FEC -  Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26  - juillet-décembre 2013


 

Des statues et un miroir. Chapitre 2 : Mirabilia urbis Romae

 

F. Les traductions allemandes des Mirabilia et les statues magiques : l’importance du Panthéon

 

Jacques Poucet

Professeur émérite de l'Université de Louvain
Membre de l'Académie royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>

  

Les travaux de Mme Miedema nous ont appris que seule la version longue des traductions allemandes (Langfassung) contient une notice sur les statues magiques et que la source de cette version longue est un manuscrit latin de la Bibliothèque de Saint-Gall : le L 186 du catalogue Miedema de la fin du XIVe siècle. C’est par lui que nous commencerons notre examen.

 

Bibliographie

N.R. Miedema, Die « Mirabilia Romae ». Untersuchungen zu ihrer Überlieferung mit Edition der deutschen und niederländischen Texte, Tübingen, 1996, 588 p. (Münchener Texte und Untersuchungen zur deutschen Literatur des Mittelalters, 108)

N.R. Miedema, Die römischen Kirchen im Spätmittelalter nach den « Indulgentiae ecclesiarum urbis Romae », Tubingen, 2001, 896 p. (Bibliothek des Deutschen historischen Instituts in Rom, 97)

 N.R. Miedema, Rompilgerführer in Spätmittelalter und früher Neuzeit : die « Indulgentiae ecclesiarium urbis Romae » (deutsch / niederländisch). Edition und Kommentar, Tubingen, 2003, 554 p. (Frühe Neuzeit. Studien und Dokumente zur deutschen Literatur und Kultur im europaïschen Kontext).

        

1. La source latine des traductions allemandes

Sa lecture va nous procurer deux surprises de taille. La première est que cette source latine localise formellement les statues aux clochettes au Panthéon, et nulle part ailleurs. La seconde est que ce motif des statues forme l’essentiel de la notice sur ce bâtiment. Pour bien comprendre le texte suivant, on se souviendra que le Panthéon était considéré au Moyen Âge comme l’ancien temple de Cybèle, et qu’il était devenu l’église de Sancta Maria Rotunda.

 

a. le texte et sa traduction

Manuscrit L 186 ch. 20, fin XIVe (Miedema, Mirabilia, p. 352-354)

Traduction française

(1) Jtem jbi erat tenplum quod dicebatur Pantheon, quod dicitur a « pan », quod est totum, et « theos », deus, quia totus deus.

(1) Là se trouvait le temple qu’on appelait Panthéon, qui vient de pan, c’est-à-dire « tout », et de theos, c’est-à-dire « dieu », parce que c’est le dieu total [= la totalité du divin - dieu est tout - tout est dieu ?].

(2) Et super illud tenplum erat posita Cybelles, que dicebatur mater et domina omnium deorum.

(2) Au-dessus de ce temple était posée Cybèle, qu’on disait être la mère et la maîtresse de tous les dieux.

(3) Jn eodem tenplo erant tot statue ymaginum, quot erant prouincie mondi, et habebat quelibet ymago tintinabulum ad collum suum per artem maycam jta depositum, ut si aliqua regio rebellis esset jmperio Romano, statim ymago illius prouincie vertebat dorsum uersus ymaginem vrbis Rome, que maior erat jnter alias tamquam domina ; et sic tintinabulum, quod habebat ad collum suum, resonabat. Tunc custodes Capitolij referebant id senatuj, et statim mittebantur legiones militum ad expugnandam illam prouinciam.

(3) Dans ce même temple il y avait autant de statues que de provinces dans le monde. Chaque statue avait une clochette au cou, disposée par magie de telle sorte que si une région se rebellait contre l’empire romain, aussitôt la statue qui la représentait tournait le dos à la statue de la ville de Rome, qui était plus grande que les autres, en tant que maîtresse. Et ainsi la clochette qu’elle portait au cou, sonnait. Alors les gardiens du Capitole en référaient au sénat, et immédiatement des légions de soldats étaient envoyées pour réduire la province.

