après avoir dû renoncer à d'autres candidats, leur choix se porte sur le disciple de Philippe Neri : nous sommes dans les années 1570. Par ses travaux antérieurs, Baronius était bien préparé à cette mission et, résidant à Rome, il avait à sa disposition toutes les sources nécessaires ; manuscrits, livres, archives étaient à sa portée sans qu'il doive, comme les Centuriateurs, parcourir l'Europe à leur recherche. En revanche, il était défavorisé par rapport à ceux-ci par sa faible connaissance du grec : il devait utiliser des traductions latines ou se faire aider par des amis hellénistes.
Les Annales ecclésiastiques commencent à paraître en 1588, le douzième et dernier volume sortira en 1607. L'ordonnance de cette œuvre énorme est strictement chronologique : un volume par siècle et, dans le siècle, le récit se déroule année par année. Certaines années, la matière est abondante et l'exposé occupera donc plusieurs pages, d'autres sont creuses et sont traitées en quelques lignes ou peuvent même être regroupées avec les années suivantes. Baronius est très attaché à la chronologie : en tête de chaque année figurent plusieurs dates, selon l'ère chrétienne puis l'année de règne du pape et celle de l'empereur ou du roi en fonction.
Baronius utilise une quantité de sources impressionnante : il suffit de parcourir les quelques extraits repris ci-dessous pour s'en rendre compte. Y sont cités, évidemment, des auteurs chrétiens, St Jérôme, Eusèbe de Césarée, Bède le Vénérable, Tertullien, St Cyprien, Jean Chrysostome, Sulpice Sévère ; et des païens, Lampride et d'autres auteurs de l'Histoire Auguste, Hérodien, Marius Maximus, Dion Cassius. Mais on peut se faire une idée plus complète de la documentation que Baronius jugeait nécessaire à la rédaction de ses Annales en lisant un curieux texte, non daté mais postérieur à 1586 selon S. Zen (Baronio storico, p. 72), où il dresse une sorte de bibliographie idéale pour écrire l'histoire de l'Église, l'Ordo qui servandus proponitur in historia Ecclesiastica pervestiganda. Ce document se trouve en annexe I dans le livre de Zen (p. 347-354). Baronius découpe cette histoire en cinq périodes : 1. de la naissance du Christ à Constantin - 2. de Constance II à la mort de Théodose II (a. 450) - 3. de Marcianus à la mort de Maurice (a. 602) - 4. de la mort de Maurice jusqu'à Charlemagne - 5. de rebus gestis a temporibus Caroli Magni ac successorum imperatorum. Pour chacune d'entre elles, il signale les auteurs grecs et latins, chrétiens et païens à utiliser et un certain nombre de sources documentaires, actes des conciles, correspondance, passions des martyrs, discours, vies des papes etc. Le texte se termine par l'énoncé de quelques principes de critique historique.
Le contraste entre ces deux parties de l'Ordo est très marqué. Cinq pages sont consacrées au catalogue des sources à exploiter, à l'heuristique ; les règles critiques tiennent en une douzaine de lignes et sont assez élémentaires : 1. respecter la chronologie, sous peine de rencontrer des difficultés insurmontables et de tomber dans l'erreur ; pour cela, ranger les documents selon leur date par année consulaire, année de règne ou autrement - 2. lire d'abord les auteurs qui racontent les événements de leur temps ; s'ils font défaut, se rabattre sur les plus proches ; ne tenir compte des plus récents que s'ils s'appuient sur des écrivains plus anciens - 3. accorder la plus grande confiance à l'histoire appelée « épistolaire », qui apparaît parfois intégrée dans les écrits des Pères (?). A lire ce texte, on serait tenté de croire que, pour Baronius, toute la méthode historique se réduit à des questions de chronologie. Ses Annales montrent heureusement qu'il est conscient que d'autres problèmes se posent, concernant notamment l'authenticité des documents. Mais il a de la peine à prendre des positions claires en ce domaine. Il voudrait que certains textes soient des faux, les actes du pape Marcellin, par exemple, qui disent que, pressé par Dioclétien, le pontife aurait renié sa foi chrétienne (T 6). Ces actes sont « depravez » mais « marquez par la venerable antiquité » et admis comme authentiques dans d'autres documents. Dès lors, comment les récuser ? Baronius a recours ici à ce qui ressemble fort à des arguties : Marcellin ne pouvait pas sacrifier à Jupiter, Hercule ou Saturne dans un temple dédié à Vesta et Isis ; on n'aurait pas pu rassembler trois cents évêques dans un temps de persécution et, plus encore, Eusèbe ne parle pas de cette trahison du pape. Curieuse objection puisque, un peu plus haut (T 5), le silence d'Eusèbe sur la chute des chrétiens est interprété dans le sens contraire, comme la volonté de masquer des apostasies réelles, à commencer par celle d'Eusèbe lui-même. Autre document gênant, un édit de l'empereur Valentinien III (r. 425-455) conférant à l'évêque de Ravenne, Jean, la dignité d'archevêque (T 11). Ce texte est évidemment faux, décrète souverainement notre historien : chacun sait que les empereurs n'ont jamais conféré le pallium à un évêque car c'était un privilège exclusif des papes. Et le lecteur doit se satisfaire de cet argument !
