Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 138b-149a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Ce fichier contient deux parties :

Myreur, p. 138b-143a (A. Retour en arrière : Dionysos - Judée - Agariens, Ismaélites et Sarrasins - Troie)

Myreur, p. 143b-149a (B. Geste de Clétus et Franbal : suite et fin - Divers, dont la Syrie et la Judée, avec les Maccabées)

 


 

A. RETOUR EN ARRIère : Dionysos - Judée - Agariens, Ismaélites et Sarrasins - Troie [Myreur, p. 138b-143a]

 

Ans 430-587 de Joseph = 1337-1180 a.C.n.

 

Introduction  [sommaire] [texte]

Cette nouvelle section interrompt brutalement la « Geste de Clétus et de Franbal », qui ne reprendra que quelque cinq pages plus loin (p. 143b). Cette interruption surprend pour plusieurs raisons. D'une part, elle rompt le fil chronologique en ramenant le lecteur très loin en arrière ; d'autre part elle suit un comput différent, celui de Joseph, abandonnant celui de la transmigration. Cela traduit sans aucun doute un changement de source que le chroniqueur n'a pas cherché à cacher. Comme l'essentiel des notices fournies ici concernent Troie, dont il avait déjà été question (p. 20ss, p. 26ss), selon le comput de Joseph ‒ c'est à souligner ‒, on est tenté de conclure que Jean reprend ici la source suivie alors puis abandonnée, ou du moins une autre source utilisant elle aussi le comput de Joseph. En tout cas, en suspendant ainsi la narration de la « Geste de Clétus et de Franbal », il semble vouloir introduire un certain nombre de choses importantes à ses yeux, concernant Troie mais concernant aussi d'autres points. Il s'en explique assez clairement d'ailleurs (p. 143) : trop d'informations, qui ne sont ni complètes ni vérifiées, circulent sur ces questions.

Un autre élément est à relever. La section examinée ici traite aussi des Sarrasins (p. 140-141). C'est ainsi, on le sait, que les chrétiens du Moyen Âge désignaient les Musulmans, adeptes de Mahomet, le grand prophète de l'Islam, né vers 570 et mort en 632. Mais, sous la plume de Jean (et d'autres auteurs médiévaux), le terme est ambigu, car il peut aussi s'appliquer aux païens, à ceux qui n'appartiennent pas au monde chrétien. Sarrasins est en effet un nom générique donné par les auteurs chrétiens à tous les infidèles. Il peut donc être appliqué aux païens, adorateurs des dieux de l'antiquité, comme l'étaient les Gaulois adorateurs de Jupiter et de Vénus. C'est ainsi qu'à la page 138 du Myreur, le chroniqueur liégeois a caractérisé les Gaulois et s'en est expliqué. Aurait-il éprouvé le besoin à cet endroit d'introduire un développement plus approfondi du sujet, en suivant une source différente ? Le mot 'Sarrasins' déjà employé par Jean pour désigner les païens (p. 14), est repris dans la description de la cérémonie funèbre d'Alexandrine, l'épouse du roi Jobal (p. 145) : « elle se déroula selon la religion alors en vigueur, car ils étaient Sarrasins (= païens) et croyaient en diverses idoles. À cette époque le monde ne comptait que des Juifs et des païens : c'était avant l'Incarnation de Notre-Seigneur. »

En outre, le texte traite beaucoup de Troie. Sur la ville même, le chroniqueur revient sur des données dont il a déjà fait état (p. 20ss : la Troie de Laomédon ; sa destruction par Jason ; sa reconstruction par Priam ; le siège de dix ans), mais mentionne aussi des nouveautés sur ce qu'on pourrait appeler la préhistoire mythologique de la cité. Il y est ainsi question d'un Darmadis mythique fondant la future Troie, nommée alors Darmant ; d'une succession de rois : Dardanus, Ganymède, Tros qui développe Darmant et la rebaptise Troie, puis Ilus ; de personnages liés à la Troie de Priam, comme Dédale, comme Antée qui devient un prince troyen tué par Hercule, ou comme Thyro, père d'Orphée, fondateur de Tyr. Beaucoup de ces vues, parce que marginales, nécessiteraient un encadrement particulier, qui n'est évidemment pas fait par le chroniqueur et que nous ne ferons pas non plus.

Le monde biblique n'est pas absent de cette section, puisque plusieurs des événements signalés sont censés se dérouler à « l'époque d'Aaron, de Moïse, de Josué, d'Othoniel, et des tribus de Ruben et de Gad ». Un sommet dans la fantaisie est atteint lorsqu'on voit Dionysos conquérir la Judée grâce à ses enchantements et, avec l'aide des Amazones, y régner et y être vénéré comme un dieu après sa mise à mort par des Agariens. Ces Agariens tirent leur nom d'Agar, l'esclave égyptienne d'Abraham, mère d'Ismaël, lequel épousera Sara. Cet excursus fantaisiste donne en tout cas l'occasion à Jean de développements sur les termes Ismaélites, Agariens et aussi Sarrasins. Sur tout cela encore de longs commentaires seraient bien nécessaires.

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 Sommaire

L'enchanteur Dionysos/Liber, fondateur de Nysa, règne en Judée - À sa mort, il est vénéré par les Agariens/Sarrasins comme un dieu (430-474 de Joseph = 1337-1293 a.C.n.)

Le roi Tros donne son nom à l'ancienne Troie - Concordances chronologiques

Darmadis, banni d'Asie par son père Dos, fonde en Phrygie Darmant, la future Troie, où lui succèdent différents rois - Le cinquième roi, Dardanus, combat Pélops de Grèce - En Israël, c'est l'époque d'Aaron, de Moïse, de Josué, d'Othoniel, des tribus de Ruben et de Gad - En Égypte, des rois remplacent les Pharaons - Dans la cité de Darmant, Ganymède, puis Tros, succèdent à Dardanus - Tros développe Darmant, rebaptisée Troie (294-405ss de Joseph = 1473-1362ss a.C.n.)

Ismaélites, Agariens et Sarrasins (avant Mahomet)

Tros, Ilus fondateur de la forteresse Ilion, Laomédon et Priam, premiers rois de Troie - Dédale - Les premiers bateaux (475-526 de Joseph = 1292-1241 a.C.n.)

Jason détruit Troie que reconstruit le successeur de Laomédon, le roi Priam - Thyro, père d'Orphée, fonde Tyr et Hercule tue un prince troyen Antée (549-553 de Joseph = 1218-1214 a.C.n.)

Évocation succincte de la 'vraie' guerre de Troie et de sa ruine après un siège de dix ans (562-587 de Joseph = 1205-1180 a.C.n.)

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L'enchanteur Dionysos/Liber, fondateur de Nysa, règne en Judée - À sa mort, il est vénéré par les Agariens/Sarrasins comme un dieu (430-474 de Joseph = 1337-1293 a.C.n.)

 

[p. 138] [Dyonises Liber ly dieu des Sarasiens] Mains à cel temps dont je parolle, et par long temps devant, creioient en unc enchanteur, enssi que fut Machomes, liqueis fut nomeis par II noms, car ilh a nom Dyonises et oit nom aussi Lyber. Chis Liber dont je fay mention regnat en Judée sor l'an del origination de [p. 139] monde IIIm VIIIc LXII, qui fut l'an del nativiteit Abraham VIc et LXXVIII et l'an del nativiteit Joseph IIIIc et XXX.

[p. 138] [Dionysos Liber, dieu des Sarrasins] À l'époque dont je parle, et bien longtemps avant, les Sarrasins croyaient, comme ce le fut pour Mahomet, que ce personnage, désigné par deux noms, Dionysos et Liber, était un enchanteur. Ce Liber régna en Judée en l'an 3862 de l'origine du [p. 139] monde, correspondant à l'an 678 de la naissance d'Abraham et à l'an 430 de la naissance de Joseph [1337 a.C.n.].

[Nysa] Item, l'an del nativiteit Joseph IIIIc XLI, conquist li deseurdis Dyonises Liber par son enchantement la terre de Judée, et al conquere oit awec li grant parties de femmes des Amasonnes ; et tantost qu'ilh oit la terre conquestée, ilh fondat I citeit qu'ilh nomat Nysa.

[Nysa] En l'an 441 [1326 a.C.n.] de la naissance de Joseph, ce Dionysos/Liber conquit la terre de Judée grâce à ses enchantements et avec l'aide d'une grande partie des Amazones. Une fois maître de ce territoire, il y fonda aussitôt une cité qu'il appela Nysa.

[Agariens] Item, l'an del nativiteit Joseph IIIIc et LXXIIII, morut chis Dyonises Liber, dont je fay mension ; et, quant ilh fut mors, les Sarasins, qui adont astoient nomeis Agariiens, l'aoront com Dieu por ses enchantemens qu'ilh avoit fait. Et fut ensevelis en temple de leur dieu Apollinin ; et fisent entour luy et desus le figure d'onne femme. Chis Dyonises Liber regnat al temps que j'ay deviseit.

[Agariens] En l'an 474 [1293 a.C.n.] de la naissance de Joseph, ce Dionysius/Liber mourut. Après sa mort, les Sarrasins, appelés alors Agariens (p. 141), l'adorèrent comme un dieu pour ses enchantements. Ils l'ensevelirent dans le temple de leur dieu Apollon et placèrent autour et au-dessus de lui l'effigie d'une femme. Ce Dionysus/Liber vécut à l'époque dont j'ai parlé.

