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EURIPIDE

MÉDÉE

Traduction nouvelle commentée et annotée
Danielle De Clercq, Bruxelles, 2005

 TEXTE


vv. 1116-1235 (
Scène XIX)

(Médée, messager, coryphée)

MÉDÉE (1116-1120)

Amies, cela fait combien de temps que j'attends les événements? Je guette pour connaître l'issue de ce qui se passe là-bas... Mais tiens! Je vois quelqu'un du personnel de Jason qui s'approche. Son souffle haletant montre qu'il apporte une mauvaise nouvelle.

MESSAGER (1121-1123)

Cet acte horrible... au mépris des lois,... c'est toi qui l'a fait, Médée! Fuis!... Fuis!... Ne refuse ni char... marin ni vaisseau... terrestre!

MÉDÉE (1124) (Avec flegme)

Mais qu'arrive-t-il qui m'impose de fuir?

MESSAGER (1125-1126)

Elle est morte la princesse... Elle vient de mourir!... Une jeune fille!... Et Créon aussi, son père... Tout cela à cause de tes poisons!

MÉDÉE (Avec cynisme) (1127-1128)

Quelle merveilleux récit tu viens de me conter! C'est désormais parmi mes bienfaiteurs et mes amis que tu compteras!

MESSAGER (1129-1131)

Quoi?... As-tu toute ta raison?... Es-tu folle, femme?... Toi, qui a outragé le foyer des princes, tu te réjouis à cette nouvelle et... ce qui est arrivé ne te fait pas peur?

MÉDÉE (1132-1135)

Mais moi aussi, j'ai quelque chose à dire pour contrer tes propos! Allons...Tu ne vas pas te fâcher...Tu es un ami... Dis-moi! Comment sont-ils morts?

(Silence au cours duquel le messager reprend son souffle et ses esprits)

MESSAGER (1136-1230)

Lorsque tes petits, tes deux rejetons, sont arrivés avec leur père et qu'ils sont entrés dans l'appartement nuptial, nous avons laissé éclater notre joie, car tes malheurs, nous les supportions mal, nous les serviteurs. Immédiatement, de bouche à oreille, circulent de nombreux propos selon lesquels toi et ton époux vous aviez réglé votre ancienne querelle. On donne des baisers à tes enfants, qui sur la main, qui sur leurs têtes blondes. Et moi, oui moi, voilà que de joie je me mets à suivre Jason avec les enfants jusqu'au gynécée.

(1144) La maîtresse que maintenant nous honorons à ta place, sans remarquer tes petits - et dire qu'ils sont deux! - avait le regard plein de désir rivé sur Jason. Mais ensuite elle s'est couvert les yeux et a complètement détourné sa joue blanche, tant l'intrusion des enfants lui faisait horreur! Mais ton époux a coupé court à la colère et la mauvaise humeur de la jouvencelle en lui disant:

Ah, non! Pas d'hostilité envers ceux que j'aime! Trève de ressentiment! Veux-tu bien tourner la tête à nouveau par ici? Considère comme chers ceux qui le sont à ton époux! Accepte leurs cadeaux et demande à ton père de gracier ces enfants de l'exil! Par amour pour moi!

Elle, lorsqu'elle découvrit la parure, ne se contint plus et accorda tout à son époux. (1156) Avant même que leur père et tes enfants eussent quitté la vaste demeure, (1158) elle s'était saisie et enveloppée du voile plein d'artifices et avait posé sur ses boucles la couronne d'or.

Devant son miroir brillant, elle arrange sa coiffure en souriant de plus belle à l'image inanimée de son corps. Ensuite elle se lève de son fauteuil, va et vient dans l'appartement en posant avec grâce ses pieds tout blancs, elle ne se tient plus de joie pour ces cadeaux, et bien souvent ses yeux s'attachent sur ses talons dressés...

Mais un spectacle atroce apparaît. La voilà qui change de couleur, se plie, traverse les pièces en sens inverse, tremble de tous ses membres et, à grand-peine, se laisse tomber sur le fauteuil en manquant de peu de tomber à terre. Alors une vieille servante, croyant voir s'annoncer la fureur de Pan ou d'un autre dieu, lança une prière dans un cri, avant de lui voir couler de la bouche une écume blanche, ses yeux se révulser, son sang se retirer du corps.

Alors à ce cri de prière répond une lamentation immense. Immédiatement l'une court à l'appartement du père, une autre auprès du nouveau marié (1178) pour les avertir du malheur de la jeune femme. Toute la maison résonne d'allées et venues incessantes.

Déjà un marcheur alerte aurait à longues foulées parcouru six plèthres quand la malheureuse retrouva la voix et rouvrit les yeux. Dans d'affreux gémissements, elle se réveillait. Dédoublée, la douleur lui livrait bataille. Le bandeau d'or qui lui ceignait la tête lançait un incroyable torrent de feu qui dévorait tout, tandis que les voiles légers, cadeau de tes petits, rongeaient la chair blanche de l'infortunée.

Elle s'arrache au fauteuil, fuit tout en flammes, secoue sa chevelure et sa tête d'un côté, de l'autre en voulant faire tomber la couronne. Mais, inébranlable, l'or s'attachait à elle, et le feu, plus elle secouait ses cheveux, brillait deux fois plus fort. Elle s'écroule à terre se laissant vaincre par le mal, devenue, sauf pour son père, complètement méconnaissable. On ne voyait plus comment était ses yeux ni son beau visage. Son sang dégouttait du sommet du crâne en se mélant au feu.. Les chairs de ses os, telles les larmes d'un pin, se détachaient sous les machoires invisibles des poisons. Une vision d'horreur... (1202) Tous, nous redoutions d'effleurer le cadavre, instruits que nous étions par ce malheur.

(1204) Son père, le pauvre homme, ignorant la catastrophe, entra soudain dans l'appartement. Il s'écroula sur la morte. Il éclata aussitôt en sanglots, étreignit le corps qu'il couvre de baisers:

"Ô malheureuse enfant,dit-il, qui parmi les dieux t'a tuée avec tant d'infamie? Qui rend un vieux voué à la tombe orphelin de toi.

Oimoi,

si je pouvais mourir avec toi, ma petite fille".

Il mit fin à ses lamentations et ses cris, et voulut redresser son vieux corps. Mais, tout comme le lierre aux jeunes plants de laurier, il était attaché aux voiles légers. C'était une lutte épouvantable. Voulait-il se relever, sa fille ne pouvait que le retenir. S'il y mettait de la violence, il arrachait de ses os ses vieilles chairs. Il finit par renoncer, le malheureux, et laissa partir son âme, car il ne pouvait plus se mesurer à ses souffrances. Ils gisent morts, la fille et son vieux père, côte à côte et leur malheur fait couler bien des larmes...

(Après un silence, le mesager se ressaisit)

Pour moi, pas question de discuter de ton sort. Tu découvriras par toi-même le châtiment à subir en retour. Ce que font les hommes n'est pour moi et depuis bien longtemps que jeux d'ombres, et je n'aurais pas peur d'affirmer que les gens qui passent pour avisés et portés à la réflexion, ceux-là encourent le plus grand châtiment. Car parmi les mortels, aucun homme n'est heureux. Si la prospérité afflue, on peut être plus chanceux qu'un autre. Heureux? Non!

(Le messager quitte la scène où règne un silence lourd)

CORYPHÉE (1231-1235)

Elle semble la divinité en ce jour destiner

Bien des maux bien mérités à Jason.

Ô infortunée, sur tes malheurs, comme nous pleurons,

Fille de Créon, qui vers les portes d'Hadès

Es partie à cause des noces de Jason.

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