Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 560b-566a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Divers Sous ANTONIN, MARC AURÈLE ET LUCIUS VERUS :  Les empereurs face à la montée de la foi chrétienne - ANACLET, Sother et Polycarpe - combats entre romains et Gaulois, Bourguignons et Chrétiens - Cruautés réciproques, etc. [Myreur, p. 560b-566a]

 Ans 159-171

 


 

Introduction [sommaire] [texte]

 

L'histoire de l'église primitive et des papes

Le cas d'Anaclet a déjà été mentionné dans le fichier précédent, mais essentiellement sous l'angle chronologique (p. 556-557). Jean aborde ici (p. 564) la question de sa mort et de ses ordonnances. Voici quelques remarques à propos de ces dernières.

Une fois de plus, Jean semble n'avoir été que partiellement fidèle à son modèle. Ainsi les trois dispositions mentionnées par Martin concernant les archevêques n'apparaissent pas chez le chroniqueur liégeois. Par exemple, Jean a omis, lors de la consécration d'un archevêque, l'obligation de la présence de tous les évêques de la province à la cérémonie, tout comme il a tu la procédure à suivre en cas de litige entre un évêque et son archevêque : le cas devait être soumis au primat ou au siège apostolique. Par contre, on constate que le douzième pape (Anaclet/Aniclet) reprend les obligations concernant la chevelure, la barbe et la tonsure déjà imposées par le sixième (Anaclet) (p. 502). Cette reprise figurait déjà dans le texte de Martin.

À propos d'autres notices, sans rapport avec les ordonnances, Martin et Jean rapportent tous les deux l'ensevelissement du pape au cimetière de Callixte sur la voie Appienne, et la mention (simple concordance chronologique ?) de saint Irénée dirigeant l'église de Lyon lorsque Anaclet/Anicet dirigeait celle de Rome : eodem tempore, écrivait Martin, Hireneus nacione Grecus doctor eximius Lugdunensem gubernabat ecclesiam.

Le successeur d'Anaclet/Anicet est Sother, dont les gesta, si l'on peut dire, sont eux aussi dispersés en deux endroits différents du Myreur : ses deux ordonnances, sur les nonnes et sur le mariage, ici (p. 564-565), le reste, à savoir son martyre, son ensevelissement dans l'église Saint-Pierre, les détails sur l'hérésie montaniste, dans le fichier suivant (p. 569-570). Tout cela provient de la Chronique de Martin, avec quelques légères modifications et abréviations dans le texte.

L'histoire de saint Polycarpe se poursuit. L'arrivée à Rome, sous le pontificat du pape Pie, de cet évêque d'Éphèse avait été signalée plus haut (p. 556). Jean écrivait que Polycarpe « avait été disciple de saint Jean l'Évangéliste et avait sorti beaucoup de gens de l'hérésie de Valentin et de Cerdon ». On le retrouve assez longuement ici, d'abord à Rome (p. 560-561), comme défenseur de la vraie foi contre les hérétiques, puis, chassé de Rome, comme évangélisateur très actif en Bourgogne et en Lombardie (p. 562, p. 563). Il se trouve alors intégré à la geste épique, très largement présente dans Ly Myreur. Polycarpe convertit le duc de Bourgogne et l'ensemble du pays, s'attirant ainsi l'hostilité des empereurs romains (p. 564) et provoquant finalement une longue guerre, à rebondissements divers, entre Bourguignons et Romains. Un des épisodes marquants de cette dernière est la capture de Polycarpe livré aux Romains et décapité.

Le récit de Jean ne correspond guère au récit (en grec) intitulé Martyre de saint Polycarpe (cfr la trad. de Cécile Bost-Pouderon, dans Premiers Écrits Chrétiens, Paris, 2016, p. 249-258, [Bibliothèque de la Pléiade, 617]), un texte dont l'authenticité a fait l'objet de nombreuses discussions (V. Saxer, L'authenticité du Martyre de Polycarpe : Bilan de 25 ans de critique, dans Mélanges de l'École Française de Rome, t. 94, 1982, p. 979-1001). C’est le plus ancien récit de martyre qui nous soit parvenu et il fut très largement répandu dans la chrétienté. Selon ce récit, Polycape, très âgé, vit à Smyrne, où il est victime avec d'autres d'une persécution commandée par Marc Aurèle. Avant d'être condamné au bûcher, il tient tête au proconsul qui l'interroge. Mais comme le feu ne pouvait pas consumer son corps, ordre fut donné au bourreau de l’achever d’un coup de poignard. Ce qui fut fait. Un flot de sang jaillit de la plaie et éteignit le feu. Cette fois, il était bien mort et son cadavre fut brûlé au milieu de la place. Ses fidèles revinrent plus tard recueillir ses cendres. C'est très différent du récit du Myreur.

 

Les empereurs romains

Il est d'abord question d'Antonin le Pieux, de sa vie, de sa mort, de quelques informations sur sa fille et sur l'environnement culturel de son époque. En fait, Jean complète ici les informations qu'il avait précédement données sur cet empereur et son époque (p. 552ss). Sur le plan culturel, on se souviendra qu'il avait été question de Galien, de Trogue Pompée, de Justin et aussi d'un livre que Jean avait faussement attribué à Antonin lui-même. Ici (p. 560), il s'agit, sur le plan familial, de sa fille Faustine et, sur le plan culturel, de Claude Ptolémée. Jean n'a pas changé de source : c'est toujours la Chronique de Martin (p. 446-447, éd. Weiland), dont il a réparti le contenu sur deux passages différents. Martin avait rassemblé en une seule notice tout ce qu'il jugeait digne de mention dans la biographie de l'empereur. Jean découpe arbitrairement ce matériel pour occuper au mieux toutes les années du règne. Ce procédé lui est habituel, car il organise sa matière sur un plan chronologique. Présentation annalistique oblige !

L'éloge funèbre d'Antonin (p. 560), très positif et faisant même état de sa divinisation, est suivi de divers compléments, sur lui et sur sa famille. Tout (ou presque) provient de Martin, même les précisions sur le lieu de sa mort. Nous relèverons deux choses. Selon Jean, Antonin est présenté comme le « gendre d'Hadrien », ce qui n'est pas exact. Faustina maior, son épouse, n'était pas la fille d'Hadrien, mais une nièce de la femme de ce dernier. La fille d'Antonin et de Faustine s'appelait Faustina minor. Elle épousa l'empereur Marc Aurèle, son cousin germain, en avril 145 de notre ère et donna naissance au futur empereur Commode en 161. Mais il est question ici de la maladie de Faustina minor et de sa guérison -- presque miraculeuse -- par des mages chaldéens.