Mais voici Baronius embarrassé par un autre texte officiel qu'il aimerait, cette fois, considérer comme authentique, la fameuse Donation de Constantin (T 8). On sait que, par cet acte, l'empereur voulait remercier le pape Sylvestre pour l'avoir guéri de la lèpre et lui avoir donné le baptême, en lui cédant le gouvernement de Rome et de toute la partie occidentale de l'Empire. Les papes, bien entendu, invoquaient volontiers ce texte au Moyen Âge pour justifier leur pouvoir temporel, mais bien des voix aussi s'étaient élevées pour dénoncer cette prétendue donation : Dante, dans son traité De monarchia (III, 10) ; à la même époque, Jean de Paris dans le De potestate regia et papali ; puis Marsile de Padoue, Nicolas de Cuse et surtout Lorenzo Valla dans son discours De falso credita et ementita Constantini donatione (1440 ; 1ère éd. posthume 1518). Baronius, pour sa part, ne se prononce pas clairement sur la question de l'authenticité de la donation, il l'aborde de manière détournée, soulignant l'indéniable générosité de Constantin envers l'Église puis, sortant absolument du sujet, la création par Auguste des provinces sénatoriales. Il invoque encore les lettres patentes des rois de France, pour finir par cet argument décisif : il est inutile de vouloir défendre à tout prix l'existence de cette donation, c'est de Dieu que l'Église a reçu ses privilèges, non des rois et des empereurs. Pour l'historien, c'est là l'essentiel : quoi qu'il en soit de Constantin et de sa politique religieuse, le pouvoir temporel des papes est justifié. Faut-il dire que la déclamation De donatione Constantini de L. Valla, « ce petit grammairien & tout à fait ignorant des affaires ecclesiastiques », comme l'appelle Baronius dans un contexte différent (Annales, abrégé de Sponde-Coppin, I, p. 825), était d'une autre qualité ?
Baronius ne cite jamais clairement ses adversaires de Magdebourg. Aux rares endroits où ceux-ci sont visés, ils sont discrètement présentés comme les « novateurs de notre temps », d'ailleurs sévèrement jugés : « miserrimi nostri temporis levissimi et sordidissimi Novatores » (cf. Zen, Baronio storico, p. 150, n. 67). Il est pourtant évident que les Annales sont une œuvre de combat, que l'auteur veut anéantir les positions protestantes, à commencer par leur refus d'admettre la primauté de l'évêque de Rome ; pour Baronius, il est évident que l'autorité du pape sur l'ensemble de l'Église est d'institution divine (T 1). Les protestants reprochaient aussi à l'Église médiévale d'avoir adopté toutes sortes de rites et de pratiques inconnus aux temps apostoliques. On va donc démontrer qu'il n'en est rien : la prière des heures canoniales, par exemple, remonte aux apôtres et même à l'Ancien Testament (T 3). Il en va de même du célibat des prêtres, de la célébration des fêtes des saints, du culte des images... tout cela apparaît dès les origines (cf. A. Molien, Baronius, dans DHGE, VI, col. 874).
Une autre manière de se défendre contre de possibles attaques des Protestants, c'était de réécrire certains épisodes de l'histoire de l'Église. La procédure de convocation du concile de Nicée, notamment, méritait d'être présentée de manière à la rendre plus respectueuse des prérogatives du pape (T 7). Le concile avait d'abord été voulu par l'empereur Constantin, ce que reconnaissent sans difficulté les historiens de l'Église actuels (cf. p. ex. H. Marrou dans Nouvelle histoire de l'Église, I. Des origines à saint Grégoire le Grand, Paris, 1963, p. 292-293). Baronius, lui, veut que l'évêque d'Alexandrie ait immédiatement averti le pape des troubles qu'Arius provoquait dans son diocèse, que Sylvestre, conscient de ses responsabilités, ait aussitôt envoyé Osius en Orient, lequel présidera le concile de Nicée, sous l'autorité du Siège Apostolique : Constantin, dans cette version des faits, ne joue plus qu'un rôle subalterne. Autre exemple où l'on voit Baronius, sinon remanier les faits, du moins les commenter pour les rendre moins scandaleux, c'est à propos du lynchage d'Hypatie (T 10). Cette brillante intellectuelle, mathématicienne, astronome et philosophe, avait été massacrée par des chrétiens fanatiques, partisans du patriarche d'Alexandrie Cyrille. Baronius ne peut pas nier ce meurtre. Il essaie toutefois d'atténuer le responsabilité de Cyrille dans cette affaire en soulignant que l'historien Socrate, qui la rapporte, était hostile à l'évêque et n'en parle peut-être pas en toute objectivité.
On terminera ces quelques remarques sur l'esprit critique de Baronius en attirant l'attention sur son penchant à tenir pour avérés les miracles les plus extraordinaires qu'il trouve dans ses sources, que l'ascension du Christ ait laissé des traces dans le sol où l'événement s'est produit, par exemple (T 2), ou que la fille de l'évêque Spiridion, décédée et enterrée, ait répondu à son père pour lui dire où se trouvait un dépôt qui lui avait été confié de son vivant (T 9).
Réception
L'editio princeps des Annales ecclesiastici a paru à Rome dans les années 1588-1607 (année de la mort de l'auteur). L'ouvrage a immédiatement connu un énorme succès, si bien que, du vivant même de Baronius, des rééditions ont vu le jour, chez Plantin à Anvers (1589-1609) et à Mayence (1601-1605). Un peu plus tard (1609), c'est à Cologne que les Annales sont à nouveau imprimées ; elles le seront encore au XVIIIe siècle à Lucques, avec les corrections du P. Pagi. Baronius, dont la mort a interrompu le travail alors qu'il avait atteint dans son récit l'année 1198, a eu également plusieurs continuateurs. Le dernier, le P. Theiner, lui aussi prêtre de l'Oratoire, prolongera cette histoire de l'Église jusqu'au pontificat de Grégoire XIII (1572-1585), en trois volumes parus à Rome en 1856 (voir le c.r. de cet ouvrage par E. Boutaric, avec un large historique de ces diverses continuations, dans Bibliothèque de l'École des Chartes, 20, 1859, p. 526-531). Les Annales, enfin, ont été l'objet de nombreux abrégés, en latin et dans des langues nationales, italien, allemand, polonais... bien que l'auteur ait été très réservé à l'égard de ces travaux qui risquaient, selon lui, de détourner le lecteur de l'œuvre originale (cf. Zen, op. cit., p.180 et sv.). Le plus important de ces abrégés est sans doute celui de H. de Sponde, calviniste français converti et devenu évêque de Pamiers. Il avait obtenu l'accord de Baronius pour publier ses Annales ecclesiastici... in epitomen redacti (Paris, 1612) qui seront bientôt traduites en français et dans plusieurs autres langues européennes.