 

 Le roi Tros donne son nom à l'ancienne Troie - Concordances chronologiques

 

[p. 139] [Tros] Et à cel temps meismes regnat I roy qui fut nommeis Tros, qui selonc son nom appellat Troie le grant ; car Troie ne fut mie nomée Troie quant elle fut fondée à la promier fondation. Celle citeit fut fondée longtemps devant le roy Priant, ne Laomedons son pere ; mains Priant le redifiat, quant les Grigois l'orent destruite al ocquison de Jason, enssi que dit est par-desus.

[p. 139] [Tros] À cette même époque régna un roi, appelé Tros, qui donna son nom à Troie la Grande. Cette ville n'avait pas été appelée Troie lors de sa première fondation, bien longtemps avant le roi Priam et son père Laomédon ; mais Priam la réédifia lorsque les Grecs l'eurent détruite, lors de l'intervention de Jason, comme dit ci-dessus (p. 20-23).

Sour l'an del origination de monde IIIm VIIc et XIX, qui fut l'an del delueve Noé milh IIIc LXXVII, et l'an del nativiteit Abraham Vc et XXXVII, et cent et XLIII ans anchois que Dyonises Liber, li dieu des Serasiens, regnast, al temps que Gelanoir astoit roy des Argins, et devans astoit roy de la royalme d'Argife, droit le XXIXe année que Aaron fut consecreis promier evesque de la loy, la XXXIIIe année que Moyses veit la vision de buson ardant en la terre Madian, et chu estoit Dieu qui s'apparut à luy et li commandat qu'ilh s'en alaist en Egypte et desiet al roy Neutres que ilh lasast le peuple d'Ysrael yssir de sa terre qui adont astoit apresseis de grant servaige, le VIIIe année oussi que Aristobolus, qui promier trovat l'usaige de attelleir chevals aux chaires et aux altres chouses, et fut roy d'Athenes.

[Cette Troie de Priam fut construite] en l'an 3719 de l'origine du monde [1481 a.C.n.], correspondant à l'an 1377 du déluge de Noé [1581 a.C.n.] et à l'an 537 de la naissance d'Abraham [1478 a.C.n.], cent quarante-trois ans avant le règne de Dionysos/Liber, dieu des Sarrasins, au temps du roi des Argiens, Gélanor, précédemment roi du royaume d'Argife, exactement vingt-neuf ans après la consécration d'Aaron comme premier grand-prêtre, trente-trois ans après la vision par Moïse du buisson ardent en terre de Madian, quand Dieu lui était apparu et lui avait ordonné d'aller en Égypte dire au roi Neutres de laisser sortir de son pays le peuple d'Israël, tenu en grande servitude ; c'était aussi huit ans après l'avènement du roi d'Athènes Aristobule, qui le premier inventa l'usage d'atteler les chevaux aux chars et aux autres véhicules.

 

Darmadis, banni d'Asie par son père Dos, fonde Darmant, la future Troie, en Phrygie, où lui succèdent différents rois - Le cinquième roi, Dardanus, combat Pélops de Grèce - En Israël, c'est l'époque d'Aaron, de Moïse, de Josué, d'Othoniel, des tribus de Ruben et de Gad - En Égypte, des rois remplacent les Pharaons - Dans la cité de Darmant, Ganymède, puis Tros, succèdent à Dardanus - Tros développe Darmant, rebaptisée Troie (294-405ss de Joseph = 1473-1362ss a.C.n.)

 

[p. 139] [De roy Dos] À cel temps que je dis avoit unc roy en Asie qui oit à nom Dos : chis oit I fis qui oit à nom Darmadis. Chi roy Dos encachat son fis et le banist hours de son paiis, portant que ilh avoit ochis I homme qui astoit li sien maistre qui l'instruoit, qui oit nom Abdos.

[p. 139] [Le roi Dos] À cette époque, il y avait un roi en Asie du nom de Dos, dont le fils s'appelait Darmadis. Ce roi Dos chassa son fils hors de son pays et le bannit, parce qu'il avait tué un homme, appelé Abdos, qui était son maître et assurait son instruction.

[Darmant fondé par Darmadis] Quant Darmadis fut enssy banis, ilh s'en allat en altre pays tant qu'ilh vient en droit lieu de la haulte [p. 140] Friese siet, et vient en droit lieu sor mere, où la grant Troie siet puis ; et fondat illuc une citeit et pluseurs casteals, laqueile citeit ilh apellat solonc son nom ; si en fut roy, et oit à nom la citeit Darmant, et y regnat XXXIII ans.

[Darmant fondée par Darmadis] Ainsi banni, Darmadis partit pour un autre pays et arriva précisément à l'endroit de la haute [p. 140] Phrygie, juste près de la mer, là où s'éleva ensuite la Grande Troie. Il fonda en cet endroit une cité et de nombreux châteaux-forts ; il appela sa cité Darmant, d'après son propre nom, et il en fut le roi durant trente-trois ans.

[De Moyses et de Aaron] Item, à temps cely roy Darmadis, sor l'an del nativiteit Joseph IIc XCIIII, morut Aaron, li promier evesque de la loi, et fut ensevelis en une montangne qui est apellée Hur ; et apres Aaron fut fais evesque son fis Eleazar ; et apres le mort Aaron trespassat son frere Moyses, mains ilh n'est homs vivans qui oncques pousist savoir où son corps fut ensevelis, et le ploront les fis Israel XXX jours. Apres Moyses, governat Josué le peuple d'Ysrael XXVII ans.

[Moïse et Aaron] Au temps de ce roi Darmadis, en l'an 294 de la naissance de Joseph [1473 a.C.n.], mourut Aaron, le premier grand prêtre. Il fut enseveli sur une montagne, appelée Hur. Après Aaron, son fils Éléazar devint grand prêtre. Moïse mourut après son frère Aaron, mais personne n'a jamais pu savoir où son corps avait été enseveli. Les fils d'Israël le pleurèrent durant trente jours. Après Moïse, Josué gouverna le peuple d'Israël pendant vingt-sept ans.

Apres ches chouses morut li promier roy de Darmant, qui oit nom Darmadis, sour l'an Joseph IIIc et X. Apres li regnat son fis Alymodes XI ans.

Après cela, le premier roi de Darmant, appelé Darmadis, mourut en l'an 310 de Joseph [1457 a.C.n.]. Ensuite son fils Alymodes régna durant onze ans.

A temps cheli Alymodes, vinrent en la terre de promission II lignies de peuple Ysrael, assavoir les lignies de Ruben et de Gad ; et prisent habitation entre le flu Jordan et le peuple.

Au temps d'Alymodes deux tribus du peuple d'Israël arrivèrent en terre promise, celles de Ruben et de Gad. Elles occupèrent l'espace entre le Jourdain et les endroits déjà habités [2 tribus situées à l'est du Jourdain].

Item, l'an Joseph IIIc et XXI, morut Alymodes li roy de Darmant ; puis regnat le fis Alianad, sa soreur, qui oit nom Sator, et regnat XVI ans.

En l'an 321 de Joseph [1446 a.C.n.] mourut Alymodes, le roi de Darmant. Le fils de sa soeur Alianad, nommé Sator, régna ensuite durant seize ans.

A son temps morut Josué li dus d'Ysrael ; si governat apres le peuple Othonyel, ly frere Caleph, XL ans.

À son époque mourut Josué, duc d'Israël. Othoniel, frère de Caleb, gouverna ensuite le peuple quarante ans.

Item, l'an Joseph IIIc et XXXVIII, morut Sator, ly thirs roy de Darmant ; et fut roy apres luy li maris de sa fille Sapora XL ans, puis morut ; si fut son fis roy Ve Dardanus, et regnat XX ans : chis oit pluseurs batalhes à Polops, le roy de Greche.

En l'an 338 de Joseph [1429 a.C.n.] mourut Sator, le troisième roi de Darmant. Le mari de sa fille Sapora lui succéda pendant quarante ans. À sa mort, son fils Dardanus devint le cinquième roi. Il régna vingt ans et batailla souvent contre Pélops, le roi de Grèce.

[Chi commenchent les empereurs de Egypte] A temps cheli Dardanus commencharent cheaux d'Egypte à eistre roys al manere d'empereurs, qui astoient devant nomeis Pharaons.

[Le début des empereurs en Égypte] À l'époque de ce Dardanus, les dirigeants d'Égypte devinrent des rois à la manière des empereurs. Auparavant ils étaient appelés Pharaons.

[Darmant c’est Troie] Item, l'an Joseph IIIc XCVIII, morut Dardanus, li Ve roy de Darmant ; si fut roy apres ly son fis Ganymydes, lyqueis regnat VII ans, puis morut sour l'an Joseph IIIIc et V. Apres luy fut roy VIe Tros, de quoy j'ay parleit desus ; et fut li fis Jason frere à Ganymydes. Chis Tros regnat XXXVIII ; et, al Xe année qu'ilh fut coroneis, ilh fist regrandier mult grandement la citeit de Darmant, et le fist mult fort reforchier de murs, puis le nomat solonc son nom Troie.