Ici encore, Jean a modifié son modèle latin. Selon Martin, Faustine avait vu combattre deux gladiateurs et était tombée follement amoureuse de l'un d'entre eux (exarsit in unum : « elle avait brûlé d'amour pour l'un d'eux »). Le remède préconisé par les Chaldéens pour guérir la malade consistait à tuer le gladiateur en question et à oindre de son sang le corps de l'impératrice, maxime illam partem corporis, ubi libido concupiscencie vehementius inflammatur « surtout cette partie du corps où la passion du désir brûle le plus fort ». Quo facto, continue Martin, cessavit temptacio et etiam infirmitas « Cela fait, la tentation disparut, ainsi que la maladie ». Ce qui est très clair chez Martin l'est un peu moins chez Jean. Mais ici on songera moins à une erreur de traduction qu'à une subtile opération de censure, un peu étonnnante toutefois, car le chroniqueur liégeois avait manifesté moins de scrupules à raconter la punition infligée par Virgile à sa maîtresse Phébille (p. 252), ou la débauche sexuelle de Messaline (p. 444-445), ou encore le détail des dépravations de Néron (p. 469-471). Pour en revenir à Faustine et à l'anecdote racontée par Martin, elle trouve probablement son origine dans certaines sources antiques qui mettent explicitement en question sa fidélité conjugale. L'Histoire Auguste (Vita Marci, XIX, 1–12) raconte d'une manière un peu différente l'histoire dont il est question ici.

L'autre point à relever, d'ordre culturel, concerne Claude Ptolémée, célèbre astronome et astrologue grec (c. 90 à c. 168 de notre ère) ayant vécu à Alexandrie d'Égypte et l’un des précurseurs de la géographie. Le chroniqueur liégeois reprend une bonne partie du passage de Martin, y compris des éléments du portrait physique du savant ainsi que les titres de ses oeuvres. Sur ce dernier point, Jean traduit littéralement son modèle : Composuit autem multos libros, videlicet Almagesti et Perspectivam et in iudiciis Quadripertitum et Centilogium et pluries alios. L'Almageste et l'Optique sont bien de Claude Ptolémée, mais les autres ne le sont pas. Le Quadrupertitum correspond au traité intitulé La Tétrabible, ou les quatre livres des jugements des astres, et le Centilogium (en réalité Centiloquium) à celui appelé Le centiloque ou les cent sentences. On discute aujourdhui de leur auteur (Étienne de Messine, vers 1260 ? un certain Ahmad ibn Yusuf, mort en 912 ?). Une traduction française a été donnée du Tetrabiblos par Nicolas Bourdin, en 1651 (cfr Claude Ptolémée, La Tétrabible, ou les quatre livres des jugements des astres, suivi de 'Le centiloque ou les cent sentences', Paris, 1974, 285 p.) Que pouvait bien entendre Martin par in iudiciis, traduit en jugemens par Jean ? Traduisait-il ainsi l'idée de « jugements des astres obtenus par l'astrologie» (cfr le sous-titre du Tetrabiblos) ? Un dernier détail : le mot proverbes qu'il utilise dans la dernière phrase et qui traduit le de Proverbiis de son modèle montre qu'il a bien compris le sens du mot Centiloquium. C'est un recueil de proverbes. En guise d'exemples, Martin en a donné trois que Jean a laissé tomber.

Les successeurs d'Antonin

Hadrien avait adopté Antonin, mais avait fait de lui son successeur à la condition qu'à son tour Antonin adopte Marcus Aurelius Antoninus (le futur Marc Aurèle) et Lucius Verus. Ce qu'il fit et qui se réalisa. Antonin le Pieux, qui avait pris le pouvoir en 138 de notre ère et était mort en 161, après le plus long règne que Rome ait connu depuis Auguste, fut effectivement remplacé par Marc Aurèle (161-180 de notre ère) et Lucius Verus (161-169 de notre ère), qui n'étaient frères que par adoption ; pas question d'ailleurs de parler de jumeaux à leur sujet, comme le croit Jean, car Marc Aurèle était de neuf ans plus âgé que Lucius Verus. Historiquement, Marc Aurèle et Lucius Verus furent coempereurs de 161 à 169, date de la mort de Lucius Verus. Après cette date, Marc Aurèle fut empereur seul jusqu'en 180 (toujours selon notre comput).

Pour les Modernes, habitués à parler simplement de Marc Aurèle et de Lucius Verus, les titulatures officielles des empereurs sont complexes et susceptibles de prêter à confusion. Ainsi, comme empereur, Marc Aurèle se fait officiellement appeler Caesar Marcus Aurelius Antoninus Augustus ; quant à Lucius Verus, son frère adoptif, il porte, après son adoption en 138 par Antonin le Pieux, le nom de Lucius Aelius Aurelius Commodus, et, après son accession à l'empire avec Marc Aurèle, celui de Imperator Caesar Lucius Aurelius Verus Augustus. On pardonnera à Jean de n'avoir pas toujours adopté la même terminologie, peut-être parce qu'il utilisait des sources différentes. Quoi qu'il en soit, pour faciliter la lecture, nous indiquerons entre parenthèses les noms plus courants de Marc Aurèle et de Lucius Verus.

Le lecteur appréciera à sa juste valeur la transposition sur Lucius Verus, censé être le plus hostile des deux empereurs aux chrétiens, de l'épisode célèbre des Actes des Apôtres (IX, 4-5), où saint Paul, le persécuteur des chrétiens, se voit jeté à bas de son cheval et interpellé par le Christ. Mais, à la différence de l'apôtre, l'empereur ne se convertit pas. Bien au contraire, puisque, toujours selon Jean, lorsque Marc Aurèle, écoutant le récit que lui fait son frère, soupçonne ce dernier de vouloir se convertir, Lucius Verus lui jure « qu'il préférerait être pendu que de croire en Jésus ». Bref, ils étaient aussi hostiles aux chrétiens l'un que l'autre. Toujours selon le chroniqueur liégeois, ce sont les deux empereurs qui ordonnèrent le supplice de saint Polycarpe et c'est sur le convoi des deux empereurs que tomba la foudre. Lucius Verus fut toutefois le seul à être blessé (p. 566). Suite à cet incident, il contracta une maladie dont il mourut douze ans plus tard (p. 576).