L'œuvre de Baronius a donc connu une très large diffusion mais comment a-t-elle été jugée ? On pourrait croire que les opinions à son sujet ont été différentes selon qu'elles émanaient du monde catholique ou des milieux protestants. En réalité, les deux camps sont grosso modo du même avis : l'œuvre est respectable mais fortement engagée au service d'une thèse, et entachée d'innombrables fautes de chronologie. Respectable ? Un Protestant, et d'un caractère difficile (Lenglet Du Fresnoy), Joseph Scaliger en convient : il préfère Baronius à Bellarmin, qui ne lui apprend rien, et si les premiers livres des Annales contiennent beaucoup d'erreurs, les suivants sont, à son avis, de meilleure qualité (cf. A. Grafton, Joseph Scaliger. A Study in the History of Classical Scholarship. II. Historical Chronology, Oxford, 1993, p. 699). Un autre savant réformé, Casaubon, qui se préparait pourtant à publier ses Exercitationes XVI ad cardinalis Baronii prolegomena in Annales et primum eorum partem (Londres, 1614), présente les Annales, dans une lettre de 1611, comme un « ingens opus et laboriosum » (cf. Zen, op. cit., p. 37). Les Catholiques, bien entendu, ne sont pas d'une opinion différente. Le malheureux Campanella avait pour Baronius la plus grande admiration ; le jésuite Rosweyde a pris sa défense contre Casaubon. Même le P. Sarpi, de l'ordre des Servites de Marie, qui n'avait pas beaucoup d'estime pour l'œuvre de l'Oratorien, lui reconnaît quelques qualités (cf. Zen, op. cit., p. 126).
D'autre part, que les Annales ecclésiastiques soient un livre à thèse, tout le monde doit en convenir. L'auteur prétend démontrer que le catholicisme a toujours été fidèle au message évangélique, que les papes ont rempli leur mission, qu'ils sont les chefs légitimes de l'Église universelle et que leur pouvoir temporel même ne peut être contesté : un Anglican, W. Cave, notait que les Annales auraient pu s'appeler de potestate Papae ! Quant à la chronologie, il faut reconnaître que Baronius, qui y attachait pourtant beaucoup d'importance, n'a pas réussi à éviter de très nombreuses fautes. Scaliger, Casaubon en ont relevé une quantité ; le P. Petau S.J. en comptait environ huit mille. Le P. Pagi, pour sa part, avait trouvé dans les Annales assez d'erreurs, pas seulement de chronologie, pour remplir quatre livres de corrections (Anvers, 1705 ; cf. Zen, op. cit., p. 113, n. 99). À la même époque, dans une lettre où il présente à un ami son projet de composer une dictionnaire destiné ‒ à l'origine ‒ à relever et à corriger les erreurs contenues dans des ouvrages antérieurs, Pierre Bayle évoque le cas de Baronius en des termes qui méritent d'être cités : « C'est assurément un grand homme : ceux qui l'ont examiné, pour écrire contre luy, sont peut-être ceux qui l'admirent le plus. Cependant, combien de fautes y a-t-il dans ses annales ? On ne les compte point par centaines, mais par milliers ; il s'est trompé non seulement par intérêt de parti, par prevention ultramontaine, mais aussi en mille choses qui ne servent de rien aux pretentions de la Cour de Rome. On l'a fait voir toutes les fois qu'on l'a attaqué, et tout fraîchement le public en a pu être convaincu d'une manière solide. Il semble que Baronius ait pris plaisir à se tromper, et qu'il ait repandu tout exprès les mensonges dans son ouvrage, tant ils y sont semez épais » (Correspondance de Pierre Bayle, t. VIII, éd. E. Labrousse, A. Mckenna e.a., Oxford, 2010, Lettre n° 864, p. 534, mai 1692). Un grand homme mais dont l'œuvre est pleine d'erreurs, c'est à peu près ce que Muratori devait lui aussi penser de Baronius. « Il [Muratori] saisit toutes les occasions de [lui] chercher noise », note Ed. Fueter (Histoire de l'historiographie moderne, p. 396 ; voir aussi B. Neveu, Erudition et religion aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1994, p. 143). Mais, dans une lettre au pape Benoît XIV, le même Muratori parle du cardinal comme d'un « homme immortel... qui ne craint pas la vérité », tandis qu'il confie à un autre correspondant « qu'il ne peut pas prendre les Annales en mains sans admiration pour le grand esprit qui a pu élever un aussi majestueux monument, si savant, sans disposer des instruments disponibles aujourd'hui » (cf. H. Jedin, Kardinal Caesar Baronius, p. 53). Un contemporain de Muratori, l'abbé Fleury, auteur d'une Histoire ecclésiastique allant des origines au début du XVIe siècle, avait bien vu, lui aussi, à la fois les faiblesses des Annales de Baronius et leur utilité. Dans le premier Discours qui sert de préface générale à son ouvrage, Fleury note que les citations faites par Baronius doivent être soigneusement vérifiées, que les nombreux documents qu'il cite in extenso rendent ses Annales fort indigestes, que la chronologie très précise qu'il propose est souvent erronée et d'ailleurs impossible à atteindre pour les périodes anciennes. Son jugement global sur Baronius se veut néanmoins positif : « Son travail ne laisse pas d'être d'une très-grande utilité à l'église ; & je reconnais que c'est sur ce fonds principalement que j'ai travaillé, tâchant d'y joindre tout ce que les sçavans ont découvert depuis un siècle » (Discours sur l'Histoire ecclésiastique par Mr l'abbé Fleury, Paris, 1747, p 8).
BIBLIOGRAPHIE
Texte
‒ L'abrégé des Annales ecclésiastiques de l'éminentissime Cardinal Baronius. Fait par l'illustrissime & révérendissime Messire Henry de Sponde, évesque de Pamiez. Mis en françois par Pierre Coppin Docteur en théologie ..., 4 t. en 2 vol., Paris, 1655 : cet ouvrage dont sont tirées nos citations est accessible sur la Toile.
‒ Annales ecclesiastici, éd. A. Theiner, 37 vol., Bar-le-Duc - Paris, 1864 -1883.
Études
‒ Cochrane E., Historians and Historiography in the Italian Renaissance, Chicago-Londres, 1981.