(4) Et illud tenplum modo dicitur ad sanctam Mariam Rotondam.

(4) Ce temple maintenant est appelé ad sanctam Mariam Rotundam.

 

b. analyse et commentaire               

 Dans ses éléments constitutifs (§ 3), la description des statues aux clochettes n’a guère évolué, sinon sur des détails concernant la statue de Rome et le corps expéditionnaire. Par contre ce qui est radicalement différent, c’est la nouvelle localisation. Les statues se trouvent désormais au Panthéon, un endroit que jamais encore les textes examinés n’avaient envisagé.

Loc Pour bien comprendre ce qui a dû se passer, il faut se reporter une fois de plus aux versions les plus anciennes de la tradition des Mirabilia Romae. On a vu que les statues magiques y étaient simplement évoquées, marginalement, dans les notices traitant du Panthéon.

Elles racontaient qu’Agrippa, rentrant d’une expédition victorieuse, avait été pressenti par les autorités pour repartir sans délai soumettre la Perse. Cette région s’était révoltée, et les Romains le savaient parce que la statue qui la représentait « avait bougé ». Dans une sorte de digression, les rédacteurs expliquaient alors en quelques phrases l’existence et le fonctionnement des statues magiques, qu’ils plaçaient nettement au Capitole, dans le temple de Jupiter et de (Junon) Moneta. Puis l’histoire d’Agrippa et du Panthéon reprenait.

Dans le manuscrit de la fin du XIVe siècle que nous examinons (L 186 Miedema), la notice sur les statues n’a donc pas quitté l’exposé sur le Panthéon où elle se trouvait au départ de la tradition des Mirabilia Romae. Elle y est restée et elle s’y est tellement bien installée que, au fil de l’évolution et des copies successives probablement, elle a retenu toute l’attention, réduisant à presque rien les données initiales – très développées pourtant – sur le Panthéon lui-même. Elles ont été en quelque sorte « phagocytées », à la seule exception de la très brève mention d’une statue de Cybèle « au-dessus du Panthéon ».

Rappelons qu’à l’origine de la tradition des Mirabilia, le Panthéon avait été érigé par Agrippa « en l’honneur de Cybèle, de Neptune et de tous les autres dieux » (Mirab., 16, p. 35 V.-Z. : in honorem Cibeles, matris deorum, et Neptuni, dei marini, et omnium daemoniorum). On est très loin de ce récit initial : Agrippa, ses expéditions et son rôle de fondateur ont disparu. Tout ce que le rédacteur trouve à dire du Panthéon, c’est qu’il était un temple consacré à la « totalité du divin » (totus deus) sur le faîte duquel trônait la statue de Cybèle, « mère et maîtresse de tous les dieux », qu’il abritait le complexe aux statues et qu’il est devenu l’église de Sainte-Marie-la-Ronde. La simple addition d’un in eodem templo a introduit les statues dans le Panthéon.

Stat Disp En matière d’organisation de l’espace, la présence d’une statue centrale, en l’espèce celle de Rome, n’est pas pour nous une nouveauté : déjà Merveilles 1, la traduction française du XIIIe en faisait état. Ce qui peut être neuf, c’est la précision que la statue centrale était plus grande que les autres, tamquam domina. Rome est la maîtresse des autres nations, comme Cybèle est la domina des autres dieux. Jean d’Outremeuse avait placé la statue centrale sur une colonne : même souci de mise en évidence, mais par un autre moyen. Le rédacteur du L 186 n’innove pas beaucoup.

Exp Le corps expéditionnaire est ici formé de légions ; on a déjà parlé ailleurs, de cavaliers. Différence minime aussi, et sans grand intérêt.