On observera encore une autre utilisation d'un récit chrétien par le chroniqueur liégeois ; il s'agit de l'épisode concernant Constantin, qui, en 312, avant la bataille du Pont Milvius contre son rival Maxence, avait fait apposer sur les boucliers de ses soldats le chrisme, c'est-à-dire les deux premières lettres enlacées du mot grec Christos, symbole qui lui serait apparu en songe (Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin, I, 29). C'est le même moyen qu'aurait utilisé le duc Jean de Bourgogne dans sa bataille contre les Romains (p. 565), mutatis mutandis bien sûr puisqu'il s'agit chez le Bourguignon de bannières, non de boucliers, et de l'image du Christ, non du chrisme.

 

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Sommaire

* Polycarpe combat les hérésies à Rome - Navit prêche et construit - Mort d'Antonin le Pieux, gendre d'Hadrien - Guérison 'miraculeuse' de Faustine, fille d'Antonin - Le savant astronome Claude Ptolémée et ses oeuvres (160 -161)

Les jumeaux Marcus Antonius Verus [Marc Aurèle] et Aurelius Lucius Commodus [Lucius Verus] succèdent à leur père Antonin - Succession à Louvain - Aurelius [Lucius Verus] hostile aux chrétiens (161-162) - Saint Polycarpe part en Bourgogne, fuyant l'hostilité des empereurs - Frappé par la foudre et menacé de mort par une voix céleste à cause de ses persécutions, Aurelius Commodus [Lucius Verus] rentre à Rome - Il détrompe vivement son frère Marcus [Marc Aurèle] qui le croit proche des chrétiens (163)

Saint Polycarpe fait des conversions massives en Bourgogne, en dépit des empereurs de Rome qui exigent qu'on le leur livre - Hector de Bourgogne se fait même baptiser sous le nom de Jean, impose le baptême à tous ses sujets et annonce qu'il marchera sur Rome au nom du Christ - Marc Aurèle menace d'attaquer aussitôt les Bourguignons (164-165)

Mort du pape Anaclet - Ses ordonnances - Le Grec Irénée à Lyon - Sother devient pape - Succession en Hongrie - Ordonnances du pape Sother (165-166)

L'empereur Marcus Verus [Marc Aurèle] attaque la Bourgogne - Le duc Jean, conforté par Polycarpe, contre-attaque avec des bannières à l'effigie du Christ et remporte une grande bataille contre les Romains - Satisfait de la situation en Bourgogne, saint Polycarpe part convertir la Lombardie, où il est capturé par le roi de Pavie - Envoyé à Rome il y est martyrisé puis décapité sur ordre des empereurs - Jean de Bourgogne le venge en s'emparant de Pavie, après un siège de huit mois, et en faisant exécuter le roi et sa famille - Jean construit à Dijon des églises dédiées à saint Polycarpe et à Notre-Dame (167-169)

Le convoi des empereurs romains est frappé par la foudre - Lucius Verus est blessé : il en mourra douze ans après - Naissance de Clodas, fils du duc de Gaule (170-171)

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Polycarpe combat les hérésies à Rome - Navit prêche et construit - Mort du dix-septième empereur, Antonin le Pieux, gendre d'Hadrien - Guérison 'miraculeuse' de Faustine, fille d'Antonin - Le savant astronome Claude Ptolémée et ses oeuvres (160-161)

 

[p. 560] [L’an CLX - Sains Policarpe destruite mult de heresies à Romme] En cel temps estoit à Romme en grant auctoriteit sains Policarpe, qui encor estoit demoreis en vie des disciples sains Johans ewangeliste. Chis sains Policarpe destruite à Romme pluseurs heresies, que les faux cristiens philosophes avoient esmutes le temps devant, lesqueiles heresies chis sains hons destruite et se les remist à la vraie foid Jhesu-Crist, car ilh les anunchat la vraie foid [p. 561] en teile manere que ilh le tenoit des apostles, auxqueiles ilh avoit esteit disciple.

[p. 560] [L’an 160 - Saint Polycarpe met fin à beaucoup d'hérésies à Rome] En ces temps-là, saint Polycarpe jouissait à Rome d'une grande autorité, étant un des disciples encore en vie de saint Jean l'évangéliste. À Rome, saint Polycarpe mit fin à plusieurs hérésies, développées à l'époque précédente par certains philosophes, qui étaient de faux chrétiens. Ce saint homme fit cesser ces hérésies et rétablit la vraie foi en Jésus-Christ, car il leur enseigna la vraie foi [p. 561], telle qu'il l'avait apprise auprès des apôtres dont il avait été le disciple.

[De sains Navite - CLXI] Item, l'an CLXI, sains Navitus, evesque de Tongre, fondat une engliese en l'honeur de sains Clement. Et en chi temps prechoit lydit evesque fortement par Allemangne.

[Saint Navit - 161] En l'an 161, saint Navit, évêque de Tongres, fonda une église en l'honneur de saint Clément. À cette époque, l'évêque en question prêchait beaucoup en Allemagne.

[L’emperere Anthone morut XVIIe] En cel an, le XIXe jour de mois de marche, morut à Romme ly emperere Anthone ly Pieu, qui fut ly XVIIe. Chis emperere Anthone ly Pieu fut proidhons, solonc sa loy ; si oit chesti sournom, portant qu'ilh estoit tant pieu et debonnairs qu'ilh faisoit amisteit et cortoisie à cascon, et sour caucion ilh relaxoit les debteurs leurs debtes à paiier à leurs aise. Ilh fut genre à l'emperere Adriain, car ilh avoit à femme sa filhe, et estoit riche prinche anchois qu'ilh fust emperere. Si morut à une siene vilhe qui oit à nom Orte qui siiet à XII milles de Romme ; et quant ilh fut mors, si fut entre les dieux consacreis et renomeis.

[Mort d'Antonin, dix-septième empereur] Cette année-là, le 19 mars, mourut à Rome Antonin le Pieux, qui fut le dix-septième empereur. Cet Antonin le Pieux fut un homme sage, selon sa loi ; il obtint ce surnom parce que il était si pieux et si bon, qu'il se montrait amical et courtois à l'égard de chacun, et moyennant caution il laissait les débiteurs payer leurs dettes à leur aise. Il était le gendre de l'empereur Hadrien, ayant épousé sa fille, et était un prince fortuné avant d'être empereur. Il mourut dans une de ses villas du nom de Orta [Lorium, en Étrurie], située à douze milles de Rome. Après sa mort, il fut divinisé et mis au nombre des dieux.

