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Ovide : Introduction générale - Fastes : Traduction française commentée - Hypertexte louvaniste - Corpora


Notices sur les Fastes d'Ovide

Pour introduire aux aspects les plus importants des Fastes d'Ovide, nous avons pensé intéressant, comme nous l'avions fait pour les Métamorphoses, de proposer des notices modernes tirées d'éditions des Fastes ou de manuels généraux de littérature latine. En l'espèce, la plus ancienne retenue, celle de R. Pichon, remonte à 1903 ; la plus récente, celle de P. Grimal, date de 1994. Une analyse comparée de ces notices, sur le plan de la forme et du contenu, serait très révélatrice des préoccupations de chaque époque et de chaque auteur.

Sur les Fastes, le présent fichier propose successivement des textes de :

Une présentation d'ensemble sur Ovide et son oeuvre, extraite du volume consacré à Ovide dans la Collection Nisard (1845), figure dans un autre frichier.

La BCS propose deux traductions françaises des Fastes d'Ovide :

  • l'une, dans la traduction (légèrement adaptée) de la Collection Nisard, Paris, 1857 ;
  • l'autre, dans une traduction nouvelle annotée (2002-2004) de A.-M. Boxus - J. Poucet, Bruxelles, 2002-2004.

Cette traduction de A.-M. Boxus et J. Poucet est également accessible dans la collection Hypertexte louvaniste, laquelle fournit le texte latin et la traduction, tout en permettant (livre par livre) de multiples recherches et exploitations. Le projet Corpora autorise maintenant ces recherches sur l'ensemble des Fastes.

 


 

É. Ripert, Ovide. Les Fastes, Paris, Garnier, 1934, p. I-IX [avec seulement une partie des notes]

Ovide a consacré les premières années de sa carrière poétique à la poésie amoureuse [...]. Élégies personnelles des Amours, lettres d'amoureuses délaissées dans les Héroïdes, conseils et observations psychologiques dans l'Art d'aimer, c'est toujours l'Amour qui domine ces livres, c'est la figure de Vénus qui est invoquée avec ardeur par le jeune poète. Il entreprend ensuite une oeuvre de plus longue haleine et d'ambition plus haute en écrivant les Métamorphoses, où la pensée religieuse et philosophique prétend avoir sa place. Mais là même les histoires d'amour sont nombreuses encore et la mythologie fournit ample matière à des tableaux brillants et suggestifs, traités selon l'esthétique des fresques, des mosaïques, des bas-reliefs et des vases peints.

Cependant à la fin des Métamorphoses perce déjà le souci que manifeste dès lors Ovide de devenir un poète national sur les traces de Virgile, d'Horace et de Properce. Au livre XIV des Métamorphoses on voit apparaître la figure d'Énée, celle de Latinus qui le reçoit, celle de Turnus qui le combat, habile rappel de l'Énéide sans prétention formelle de lutter avec Virgile, si ce n'est tout naturellement lorsqu'il s'agit de métamorphoser en nymphes les vaisseaux d'Énée, Énée lui-même et aussi Romulus en divinités protectrices de Rome. Auprès d'eux on voit sourire l'aimable figure de Pomone, déesse des vergers romains, aimée de Vertumne, et s'envoler celle du jeune roi Picus, transformé en pic ; plus loin c'est Numa qui s'entretient avec Pythagore ou la nymphe Égérie, et c'est enfin Jules César changé en astre.

Ces évocations montraient déjà la préoccupation d'Ovide et son désir de faire lui aussi oeuvre patriotique, mais voici qu'il précise et amplifie ce dessein en se mettant à écrire un nouveau poème intitulé les Fastes.

Le moment était à la vérité bien choisi pour une telle entreprise. Depuis qu'il avait pris le nom religieux d'Auguste, Octave s'était donné la tâche de restaurer le culte des dieux. Grand pontife en l'an 13 avant Jésus-Christ, il avait affermi et augmenté les privilèges des collèges sacerdotaux et des Vestales, transporté au Palatin le culte de Vesta et celui de Phébus, de sorte, pourra dire Ovide, que son palais désormais renferme trois dieux (Fastes, IV, 952). Il avait remis en honneur les fêtes des dieux lares, dont il avait restauré les statues dans les divers quartiers de la ville et de façon plus large encore il avait fait revivre toutes les fêtes religieuses, enfin et surtout il avait réparé ou relevé tous les temples mutilés ou négligés pendant les guerres civiles ; il en avait bâti de nouveaux et notamment en l'honneur de la Fortune, de Mars Vengeur, de la Paix, de la Concorde, qui, à des titres divers, avaient secondé sa destinée, de Castor et Pollux, de Junon Sospita, de Cybèle, de la Bonne Déesse. De tous ces sanctuaires nous trouverons précisément la mention dans les Fastes, où Ovide nomme Auguste le bâtisseur, et le restaurateur des temples romains, comme Tite-Live venait de l'appeler, et loue aussi plus d'une fois Livie d'avoir suivi sur ce point les traces d'Auguste (voir Fastes, I, 645-705 ; IV, 348 ; V, 157 ; VI, 637).