[Darmant, c’est Troie] En l'an 398 de Joseph [1369 a.C.n.] mourut Dardanus, le cinquième roi de Darmant. Son fils Ganymède lui succéda, régna sept ans, puis mourut en l'an 405 de Joseph [1362 a.C.n.]. Après lui, le sixième roi fut Tros, dont j'ai parlé plus haut (p. 139). C'était le fils de Jason, frère de Ganymède. Il régna trente-huit ans. La dixième année de son couronnement, il développa la cité de Darmant, la fortifia très solidement par des murailles, puis l'appela Troie, d'après son nom.

 

Ismaélites, Agariens et Sarrasins (avant Mahomet)

 

[p. 140] [Ons soloit nommeir les Sarasiens Ismaelites] A cel temps cheli Tros regnat Dyonises Liber dont j'ay fait par-desus mention, que les Sarasins, que ons soloit nommeir Agariiens [p. 141] et Hismaelites, qui aoroient adoncques. Pluseurs gens ne sevent mie la raison por quoy ilh furent promirs nomeis enssi ; si en parlerons briefement.

[p. 140] [On appelait généralement les Sarrasins Ismaélites] Dionysos/Liber, dont j'ai parlé plus haut (p. 138-139), régnait au temps de ce Tros et était alors adoré par les Sarrasins, appelés souvent Agariens [p. 141] et Ismaélites. Beaucoup de personnes ignorent pour quelle raison ils furent d'abord appelés ainsi ; aussi nous en dirons un mot.

[Del generation des Sarasins] Sour l'an del origination de monde IIIm IIc LXXI, qui fut l'an del deluve Noe milh et XXIX, et l'an d'Abraham IIIIxx et VII, engenrat ly dis Abraham I fis, qui oit nom Ysmael, en une siene ancille qui oit nom Agar ; ly queis Ysmael s'en alat habiteir en altre pays ; si oit une femme qui oit nom Sara, qui fut filhe à Zedom, I prinche de Caldée. De chesti Sara et Ysmael issirent cheaux qui, apres le nom Ysmael, furent nomeis Ysmaelites, et cheaux oussi qui, apres Agar, le mere Ysmael, furent nommeis Agariiens, et une altre nation encor, qui, apres Sara, furent nomeis Sarasins. Ches Sarasins multipliont mies que les II altres nations, et orent mult grant poioir long temps apres chu dont je parolle ; si qu'ilh destrurent les Agariiens et les Ysmaeliens, si regnarent tous seuls, et apellarent tous cheaux de leur loy Sarasins.

[Les origines des Sarrasins] En l'an 3271 de l'origine du monde [1929 a.C.n.], correspondant à l'an 1029 du déluge de Noé [1929 a.C.n.] et à l'an 87 d'Abraham [1928 a.C.n.], cet Abraham engendra un fils, appelé Ismaël, né de Agar, une de ses servantes ; cet Ismaël alla vivre dans un autre pays. Il prit une épouse, nommée Sara, fille de Zédom, un prince de Chaldée. Sara et Ismaël donnèrent naissance aux Ismaélites, nommés d'après le nom d'Ismaël, aux Agariens, nommés d'après Agar, la mère d'Ismaël, et à une autre nation, les Sarrasins, nommés d'après le nom de Sara. Ces Sarrasins se multiplièrent plus que les deux autres peuples et devinrent très puissants, bien longtemps après l'époque dont je parle ; ce sont eux qui anéantirent les Agariens et les Ismaélites, régnèrent seuls et appelèrent Sarrasins tous ceux qui étaient de leur religion.

 

Tros, Ilus fondateur de la forteresse Ilion, Laomédon et Priam, premiers rois de Troie - Dédale - Les premiers bateaux (475-526 de Joseph = 1292-1241 a.C.n.)

 

[p. 141] Item, quant ly VIe roy de Darmont, qui fut li promirs roy de Troie, qui oit nom Tros, oit regneit XXXVIII ans, puis morut, si fut roy son fis apres luy, qui oit nom Alus, qui regnat XXXII ans. Quant il fut mors, sy regnat son frere Laomedons XII ans, et fut coroneis l'an Joseph IIIIc LXXV.

[p. 141] Quand le sixième roi de Darmant, nommé Tros, qui fut le premier roi de Troie, mourut après trente-huit ans de règne, son fils Ilus lui succéda et régna durant trente-deux ans. Après sa mort, son frère Laomédon régna douze ans ; il fut couronné en l'an 475 de Joseph [1292 a.C.n.].

Al temps ceil roy Laomedons regnat Dandalus, qui fut si subtils ; et apres la mort Laomedon fut roy son fis Alus, qui regnat XXXIX ans.

Au temps de ce roi Laomédon vécut Dédale, qui fut très habile. Après la mort de Laomédon, c'est son fils Ilus qui devint roi et régna trente-neuf ans.

[Les promirs nefs] A son temps furent faites en Gresse les promirs nefs por entreir en mere ; si appellerent les nefs argons portant que Argones les fist ; adont entrarent promirs les Grigois sour mere.

[Les premiers bateaux] À son époque on fabriqua en Grèce les premiers bateaux destinés à prendre la mer, et appelés 'argons' parce que construits par Argonès. Les Grecs furent ainsi les premiers à s'aventurer en mer.

Item, l'an Joseph Vc et XVIII, fondat li roy Alus à Troie une fortereche que ilh apelat Ylion ; et, l'an Vc et XXVI de Joseph, morut ly roy Alus ; si regnat Laomedon son fis apres luy XXVII ans.

En l'an 518 de Joseph [1249 a.C.n.], le roi Ilus fonda à Troie une forteresse qu'il appela Ilion. Il mourut en l'an 526 de Joseph [1241 a.C.n.] ; Laomédon, son fils, lui succéda pendant vingt-huit ans.

[De Priant] Item, en cesti an meismes, oit li roy Laomedon unc fis de Ector sa femme, qui fut apelleis Priant, portant que sa mere s'en delivrat si angossousement en priant à ses dieux qu'ilh ly vosissent aidier.

[Priam] Cette même année, le roi Laomédon eut de sa femme Hector, un fils, qui fut appelé Priam, parce que sa mère le mit au monde dans des circonstances si angoissantes qu'elle pria ses dieux qu'ils veuillent bien l'aider1.

 

1 Rapport pseudo-étymologique entre Priam et prier.

 

Jason détruit Troie, que reconstruit le successeur de Laomédon, le roi Priam - Thyro, père d'Orphée, fonde Tyr et Hercule tue un prince troyen Antée (549-553 de Joseph = 1218-1214 a.C.n.)

 

[p. 141] [De moton al tasson d’or] Item, l'an Joseph Vc et XLIX, montat Jason, I prinche de Gresse, sour mere por conquere le mouton qui avoit le tasson d'or, et arivat por repoiseir en la terre le roy Laomeudon, enssi que dit est par-desus, qui li mandat qu'ilh [p. 142] vuidast son pays ; porquoy la guerre commenchat mult pesant, et costat maintes vies d'hommes.

[p. 141] [Le bélier à la toison d’or] En l'an 549 de Joseph [1218 a.C.n.], Jason, un prince de Grèce, prit la mer pour aller conquérir le bélier qui avait une toison d'or. Comme on l'a raconté plus haut, il fit escale dans le pays du roi Laomédon qui lui ordonna de quitter [p. 142] sa région. Ce fut le début d'une guerre très lourde, qui causa de nombreuses victimes humaines.

Item, l'an Joseph Vc et LIII, passat lidis Jason mere à grant planteit de Grigois et destruite la citeit de Troie, qui avoit ja dureit puis le temps que Darmadis l'avoit fondée jusques adoncques IIc et LXV ans. Et là fut mors ly roy Laomedon.

En l'an 553 de Joseph [1214 a.C.n.], ce Jason traversa la mer avec un grand nombre de Grecs et détruisit la cité de Troie, qui existait déjà, depuis sa fondation par Darmadis, soit depuis deux cent soixante-cinq ans. Là mourut Laomédon.

Apres la mort Laomedon fut coroneis Prians à roy, qui astoit en altre terre enssi que j'ay dit altre fois, et regnat XXXV ans ; et fist Troie redifiier plus belle, plus forte et plus grande qu'elle n'awiet onques esteit, et affranquist tous cheaux qui voroient dedens venir demoreir de tous servaiges, enssi que dit est à commenchement de chi libre.

Après la mort de Laomédon, Priam devint roi ; il était alors dans un autre pays, comme je l'ai dit ailleurs (p. 22), et régna trente-cinq ans. Il fit reconstruire Troie, plus belle, plus forte et plus grande que jamais et il exempta de toute redevance tous ceux qui voudraient venir y habiter, comme cela a été dit au début de ce livre (p. 125, mais à propos du peuplement de Rome).

[Thir] Al temps que ly roy Prians regnoit, fut fondée la citeit de Thir en la terre de Fenix ; si le fondat Thyro li philosophe, qui fut li pere Orpheus le poete, qui fut disciple Museus.

[Tyr] Durant le règne du roi Priam fut fondée la ville de Tyr en terre de Phénicie. Son fondateur était le philosophe Thyro, père du poète Orphée, disciple de Musée.

Item, al temps cely roy Prians, fut la batalhe entre Hercules, qui fut pres enssi fors que Sampson, d'onne part, et Anthemyn, unc prinche de Troie, cuy la forche redoubloit toutes les fois que ilh chaioit à terre ; si oit Hercules victoir, car ilh astoit plus subtilh, si qu'ilh ochist ledit Anthemyn.