[De Faustine, la filhe l’emperere, comment elle fut curée de sa maladie] Chis Anthone oit une filhe qui oit nom Faustine, qui veit II hommes combattre ensemble ; si en fut ly uns ochis, dont elle enprist teile paour qu'elle en ardoit tout, et en chaiit en l'aighe et y jut longtemps. Mains al derain elle le dest à son marit, et ly dest la cause de son maladie ; et son maris s'en conselhat aux meides de Caldée, qui ly dest que ilh fesist ochire chis hons qui avoit ochis l'autre, et en presist le sanc, sy en ondist le corps de Faustine sa femme, si seroit garie. Chis le fist, et oussitost que elle en fut onte, sy fut tout garie de sa langueur.

[Faustine, la fille de l’empereur, est guérie de sa maladie] Cet Antonin avait une fille, dénommée Faustine, qui assista à un combat entre deux hommes ; l'un d'eux fut tué, ce qui lui causa une telle peur qu'elle en devint fiévreuse et tomba dans un état de langueur, où elle demeura longtemps. Mais finalement, elle se confia à son mari et lui dit la cause de sa maladie ; et son mari prit conseil auprès de médecins Chaldéens, qui lui dirent de tuer l'homme qui avait abattu son adversaire, de recueillir son sang, d'en enduire le corps de sa femme Faustine, et qu'ainsi elle serait guérie. Cela fut fait, et dès qu'elle en fut enduite, elle fut guérie de sa langueur.

[Comment Ptholomes, le philosophe adjostat mult de raisons à astronomie] Al temps de cheli Anthone estoit en grant auctoriteit à Romme Ptholomes, qui fut uns divins et mult souffisans en l'art de mathematique, qui adjostat à astronomie plus de raisons qu'ilh ne trovat en escript faite par les altres devant luy. Chu fut le plus mervelheux et souffisans clers qui oncques fuist en astronomie. Et fut d'unne stature moderée et blans de coleur ; et estoit yreux en partie, et estoit de petit vivre ; et avoit son alanne aromatique odorant mult douchement.

[Ptolémée, le philosophe, ajoute de nombreuses données chiffrées à l'astronomie] Au temps d'Antonin, Ptolémée jouissait d'une grande autorité à Rome. C'était un devin très compétent dans la science de la mathématique, il apporta à l'astronomie plus de données chiffrées que n'en avaient mises par écrit ceux qui l'avaient précédé. Il fut le savant le plus extraordinaire et le plus compétent qui existât jamais en astronomie. De taille moyenne et de teint pâle, il était assez colérique et vivait de peu. Son haleine était doucement parfumée.

[Des libres que chis Ptholomes fist] Chis fist mult de libres, assavoir : Almageste et le Perspective, et en jugemens le Quadrupertitum et Centilogium et pluseurs aultres ; et visquat IIIIxx et III ans. IIh fut maistres des proverbes, deseurs tous les aultres.

[Les livres de Ptolémée] Il composa de nombreux livres, à savoir : l'Almageste et l'Optique, et, dans le domaine du droit, le Quadripartitum et le Centiloquium, ainsi que plusieurs autres ouvrages. Il vécut quatre-vingt-trois ans. Ce fut un maître en sententiae, supérieur à tous les autres.

 

 Les jumeaux Marcus Antonius Verus [Marc Aurèle] et Aurelius Lucius Commodus [Lucius Verus] succèdent à leur père Antonin - Ils règnent comme dix-huitième empereur -  Succession à Louvain - Aurelius [Lucius Verus] hostile aux chrétiens (161-162) - Saint Polycarpe part en Bourgogne, fuyant l'hostilité des empereurs - Frappé par la foudre et menacé de mort par une voix céleste à cause de ses persécutions, Aurelius Commodus [Lucius Verus] rentre à Rome - Il détrompe vivement son frère Marcus [Marc Aurèle] qui le croit proche des chrétiens (163)

 

[De l’emperere Anthone, de ses dois fis] Chis emperere Anthone oit II fis [p. 562] qui ambdois estoient bons chevaliers, et furent porteis à une porture et neis à une heure, si que ons ne pot determineir lyqueis devoit devant regneir, car les dammes ne savoient lyqueis estait nasquis devant.

[L'empereur Antonin et ses deux fils] L'empereur Antonin eut deux fils [p. 562] qui tous deux étaient de bons chevaliers. Ils naquirent d'une seule portée et à la même heure, si bien qu'on ne put déterminer lequel devait régner, les sages-femmes ignorant lequel était né en premier lieu.

[Porquoy ilh fut ordineit de esleir dois emperreurs] Et por cest raison regardarent les senateurs une teile chouse que ilhs ordinont et confermont entre eaux, que dedont en avant ons esliroit II emperreurs à Romme, qui rengneroient ensemble ; et quant ly uns defalroit, que ons y remetteroit tantoist unc aultre.

[Pourquoi il fut décrété d'élire deux empereurs] C'est la raison pour laquelle les sénateurs, considérant cette situation, décidèrent et confirmèrent entre eux qu'à l'avenir, on élirait deux empereurs à Rome et qu'ils régneraient ensemble ; et quand l'un viendrait à faire défaut, il serait aussitôt remplacé par un autre.

[Les XVIIIe emperreirs, les II fis Anthone : Marcus et Aurelius, qui regnont sicom I seul emperere] Enssi fut adont ordineit ; si furent adont coroneis les II fis l'emperere Anthone par accort, lesqueis orent cascon d'eaux trois noms ; car ly uns fut nommeis Marcus Anthonius Verrus, et ly altre estoit nommeis Aurelius Lucius Commodus. Si regnarent ensemble par l'espause de XIX ans IIII mois et IX jours ; et jà fust que ilhs regnoient enssi ensemble com dois empereres, nonporquant ilhs ne fasoient que unc entre eaux dois, et n'astoient compteis que por unc seul emperere.