Mais il ne s'agissait pas seulement pour Auguste et Livie de bâtir des temples ; ils avaient eu aussi bien le souci de régler le détail des fêtes religieuses et de conserver soigneusement les livres rituels, tels que les Indigitamenta, les livres des haruspices, contenant les secrets du vol des oiseaux, les livres sibyllins, contenant les prédictions des Sibylles et les livres des Fastes.

On appelait ainsi les recueils, où, par les soins du collège des Pontifes, se trouvaient consignés les jours où il était permis de parler (fari), c'est-à-dire de plaider, de rendre la justice et plus généralement de vaquer aux affaires publiques et ceux où par contre la religion l'interdisait. Entre les deux étaient rangés des jours mi-fastes et mi-néfastes, appelés intercisi, parce qu'ils étaient ainsi partagés en deux parties, fastes le matin, néfastes le soir ou réciproquement.

En tenant ainsi le catalogue des jours néfastes et fastes on y avait consigné aussi les noms et les dates de toutes les fêtes, fêtes statives, c'est-à-dire fixes, fêtes indictives, c'est-à-dire mobiles, dont les magistrats fixaient la date, selon l'usage (conceptivae) ou de façon exceptionnelle (imperativae) ou la liste des jours de marché (nundinae). De plus on y avait inscrit la liste des consuls, des préteurs, des censeurs, ce qui revenait à déterminer les étapes de l'histoire romaine. Un tel catalogue constituait donc à la fois un fonds d'archives historiques extrêmement précieux et un guide pratique de la vie romaine, puisqu'il indiquait les jours ouvriers et les jours fériés, tâche fort ardue, car les fêtes s'étaient tellement multipliées qu'à cette époque on comptait dans l'année soixante-cinq jours de fêtes, quarante-huit jours de réjouissances publiques et quarante autres jours néfastes, où l'on suspendait les affaires, soit cent soixante et treize jours de chômage annuel. Les citoyens romains prenaient du bon temps, en regardant travailler les esclaves ou les prisonniers de guerre et déjà les jeux du cirque étaient la grande passion populaire.

Quoi qu'il en soit, les Fastes offraient à un poète un thème ardu, mais singulièrement intéressant, puisque il lui donnait comme matière la description des fêtes romaines et de bien des épisodes historiques ou légendaires. L'oeuvre se présentait aux Romains comme hardie et nouvelle. En Grèce, Les Travaux et les Jours d'Hésiode ou les Aetiae de Callimaque n'offraient qu'une ressemblance assez lointaine avec ce que pouvait être un tel poème. D'ailleurs en changeant de pays et d'atmosphère, en chantant les travaux et les jours romains, en racontant les légendes latines, Ovide, loin des Grecs, avait devant lui une matière toute neuve. Properce avait eu le vague dessein de la traiter, quand il avait conçu l'idée d'un poème, qui aurait été une sorte de promenade archéologique à travers la Rome de l'Empire, mais il n'avait donné que des fragments de son oeuvre. Sabinus, cet ami d'Ovide qui avait continué à sa façon les Héroïdes, avait formé un projet assez semblable (voir Pontiques, IV, XVI, 15), mais il n'avait pas eu le temps de le mettre à exécution.

Ovide n'avait donc en face de lui, comme devanciers, que des spécialistes de l'histoire ou de la théologie, tels que le grammairien Verrius Flaccus, rédacteur des Fastes Prénestins, et surtout le grand polygraphe Varron dans ses Antiquités divines. Mais ils avaient fait oeuvre sèche de nomenclateurs et d'archivistes, et pour Ovide, qui n'était préparé à cette tâche nouvelle que par une description des fêtes de Junon à Faléries (Amours, III, XIII), c'était jouer la difficulté. Cette difficulté du reste pouvait tenter ce virtuose de la poésie, qui avait peine dès son enfance à s'exprimer autrement qu'en vers et qui par conséquent se sentait apte à faire entrer dans ses rythmes les renseignements les plus précis et les plus arides en apparence.