‒ De Maior R., Gulia L., Mazzacane A. (Eds.), Baronio storico e la Controriforma. Atti del Convegno internazioale di Studi Sorani. Sora 6-10 ottobre 1979, Sora, 1982 [cf. E. Cochrane, Cæsar Baronius and the Counter-Reformation, dans Catholic Historical Review, 66, 1980, p. 53-58].
‒ Fossati L., Il metodo degli Annali ecclesiastici del Cardinal Cesare Baronio, dans La Scuola cattolica, 66, 1938, p. 538-562.
‒ Guazzelli G.A., Michetti R., Scorza Barcellona F. (Eds.), Cesare Baronio tra santita e scrittura storica, Rome, 2012.
‒ Jedin H., Kardinal Cæsar Baronius. Der Anfang der katholischen Kirchengeschichtsschreibung im 16. Jahrhundert, Münster, 1978 (Katholisches Leben und Kirchenreform im Zeitalter der Glaubensspaltung, 38).
‒ Keenan Ch., Paolo Sarpi, Caesar Baronius and the Political Possibilities of Ecclesiastical History, dans Church History. Studies in Christianity and Culture, 84, 2015, p. 746-767.
‒ Molien A., 1. Baronius (Cesare) dans Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques, VI, 1932, col. 871-882.
‒ Mouchel C., Éloquence et méditation dans la première Centurie des Annales ecclésiastiques de César Baronius (1588), dans Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, 54, 1992, p. 81-110.
‒ Pullapilly C.K., Cæsar Baronius : Counter-Reformation Historian, Londres, 1975.
‒ ZenSt., Baronio storico. Controriforma e crisi del metodo umanistico, Naples, 1994.
TEXTES CHOISIS (Abrégé H. de Sponde, trad. P. Coppin, vol. I)
T 1 - À propos de la primauté de Pierre
Or comme les assemblées & les troupes qui le venoient trouuer, non seulement de Galilée, mais aussi des lieux circonvoisins, pour estre guaris de luy, croissoient de jour à autre, il commanda, afin de n'estre point pressé par la foule, qu'on luy apprestast un batteau. Et une fois estant monté sur la montagne, il y passa la nuict en prieres : & le iour venu, il choisist douze d'entre ses Disciples, pour les envoyer précher, qu'il nomma Apostres, & leur donna pouvoir de guarir les malades, & de chasser les demons. Les Evangelistes nous enseignent qui estoient ces douze : & cela est cogneu de tous, entre lesquels il y eut un rang & un ordre : l'un d'eux estant par dessus les autres, comme chef & le premier, & ce fut S. Pierre. Ce qui a esté ainsi tenu depuis le commencement de l'Eglise jusques à present, par tous les Escrivains & Autheurs Catholiques, sans aucune difficulté : & les Evangelistes le montrent assez, lors qu'ils les nomment ensemble, mettants tousiours sainct Pierre le premier ; quoi que sa vocation n'aye pas esté la premiere, ny qu'il fust le plus aagé, selon ce que nous avons dit cy-devant (p. 41-42).
...
Or nous disons que l'Église est bastie par nostre Seigneur, sur sainct Pierre, en sorte que nostre Seigneur en est la baze & le fondement de toute la saincte Escriture, duquel sainct Paul dit, Nul ne peut mettre autre fondement, outre celuy qu'on y a mis, qui est nostre Seigneur. Et tout ainsi que le Chef de l'Eglise est nostre Seigneur, aussi le Chef de nostre Seigneur c'est Dieu : & partant nous pouvons dire asseurément, que cette grande structure & machine de bastimens est principalement soustenue & appuyée sur Dieu mesme, auquel toute l'edification s'elevant, se fait le Temple du Seigneur. De plus, encores que Dieu gouverne par son admirable Sagesse & Providence tout ce qui se void icy bas, neantmoins soit au Ciel, soit en la terre, il a estably & ordonné des principautez, ausquelles ceux qu'il leur a assuietty, doivent obeyr : Et ainsi encor qu'il soit l'Autheur, le Protecteur & Moderateur de l'Église, il a toutesfois voulu qu'il y eût une Principauté & une Monarchie, laquelle il a conferée à sainct Pierre, & l'a prouignée [étendue], & continuée en ses successeurs, comme nous le monstrerons fort souvent en son lieu. De sorte que tout ainsi comme personne ne peut poser un autre fondement, outre celuy qui a esté posé, qui est nostre Seigneur aussi personne ne peut ébranler, ou arracher le fondement de l'Eglise, posé & affermy par N.S. lequel est sainct Pierre, & ceux qui luy succedent legitimement (p. 45).
T 2 - Traces de l'Ascension du Christ
Au reste, N.S. laissa à ses Apostres, & à toute la posterité un excellent monument, & une marque de son Ascension au Ciel, Les vestiges sacrez de ses pieds imprimez en terre, au lieu où il s'éleva au Ciel, de dessus la montagne des Olives : & encor que tous les jours les Fidelles en prissent de la terre par devotion ; neantmoins tout soudain cette marque de pieds se remettoit en sa premiere forme, & ayant voulu bastir une église en cét endroit, le haut n'a peu jamais estre couvert à cause du passage du Fils de Dieu ; mais ce passage de la terre au Ciel a tousjours demeuré ouvert, & l'endroit de la marque des pieds n'a peu estre couvert de pavé, comme le reste de l'église : car tout ce qu'on y vouloit apposer, la terre qui ne veut rien recevoir d'humain, le refusoit, jettant souvent les marbres contre la face des ouvriers, ainsi qu'il est excellemment rapporté par S. Hierosme, Paulinus, Sulpitius Severus, & Bede dit, que ces choses se sont continuées jusques en son temps, sept cens ans après la mort de N.S. & que tous les ans au jour de l'Ascension aprés la Messe, il descend une grande flamme de feu, qui jette par terre tous ceux qui y assistent, & que cette nuict-là l'on void des lampes ardentes : de sorte que non seulement le Mont en est éclairé, mais il semble qu'il soit tout en feu. Optat Milevitain fait aussi mention de ces vestiges des pieds, desquels il semble que Zacharie a prophetisé, lorsqu'il dit, Ses pieds en ce jour-là seront arrestez sur le Mont des Olives, qui est proche de Hierusalem, du costé d'Orient : & c'est à cause de cette situation, que dans le livre des questions attribuées à S. Athanase, il est dit que les Chrestiens ont pris cette coustume de prier le visage tourné vers l'Orient (p. 71-72).