[Les deux fils d'Antonin, Marcus et Aurelius, règnent comme un seul empereur, le dix-huitième] Les choses furent réglées ainsi. Les deux fils de l'empereur Antonin furent alors couronnés de commun accord et ils eurent chacun trois noms : l'un fut nommé Marcus Antonius Verus [Marc Aurèle], et l'autre Aurelius Lucius Commodus [Lucius Verus]. Ils régnèrent ensemble dix-neuf ans, quatre mois et neuf jours. Ils régnaient ensemble comme deux empereurs, et pourtant ils n'en faisaient qu'un et n'étaient comptés que comme un seul empereur.

[p. 562 [CLXII - De IIIIe conte de Lovay] Sour l'an CLXII, en mois de may, morut ly thiers conte de Lovay Alixandre ; si fut conte apres son fis Jonadas, qui fut beal chevalier et regnat XVI ans.

[p. 562 [An 162 - Le troisième comte de Louvain] En l'an 162, en mai, mourut Alexandre, le troisième comte de Louvain. Son fils Jonadas, un bon chevalier lui succéda et régna seize ans.

Item, en cel an, en mois de septembre, s'aparut en Athennes une traiche de feu en l'aire, qui s'estendoit, sicom ilh sembloit, de orient jusques en occident. A chi jour estoit en la citeit d'Athennes ly unc des empereres de Romme, Aurelius, et faisoit sacrifiche à ses dieux. Chis emperere estoit asseis piour que son frere Marcus, et faisoit volentier persecution aux cristiens.

Cette même année, au mois de septembre, une traînée de feu qui s'étendait, semble-t-il, de l'orient jusqu'à l'occident apparut dans l'air. Ce jour-là un des empereurs de Rome, Aurelius [Lucius Verus], se trouvait dans la ville d'Athènes, et offrait des sacrifices à ses dieux. Cet empereur était beaucoup plus mauvais que son frère Marcus [Marc Aurèle] et persécutait volontiers les chrétiens.

[CLXIII - De sains Policarpe] Item, l'an CLXIII, soy partit sains Policarpe de Rome, por le grant malvasteit qu'ilh veioit ens empereres, et en alat parmy Lombardie en prechant la foid, et alat tant que ilh s'arestat en Borgongne ; et y demorat pres de IIII ans, et y convertit mult grant peuple.

[An 163 - Saint Polycarpe] En l'an 163, saint Polycarpe quitta Rome, à cause de la grande méchanceté qu'il voyait chez les empereurs ; il s'en alla en Lombardie en prêchant la foi, et poursuivit sa route jusqu'en Bourgogne. Il s'y arrêta près de quatre ans et y convertit une très large population.

[Ly oraige et ly vois de chiel blastenghat Aurelius l’emperere] En cel an chevalchoit l'emperere Aurelius, se ly chaiit par-devant luy uns grans effoudre, qui ly ochist son cheval, et ilh en chaiit à terre ; et adont ly dest une vois : « :Aurelius, porquoy es-tu si malvais à peuple [p. 563] Jhesu-Crist ? Se tu ne toy retrais de maule à faire, tu en moras de maul mort. » Quant ilh entendit chu, si fut mult enbahis. Et la vois s'envanuit atant et s'en alat.

[L'orage et la voix du ciel blâment l’empereur Aurelius (Lucius Verus)] Cette année-là, l'empereur Aurelius [Lucius Verus] chevauchait, quand devant lui tomba la foudre, qui lui tua son cheval et le fit tomber à terre. Alors une voix lui dit : « Aurelius, pourquoi es-tu si mauvais à l'égard du peuple [p. 563] de Jésus-Christ ? Si tu ne cesses de leur nuire, tu mourras de mauvaise mort. » Quand il entendit cela, il fut très étonné et très inquiet. Alors, la voix s'évanouit et s'en alla.

Adont vient Aurelius à Romme ; si trovat son frere l'emperere Marcus, se li racomptat chu qui ly estoit avenus, et comment ly effoudre chaiit devant ly. Quant Marcus l'etendit, si fut mult corochiés et ne le voult mie croire ; ains dest que son frere ly disoit chu par fiction, portant qu'ilh voloit croire en Jhesu-Crist. Adont jurat Aurelius grant seriment que non faisoit, car ilh n'oit onques volenteit de croire en Jhesu-Crist ; car ilh ameroit miés que ilh fust pendus que ilh creist en Jhesu-Crist. En teile manere demorarent ches parolles, et n'en fut adont plus parleit.

Ensuite, Aurelius [Lucius Verus] revint à Rome ; il y trouva son frère l'empereur Marcus [Marc Aurèle], lui raconta tout ce qui était arrivé, et comment la foudre était tombée devant lui. Quand Marcus l'entendit, il fut très contrarié et ne voulut pas le croire. Il déclara que son frère inventait cette histoire parce qu'il voulait croire en Jésus-Christ. Aurelius [Lucius Verus] alors jura sous serment qu'il n'inventait rien, et ne désirait pas du tout croire en Jésus-Christ ; il préférerait, disait-il, être pendu que de croire en lui. Cet échange en resta là, et on n'en parla plus.

 

Saint Polycarpe fait des conversions massives en Bourgogne en dépit des empereurs de Rome qui exigent qu'on le leur livre - Hector de Bourgogne se fait même baptiser sous le nom de Jean, impose le baptême à tous ses sujets et annonce qu'il marchera sur Rome au nom du Christ - Marc Aurèle menace d'attaquer aussitôt les Bouguignons (164-165)

 

[p. 563] [Sains Policarpe convertit à Dieu tot Borgongne, l’an CLXIIII] Sor l'an CLXIIII, convertit sains Policarpe al loy Jhesu-Crist, par ses predications que ilh faisoit si diligemment, toutes les gens de paiis de Borgongne. Adont fut-ilh racompteit à l'emperere de Romme Marcus que Policarpe, uns hons qui avoit esteit disciple as Jhesu-Crist, avoit par ses ruses et fables convertit à la loy de Jhesu-Crist presque la motié de Borgongne, et le convertiroit tout se ilh visquoit longement. Quant l'emperere entendit chu, se dest qu'ilh manderoit à duc de Borgongne que luy et ses gens ne relenquissent mie la loy de Romme par les menchongnes de chi tiran qui les sermonoit, et ly envoiast le sermoneur, car ilh le feroit de mal mort ochire. Enssi ly mandont les II empererers de unc common assent et acorde.