Mag Mouv Surv Trans Les autres points n’attirent guère l’attention, qu’il s’agisse de l’allusion explicite à la magie (per artem maycam), la surveillance du complexe assurée par des custodes (gardiens), lesquels en réfèrent au sénat (referebant id senatui). En ce qui concerne le mouvement des statues, comme dans Merveilles 1 la statue rebelle tourne le dos à la statue centrale (vertebat dorsum uersus ymaginem vrbis Rome).

 

2. Un premier exemple de traduction allemande (D13 ; XVe siècle)

À l’intérieur de la Langfassung (version longue des traductions allemandes), Mme Miedema a identifié deux courants, qui ont respectivement comme Leittexte le manuscrit D 69 (Vienne, fin XIVe-début XVe) et le manuscrit D 13 (Coburg, XVe).

On commencera par le D 13, de la notice duquel on trouvera ci-dessous le texte allemand et sa traduction française. Par rapport au texte latin précédent, les données essentielles subsistent : on est toujours au Panthéon et Cybèle n’est pas oubliée. Mais des différences sensibles apparaissent. La tradition s’est en effet enrichie, notamment de boucliers et de statues, sans que les apports nouveaux trahissent leur origine précise et sans toujours qu’ils soient bien clairs.

 

D 13 XVe siècle (Miedema, Mirabilia, p. 352-354)

Traduction française

(1) Auch ist do der tempel Pantheon, der wart gemachet in die ere aller apgöter.

(1) Là se trouve aussi le temple Panthéon, qui était construit en l’honneur de tous les dieux.

(2) In dem tempel stund also manig schilt, alz manig land in der werlte was. Von welchem lande einer kam, so sah er an den schilden, welchent sein land in der werlte lag.

(2) Dans le temple se trouvaient aussi autant de boucliers que de pays dans le monde. On voyait en regardant un bouclier de quel pays au monde il provenait.

(3) Ouch stund in dem tempel also manig saul, alz manig land in der werlte was, vnd auf yder seüle was ein apgot gemachet, der hette ein glokke an dem hals.

(3) Il y avait aussi dans le temple autant de colonnes que de pays dans le monde, et sur chaque colonne se trouvait une idole avec une cloche au cou.

(4) Auch stund ein apgot mitten in dem tempel, der hies Cibelles, der was aller apgoter muter.

(4) Il y avait aussi une idole au milieu du temple, du nom de Cybèle : c’était la mère de tous les dieux.

(5) Wann sich denn ein lant wider Rom saczte vnd das reich, so kerte sich der apgot von der sewl des landes ; do leütet sich denn die gloke selber, die er am halse hette.

(5) Lorsqu’un pays et son royaume se dressaient contre Rome, l’idole qui se trouvait sur la colonne du pays en cause se retournait ; alors on entendait sonner la cloche qu’elle portait au cou.

(6) Wann das denn die hüter des tempels sahen, die offenbarten das denn den senatoren zu Capitolio, die santen denn die ritterschafft zuhant aus, das sie das lant wider erstritten solden.

(6) Lorsque les gardiens du temple voyaient cela, ils le communiquaient aux sénateurs au Capitole, lesquels envoyaient alors immédiatement la cavalerie, avec mission d’écraser à nouveau le pays.

 

Malgré l’intérêt d’une discussion approfondie sur l’étymologie du nom du temple, on se bornera ici à noter que le sens du mot Panthéon (§ 1) est un peu différent de celui donné par le manuscrit L 186. On n’examinera que le motif des statues. À ce niveau, quelques différences significatives apparaissent, certaines plus importantes que les autres.

Stat Les statues sont toujours aussi nombreuses que les pays (land), mais il est bien précisé qu’elles représentent les dieux des pays. Nous avons généralement été amené à considérer – implicitement en tout cas – que les statues représentaient des pays (ou des peuples, ou des royaumes, ou des provinces, ou des régions). C’était en tout cas ce qu’on lisait dans la toute grande majorité de nos textes ; on n’a que le choix des exemples : statuae provinciarum, statuae omnium gentium, statua uniuscuiusque regni, autant ymages comme de provinces el monde, ortant de ymaiges qu’ilh avoit de provinches en monde.