T 3 - Origine des heures canoniales
Et pour le regard de certaines façons de prier à certaines heures, Tertullian fait mention des trois les plus remarquables, tirées, comme il dit, des fontaines des Iuifs par les Apostres, Tierce, Sexte, None, ausquelles sainct Cyprian nous enseigne qu'on en adjousta deux, sçavoir Matines & Vespres, & a descrit l'origine & les mysteres de ces cinq. En fin sainct Athanase outre ces cinq en rapporte deux autres, l'une qui se dit à Soleil levé, & l'autre à minuict, & explique les Divins mysteres de toutes ces sept. S. Jean Chrysost. parle souvent des sept heures d'oraison, quatre de iour, & trois de nuict : & avant luy S. Basile, encores qu'il semble qu'en quelque endroit il en aye adjouté une huictiesme ; mais celle qu'il met entre la minuict et le point du jour, l'Eglise a de coustume de les joindre ensemble, & n'en faire qu'une heure d'oraison. Sainct Hierosme nomme l'Office de Matines, & parle en divers endroits de ces diverses sortes des sept heures ; comme fait aussi Cassian, & Isidore, & autres sans nombre. Or ces diverses oraisons venues d'une tres ancienne institution, & principalement de David, disant à Dieu, J'ay dit vos louanges sept fois le iour, ayant esté establies en l'Eglise par les Apostres ont heureusement continué iusques à present. Pour ce qui regarde les prieres de la nuict, & les Vigiles sacrées, nous en traitterons plus commodément ailleurs (p. 74).
Apres sa mort son fils Commode, qui estoit avec luy en l'armee, prit tout seul l'administration de l'Empire, aagé alors comme dit Lampride de dix-neuf ans, trois mois & treize iours. Il quitta la guerre qui estoit presque achevée, & vint à Rome : & pendant quelques annees il fit un peu d'honneur (selon le rapport d'Herodian) aux amis de son pere, & se servit d'eux és affaires, & au conseil : mais en fin il vint à l'extremité de toutes sortes de vices. Et Lampride rapporte que dés sa ieunesse il fut vilain, meschant, cruel, paillard, & tout soüillé en sa personne, quoy qu'il eust des Precepteurs excellens en toutes disciplines, mais la force de son esprit malin surpassa leur bonne institution, ou les mauvais exemples qu'il hanta en la Cour. Et Capitolin a escrit que son pere voulut mourir de regret recognoissant son fils devoir estre si abominable, comme il fut apres son deceds, à sçavoir semblable à Neron, à Caligula, & à Domitian. Tellement qu'apres sa mort, ainsi que Lampride a rapporté apres Marius Maximus tres-excellent historien, il fut declaré publiquement ennemy de la Patrye, Parricide, meurtrier, & bourreau du Senat, & des Citoyens, gladiateur impur, plus cruel que Domitian, plus sale que Neron. Il voulut neantmoins estre nommé Dieu, & qu'on luy sacrifiast comme l'on faisoit à Hercules, il contamina les Temples des autres Dieux par paillardises & effusion de sang humain, les despouilla de leurs ornemens ; on peut voir sa vie dans Dion, Herodian, & Lampride, n'estant notre dessein d'escrire les gestes des Empereurs.
Neantmoins nous remarquerons en cet endroit que Commode se trouvant tel, il ne fit iamais aucun mal aux Chrestiens : & de là nous iugeons que Dieu a envoyé ce monstre pour venger sur le Senat, les Magistrats & le peuple : le sang des Chrestiens respandu iniustement : L'on peut dire encore que ce fut par la permission de Dieu que Marcia l'une de ses concubines, laquelle au rapport d'Herodian, il tenoit comme sa femme propre, & lui deferoit les honneurs d'Imperatrice, excepté le feu, c'est à dire les flambeaux allumez qu'on portoit devant les Empereurs & leurs femmes, fut tres-affectionnee aux Chrestiens ; & ainsi il est croyable qu'elle interceda vers l'Empereur pour eux. Mais de quelque façon que ce soit, la verité est, que l'Empereur fut cruel à l'endroit de tous, & defendit toutesfois qu'on ne fist plus de mal aux Chrestiens, & les Payens qui avoient iusques alors persecuté les Chrestiens cesserent en ce temps-là : ce qui doit estre tenu pour un miracle, tel qu'il arriva anciennement en Egypte, où les punitions & les playes envoyées de Dieu frapperent les seuls Egyptiens, & ne firent aucun mal aux enfans d'Israel. Venons maintenant à l'histoire Ecclesiastique (p. 302).