Au temps de ce roi Priam eut lieu la bataille entre Hercule, qui était presque aussi fort que Samson, et Antée, un prince de Troie, dont les forces redoublaient chaque fois qu'il touchait la terre. Hercule remporta la victoire, car il était plus habile ; il tua Antée.

 

Évocation succincte de la 'vraie' guerre de Troie et de sa ruine après un siège de dix ans (562-587 de Joseph = 1205-1180 a.C.n.)

 

[p. 142] [De Helaine qui fut ravie] Item, l'an Joseph Vc LXII, fut Helaine ravie par Cuseus le roy d'Athenes ; mains elle fut tantost rescosse par ses II freres Castor et Pollux, II roys de Gresse.

[p. 142] [Le rapt d'Hélène] En l'an 562 de Joseph [1205 a.C.n.], Hélène fut enlevée par Thésée, le roi d'Athènes ; mais elle fut aussitôt délivrée par ses deux frères, les rois de Grèce Castor et Pollux.

Apres chu fut ravie ladit royne Eloyne de part Paris, le fis le roy Priant de Troie, enssi com nos avons desus faite mention ; et fut ravie sor l'an Joseph Vc et LXXVII, et de chu orent les Grigois grant despit, et oussi le fist Paris por à eaux faire despit, de chu qu'ilh avoient destruite Troie et ochis son tayon Laomedon, pere à Priant son pere, par chest ocquison commenchat la grant guerre entres les Grigois et les Troyens, qui ja soy hayoient por les raisons desusdictes.

Après cela, la reine Hélène fut à nouveau enlevée par Pâris, fils du roi Priam de Troie, comme nous l'avons mentionné précédemment (p. 27). Cela se passa en l'an de Joseph 577 [1190 a.C.n.], et les Grecs ressentirent cela comme un grand affront. Pâris avait agi dans cette intention, parce qu'ils avaient détruit Troie et tué son aïeul Laomédon, père de Priam. À cette occasion commença la grande guerre entre Grecs et Troyens, qui déjà se haïssaient pour les raisons précitées.

[La guerre de Troie] Et assemblont les Grigois leurs oust, et vinrent assegier Troie ; et astoit awec eaux Menelaus, li maris Helaine, et durat chis siege X ans tous acomplis.

[La guerre de Troie] Les Grecs assemblèrent leurs armées et assiégèrent Troie. Ménélas, mari d'Hélène, était avec eux. Le siège dura dix années entières.

Item, l'an Joseph Vc et LXXIX, vinrent à Troie les femmes amasonne et ly roy Mennepy de Ethyope sorcorir le roy Prians ; mains tout chu ne valut riens à roy Prians, car tous ses fis, Ector et les altres, furent tous [p. 143] mors, et luy-meismes, et sa citeit vendue et trahiie par ses gens meismes, et fut tout destruite par les Grigois sor l'an del nativiteit Joseph Vc XXXXxx et VII et II mois ; et se soy partirent de là les Grigois, et remynat ly roy Menelaus sa femme Helaine.

En l'an 579 de Joseph [1188 a.C.n.] arrivèrent à Troie les Amazones et le roi Memnon d'Éthiopie pour secourir le roi Priam (p. 26) ; mais tout cela ne l'aida en rien. En effet, tous ses fils, Hector et les autres [p. 143] périrent, ainsi que lui-même. Sa cité, vendue et trahie par ses propres citoyens, fut complètement détruite par les Grecs, en l'an 587 et 2 mois [1180 a.C.n.] de la naissance de Joseph ; quant au roi Ménélas, il ramena chez lui sa femme Hélène.

Or vos avons deviseit tout l'estat de Troie compendieusement, portant qu'ilh en sont fais pluseurs libres en franchois, desqueiles ilh y at unc, qui briefement parolle, qui contient veriteit ; mains tout voie ilh ne faite point de mention de la promier fondation, ne des roys qui regnarent en la citeit, ne des dautes. Portant nos le vos avons deviseit ; car ons truve bien des hystoires qui ne sont point approvéez, qui dient altrement et qui donnent altres noms à cheaux qui y furent, et sont aussi en grandes differenches des dautes et d'aultres chouses pluseurs, si ne sont point à croire.

Nous vous avons raconté toute l'histoire de Troie en la résumant, parce que beaucoup de livres en français l'ont traitée. L'un d'eux en parle brièvement et d'une manière véridique, sans faire mention toutefois ni de la première fondation, ni des rois qui régnèrent dans la cité, ni des dates. C'est pourquoi nous vous en avons parlé. On trouve en effet beaucoup de récits qui ne sont pas fondés, qui donnent une version différente avec d'autres noms pour les participants. Ils diffèrent aussi grandement en matière de dates et sur beaucoup d'autres choses, impossibles à croire.

Or est raison que je me taise de chu, se die et revengne-je à ma mateire que je ay unc pou entrelassiet por chascon plus plainement enfourmeir de chu que j'ay deseur dit, c'on doit oyr volentier.

Il convient maintenant que j'abandonne ce sujet pour revenir à ma matière, que j'ai un peu interrompue pour informer chacun plus complètement de ce que j'ai dit ci-dessus et qu'on doit avoir plaisir à entendre.

 

 


 

 B. geste de Clétus et Franbal (suite et fin) - Divers, dont la Syrie et la Judée (avec les Maccabées) [Myreur, p. 143b-149a]

 

Ans 402-417 de la transmigration = 187-172 a.C.n.

 

Introduction [sommaire] [texte]

Après ces digressions construites sur le comput de Joseph et traduisant un changement de sources, Jean revient à la « Geste de Clétus et de Franbal ».

Franbal, le roi latin, est tué, son épouse Alexandrine le suit dans la mort et leur fils Jobal, est désigné par le duc de Gaule Clétus comme roi des Latins. L'implication des Athéniens va compliquer encore les choses. En effet l'Alexandre tué en combat singulier par Franbal n'était pas seulement un sénateur romain, mais aussi le fils du roi d'Athènes. Dès lors, le roi des Athéniens, nommé Agilfo, vient soutenir les Romains assiégés dans leur ville par les Gaulois. Mais à l'Orient, profitant de l'absence du roi d'Athènes, le roi de Grèce nommé Synastor, s'est emparé d'Athènes et y a installé son propre fils comme roi. Jean considère donc les Athéniens et les Grecs - ceux de Constantinople (cfr p. 253) - comme deux peuples différents et antagonistes. Vu le contrôle exercé désormais par le roi de Grèce sur Athènes, les deux peuples, les Athéniens et les Grecs, vont momentanément se trouver réunis et entraînés ensemble dans les guerres que se livrent en Occident les Romains d'un côté, les Gaulois et les Latins de l'autre.

Quoi qu'il en soit, le Gaulois Clétus s'empare de Rome et y installe comme gouverneurs ses deux fils, Alexandre et Flandrin. Mais, après neuf ans de règne, ceux-ci sont assassinés par les Romains, sans que Franco, le troisième fils et successeur de Clétus, n'ose intervenir pour les venger. Les Romains sont maintenant libérés, mais ils n'osent plus exiger un tribut des Gaulois.

La narration centrale est interrompue par quelques digressions secondaires, de simples notices portant sur d'autres événements : successions, guerres, spoliations de territoires, dans différentes régions (Syrie, Danemark, Zélande, Hollande, Hongrie, Égypte, Israël).

Faut-il préciser que, comme dans les épisodes précédents, le récit mettant en oeuvre Franbal, Clétus et ses fils, le roi d'Athènes et le roi de Grèce entraîne le lecteur dans un monde fort éloigné de l'histoire de l'antiquité ? Pour ne citer qu'un seul détail, Rome n'a jamais été prise ni administrée par les Gaulois pendant neuf ans ! Ces événements sont inventés. On est ici essentiellement dans l'épopée. Le genre de la chronique n'a pas complètement disparu, mais n'est plus présent que sporadiquement. On l'a dit plus haut : on croirait se trouver devant un avatar tardif du genre de la « Chanson de geste ».

La présente section introduit aussi, sans y insister, une période importante dans l'histoire de la Judée, qui va devoir affonter avec les Maccabées la puissance des Séleucides. Pour bien situer les choses, il faut rappeler que cette dynastie règne sur une vaste partie de l'énorme empire d'Alexandre, démembré après la mort du conquérant, en l'espèce l'Asie Mineure, la Syrie, la Mésopotamie et les régions orientales de l'ancien empire d'Alexandre. Elle est au pouvoir de 312 aux environs de 64-63 avant notre ère, date à laquelle Pompée refusera de rétablir Antiochus XI qui avait été chassé par les habitants d'Antioche. À la période hellénistique, la Judée fait partie de cet empire séleucide. Sous les premiers rois, les choses se passent sans problèmes, mais l'accession au trône d'Antiochus IV Épiphane, en 172 a.C.n. selon Jean (en 175 avant notre ère, dans notre comput moderne), va modifier profondément la donne. En effet le nouveau roi veut helléniser la Judée et notamment transformer Jérusalem en une cité grecque, avec l'appui, semble-t-il, d'une partie de l'élite juive. Ces innovations, dont certaines ont des conséquences religieuses, effraient le peuple et les milieux intégristes, ce qui provoque en 169 avant notre ère une véritable insurrection populaire « d'hommes pieux », dont le chef le plus connu est Judas Maccabée, fils du prêtre Matathias, entouré de ses frères. Le roi séleucide envoie des troupes et interdit aux Juifs de pratiquer leur religion. Une profanation du Temple par des sacrifices païens aggrave encore la situation, mais ni les révoltés ni les troupes royales n'emportent la décision. Même la reconquête du Temple par les révoltés (décembre 165 avant notre ère) ne met pas fin à une guerre qui ne se terminera pas avec la mort d'Antiochus IV en 164 avant notre ère, mais se prolongera sous ses successeurs : d'abord sous Antiochus V Eupator, son fils encore enfant et son tout puissant ministre Lysias, puis sous Démétrius I Sôter. L'histoire des Maccabées se retrouvera plus loin, morcelée dans diverses notices (notamment p. 149, p. 153, p. 160-161, p. 163).