Il paraît s'être préparé à son nouveau rôle avec beaucoup de conscience. Il a consulté les livres des Pontifes, à plusieurs reprises, s'il faut l'en croire (Fastes, I, 657), quand le sujet lui a paru embarrassant ; il a dû de même consulter Varron, les archéologues et les historiens dont nous avons perdu les oeuvres et de la sorte il reste pour nous un précieux témoin de la légende et même de l'histoire romaine.

Le sujet était d'autant plus vivant à la date où Ovide entreprenait de le traiter que Jules César avait fait, on le sait, en 47 av. J.-C. une importante réforme du calendrier romain. La date de cette réforme n'était point assez lointaine - quarante années à peine - pour qu'on ne pût parler encore assez souvent de ce changement dans les usages.

La réforme avait été heureuse, puisque le monde romain et chrétien a vécu sur elle jusqu'à Grégoire XIII ; elle était d'ailleurs tout à fait nécessaire, car on commençait à se perdre dans le décompte des années. S'il fallait en croire Ovide, et ses contemporains, l'année aux premiers temps de Rome n'aurait compté que dix mois.

« Tu connaissais mieux les armes que les astres », dit en souriant Ovide à Romulus, auquel il attribue cette division, essayant d'expliquer ce décompte par le temps de la grossesse. Ces mois dans cette hypothèse étant réglés par les lunaisons.

Le premier mois aurait été alors le mois de Mars, dédié au dieu de la guerre par les Romains, peuple guerrier, mois des premiers beaux jours où l'on peut se mettre en campagne, puis seraient venus comme aujourd'hui, avril, mai, juin, puis quintilis et sextilis appelés plus tard juillet et août en l'honneur de Jules César et d'Auguste et puis les mois reprenaient comme aujourd'hui, de septembre à décembre, les noms mêmes qu'ils ont gardés de nos jours.

Ovide, avec tous les érudits de son époque, attribue à Numa l'établissement de l'année de douze mois, janvier et février, ayant été ajoutés, soit en tête, soit en queue de l'année primitive. Les mois toutefois, réglés sur le cours de la lune, ne comptaient en tout que trois cent cinquante-cinq jours et pour corriger les choses on était obligé d'intercaler tous les deux ans fin février un mois de vingt-deux ou vingt-trois jours appelé mercedonius.

Le compte, malgré ce coup de pouce, n'était point encore juste ; tous les quatre ans, on avait douze jours de trop, si bien qu'en 450 av. J.-C. les décemvirs firent une réforme nouvelle et chargèrent les pontifes de veiller sur les mois intercalaires, qu'on devait ajouter en temps opportun pour empêcher la disparité des années solaires et des années officielles. Mais le compte fut si mal tenu et les choses s'enchevêtrèrent si bien que l'on arrivait, au temps de César, à un décalage de plus de deux mois. Pour ordonner ce chaos chronologique, grand pontife en l'an 47, Jules César chargea l'astronome alexandrin Sosigène de rectifier les choses ; on eut de la sorte l'année de trois cent soixante-cinq jours en douze mois, avec tous les quatre ans un jour intercalaire que l'on plaça le sixième jour, sextus calendarum, d'où le nom d'année bissextile. Le compte cette fois était presque exact, pas tout à fait encore cependant ; Auguste fut obligé de faire, en l'an 8 av. J.-C., une correction, dont Ovide ne parle point ; d'ailleurs il manquait encore à l'année onze minutes douze secondes, ce qui fait qu'en 1582 on avait perdu de nouveau dix jours et que Grégoire XIII fut obligé, à son tour, d'introduire la réforme sur laquelle nous vivons et que Russes et Grecs n'ont point encore acceptée.

Il importait de le rappeler brièvement pour bien comprendre l'intérêt qu'avait alors la tentative d'Ovide. Illustrer ce beau calendrier julien, tout neuf encore et retouché tout récemment par Auguste lui-même, c'était contribuer à l'établissement des temps romains, au bon ordre de l'État, c'était à sa façon chanter un chant séculaire, qui devait se prolonger fort avant dans les siècles, puisque ce calendrier allait servir de base à la vie de tout l'Empire pendant seize cents ans et même, sauf le petit coup de pouce grégorien, jusqu'à nos jours.

Ovide ne devait point manquer de célébrer cette réforme (Fastes, III, 155) ; il louait César d'y avoir songé au milieu de tant de soucis, de n'avoir pas cru cette tâche indigne de lui, et il ajoutait qu'il avait voulu de la sorte, ayant réglé l'année selon le cours du ciel qui lui était promis, ne pas entrer en étranger un jour dans les demeures célestes. La flatterie était d'importance, comme l'oeuvre elle-même, celle de César et celle d'Ovide.