T 5 - Eusèbe de Césarée : reniement et mauvaise foi (An 302)
Lequel [Eusèbe] un peu auparavant descouvrant son dessein, en descrivant cette persecution, dit qu'il ne parlera point de la cheute des Chrestiens Apostats, mais seulement des triomphes des Martyrs : ce qui nous rend son silence suspect, veu que c'est le devoir d'un bon Historien de raconter aussi bien les pertes que les victoires : ce qui nous fait croire que ce qu'il en a fait a esté pour ne descouvrir point sa honte, car luy-mesme avoit renié la foy, & obey aux Gentils, pour eviter les tourmens qui lui estoient preparez, ainsi que luy reprocha en sa presence, au rapport de sainct Epiphane, ce grand Potamon Evesque d'Heraclee en Egypte, lequel estant detenu en la mesme prison avec Eusebe, avoit perdu un oeil pour la defense de la foy : Et le mesme derechef, rendant du depuis raison de son dessein, dit qu'il s'abstient de rapporter les peines vangeresses que ressentirent les Pasteurs, pour avoir mal gouverné leurs trouppeaux, les uns estant condamnez au service des chevaux & des chameaux par les Officiers des Empereurs, & les autres iniuriez & tourmentez. Cecy ne passe point pour veritable chez les autres : au contraire, le grand Constantin luy-mesme en l'edit qu'il publia en faveur des Chrestiens, tesmoigne une chose qu'il sçavoit fort bien, à sçavoir qu'Apollon avoit rendu cét Oracle d'une certaine caverne, que les Iustes qui estoient en terre l'empeschoient de dire la verité, & que Diocletian ayant appris de ces devins que par les Iustes les Chrestiens estoient entendus, qu'il excita contr'eux une cruelle persecution. Si bien qu'Eusebe mesdisant ainsi des Prestres, lesquels encore qu'ils eussent mené une mauvaise vie auparavant, ils en eussent toutesfois effacez les marques devant Dieu & devant les hommes, par leur martyre glorieux, il descouvre la hayne qu'il leur portoit, & nous fait penser de luy qu'ayant esté excommunié par les Evesques, ainsi qu'on avoit accoustumé pour avoir manqué à la Foy, il les a depuis poursuivis à belles iniures, & a voulu obscurcir la gloire de leur confession, car celuy qui le fit une fois perfide à la Foy, depuis l'associant à Arrius, il l'a estably defenseur de la perfidie, d'où il est besoin de sçavoir que celuy que nous avons suivy iusques à cette heure sans rien craindre, que cy-apres nous ne le croirons plus que sous bon gage, & particulierement ce qui touche la fausse doctrine des Arriens (p. 400-401).
T 6 - De la cheute du Pape Marcellin (An 302)
Si la persecution fut ainsi cruelle en Orient, elle ne fut pas moindre en Occident, & particulierement à Rome il se trouve de certains Actes de la cheute du Pape Marcellin, de sa condamnation en un Concile de trois cens Evesques, celébré l'année suivante sous les Consuls Diocletian pour la huictiesme fois, & Maximian pour la septiesme, le vingt-troisiesme iour d'Aoust en la ville de Sinuesse, en la grotte de Cleopatre. Or ces Actes, qu'on a imprimez par trois fois, sont si depravez, qu'il est difficile d'en favoriser la verité ; & ceux que nous avons leus dans les Collections de Cresconius, ne sont pas plus corrects : Ils portent donc autant qu'on peut coniecturer, qu'Urbain Prestre de Iupiter Capitolin, n'ayant peu persuader par toutes ses belles raisons au Pape Marcellin de sacrifier, qu'il eust recours au iugement des Empereurs, ausquels tous deux presenterent leurs raisons, & que Diocletian pensa qu'il estoit plus à propos de traitter doucement Marcellin, & que discourant privément & familierement avec luy, il le mena au Temple de Vesta, où il le contraignit d'encenser, & que 72. Chrestiens en furent les témoins oculaires...
Ces choses estant ainsi declarées, pour ce qui est de ces Actes du Pape Marcellin, encore qu'ils soient marquez par la venerable antiquité, certifiez par de vieilles enseignes, recogneus dans les Cayers de l'Église, & confirmez par le tesmoignage de plusieurs, il y a pourtant beaucoup de choses qui nous font douter de la certitude de leur foy ; & premierement comment est-ce qu'on peut accorder que Marcellin fut introduit par Diocletian dans le temple de Vesta & d'Isis, & cependant qu'il donna de l'encens à Hercule, à Iupiter, à Saturne, veu que chacun des Dieux avoient son Temple à part, & ses sacrifices, & qu'on ne sacrifioit point à Iupiter dans le Temple de Vesta, ny à Vesta dans celuy de Iupiter, & ainsi des autres Dieux. En second lieu, comment est-il possible qu'au temps d'une si furieuse persecution qu'il se soit assemblé un Concile de trois cens Evesques presque esgal en nombre a celuy que depuis Constantin en pleine paix de l'Eglise, assembla à Nysse avec tout son pouvoir : mais comment est-ce qu'il est porté à la fin des mesme Actes, que Diocletian l'année suivante que ce Concile fut assemblé, fit la guerre aux Perses, veu qu'il est certain qu'ils avoient esté surmontez l'an precedent.
Or encores que ces choses semblent assez fortes, on en peut toutesfois adiouster de plus fortes, car nous consultons les Autheurs Grecs, touchant le mesme Marcellin ; il est assez constant qu'Eusebe ne parle point de sa cheute, mais seulement de son martyre : & Theodoret tesmoigne clairement qu'il fut grandement glorifié en cette persecution : & mesme entre les Latins sainct Augustin, qui peut servir pour tous, comme Petilian, tres aspre defenseur des Donatistes, & ennemy iuré des Papes, accusoit le mesme Marcellin d'avoir encensé aux Idoles, & livré les textes sacrez. Sainct Augustin escrivant derechef contre luy nie tout à plat que cela fut arrivé au Pape Marcellin, & le declare tout à fait innocent...
Nous avons rapporté tout cecy pour l'esclaircissement de la seule verité, & non point excuser la cheute des Papes, si elle est advenuë en quelques-uns, soit au Pape Marcellin ou d'autres : & bien que nous accordions tant qu'on voudra que cela soit arrivé : & aussi n'est-ce pas nostre intention de prescrire aux autres ce qu'ils en doivent tenir, veu mesme que nous ne trouvions pas que tout ce que nous avons dit du Concile de Sinuesse soit tel qu'il prouve que les Actes en sont faux tout à fait, encore, dis-ie, que nous accordions que cela soit advenu ; ce peché toutesfois commis par un acte exterieur pour la crainte de la mort, comme fut autresfois celuy du reniement de sainct Pierre, n'apporte aucun prejudice à la verité Catholique, ny à la sincerité de la foy, laquelle a tousiours demeuré en sa pureté en l'Eglise Romaine (p. 403-405).