Cette période de l'histoire juive se trouve développée dans les sources juives (Ier et IIème Livres des Maccabées) ainsi que chez Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XII, 6-11 à XIII, 1-7 ; et Guerre des Juifs, I, 1-2.

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Sommaire

Les Romains, apprenant l'arrivée de Franbal et de Clétus, attendent à l'extérieur de la cité leurs assaillants épuisés par leur marche - Éclate alors une bataille épique, longue, acharnée et meurtrière pour les deux camps, dans laquelle se distinguent Clétus et Franbal, et qui ne prend fin qu'avec la nuit - Franbal est tué (402 de la transmigration = 187 a.C.n.)

* Franbal, à qui sont rendus les honneurs funèbres, est suivi dans la mort par sa veuve Alexandrine, tandis que Clétus de Gaule désigne leur fils Jobal comme roi des Latins

Les Sicambres, après avoir longtemps assiégé Rome sans pouvoir la conquérir, se retirent provisoirement, dévastant le territoire des Romains (Milan, Pavie, Brindes) pendant six ans

Digression : En Syrie, Séleucus IV Philopator succède à son père Antiochus III Mégas - Le roi Négel de Danemark part attaquer le roi Ébronus de Hongrie, pour lui enlever la Bulgarie - Lidrionel, comte de Flandre, profite de l'absence de Négel pour le spolier de la Zélande et de la Hollande - Mais Négel, rentré au Danemark, reconquiert très vite les territoires perdus, avant de repartir combattre les Hongrois - Négel est finalement vaincu et tué par le roi Ébronus de Hongrie - Les Danois se retirent et prennent pour roi Anténor, le fils de Négel (404-408 de la transmigration = 185-181 a.C.n.)

Clétus assiégeant à nouveau Rome, Agilfo, le roi des Athéniens, vient au secours des Romains à leur demande - Synastor, le roi de Grèce, profite de son départ pour s'emparer d'Athènes et y installer son propre fils Poléno comme roi (408 de la transmigration = 181 a.C.n.)

Clétus s'empare de Rome par la ruse et après une bataille sanglante - Il confie la direction de la ville à ses deux fils, Alexandre et Flandrin, assistés de sages conseillers gaulois (410 de la transmigration = 179 a.C.n.)

Digression : Successions et événements divers (Égypte, Stace et Milan, Flandre, Danemark, Hongrie, pays des Latins) - En Syrie, accession au trône d'Antiochus IV Épiphane, dont la politique en Judée provoque la réaction des Macchabées (411-417 de la transmigration = 178-172 a.C.n.)

À la mort de Clétus, Franco, son fils cadet, devient duc de Gaule, tandis que les Romains relèvent la tête et assassinent Alexandre et Flandrin, qui avaient dirigé Rome pendant neuf ans - Une crainte réciproque empêche Franco de venger ses frères et les Romains d'exiger un tribut des Gaulois (418-419 de la transmigration = 171-170 a.C.n.)

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Les Romains, apprenant l'arrivée de Franbal et de Clétus, attendent à l'extérieur de la cité leurs assaillants épuisés par leur marche - Éclate alors une bataille épique, longue, acharnée et meurtrière pour les deux camps, dans laquelle se distinguent Clétus et Franbal, et qui ne prend fin qu'avec la nuit - Franbal est tué (402 de la transmigration = 187 a.C.n.)

 

[p. 143] [Romme fut assies] Puisque je doy revenir à ma droit matere, dont vos voray parleir de roy Franbal des Latins et de duc Cletus de Galle, qui ont assembleit grant gens et se sont mis à chemyn, et ont tant esploitiet que ilh ont assiés Romme à cent et LXm hommes, de quoy les Romans furent mult esmaiés ; mains ly uns des senateurs, qui oit à nom Aristo, les conselhat que ilh yssent de la citeit à chu de gens qu'ilh avoient, et corissent sus les gens dehours tant qu'ilh sont lasseis et travelhiés de chemyneir. Et enssi fut-ilh fais ; car ilh issirent fours de la citeit à LXm hommes, et ly remanans demorat en la citeit par lée à gardeir.

[p. 143] [Rome assiégée] Puisque je dois revenir à ma matière, je voudrais vous parler du roi Franbal des Latins et du duc Clétus de Gaule, qui rassemblèrent d'immenses troupes, se mirent en route et réussirent l'exploit d'assiéger Rome avec cent quarante mille hommes, ce qui accabla beaucoup les Romains (p. 138). Mais l'un des sénateurs, Aristo, conseilla de sortir de la cité avec les hommes disponibles et d'affronter à l'extérieur les assaillants, fatigués et éprouvés par leur longue marche. Et c'est ce qu'on fit. Les Romains sortirent avec soixante mille hommes, confiant aux autres la garde de la cité.

Quant les Sycambiens veirent les Romans, si sont tantost armeis et rengiés, et ordinarent III batalhes : ly roy Franbal guyat la promier à LXm hommes, la seconde guyat Jobal, fis à roy Franbal, à LXm hommes, et li dus Cletus de Galle guyat le tirche à XLm hommes. Quant ilhs furent enssi ordineis, si assemblarent les batalhes aux Romans, et soy corurent sus d'ambedois pars ; là oit mains nobles barons reverseis et ochis d'onne part et de l'autre ; et fut le secon jour d'avrilh l'an del transmigration de Babylone IIIIc et II.

Quand les Sicambres aperçurent les Romains, ils s'armèrent aussitôt, se mirent en rangs et organisèrent trois groupes de combat. Le roi Franbal mena le premier, avec soixante mille hommes ; Jobal, fils du roi Franbal (p. 128), mena le deuxième avec soixante mille hommes, et le duc Clétus de Gaule dirigea le troisième avec quarante mille hommes. Une fois rangés, les groupes rencontrèrent les Romains et les deux camps s'affrontèrent. De part et d'autre de nombreux nobles barons furent renversés et tués. Cela se passa le 2 avril de l'an 402 [187 a.C.n.] de la transmigration de Babylone.

[Batalhe] Là oit fort batalhe, et si ne durat mie unc pou, car elle commenchat enssi com à heure de prime, et ne falit jusqu'à soleal cuchant que la nuit les departit. Les Romans soy combatirent mult bien, car les aultres astoient travelhiés mult tres-fort, et en orent les Romans le melheur jusqu'à heure de none car toudis leur venoit gens, et ochirent bien XXm des leurs anemis ; mains, quant les Sycambiens veirent [p. 144] chu, ilhs escriarent Galle, et furent si repoiseis de grant coroche, que ilh ne sentirent nulle travalhe, car ilh avoient gens mult virtueux. Atant s'asemblarent jusqu'à XLm tout en unc tasse, et assalhirent les Romans par si grant ahir, qu'ilh les fisent recouleir plus d'onc bonir de terre, et si en abatirent bien XXm et plus, qui tous furent mors à grant doleur.

[Bataille] Une grande bataille s'y déroula. Elle dura longtemps, car elle commença vers la première heure et ne s'arrêta pas avant le coucher du soleil, quand la nuit sépara les combattants. Les Romains étaient excellents. Ils malmenèrent violemment leurs adversaires et l'emportèrent jusqu'à la neuvième heure, car des renforts leur arrivaient sans cesse : ils tuèrent au moins vingt mille de leurs ennemis. Mais quand les Sicambres virent [p. 144] cela, ils s'écrièrent 'Gaule' et furent remplis d'un si grand courage qu'ils ne sentirent plus aucun accablement : ils étaient très valeureux. Ils firent alors bloc tous ensemble et attaquèrent les Romains avec une telle ardeur qu'ils les obligèrent à reculer de plus d'un bonnier. Ils en abattirent plus de vingt mille qui moururent tous dans de grandes souffrances.

Quant les Romans sentirent teile forche, si furent mult esbahis ; nientmoins ilhs soy defendirent mult gentilhement, qui riens ne leur valoit, car les Sycambiens les ochioient mult asprement, dont ly dus Cletus et li roy Franbal avoient grant joie à leurs cuers ; si escriat adont cascon son ensengne, et se ferirent en l'estour. Ly dus Cletus ferit I senateur, qui oit à nom Gayus, par teile virtut que ilh le fendit jusques en pis ; puis at ochis I altre senateur, qui oit nom Parcheval, et pluseurs chevaliers awec.