On le voit assez, d'après ce bref exposé : les Fastes sont un précieux recueil de légendes, d'histoires populaires, un répertoire des usages, des fêtes, des cultes romains ; en ce qui concerne les six premiers mois de l'année, ils suppléent pour nous à la perte des Antiquités divines de Varron, dont ils sont inspirés. Celui-ci distinguait les dieux des poètes, les dieux des philosophes, les dieux de la cité (Augustin, Cité de Dieu, VI, 5). Les dieux des poètes, Ovide les avait mis en scène dans son immense tragi-comédie des Métamorphoses. Voici maintenant qu'il invoquait les dieux de la cité. Ce n'est pas sans une certaine raison qu'un auteur du moyen âge appelait ce livre un «martyrologe». Oui, si l'on prend ce mot de martyr en son sens primitif de témoin, c'est bien là le livre qui témoigne le mieux de la vie religieuse de Rome.

Poète léger, dit-on de cet Ovide, amuseur spirituel, Mascarille mettant en madrigaux l'histoire romaine, «compositeur» mal inspiré écrivant son oratorio sur un mouvement de gavotte, tel on se plaît à nous le présenter. Mais ce n'était pas l'avis de nos vieux lettrés ; le jésuite Rapin disait que cet ouvrage est le plus judicieux et du meilleur goût qui soit sorti de la plume d'Ovide ; Godeau, évêque de Vence, essaya de l'imiter, en écrivant les Fastes de l'Église. Lemierre, Roucher écrivirent à son exemple les Mois et les Saisons. Imitations maladroites, mauvaises le plus souvent, mais qui montrent combien c'est un éternel sujet de poésie que le calendrier, selon lequel se déroule toute l'existence humaine. Et sans doute par instants, en ce grave dessein, le poète des Amores reparaît-il, quand il conte plaisamment les déconvenues de Silène, de Mars, de Faune ou de Priape, sans doute aussi le brillant décorateur mythologique brossant de jolies fresques, çà et là, du ton des Métamorphoses, mais le plus souvent ce sont des histoires romaines, des fêtes, des divinités romaines qu'il célèbre.

En lui revit soudain, après ses années de Rome, après l'école de Porcius Latro, après les salons et les salles de lecture, le petit enfant de Sulmone, d'un vieux sang pélignien, l'enfant intelligent, qui écoute et recueille les contes de la veillée, qui emporte en son coeur les souvenirs charmants des fêtes rustiques ; il est l'interprète des traditions, des superstitions, des craintes, des espérances du citoyen de Rome et du paysan latin dont quelques-unes ont survécu jusqu'à nos jours.

Ce livre a grande allure, et c'est pour tous les peuples latins une sorte de livre national. Si l'on voit se lever sur les vers de Virgile l'aube de la poésie chrétienne, on voit chez Ovide le rituel de la Rome religieuse, de la capitale spirituelle de l'univers, se condenser et se solidifier en un monument poétique, digne d'un meilleur sort. Quand le Premier Consul, après la Révolution, restaurait en France les églises et le culte catholique, Chateaubriand élevait cet admirable monument, qu'il appelait le Génie du Christianisme ; ainsi, tandis qu'Auguste rebâtissait les temples romains, Ovide, en deux poèmes qui se déroulaient pareillement, célébrant les dieux des poètes et ceux de la cité, écrivait à sa manière un «Génie du paganisme».

Cette oeuvre, réduite maintenant à six livres, devait être complète dans la pensée d'Ovide, qui nous promet dans un de ses vers une explication relative à un culte spécial au mois d'Août (Fastes, V, 147), ainsi qu'à une cérémonie célébrée en Décembre (Fastes, III, 57-58). Mais l'oeuvre commencée à Rome et continuée à Tomes, où l'exilé la dédiait à Germanicus, espérant en son intervention auprès de Tibère, ne put être sans doute achevée, à moins que les six derniers livres n'aient été perdus, à Tomes, car ils ne paraissent pas avoir été connus des Romains, les grammairiens ne nous donnant que des citations extraites des six premiers livres des Fastes. C'est une perte regrettable, et d'autant plus que les mois de Juillet et de Septembre auraient fourni à Ovide de jolies descriptions des moissons et des vendanges.

Tels quels les six premiers livres des Fastes offrent encore un vif intérêt pour l'archéologue, pour l'historien, pour tous ceux qui sont curieux de la vie romaine et de la vie populaire, dont Ovide sait tracer à l'occasion de charmants tableaux.