T 7 - Convocation du Concile de Nicée
Alexandre [évêque de Constantinople] dés le commencement donna advis de tout ce qui se passoit [à propos d'Arius], ainsi qu'il est porté par la lettre du Pape Liberius à l'Empereur Constantin, à celuy qui tenoit le premier siege, S. Sylvestre, Pontife Romain, lequel mettant tous ses efforts pour apaiser ces tumultes, comme il sçavoit bien que c'estoit à luy à faire, de condamner les heresies qui se souslevoient contre l'Eglise, & de reconcilier les Evesques entr'eux, ayant mesme l'exemple de Denys son predecesseur, qui en cas semblable avoit diligemment assoupy les querelles & divisions de la mesme ville d'Alexandrie du temps d'un autre Denys Alexandrin : Aussi envoya-il pour son Lieutenant en Orient Osius Evesque de Cordouë en Espagne, personnage recommandable pour sa doctrine, & pour la grandeur de son courage à defendre la foy au hazard de sa vie : le premier commandement de sa commission fut d'aller trouver Constantin pour recevoir des lettres de luy, ou bien que le Pape Sylvestre se fut addressé immediatement à Constantin pour cet effect, qui estoit lors à Bythinie, afin qu'il esteignit l'embrasement qu'Arrius avoit excité : ce qu'Eusebe et Socrate semblent vouloir plustost tesmoigner qu'autre chose. Or ce qui nous contraint d'asseurer que le Pape Sylvestre ordonna de tout cecy, c'est que nous trouvons qu'Osius assembla le Concile general d'Alexandrie, & par apres, qu'il presida au Concile general de Nicee & Sardaigne : ce qu'il ne pouvoit faire en façon quelconque, sans l'authorité du Siege Apostolique ; car il ne sert de rien de dire que Constantin l'envoya son Ambassadeur en Egypte, puis que les lettres que rapporte Eusebe, que Constantin escrivit par Osius ne font aucune mention de luy, ou de quelque autre Ambassadeur : ce qu'il falloit necessairement exprimer dés le commencement ; mais il est raisonnable de croire que le mesme Osius, envoyé par le Pape Sylvestre, receut aussi des lettres de Constantin, pour plus facilement executer la commission.
Quant aux lettres que Constantin envoya à Alexandre & à Arrius touchant leur reconciliation, ainsi qu'il paroist par l'inscription, il faut qu'il y soit arrivé l'une de ces deus fourbes, ou qu'Eusebe, infecté de l'heresie Arrienne ne les aye pas rapportée fidellement, ou bien que l'autre Eusebe Evesque de Nicomedie, le premier de tous les Arriens, en aye dicté le sujet à Constantin, qui estoit pour lors en cette mesme ville, où il luy fit accroire plusieurs mensonges, comme, en premier lieu, qu'Alexandre estoit le principal autheur de ces divisions, que le sujet de leur dispute estoit de peu d'importance, & qu'en effect Alexandre & Arrius n'avoient qu'une mesme opinion touchant la foy. Nous dirons les années suivantes ce qui en advint par apres (p. 454-455).
T 8 - À propos de la Donation de Constantin
ANNOTATION. Ce qui est icy rapporté de la donation de Constantin, est tiré du Tome troisiesme des Annales de Baronius cette année, & du Tome 12, l'an 1191, où il en parle abondamment sur le suiect des Commentaires de Theodore Balsamon.
Il reste maintenant à parler de cette Donation du mesme Constantin qui est tant debatuë & de laquelle on a parlé si souvent ; surquoy nous disons premierement en peu de mots, que nous n'estimons point, que si nous voulions la defendre il se trouvast quelque amateur de la verité, & studieux de l'antiquité, qui peut nier que Constantin grandement pieux, & magnifique par la confession mesme des Gentils, n'aye fait tout ce qu'il a peu pour honorer, exalter, & enrichir la Religion Chrestienne, qu'il a embrassee presque le premier de tous les Empereurs, contre l'advis du Senat, & du peuple Romain : & particulierement l'Eglise Romaine, comme celle en laquelle il sçavoit bien que residoit la principauté de toute la Religion Chrestienne, & pource qu'il est raisonnable de croire qu'il luy a fait de grands dons, qu'il l'a fortifiee d'une grande puissance, & establie par toutes sortes de droicts, & sur tout lorsqu'estant indigné contre le Senat, qui luy en vouloit, & qui medisoit de luy publiquement, il songea de transferer le siege de l'Empire autre-part, comme nous dirons cy-apres, & encore que tous les Papes n'ayent pas usé de leurs droicts, on ne peut pas nier pourtant qu'ils ne leurs ayent esté concedez, ainsi qu'on ne peut pas aller au contraire qu'Auguste n'aye accordé beaucoup de Provinces au Senat, desquelles toutesfois les Empereurs suivans ont fait à leur volonté. A la verité ce seroit une forte preuve des dons faicts à l'Eglise Romaine par Constantin, de ce que les Roys de France tres-Chrestiens ont protesté par leurs Lettres Patentes, qu'ils ne faisoient que restituer à l'Église Romaine, ce que les Lombards luy avoient osté, comme nous verrons en son lieu : car si ce domaine appartenoit desia auparavant à l'Eglise Romaine, comment l'eust-elle peu repeter, s'il ne luy eust esté legitimement deu, puis qu'il est certain que cela s'est fait sans aucune force d'armes, & au veu & sceu de ceux qui y pouvoient avoir interest, à sçavoir les Empereurs d'Orient, qui n'en ont rien dit, ny ne s'y sont point opposez : encore que d'ailleurs ils ne traittassent pas trop bien l'Église Romaine, l'ayant osé assuiettir au tribut dequoy se plaint sainct Gregoire (p. 470).
...
Mais c'est assez discouru de cecy, que nous avons bien voulu rapporter mesme contre ceux qui font tant d'estat de cet Edict de Constantin, qu'ils craignent vainement que s'il n'estoit point que toute l'Eglise universelle s'en iroit par terre, sans prendre garde à ce que les saincts Peres (ce que nous repetons souvent) & les plus anciens Papes ont escrit au contraire, que l'Eglise persiste appuyee, non sur les Privileges des Roys, & des Empereurs, mais sur les paroles de nostre Seigneur à sainct Pierre, & qu'elle est bastie sur cette Pierre, & que depuis elle a receu des privileges tres-asseurez des Roys & des Empereurs. Tout de mesme pour ce qui est des ornemens des Papes, qui sont contenus dans cet Edict, quand il ne seroit plus, l'Eglise Romaine toutesfois n'en recevroit pas le moindre dommage, dautant que les Papes en estoient en possession auparavant qu'ils fussent escrits dans cet Edict, ainsi que nous l'avons desia monstré de la couronne, ou de la lame d'or, & autres, ou bien nous le monstrerons cy-apres en leurs lieux (p. 471).