Pareil déchaînement de force surprit beaucoup les Romains. Ils se défendirent néanmoins avec un grand courage, mais cela ne servit à rien, car les Sicambres les massacraient avec acharnement, ce qui réjouissait beaucoup le coeur du duc Clétus et celui du roi Franbal. Tous deux lancèrent alors leur cri de ralliement et se portèrent dans la mêlée. Le duc Clétus frappa un sénateur, nommé Gaius, avec une telle force qu'il le fendit jusqu'à la poitrine ; puis il en tua un autre, appelé Perceval, ainsi que de nombreux chevaliers.

[Ly roy Franbal est ochis] Et ly roy Franbal, chis ochioit les Romans à teile randon que ch'astoit mervelhe à veioir. Quant les Romans veirent l'estat de roy Franbal, qui astoit vesture de sable à unc lupar d'or, se le conurent bien que chu astoit chis por cuy la guerre venoit ; si l'encloirent et ly lancharent dars et espirs tant qu'ilh l'ont abatut et ochis, anchois qu'ilh fust apercheus de ses gens.

[Le roi Franbal est tué] Le roi Franbal tuait des Romains avec une telle rapidité que c'était prodigieux à voir. Quand les Romains aperçurent la tenue du roi Franbal, un vêtement de zibeline avec un léopard d'or, ils reconnurent en lui le responsable de la guerre. Ils l'encerclèrent, lui lancèrent piques et épieux, le terrassèrent et le tuèrent avant même que ses hommes ne se rendent compte de ce qui se passait.

Puis se soy reforchat la batalhe, car les Romans reprisent cuers en eaux et corurent sus leurs anemis ; mains quant les Sycambiens aperchurent leur firteit, si en orent grand despit, et se sont ferus entre eaux par teile virtut qu’ilh en abatirent tant que li champs en fut tous coviers.

La bataille alors se fit plus âpre : les Romains reprirent confiance en eux et coururent sus à leurs ennemis. Constatant leur fermeté, les Sicambres, piqués au vif, combattirent contre eux avec tant de courage qu'ils en tuèrent tellement que le champ de bataille fut entièrement couvert de cadavres.

Et là fuissent tous les Romans ochis quant la nuit les departit, si que ilh sont en la citeit rentreis ; mains des LXm qu'ilh furent des Romans, ne n'est pais rentreis en la citeit XXm hommes : tous ly remanans astoit ochis. Aussi avoient bien perdus les Latins XXm hommes, et leur roy awec ; mains des Sycambiens ne fut mors que VIIc et XL hommes.

Tous les Romains auraient été tués si la nuit ne les avait contraints à partir. Ils retournèrent dans la cité, mais des quarante mille combattants romains, seuls vingt mille rentrèrent : tous les autres étaient morts. Les Latins avaient aussi perdu au moins vingt mille hommes ainsi que leur roi. Mais, du côté des Sicambres, seulement sept cent quarante hommes perdirent la vie.

 

Franbal, à qui sont rendus les honneurs funèbres, est suivi dans la mort par sa veuve Alexandrine, tandis que Clétus de Gaule désigne leur fils Jobal comme roi des Latins

 

[p. 144] Enssi fut la batalhe departie. Si furent les Sycambiens mult dolans de roy Franbal, qui mors astoit ; si en fisent mult grant deul tout la nuit jusques al jour, et lendemain ilh le fisent quere par la batalhe ; et, quant ilh fut troveis, si l'ont enbaisemeit, quant ilh orent sa [p. 145] coralhe ostée fours de son ventre. Quant ilh orent tout chu fait, li dus Cletus de Galle prist la coronne, et coronnat son fis Jobal à roy des Latins, qui astoit fis de sa soreur Alexandrine, que ly roy Franbal avoit oyut à femme et encor viscoit.

[p. 144] Ainsi se déroula la bataille. Fort affectés par la mort du roi Franbal, les Sicambres firent très grand deuil durant toute la nuit jusqu'au lever du jour. Le lendemain ils le recherchèrent sur le champ de bataille et, quand ils l'eurent trouvé, ils l'embaumèrent après lui avoir retiré [p. 145] les viscères. Quand cela fut fait, le duc Clétus de Gaule prit la couronne et couronna comme roi des Latins Jobal, le fils de sa soeur Alexandrine. Elle avait été l'épouse du roi Franbal et vivait toujours.

 Chis roy Jobal regnat XII ans, et fut bon chevalier, et soy fist de ses gens mult ameir. Apres chu fist ly roy Jobal par XL de ses chevaliers raporteir le corps de son pere en son pays, et là fut-ilh honorablement ensevelis en temple Venus, enssi qu'ilh afferoit à luy ; mains, quant la royne Alexandrine veit son saingnour mors, si pasmat dois fois sour ly, et à la tirche fois morut-elle ; se fut ensevelie deleis le roy son marit, et fais leur service solonc leur loy que ilh tenoient adont, car ilh estoient Sarasins, si creioient en diverses ydolles. A cel temps n'avoit en monde que Juys et Sarasins : car ch'astoit devant l'incarnation Nostre-Seigneur.

 Ce roi Jobal régna douze ans : ce fut un bon chevalier, qui se fit beaucoup aimer de ses sujets. Le roi Jobal fit ramener le corps de son père dans son pays par quarante de ses chevaliers : il y fut enseveli dans le temple de Vénus avec les honneurs qui lui revenaient. Quand elle vit son seigneur mort, la reine Alexandrine se pâma par deux fois sur lui et, la troisième fois, elle mourut. Elle fut ensevelie près de son époux, et la cérémonie funèbre se déroula selon la religion alors en vigueur, car ils étaient Sarrasins et croyaient en plusieurs dieux. À cette époque le monde ne comptait que des Juifs et des Païens : c'était avant l'Incarnation de Notre-Seigneur.

 

Les Sicambres, après avoir longtemps assiégé Rome sans pouvoir la conquérir, se retirent provisoirement et dévastent le territoire des Romains (Milan, Pavie, Brindes) durant six années

 

[p. 145] [Les Sycambiens sont departis de siège] Or vos diray de cheaux qui sont devant Romme la citeit, qui assalhent par jour et par nuit à forche et à poioir, et les Romans soy defendent noblement.

[p. 145] [Les Sicambres abandonnent le siège] Je vous parlerai maintenant des Sicambres restés devant la cité de Rome, attaquant jour et nuit, avec force et puissance, les Romains qui se défendent avec courage.

Enssi demorat li siege mult longement que les Sycambiens ne porent la citeit avoir ne emperier ; se prisent une conselhe entre eaux que ilh leiront le siege et yroient destruire tout le pays de Romenie, puis revenroient al siege. Et adont sont departis de siege. Si s'en vont par tout le pays de Romenie, et ont tout destruite les citeis Melan et Pavie et pluseurs altres, awec grant partie des casteals et de fortes mansons ; puis commencharent à destruire d'aultre costeit jusques à la mere de Brandis, et misent à chu à destruire l'espausse de VI ans.

Le siège dura très longtemps mais les Sicambres ne purent pas prendre le contrôle de la cité. Ils délibérèrent alors entre eux et décidèrent de lever le siège, d'aller dévaster tout le territoire romain, puis de revenir reprendre leur siège. Alors ils se rendirent dans tout le territoire des Romains, où ils détruisirent complètement les cités de Milan, de Pavie et beaucoup d'autres, ainsi qu'une grande partie des châteaux et des demeures fortifiées. Puis ils se mirent à dévaster une autre partie du pays, jusqu'à la mer de Brindes, et cela pendant une durée de six ans.

 

Digression : En Syrie, Séleucus IV Philopator succède à son père Antiochus III Megas - Le roi Négel de Danemark part attaquer le roi Ébronus de Hongrie, pour lui enlever la Bulgarie - Lidrionel, comte de Flandre, profite de l'absence de Négel pour le spolier de la Zélande et de la Hollande - Mais Négel, rentré au Danemark, reconquiert très vite les territoires perdus, avant de repartir combattre les Hongrois - Négel est finalement vaincu et tué par le roi Ébronus de Hongrie - Les Danois se retirent et prennent pour roi Anténor, le fils de Négel (404-408 de la transmigration = 185-181 a.C.n.)

 

[p. 145] Item, l'an del transmigration de Babylone IIIIc et IIII, morut li gran Anthyocus, ly roy de Surie ; si regnat apres son anneis fis Sileucius XII ans.

[p. 145] En l'an 404 [185 a.C.n.] de la transmigration de Babylone mourut Antiochus le Grand, roi de Syrie [Antiochus III Megas] ; son fils aîné Séleucus [IV Philopator] lui succéda et régna douze ans.

[De Negel et Ebronus] Item, l'an IIIIc et V, oit grant batalhe et orrible entre les Hongrois et les Danois, por le raison de chu que li roy Negel de Dannemarche voloit avoir la terre de Bulgarie, que ly roy de Hongrie Ebronus tenoit. Si fut celle batalhe en septembre, et Negel fut desconfis ; sy perdit grant partie de ses gens. Adont enforchat mult leur guerre, et jurat cascons des dois roys que tant qu'ilh seroit en vie ly aultre ne seroit en pais, et ne faroient de guerre.

[Négel et Ébronus] En l'an 405 [184 a.C.n.], une grande bataille opposa les Hongrois et les Danois, parce que le roi Négel de Danemark voulait s'emparer du territoire de Bulgarie, détenu par le roi de Hongrie Ébronus. Cette bataille eut lieu en septembre, et Négel fut défait ; il perdit une grande partie de ses hommes. Cela renforça beaucoup l'hostilité entre les deux rois : ils jurèrent chacun qu'aussi longtemps qu'ils seraient en vie, l'autre ne serait pas en paix, et qu'ils se feraient la guerre.