Toutefois on se souviendra peut-être qu’un manuscrit du XIIe siècle (le C de l’éd. de H. Omont, 1882) donnait une liste des Sept merveilles du monde dans laquelle le Capitolium aurait abrité « les statues des nations conquises ou les images des dieux » (gentium a Romanis captarum statue vel deorum imagines). Le copiste hésitait.

Les rédacteurs et traducteurs allemands, pour leur part, ne semblent avoir aucune hésitation : en moyen haut-allemand, le terme abgot, apgot, aptgot désigne sans ambiguïté, semble-t-il, « une divinité différente du vrai Dieu, une idole, un faux dieu » (DFG, s.v°). En préférant abgot au simple bild, pild (qu’ils utilisent aussi à l’occasion), les traducteurs allemands optent pour le sens de « idoles, faux dieux », d’où notre traduction.

Cela dit, au niveau du sens, la différence n’est guère importante. On comprend facilement que pour des chrétiens ces statues de pays pouvaient fort bien représenter des divinités de ces pays, donc des idoles et des faux dieux. Quand, dans la version la plus ancienne des Mirabilia, la « statue de la Perse » (statua Persidae) s’agite lors du retour d’Agrippa et déclenche l’alarme, cette statue « du pays » est en fait celle « de la divinité du pays ». De même lorsque des textes placent au centre du complexe la statue « de Rome », c’est en fait celle de la « déesse Rome ».

Iden Une autre donnée à relever, plus importante peut-être, concerne l’identification des statues, à travers la mention, nouvelle pour nous, de boucliers (§ 2). Ces boucliers, est-il précisé, sont aussi nombreux que les colonnes et les statues des dieux des pays soumis, ce qui pousse à les interpréter comme des moyens d’identification.

Quand on connaît la variété de formes, de couleurs et de marques des boucliers, il n’est pas difficile à comprendre que ces armes de défense aient pu être utilisées comme moyens d’identification. La chose n’est pas précisée, mais on peut supposer que les boucliers se trouvaient au pied des statues ou au pied des colonnes qui les soutenaient.

Disp Car, autre nouveauté, les statues sont disposées sur des colonnes. Celui qui a introduit cette précision n’imaginait probablement pas qu’une statue de divinité ne soit pas posée sur une colonne.

Les statues font cercle autour de la statue centrale qu’elles regardent. Ce n’est toutefois pas celle de Rome, comme on pourrait s’y attendre au vu de certaines versions précédentes, mais celle de Cybèle. Pourquoi ?

Tout simplement parce qu’on est dans le Panthéon, anciennement temple de Cybèle pour une grande partie de la tradition médiévale. Dans le manuscrit L 186 (source latine de la tradition des traductions allemandes), la statue de Cybèle – la « propriétaire » en quelque sorte – était placée au sommet de son temple. Le traducteur allemand du D 69 – que nous examinerons dans un instant – a conservé cette information. Celui du D 13 semble l’avoir fait descendre du toit pour la placer au centre du complexe.

Un dernier point toutefois reste en suspens en matière de mouvements des statues. Le rédacteur signale (§ 5) que celle du pays rebelle se retourne, sans toutefois préciser expressis verbis que c’est vers la statue centrale, celle de Cybèle (§ 4). Mais cela va de soi, sous peine d’introduire une incohérence à l’intérieur de la notice.

Trans Exp Rien de bien neuf sur la transmission de l’information : les gardiens communiquent l’information aux sénateurs. Rien de fondamentalement différent non plus sur le corps expéditionnaire, même s’il est formé de cavaliers (Ritterschafft) et non de légions comme c’était le cas dans le manuscrit L 186, mais ce n’est pas la première fois qu’il est question de cavalerie (cfr notamment la traduction française du XIIIe siècle).