[p. 563] [Saint Polycarpe convertit à Dieu toute la Bourgogne, en l'an 164] En l'an 164, par les prédications qu'il faisait avec tant d'ardeur, saint Polycarpe convertit à la religion de Jésus-Christ tous les habitants de Bourgogne. Alors on rapporta à l'empereur de Rome, Marcus [Marc Aurèle], que Polycarpe, un ancien disciple de Jésus-Christ, avait par ses ruses et ses mensonges, converti à la loi de Jésus-Christ presque la moitié de la Bourgogne, et qu'il la convertirait entièrement s'il avait une longue vie. Quand il l'apprit, l'empereur interdit au duc de Bourgogne et à ses sujets d'abandonner la loi de Rome, suite aux mensonges de ce tyran qui leur faisait des sermons, et il ordonna de lui envoyer le prédicateur, à qui il réservait une mort cruelle. Tel fut l'ordre donné de commun accord par les deux empereurs.

Et ly messaige fut fais à Ector, le noveal duc, qui estoit frere à duc de Galle Anthenoir, qui les respondit en teile maniere : « A vos empereres dites que jà n'obeiray tant à eaux que je les envoye unc sains proidhons ; et, por faire aux empereres plus grant despit, je prenderay baptesme et feray baptizier tous cheaux de ma grant ducheit. Et qui ne soy vorat baptizier, ilh aurat coupeit le chief. »

Le message fut adressé au nouveau duc Hector, frère du duc de Gaule Anténor, qui leur répondit de la façon suivante : « Dites à vos empereurs que je ne leur obéirai pas, que je ne leur livrerai pas un saint homme et que, pour les provoquer davantage, je recevrai le baptême et ferai baptiser tous les habitants de mon vaste duché. Et celui qui ne voudra pas être baptisé, aura la tête coupée. »

[Ly duc de Borgongne soy fist baptisier et oit nom Johans] Adont at ly duc Ector tantoist mandeit sains Policarpe, et le fist sermoneir en la presenche des messagiers des empereres. Apres le sermont que ly proidhons oit prechiet de la loy Jhesu-Crist, se soy fist ly dus Ector baptizier ; si fut nommeis Johans. Apres ilh fist baptizier toutes ses gens qoi vorent Jhesu-Crist adoreir, et qui non ilh les fist crueusement et fellement ochier. Et ne s'en fallit gaire que tous cheaux de sa terre ne presissent baptesme, [p. 564] car sains Policarpe les avait jà devant mult bien infourmeit.

[Le duc de Bourgogne se fait baptiser et reçoit le nom de Jean] Alors le duc Hector manda aussitôt saint Polycarpe et le fit prêcher en présence des messagers des empereurs. Après que le saint homme eut dans son sermon prêché la loi du Christ, le duc Hector se fit baptiser ; il reçut le nom de Jean. Ensuite il fit baptiser tous ses sujets qui voulurent adorer Jésus-Christ ; quant à ceux qui refusaient, il les fit mettre à mort avec une cruelle violence. Presque tous les habitants reçurent le baptême [p. 564] car saint Polycarpe les avait déjà bien instruits précédemment.

[CLXV - Johans, ly duc de Borgongne, envoiat deffier les empereres de Rome] Et fut chu sor l'an CLXV, en mois de jenvier. Atant parlat ly dus Johans de Borgongne aux messagiers, et dest : « Barons, vos direis à vos empereres que ilhs ne doient mie mandeir à moy nulle amisteit, car je les hay commes morteils anemis ; je suy frere al duc Anthenoir de Galle, et portant je les deffie depart mon Dieu Jhesu-Crist et de tous mes amis et de moy, et que temprement je les yray visenteir awec mes gens. »

[An 165 - Jean, duc de Bourgogne, envoie un défi aux empereurs de Rome] Cela se passa en l'an 165, au mois de janvier. Alors le duc Jean de Bourgogne parla aux messagers en disant : « Barons, vous direz à vos empereurs qu'ils ne doivent attendre de moi aucune amitié, car je les hais comme des ennemis mortels. Je suis le frère du duc Anténor de Gaule, et c'est pourquoi je les provoque, au nom de mon Dieu Jésus-Christ, au nom de tous mes amis et en mon nom personnel. Bientôt j'irai leur rendre visite avec mes troupes. »

Atant sont les messagiers departis de là ; et quant ilhs vinrent a Romme, se ont racompteit as empereres tout chu que j'ay ditdeseurs. Quant ly emperere Marcus entendit chu, si fut mult corochiet ; se dest que ilh n'atenderoit mie tant que ans le vengne assegier, ains yroit en Borgongne, à baniere desploiés.

Alors les messagers quittèrent les lieux. Arrivés à Rome, ils racontèrent à l'empereur tout ce que j'ai exposé ci-dessus. Quand l'empereur Marcus [Marc Aurèle] entendit cela, il fut très en colère. Il déclara qu'il n'attendrait pas qu'on vienne l'assiéger, mais que, bannières déployées, il irait attaquer la Bourgogne.

 

Mort du pape Anaclet - Ses ordonnances - Le Grec Irénée à Lyon - Sother devient pape - Succession en Hongrie - Ordonnances du pape Sother (165-166)

 

[p. 564] [Les ordinanches de Anycletus le pape - Del consecration des evesques] En cel an, le XXIIIIe jour de marche, morut Anycletus, le pape de Romme, si fut ensevelis en la cymiteir Calixte en la voie de Apie. Chis ordinat que tous les clers aient leurs coronnes et barbes toudis rasées, et soit la coronne reonde. Item, ilh ordinat que nuls evesques ne soit consacreis qu'ilh n'y ait II [III ms B] evesques car enssi le sentencharent les apostles ; et se ch'est uns archevesques, que tous les provincials y soient.

[p. 564] [Les ordonnances du pape Anaclet - La consécration des évêques] En cette année-là, le 24 mars, mourut Anaclet, le pape de Rome. Il fut enseveli dans le cimetière Callixte, sur la voie Appienne. Il avait ordonné à tous les clercs d'avoir toujours les cheveux coupés, la barbe rasée et une tonsure ronde. Il avait ordonné aussi de ne consacrer aucun évêque en dehors de la présence de deux [trois] évêques, comme l'édictèrent les apôtres ; et dans le cas d'un archevêque, tous les responsables provinciaux devaient être présents.

A son temps governat l’englise de Lyon Yreneus, uns gran docteur del nation de Greche.

À son époque, Irénée, un grand docteur originaire de Grèce, dirigea l'église de Lyon.