Quant Lydrionel, ly promier [p. 146] conte de Flandre, soit la certain raison de la guerre des Hongrois et Danois, si assemblat ses gens et menat son oust en leur pays, et conquist sor le roy de Dannemarche la terre de Holande et Zelande, et y mist dedens ses gens por gardeir, et puis revient en son pays ; et chu fut sor l'an IIIIc et VI.

Quand Lidrionel, le premier [p. 146] comte de Flandre (p. 138), connut la vraie raison de la guerre entre Hongrois et Danois, il rassembla ses troupes et emmena son armée au Danemark, enleva au roi les terres de Hollande et de Zélande, y plaça certains de ses gens pour les garder, puis revint en son pays. C'était en 406 [183 a.C.n.].

Mains, quant ly conte fut revenus en Flandre, et ly roy de Dannemarche en soit la veriteit comment ilh ly avoit son pays robeit, ilh assemblat ses oust, et reconquist tout la terre de Holande et de Zelande, et fist copeir les chiefs de tous les Flamens que ly conte Lydrionel y avoit mis.

Une fois le comte rentré en Flandre, le roi de Danemark apprit la vérité sur la façon dont on l'avait spolié de son pays. Il rassembla ses armées, reconquit entièrement la Hollande et la Zélande, et fit décapiter tous les Flamands qu'y avait installés le comte Lidrionel.

Apres chu que ly roy Negel oit reconquis sa terre, si commenchat fortement à chevalchier sor le roy hongrois et ardre son pays ; mains, quant Ebronus le soit, si vient contre luy à mult grant gens, et s'encontrarent en Pannonie, où ilh faisoit les gens morir à grant dolour.

Après avoir repris ses terres, le roi Négel lança une expédition à cheval contre le roi hongrois dont il incendia le pays. Quand Ébronus l'apprit, il marcha contre lui avec de nombreuses troupes. ils se rencontrèrent en Pannonie [une région de Hongrie], où Négel faisait mourir les gens dans de grandes souffrances.

Mains quant les II roys s'aprocharent, cascons at fait armeir ses gens et se sont sus corus. Là commenchat mult grant batalhe ; mains les Hongrois avoient plus grans gens que les Danois ; si furent les Danois desconfis, et fut li roy Negel ochis par Ebrok, le fis le roy hongrois, qui ly colpat le chief.

Quand ils furent proches l'un de l'autre, les deux rois firent chacun armer leurs gens et s'affrontèrent. Commença alors une très grande bataille. Mais les Hongrois avaient plus d'effectifs que les Danois et le roi Négel fut tué par Ébroch, le fils du roi hongrois, qui lui coupa la tête.

Quant les Danois veirent le grant encombrier, si soy misent al fuir dedens leur pays et quant ilh vinrent à Malgarnie, si coronont à roy de Danemarche Anthenoir qui fut li fis le roy Negel, qui fut ly Ve roy des Danois et regnat XXX ans.

Devant pareil désastre, les Danois s'enfuirent vers leur pays et, une fois arrivés à Malgarnie, ils couronnèrent comme roi de Danemark le fils de Négel, Anténor. Celui-ci devint le cinquième roi de Danemark et régna durant trente ans.

Et cel batalhe où li roy Negel fut ochis, fut en may sor l'an IIIIc et VIII.

La bataille où fut tué le roi Négel eut lieu en mai de l'an 408 [181 a.C.n.].

 

Clétus assiégeant à nouveau Rome, Agilfo, le roi des Athéniens, vient au secours des Romains suite à leur demande - Le roi de Grèce Synastor profite de son départ pour s'emparer d'Athènes et y installer son propre fils comme roi (408 de la transmigration = 181 a.C.n.)

 

[p. 146] [Les Sycambiens revenus par-devant Romme] Item, en cel an meisme revinrent les Sycambiens par-devant Romme, qui par VII ans avoient destruite le pays de Romenie ; et quant les Romans veirent chu, si envoiarent I chevalier en Athennes à roy Agilfo, qui novellement astoit coroneis, qu'ilh les vowist aidier encontre les Sycambiens qui les avoient assegiés.

[p. 146] [Les Sicambres reviennent devant Rome] En cette même année [181 a.C.n.], les Sicambres revinrent devant Rome, après avoir, durant sept ans, dévasté le pays des Romains (p. 145). Voyant cela, les Romains envoyèrent un chevalier à Athènes, chez le roi Agilfo, récemment couronné, pour lui demander son aide contre les Sicambres.

Quant li roy fut informeis, si assemblat ses oust et vient à Romme, et aidat les Romans defendre leur citeit encontre les Sycambiens qui les avoient assegiés, et y amenat XLm hommes ; mains ilh ly venist mies qu'ilh awist gardeit son pays, car ly roy de Gresse l'avoit longement guerroiet, qui grandement le haioit.

Informé, Agilfo rassembla ses armées et se rendit à Rome pour aider les Romains à se défendre ; il amenait avec lui quarante mille hommes. En fait mieux eût valu pour lui rester et défendre son pays, car il avait un ennemi qui lui avait longtemps fait la guerre et qui le détestait fortement, en la personne de Synastor, le roi de Grèce.

Se li fut dit que ly roy Agilfo astoit aleis à Romme por sorcorir les Romans contre Cletus, le duc de Galle. De chu fut ly roy Synastor de Gresse mult [p. 147] joians ; si assemblat Cm hommes et montat sour mere, et vient en Athennes ; se le conquestat tantost, et tout le pays tout entour, puis en fist roy son fis, qui oit nom Poleno. Si fist toutes les gens de pays faire à ly homaige et seriment, et puis en ralat en Gresse.

Quand ce Synastor apprit que le roi Agilfo était parti à Rome pour soutenir les Romains contre le duc de Gaule Clétus, il [p. 147] s'en réjouit beaucoup. Il rassembla cent mille hommes, prit la mer et se rendit à Athènes. Il s'en empara aussitôt ainsi que de tout le pays environnant, puis installa son fils, Poléno, comme roi d'Athènes. Il força tous les habitants du pays à rendre hommage et à prêter serment à son fils, puis retourna en Grèce.

 

Clétus s'empare de Rome par la ruse après une bataille sanglante - Il confie la direction de la ville à ses deux fils, Alexandre et Flandrin, assistés de sages conseillers gaulois (410 de la transmigration = 179 a.C.n.)

 

[p. 147] [Romme fut conquestée] Et les Sycambiens qui astoient devant Romme assalhoient tous les jours la citeit, et se ne le poloient empeirier. Si avient que li dus Cletus se fist par nuit mettre par une scaile en la citeit. Et, quant ilh fut dedens, ilh escriat ses gens, et tous cheaux qui devoient la citeit gardeir l'assalhirent ; et ilh soy defendoit si fortement, que ilh astoient tous encombreis entour luy.

[p. 147] [Rome est conquise] Les Sicambres qui se trouvaient devant Rome lançaient tous les jours des assauts contre la ville, sans réussir à s'en emparer. Un jour, le duc Clétus s'introduisit dans la cité pendant la nuit, à l'aide d'une échelle. Quand il fut à l'intérieur, il cria pour appeler ses gens. Les gardiens de la cité l'attaquèrent, mais il se défendit avec tant de force qu'il les retenait tous bloqués autour de lui.

Et enssi qu'ilh soy combatoit, tous les Sycambiens montarent dedens la citeit, puis escriont : trahis, trahis. Atant ont crieis aux armes par tout la citeit, et ilh soy sont armeis ; mains chu ne leur valut, car ilh furent sopris ; si en furent mors et ochis LXm et les aultres s'enfuirent fours de la citeit. Enssi fut Romme conquestée par les Sycambiens qui tant astoient virtueux ; et acquisent là grant honeur l'an IIIIc et X en awoust.

Tandis qu'il se battait, les Sicambres lancèrent l'assaut aux cris de : 'Trahison', 'Trahison'. Les Romains crièrent 'Aux armes' dans toute la ville et s'armèrent. Mais cela ne leur réussit pas, car ils furent surpris : soixante mille hommes périrent tués ; les autres s'enfuirent de la cité. C'est ainsi que Rome fut conquise par les Sicambres, si valeureux qu'ils acquirent là une grande gloire, en août de l'an 410 [179 a.C.n.].

Adont ly dus Cletus donnat Rome et tout l'avoir awec et la sangnorie à ses dois anneis fis, assavoir Alixandre et Flandrins, et les laissat deleis eaux mult de ses gens de Galle et de ses saiges prinches, por eaux aconselhier, et puis soy partit, et en ralat en son pays.

Alors le duc Clétus attribua Rome, ses richesses et le gouvernement de la ville à ses deux fils aînés, Alexandre et Flandrin. Il laissa auprès d'eux comme conseillers nombre de Gaulois et de princes sages ; puis il repartit dans son pays.

Item sachiés que les senateurs et consules, qui s'en astoient enfuis, n'osoient revenir por le doblanche de duc Cletus, qui ont paour qu'ilh ne revenist Romme assegier, s'ilh avoient ses enfans hours buteis et ochis.

Sachez aussi que les sénateurs et les consuls qui s'étaient enfuis n'osaient pas revenir : ils craignaient que le duc Clétus ne revienne assiéger Rome, s'ils chassaient ses enfants de la ville et les tuaient.