Au reste, non seulement les Evesques furent presens à ce Concile, mais aussi plusieurs Philosophes aborderent à Nicee, pour y faire parade de leur bel esprit, comme sur le Theatre de l'Univers, & pour braver les Fidelles trouppes du Dieu vivant ; or encore qu'il y eut des nostres, qu'il ne leur en devoient rien pour la subtilité de l'esprit, Dieu toutesfois voulut plustost rabattre l'orgueil de ces mesmes Gentils, par vertu divine que par des vaines paroles : lors qu'un Chrestien Laïque, homme simple pourtant, mais du nombre des Confesseurs, confondit le plus pressant de ces Sophistes : ce qui advint, selon Socrate, le jour qui preceda l'ouverture du Concile. Et Sozomene, Ruffin, Gregoire Prestre de Cesarée, & presque tous les autres Historiens Grecs, & Latins racontent qu'un Evesque du nombre des Confesseurs aussi, mais simple non seulement arresta tout court un autre de ces Sophistes, luy representant la majesté des mysteres des Chrestiens, mais aussi le convertit à la Foy, & Gregoire dit que Menophante, Evesque d'Ephese, personnage fort versé en la philosophie, & infesté de l'Arrianisme, fut si estonné de ce miracle, que quittant Arrius il prit le party des Catholiques. Sozomene rapporte encore un autre miracle presque semblable à celuy-ci, fait par Alexandre, Evesque de Constantinople... quand il ferma la bouche, & rendit muet un Philosophe, qui par ses disputes reprenoit la Religion Chrestienne. Tous les Autheurs sont d'accord, que cet Evesque qui armé seulement d'une simplicité Chrestienne, triompha si glorieusement au Concile de Nicée, du faste de la philosophie Payenne, fut ce grand Spiridion, Evesque de Trimithonte en Cypre, duquel nous avons parlé n'agueres, & Sozomene rapporte un insigne exemple de luy, touchant l'exacte observation qu'il faisoit de l'antiquité Ecclesiastique, des traditions des Anciens, & des mots, & des paroles qui sont receuës en l'Eglise, & d'autres Autheurs racontent les autres belles choses qu'il a faites, & disent tous, que bien qu'il fut doüé de l'esprit de Prophetie, & qu'il eut le don des miracles, qu'il vivoit pourtant avec une si grande simplicité, que tout Evesque qu'il estoit il gardoit les moutons. Il ne faut pas mettre icy en oubly cette rencontre miraculeuse, qu'ainsi que quelqu'un luy demandoit un depost, qu'il avoit donné, ainsi qu'il asseuroit en garde à sa fille lors qu'elle vivoit, laquelle estoit decedee vierge, & comme on ne le pouvoit trouver, ce bon vieillard esmeu des larmes de celuy qui demandoit son depost, courant au tombeau de sa fille, l'appella de son propre nom, & lui demanda en quel endroit elle avoit mis ce depost, laquelle fit responce, qu'il estoit en un tel endroit, où il le trouva, & le rendit à celuy à qui il appartenoit (p. 478-479).
Socrate rapporte qu'il y eut cette annee [415] en Alexandrie de grandes seditions, excitees par les Juifs, que sainct Cyrille avoit chassez de cette ville, dans laquelle ils avoient demeuré depuis Alexandre le Grand, & que cela fut cause de grandes inimitiez entre sainct Cyrille, et Oreste Gouverneur de la ville, lesquelles augmenterent la sedition dans la ville, à cause des Moines de Nitrie, qui estoient venus en trouppe, afin de combattre pour sainct Cyrille, & avoient blessé, & ignominieusement traitté Oreste, que le peuple defendit, & chassa les Moynes : & en fin Hypatie femme tres-renommee, & qui surpassoit en doctrine tous les Philosophes de ce temps-là, à laquelle Synesius écrivit plusieurs lettres, qui restent encore, dans lesquelles il l'appelle sa Dame, & sa Maitresse, & de laquelle Suidas fait estat, comme d'une vierge tres-chaste, fut tuee, mise en pieces, & bruslee par les partisans de sainct Cyrille, à cause qu'on la soupçonnoit de destourner Oreste, de ce reconcilier avec sainct Cyrille. Surquoy il faut prendre garde, que Socrate qui raconte cette histoire plus au long estoit Novatien : si bien qu'il n'écrit pas trop équitablement de sainct Cyrille, lequel avoit chassé les Novatiens d'Alexandrie, ainsi que nous avons veu : de sorte qu'il ne faut pas estonner s'il reprend souvent sainct Cyrille d'orgueil, & de trop grande presomption, & quelquesfois de crime (p. 785).
T 11 - À propos du pallium des archevêques de Ravenne
Quant à ce qu'on y trouve un Edict de l'Empereur Valentinien [III] au mesme Iean [évêque de Ravenne], par lequel il conceda à l'Église de Ravenne, que ce seroit un Archevesché, & que ses Evesques desormais porteroient tousiours le Pallium : la fausseté de cet Edict, que nous estimons avoir esté composé durant le schisme des Evesques de Ravenne, d'avec le Siege Apostolique, se recognoit evidemment, veu que personne ne doute, que les Empereurs n'ont iamais donné le Pallium aux Archevesques, mais le Pape seul ; & le Pape sainct Gregoire enseigne, que les Evesques de Ravenne ont eux-mesmes recogneu, qu'ils tenaient leur Pallium, & tous les autres privileges du Siege Apostolique (p. 828).
[Introduction] [La Grèce et Rome] [Le moyen-âge] [Du XVe au XVIIIe siècle] [Le XIXe siècle] [Le XXe siècle]
Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick.10 mars 2017