[De Sother, le XIIIe pape] Apres la mort Anycletus, vacat ly siege trois mois et X jours ; et puis fuit consacreis le promier jour d'awoust à pape uns proidhons qui fut nommeis Sother, qui fut de la nation de la Campine ; et oit nom son pere Concorde, neis de la citeit de Fonde, et tient le siege XII ans VII mois et XX jours ; et les altres dient IX ans VII mois et XXI jour ; et les altres dient VIII ans ; et les altres dient XI ans et III jours.

[Sother, le treizième pape] Après la mort d'Anaclet, le siège papal resta vacant pendant trois mois et dix jours. Ensuite, le 1er août, un homme de bien, nommé Sother et originaire de Campanie, fut consacré pape. Son père se nommait Concorde et était né dans la cité de Fondi. Il occupa le siège durant douze ans, sept mois et vingt jours. D'autres sources disent neuf ans, sept mois et vingt et un jours ; d'autres disent huit ans ; et d'autres onze ans et trois jours.

[De roy de Hongrie, Alixandre] Item, l'an CLXV deseurdit, en mois de junne, morut Jacoles, ly roy de Hongrie ; si regnat apres luy son fis Alixandre XXXI an.

[Le roi de Hongrie, Alexandre] En l'an 165 mentionné ci-dessus, en juin, mourut Jacoles, Ie roi de Hongrie. Son fils Alexandre régna après lui, pendant trente et un ans.

[De pape Sother, qu’ilh ordinat des nonnains - Et de mariage - CLXVI] Item, l’an CLXVI, en mois de jenvier, ordinat ly pape Sother que nulle nonne n'atouchast les palles de l'auteit sacreit, et ne metist pointe d'encense à l'encenseir, et qu'elles portassent des voul. Et ordinat que ons ne tenist nulle femme estre [p. 565] legittime de son marit, se elle n'estoit par unc prestre benite, et soit de peire et delle mere sollempnement donnée à marit.

[Ordonnances du pape Sother sur les nonnes et le mariage - An 166] En l'an 166, au mois de janvier, le pape Sother décréta qu'aucune nonne ne devait toucher les linges sacrés de l'autel, ni mettre de l'encens dans l'encensoir, et il leur ordonna de porter un voile. Il décréta aussi qu'on ne tienne aucune femme pour [p. 565] l'épouse légitime de son mari, si elle n'avait pas reçu la bénédiction d'un prêtre ni été donnée solennellement à son mari par ses père et mère.

 

L'empereur Marcus Verus [Marc Aurèle] attaque la Bourgogne - Le duc Jean, conforté par Polycarpe contre-attaque avec des bannières à l'effigie du Christ et remporte une grande bataille contre les Romains - Satisfait de la situation en Bourgogne, saint Polycarpe part convertir la Lombardie, où il est capturé par le roi de Pavie - Envoyé à Rome il y est martyrisé puis décapité sur ordre des empereurs - Jean de Bourgogne le venge en s'emparant de Pavie, après un siège de huit mois, et en faisant exécuter le roi et sa famille - Jean construit à Dijon des églises dédiées à saint Polycarpe et à Notre-Dame (167-169)

 

[p. 565] [L’emperere Marcus alat en Borgongne] Item, en cel an, assemblat l'emperere Marcus ses hommes, et entrat en Borgongne à feu et à flamme. Quant Johans le duc entendit chu, se appellat sains Policarpe et ly demandat conselhe s'il manderoit son frere, le duc de Galle, ou non ? Et ilh ly respondit : « Sires, se vos me voleis croire, je vos ay enconvent que vos mettereis affin les Romans. » Respondit ly duc : « Je vous croiray del tout. » « Sires, dit sains Policarpe, faite armeir vos gens et isseis fours de vostre citeit ; sy correis sus vos anemis, et se vos sovengne de Dieu le tous-poissans, qui s'aservit por le salut des pecheurs. »

[p. 565] [L’empereur Marcus se rend en Bourgogne] Cette année encore, l'empereur Marcus [Marc Aurèle] rassembla ses troupes et envahit la Bourgogne qu'il mit à feu et à sang. Quand le duc Jean l'apprit, il appela saint Polycarpe, lui demanda s'il lui conseillait ou non d'appeller son frère, le duc de Gaule. Il lui répondit : « Seigneur, si vous voulez me croire, je vous promets que vous anéantirez les Romains. » Le duc répondit : « Je vous croirai en tout. » -- « Seigneur, dit saint Polycarpe, armez vos hommes et sortez de votre cité ; courez sus à vos ennemis, et que se souvienne de vous Dieu le tout-puissant, qui se fit esclave pour le salut des pécheurs. »

[Coment Johans, dus de Borgongne fist poindre en tout ses banires Jhesu-Crist] Et dest ly dus Johans : « Je ay bien Dieu en ma memore, et por mies estre assegureis, je feray portraire en toutes mes baniers Jhesu-Crist, enssi com ilh fut claweis en la crois, sique je en veray la semblanche en la batalhe. » Enssi com vos dit, ilh fut fais.

[Jean, duc de Bourgogne, fait représenter Jésus-Christ sur toutes ses bannières] Et le duc Jean lui dit : « J'ai Dieu bien présent en ma mémoire, mais pour plus de sûreté encore, je ferai représenter sur toutes mes bannières le portrait de Jésus-Christ, cloué sur la croix. Ainsi je verrai son image dans la bataille. » Et cela fut fait comme je vous le dis.

[Johans, lydit duc, desconfist les Romans - L’an CLXVII] Et là quant les banires furent fait, sy sont aleis corir sus les Romans. Et là oit grant batalhe, qui durat longement ; mains les Romans furent desconfis, et refuirent vers Romme. Adont dessent les senateurs à l'emperere que jamais ilh ne ralaist contre le duc de Borgonge, car ilh estoit delle sanc de Galle, qui at fortune por luy regnant, ne nus ne puet avoir victoire contre eaux. Cest batalhe fut l'an CLXVII, en mois de decembre, le XVIIe jour.

[Le duc Jean défait les Romains - An 167] Quand les bannières furent prêtes, les Bourguignons coururent sus aux Romains. Une grande bataille eut lieu, qui dura longtemps ; les Romains furent vaincus, et s'enfuirent vers Rome. Alors les sénateurs dirent à l'empereur de ne plus jamais aller attaquer le duc de Bourgogne. Il avait du sang gaulois dans les veines. La fortune est de son côté, et personne ne peut remporter la victoire contre les Gaulois. Cette bataille se déroula le 17 décembre de l'an 167.