 

3. Un second exemple de traduction allemande (D 69 ; fin XIVe-début XVe)

Le Leittext du second courant de la Langfassung est, nous l’avons dit, le manuscrit D 69 (Vienne, fin XIVe-début XVe). Voici le texte allemand de la notice sur les statues et sa traduction française :

 

D 69 fin XIVe-début XVe
(Miedema, Mirabilia, p. 352-354)

Traduction française

(1) [D]er ander tempel waz genant Pantheon.

(1) L’autre temple était appelé Panthéon.

(2) Auf dem tempel waz Chijbilles, dye solt sein ain muter aller abgoter.

(2) Au-dessus du temple était Cybèle, qui doit être une mère de tous les dieux.

(3) Zw der fussen waren schilde von allen landen ; von wan der man chöm, so sach er an dem schilde, welchen end en sein lant lag, do er von waz.

(3) À ses pieds [de Cybèle ?] étaient les boucliers de tous les pays ; d’où l’homme venait, on le voyait sur le bouclier, qui il était, où se trouvait son pays et d’où il était.

(4) Vnd geziret mit golde dye selbige Chijbilles vnd mit edelm gestaine, vnder den fussen mit merswein vnd mit pfaben, dye waren schon vnd rain verguldet.

(4) Cybèle était parée d’or et de noble étain et avait sous ses pieds des dauphins et des paons, qui étaient beaux et recouverts d’or.

(5) Jn dem selben tempel waren also vil sawlen, als rechter furstentüm vnd reich waren in der welt, vnd auf ieglicher sewlen waz ain abgot von dem lande vnd het ain glokchen an seinem hals, vnd dyenten dem pilde als ain fraw.

(5) Dans le même temple se trouvaient aussi beaucoup de colonnes, autant qu’il y avait de principautés et de royaumes dans le monde, et sur chaque colonne se trouvait une divinité du pays, avec une cloche au cou, laquelle décorait la statue comme s’il s’agissait d’une femme.

(6) Vnd welche lande sich widersatczet wyder Rom vnd wijder Romisches reich, so wendet sich der abgot des landes vmb vnd cheret den rucke gegen dem pilde von Rom ; vnd dy glocken, dy der abgot an dem hals het, dy lawtet sich selber.

(6) Et si un pays s’opposait à Rome et à l’empire romain, la divinité du pays tournait sur elle-même et présentait le dos à l’image de Rome ; et la cloche au cou de la divinité sonnait d’elle-même.

(7) So taten dann dye huter des tempels daz ze wijssen den senatoren vnd der herschaft zw Capitoli, dy santen dann aüs in dy finsternüss der ritterschaft, daz man daz lant wijder erschritte vnd erchrieget

(7) Quand cela se produisait, les gardiens du temple allaient immédiatement le signaler au Capitole aux sénateurs et à l’autorité, qui envoyaient alors secrètement la cavalerie pour s’opposer au pays et lui faire la guerre.

(8) Der selbige tempel ist nü genant ad sanctam Mariam Rotundam.

(8) Le même temple est maintenant appelé ad sanctam Mariam Rotundam.

 

Comme le montrent le mot Pantheon au § 1 et l’expression de ad sanctam Mariam Rotundam, son correspondant médiéval au § 8, on ne quitte pas le Panthéon. Et comme dans la version du D 13, il y est question à la fois des statues magiques et de Cybèle, dont le Panthéon, au Moyen Âge, était considéré comme le temple.

Le § 1 et le § 8 encadrent très bien le reste d’une notice (§ 2-7) nettement divisée en deux parties, traitant la première (§ 2-4) de Cybèle et la seconde (§ 5-7) des statues magiques.