 

Digression : Successions et événements divers (Égypte, Stace et Milan, Flandre, Danemark, Hongrie, pays des Latins) - En Syrie, accession au trône d'Antiochus IV Épiphane, dont la politique religieuse en Judée provoque la réaction des Maccabées (411-417 de la transmigration = 178-172 a.C.n.)

 

[p. 147] Item, l'an IIIIc et XI, morut ly Ve Pholomes d'Egipte. Si regnat apres son fis Salmon XXXVI ans, et fut apeleis li VIe Pholomes.

[p. 147] En l'an 411 [178 a.C.n.] mourut Ptolémée V d'Égypte. Son fils Salmon régna après lui pendant trente-six ans, sous le nom de Ptolémée VI.

[De Statius le poete] A cel temps regnoit I poete en Galle, qui oit nom Statius, et fut chis Statius en grant auctoriteit à Melan en Lombardie. Et fut ladit citeit refait par son conselhe qui devant avoit esteit destruit par les Sycambiens, et ilh morut el dit citeit.

[Le poète Stace] À cette époque vivait en Gaule un poète, nommé Stace. Il jouit d'une grande autorité à Milan, en Lombardie. C'est sur ses conseils que fut reconstruite cette cité qu'avaient détruite les Sicambres ; il mourut dans cette ville.

Item, l'an IIIIc et XII, morut Lydrionel, li promier conte de Flandre, qui avoit regneit XIIII ans.

En l'an 412 [177 a.C.n.] mourut Lidrionel, le premier comte de Flandre, après un règne de quatorze ans.

A cel temps fisent pais les II roys de Danemarche et de Hongrie, par teile condition que ly roy hongrois oit Bulgarie, et ilh donat lettres à roy Danois que ilh le tenroit de luy tout sa vie et tous ses heures successeurs [p. 148] apres luy en tregut, et le doit servir à cent homines tout fois qu'ilh en auroit mestier, et awec chu cascon an cent besan d'or.

À cette époque, les rois de Danemark et de Hongrie firent la paix aux conditions suivantes : le roi de Hongrie aurait la Bulgarie et donnerait des lettres au roi du Danemark reconnaissant que le roi de Hongrie, durant toute sa vie et celle de ses héritiers, tiendrait la Bulgarie du roi du Danemark [p. 148] que la Bulgarie serait soumise au tribut, qu'elle devrait fournir au roi du Danemark cent hommes chaque fois qu'il en aurait besoin et en outre lui payer chaque année cent besants d'or.

Item, l'an IIIIc XIIII, morut ly roy Jobal, si regnat apres son fis Invidus XXIIII ans.

En l'an 414 [175 a.C.n.] mourut Jobal roi [des Latins] ; son fils Invidus régna après lui pendant vingt-quatre ans.

Item, l'an IIIIc et XV, furent rebelles ches d'Athennes à leur noveal roy ; se les fist colpeir les chiefs tous cheaux qui avoient esteit de celle conselhe. Si vinrent les aultres à merchi.

En l'an 415 [174 a.C.n.], les habitants d'Athènes se rebellèrent contre leur nouveau roi ; celui-ci fit décapiter tous ceux qui avaient participé à la rebellion. Les autres vinrent demander grâce.

Item, l'an IIIIc et XVII, morut Sileucius, ly roy d'Asie et de Surie ; si regnat apres luy Anthiocus, son frere, qui avoit esteit à Romme en ostaige, enssi que dit est par deseur ; si regnat XI ans.

En l'an 417 [172 a.C.n.] mourut Séleucus [IV Philopator], le roi d'Asie et de Syrie. Antiochus [IV Épiphane], son frère, devint roi. C'est lui qui avait été envoyé à Rome en otage, comme on l'a dit plus haut (p. 130). Il régna pendant onze ans.

[Anthiocus li malvais] Chis Anthiocus fut mult crueux envers les Juys, et se mist sovent grant paine de leur loy à destruire, et fist metre en temple Salmon ydolles, et les commandat qu'ilh les adorassent, et que ilh ne fesissent sacrifices ne oblations altres dieux, et qu'ilh mangnassent les viandes qui les astoient defendues en la loy, et les commandat qu'ilh ovrassent en jour de Sabath ; et, qui ne le voloit faire, chis fust tantost ochis.

[Antiochus le mauvais] Cet Antiochus [IV Épiphane] fut très cruel envers les Juifs et s'acharna souvent contre leur loi. Il fit mettre des statues dans le temple de Salomon et ordonna aux Juifs de les adorer et de ne faire des sacrifices et des offrandes à aucun autre dieu. Il leur ordonna aussi de manger des aliments qui leur étaient interdits par leur religion et de travailler le jour du Sabbat. Celui qui refusait était aussitôt mis à mort.

[De VII freres martirs] Adont furent martirisiés les VII freres Machabeiiens, dont Sainte-Engliese faite la fieste le promier jour de mois d'awost, car à chi jour ilhs furent martirisiiés.

[Les VII frères martyrs] C'est alors que furent martyrisés les sept frères Maccabées, dont la Sainte-Église célèbre la fête le premier jour du mois d'août : ils furent martyrisés ce jour-là.

 

À la mort de Clétus, Franco, son fils cadet, devient duc de Gaule, tandis que les Romains relèvent la tête et assassinent Alexandre et Flandrin, qui avaient dirigé Rome pendant neuf ans - Une crainte réciproque empêche Franco de venger ses frères et les Romains d'exiger un tribut des Gaulois (418-419 de la transmigration = 171-170 a.C.n.)

 

[p. 148] Item, l'an IIIIc et XVIII en fevrier, morut ly valhan dus Cletus de Galle, qui sa terre avoit tenut si franche, enssi com dit est. Apres Cletus, regnat son fis li plus jovenes, qui fut nomeis Franco, car les II altres astoient regnant à Romme, enssi que dit est. Chis Franco regnat LIII ans.

[p. 148] En l'an 418 [171 a.C.n.], en février mourut Clétus, le vaillant duc de Gaule, qui avait affranchi son pays du tribut, comme on l'a dit (p. 130-132). Le plus jeune de ses fils, dénommé Franco, lui succéda, car les deux autres régnaient à Rome, comme on l'a dit aussi (p. 147). Le règne de Franco dura cinquante-trois ans.

[Romme reconquestée par les Romains] En cel an meisme fut racompteit aux Romans et senateurs, qui fuys astoient de Romme quant elle fut conquestée depart le duc Cletus, que li dis dus Cletus astoit mors. Quant ilhs entendirent chu, si acquisent promier partie en la citeit par forche d'argent, puis vinrent à Romme par nuit à tout chu de gens que ilh porent avoir en decembre l'an IIIIc et XIX – car adont ons comptoit le promier jour del an en mois de marche – et entront en palais par nuit, car li porte les fut ouverte pasieblement. Adont tantost ilh mourdrirent les II saingnours de Romme, qui astois fis à dus Cletus, Alixandre et Flandris, qui ja avoient regneit IX ans. Et deveis savoir que ches Romans ewissent bien reconquis leur citeit plus tempre par trahison, enssi qu'ilh fisent ors ; mains ilh n'osoient por le [p. 149] dobte de la crualteit de duc Cletus.

[Rome reconquise par les Romains] Cette même année, on rapporta aux Romains et aux sénateurs qui avaient fui Rome lors de la conquête de la ville par Clétus, que celui-ci était mort. Quand ils apprirent cela, ils achetèrent d'abord avec une grosse somme d'argent une partie de la cité, puis entrèrent de nuit avec tous ceux qu'ils purent, en décembre de 419 [170 a.C.n.] - car alors le premier jour de l'an était le premier jour du mois de mars - Ils pénétrèrent dans le palais durant la nuit, car les portes leur avaient été ouvertes dans le calme. Ils tuèrent aussitôt les deux maîtres de Rome, à savoir les deux fils du duc Clétus, Alexandre et Flandrin, qui régnaient depuis neuf ans. Vous devez savoir que les Romains, s'ils avaient recouru à la trahison, auraient bien repris leur cité plus tôt, comme ils le firent alors ; mais ils n'avaient pas osé, [p. 149] redoutant la cruauté du duc Clétus.

[De dus Franco] Quant li dus Franco de Galle soit la veriteit de ses dois freres qui enssi astoient ochis, ilh dest qu'ilh les vengeroit ; mains ilh n'en fist riens, car ilh dobtat les Romans. Et les Romans ne mandarent point de tregut à luy portant qu'ilh soy dobtoient, car ilh ne dobtoient en monde nulle nation tant que les Sycambiens ; et guerroient toudis fort cascons à cheaux de Cartaige et pluseurs altres, enssi com vos oreis ; mains la guere des Sycambiens ne voloient nullement avoir.

[Le duc Franco] Quand le duc Franco de Gaule connut la vérité sur l'assassinat de ses deux frères, il déclara qu'il les vengerait, mais n'en fit rien, car il craignait les Romains. Ces derniers, de leur côté, ne lui demandèrent pas de verser un tribut, parce qu'ils avaient peur. Aucune nation au monde n'était autant redoutée par les Romains que les Sicambres. Les Romains éaient toujours en guerre avec Carthage et beaucoup d'autres peuples, comme vous l'entendrez ; mais ils ne voulaient absolument pas d'une guerre contre les Sicambres.

 

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