[Coment sains Policarpe s’en ralat à Pavie en Lombardie, et fut là pris et envoiet à Romme] Et quant sains Policarpe soit la victoire, si fut mult liies ; si soy partit de Borgongne et vient droit en Lombardie, si commenchat à prechier la foid de Dieu ; et voloit convertir le peuple à la loy Jhesu-Crist. Mains ly roy de Pavie, qui estoit cusins aux empereres de Romme, quant ilh le cognut ilh le fist prendre et loiier mult fort, et puis l'envoiat à l'emperere Marcus. Adont fut mult liies l'emperere Marcus qu'iIh avoit en sa poissanche cheluy qu'ilh haioit le plus.

[Saint Polycarpe retourne à Pavie, en Lombardie ; il y est capturé et envoyé à Rome] Quand saint Polycarpe apprit cette victoire, il fut très content. Il quitta la Bourgogne et se rendit directement en Lombardie, où il commença à prêcher la foi en Dieu : il voulait convertir le peuple à la loi de Jésus-Christ. Mais quand il apprit cela, le roi de Pavie, qui était un cousin des empereurs de Rome, le fit arrêter et enchaîner, puis l'envoya à l'empereur Marcus, qui fut très heureux d'avoir en son pouvoir l'être qu'il haïssait le plus au monde.

[Après il fut jetteis en unc feu, et apres decoleis] Adont fisent faire les empereres unc feu tout emmy Romme et fisent jetteir dedens sains Policarpe ; mains oussitoust qu'ilh sentit le feu, ly feu estindit, et devient oussi frois que oncques n'awist esteit espris. Quant les empereres veirent le myracle, sy furent mult esbahis ; mains, portant que ilhs ne vorent mie que les Romans awissent en luy [p. 566] creanche, ilhs le fisent tantoist decolleir ; et puis dessent que c'estoit uns enchanteur. Chu fut l'an deseurdit, le XXVle jour de mois de jenvier.

[Il est jeté au feu, puis décapité] Alors les empereurs firent allumer un feu au milieu de Rome et y jeter saint Polycarpe. Mais aussitôt que Polycarpe eut touché le feu, celui-ci s'éteignit et devint aussi froid que s'il n'avait jamais été allumé. En voyant le miracle, les empereurs furent stupéfaits, mais comme ils ne voulaient pas que les Romains aient foi en lui, [p. 566] ils le firent décapiter immédiatement. Ils dirent ensuite de lui que c'était un enchanteur. Cela se passa le 26 janvier de l'an mentionné ci-dessus.

[Johans, le duc de Borgongne, fist escorchier le roy de Pavie, por sains Polycarpe qu’ilh avoit livreit as empereres] Mains quant ly dus de Borgonge le soit, sy en fut mult corochiés, et jurat Jhesu-Crist que ly roy de Pavie, qui chu avoit fait, le comparoit. Si assemblat ses gens et entrat en Lombardie et asseghat Pavie, l'an CLXVIII, en mois d'octembre ; et durat le siege VIII mois ; puis le prist, et [fut] priese par famyne. Adont fist ly dus Johans prendre et escorchier le roy Moderas de Pavie, et sa femme et ses enfans et tous cheaux de sa lignie ochier. Et quant ilh oit chu fait, se retournat arier en son paiis. Enssi fut vengiet la mort de sains Policarpe, qui avoit esteit unc gran lumynare en sainte Engliese à son temps.

[Jean, duc de Bourgogne, fait écorcher le roi de Pavie, pour avoir livré saint Polycarpe aux empereurs] Mais quand le duc de Bourgogne apprit la chose, il fut très en colère et jura par Jésus-Christ que le roi de Pavie paierait pour ce geste. Il rassembla ses troupes, pénétra en Lombardie et assiégea Pavie, en octobre de l'an 168. Le siège dura huit mois ; puis la ville fut prise, à cause de la famine. Alors le duc Jean fit arrêter et écorcher le roi Moderas de Pavie ; il fit aussi mettre à mort sa femme, ses enfants et tous ceux de sa lignée. Et quand il eut terminé cela, il s'en retourna dans son pays. Ainsi fut vengée la mort de saint Polycarpe, qui en son temps avait été pour l'Église une grande source de lumière.

[Coment lydit duc Johan edifiat II englieses à Dygon] Item, l'an CLXIX, fist faire ly dus Johans une engliese à Dygon, en l'honeur de sains Policarpe. En cel an meismes, lidit duc edifiat encor à Dygon I engliese en l'honeur de Nostre-Damme. En cel an fut Pavie refait, que lydit dus Johans avoit tout destruite l'année devant.

 [Le duc Jean édifie deux églises à Dijon] En l'an 169, le duc Jean fit construire une église à Dijon, en l'honneur de saint Polycarpe. Et la même année, il construisit dans cette ville une autre église en l'honneur de Notre-Dame. Cette même année fut reconstruite Pavie, que le duc Jean avait entièrement détruite l'année précédente.

 

 Le convoi des empereurs romains est frappé par la foudre - Lucius Verus est blessé : il en mourra douze ans après - Naissance de Clodas, fils du duc de Gaule (170-171)

 

 [p. 566] [Ly oraige ochist les chevals des II empereres de Romme] Item, l'an CLXX, le IXe jour de mois d'awoust, aloient les II empereres de Romme à Napples en unc chaire ; si chaiit uns grans effoudre sour les chevals qui tous les confondit. Et en fut unc pau consut. Aurelius, ly I des empereres ; si en fut sy espawenteis, que del pawour ly prist une maladie delqueile ilh fut en langueur XII ans, et en la fin ilh en morit.

[p. 566] [L'orage tue les chevaux des deux empereurs de Rome] En l'an 170, le 9 août, les deux empereurs de Rome se rendaient en char à Naples ; un violent coup de foudre tomba sur les chevaux qui furent tous tués. Aurélius [Lucius Verus], un des empereurs, fut légèrement touché, mais il eut tellement peur qu'il contracta une maladie dont il souffrit durant douze ans et dont finalement il mourut (p. 576).

[CLXXI] Item, l'an CLXXI, oit ly dus de Galle une fis qui fut nomeis Clodas, qui fut bon chevalier.

[An 171] En l'an 171, le duc de Gaule eut un fils, nommé Clodas, qui fut un bon chevalier.

 

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