Quelques observations d’abord sur la partie consacrée à Cybèle (§ 2-4). Que cette déesse soit présentée comme « mère des dieux » n’a rien pour surprendre, c’est sa définition habituelle. Que sa statue soit placée auf dem tempel (« au-dessus du temple », « sur le faîte du bâtiment») n’a rien d’étonnant non plus. On rencontrait déjà l’information dans la version des Mirabilia primitifs (ch. 16, V.-Z., III, p. 35), où il est précisé qu’Agrippa, revenu victorieux de la guerre contre les Perses, avait fait en son honneur une statuam deauratam quam posuit in fastigio templi super foramen. Cette statue, c’est précisément celle que le traducteur allemand examiné précédemment (D 13) plaçait, on s’en souvient, au centre du Panthéon.

Que sa statue soit richement décorée (§ 4) est également très normal. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est que s’entassent « à ses pieds » (zw der Fussen) (§ 3) des boucliers provenant de tous les pays et suffisamment différenciés pour qu’on puisse identifier l’origine de chacun d’eux. Mais on ne comprend pas très bien ce qu’ils viennent faire aux pieds de Cybèle ? Ne serait-il pas plus normal qu’ils soient liés – comme dans le manuscrit précédent (le D 13) – aux statues des différents pays, où leur rôle de « marqueurs » se comprendrait beaucoup mieux ?

Mais peut-être après tout la phrase les concernant a-t-elle simplement été « mal placée » par le traducteur ? Car cette information aurait davantage sa place dans le second développement (sur les statues) que dans le premier (sur Cybèle). À moins bien sûr qu’on ne puisse montrer que dans l’iconographie romaine classique, un des attributs de Cybèle était précisément une abondance de boucliers à ses pieds. Mais à première vue, cela paraît difficile.

Stat Quoi qu’il en soit, la seconde partie (§ 5-7) décrit les statues magiques originaires, elles aussi, de tous les pays. Après l’analyse du texte allemand du D 13, rien dans leur description ne surprend vraiment. Que ces statues représentent les divinités des différents pays, qu’elles se dressent sur des colonnes, tout cela n’a rien de neuf pour nous. Ces informations, quoiqu’absentes du manuscrit latin L 186, source des deux branches de traductions allemandes, figuraient déjà dans le premier Leittext (D 13).

Clo Mouv Trans Exp De même, pour avoir souvent rencontré ces éléments, nous connaissons la cloche qu’elles portent au cou, leur mouvement qui traduit l’hostilité de leur pays, la procédure qui se déclenche à Rome et le départ d’un corps expéditionnaire. Rien de bien neuf non plus.

Quelques éléments toutefois sont à signaler. Apparaît ainsi au centre du bâtiment une statue de Rome (gegen dem pilde von Rom) dont il n’avait pas été question dans la première partie de la notice et qui occupe en tout cas la place de Cybèle dans la traduction précédente (D 13). On a également un peu de mal à comprendre l’expression allemande vnd dyenten dem pilde als ain fraw, appliquée aux clochettes au cou, combien banales dans la tradition. Le traducteur aurait-il voulu comparer les clochettes à une sorte de collier, à une parure féminine ? Voyait-il dans les statues des divinités féminines ?

 

Quoi qu’il en soit, un des résultats intéressants de l’examen de la tradition des traductions allemandes est de constater que le complexe aux statues magiques y est localisé sans la moindre équivoque au Panthéon, et nulle part ailleurs. Les notices que L 186, D 69 et D 13 consacrent au Capitole ne signalent pas le moindre temple ou palais qui, sur cette importante colline, abriterait le complexe aux statues magiques.

Un autre point remarquable est que, à l’intérieur des notices consacrées au Panthéon, le motif aux statues a au sens propre occupé toute la place, ou presque. Nous avons utilisé plus haut le verbe « phagocyter ». Cybèle n’a peut-être pas complètement disparu, mais sa présence n’y est plus qu’un pâle souvenir.

On soulignera enfin que Virgile n’apparaît jamais comme le créateur du complexe aux statues magiques.

 

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