Les traductions les plus célèbres qui ont été faites en France sont, au XVIIIe siècle, celle de Bayeux, avocat au Parlement de Normandie, agrémentée de doctes commentaires et d'une savante démonstration sur l'exil d'Ovide, dont s'est inspiré Gaston Boissier, au XIXe siècle, celle de M. de Saint-Ange, qui a traduit les Fastes aussi bien que les Métamorphoses en vers élégants, de façon ingénieuse, sinon toujours très exacte.

Pour établir cette traduction, je me suis obligé, comme je l'ai fait pour les Héroïdes, à la plus sévère exactitude, que j'ai tâché de concilier avec le souci de la vie et de l'élégance. Je dois ici témoigner ma reconnaissance à ceux qui ont bien voulu de leur collaboration éclairée m'aider à recenser le texte et en fixer le sens, Dom P. Teisseire, de l'ordre des Bénédictins, M. R. Bernex, agrégé de l'Université, M. Pierre Gary, licencié ès lettres, professeur au collège de Bédarieux et M. F. Lallemand, licencié ès lettres.

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R. Pichon, Histoire de la littérature latine, Paris, Hachette, 1903, p. 425-427

Si les Métamorphoses sont la parodie de la mythologie grecque, les Fastes sont bien près d'être la parodie du culte latin. Comme Mascarille travaille à mettre en madrigaux toute l'histoire romaine, Ovide met en contes légers, en «nouvelles», tout le calendrier romain. Ici encore, malgré l'intérêt que présentent certains détails, malgré les renseignements qu'ils offrent aux historiens et aux archéologues, la tentative échoue à cause de la disproportion entre le sujet et les aptitudes de l'auteur. L'intention est un peu la même que celle de l'Énéide et des Odes d'Horace : collaborer au relèvement religieux et national entrepris par Auguste. Comment un écrivain aussi spirituel a-t-il pu commettre une telle méprise ? et comment le «chantre des amours légers», tenerorum lusor amorum, a-t-il pu se croire appelé au rôle de poète national et liturgique ?

Aussi s'en acquitte-t-il fort mal. D'abord, il retombe dans les mêmes fautes que Properce : il se trompe et dans le choix du rythme et dans le choix du modèle. Lui qui avait manié, non sans vigueur, l'hexamètre héroïque, il revient à son mètre de prédilection ; il applique à ce sujet grave le distique léger. Ce contresens rythmique suffirait pour fausser l'oeuvre : qu'on se figure un oratorio écrit sur un mouvement de gavotte. Et il avoue que le sujet exigeait un mètre plus sérieux ! heroi res erat ista pedis. L'imitation des Alexandrins l'engage dans une autre erreur. Il ne prend les choses que par leur petit côté ; il s'amuse à mettre en vers des détails avec force périphrases ; mais on ne peut extraire de ses six livres aucune grande idée. Il ne comprend rien à l'esprit patriarcal de la vieille religion ; il ne sent pas la grandeur de Rome, qu'il vante, mais dont on voit qu'il n'est pas réellement ému. Les flatteries abondent ; les élans sincères de reconnaissance pour l'oeuvre d'Auguste ne s'y trouvent pas. Il fait une oeuvre officielle sans aucune inspiration nationale, liturgique sans aucun sentiment religieux.

Cela serait vite ennuyeux si Ovide n'était que le disciple des Alexandrins. Mais le mondain, l'homme d'esprit reparaît à chaque instant. Il tâche d'égayer une matière qui l'ennuie. Il fait raconter les origines des anciens usages par les divinités elles-mêmes : Janus vient obligeamment lui exposer les particularités du culte qu'on lui rend ; la Muse le renseigne sur la fête des Semailles ; Mars et Vénus, sur les cérémonies des mois qui leur sont consacrés ; sur le sens du nom du mois de Mai, trois étymologies sont proposées par Polymnie, Uranie et Calliope ; Junon, Hébé, la Concorde, Flore, Érato, Vesta se laissent interroger avec la même courtoisie. Puis il a recours aux procédés habituels : les lieux communs sur l'amour de l'or ou sur les bienfaits de la paix, les traits d'esprit (in pretio pretium est, ou sola gerat miles, quibus arma coerceat, arma), par-dessus tout l'affectation de modernisme. Il fait dire à Janus que maintenant on ne veut plus entendre parler des anciennes moeurs ; Janus lui-même n'est pas fâché d'avoir un temple un peu luxueux :

Laudamus veteres, sed nostris utimur annis.
« Nous louons autrefois, et vivons comme on vit aujourd'hui. »

Les légendes trop rudes sont adoucies : ce n'est pas Romulus qui tue Rémus, c'est son lieutenant ; Mars, qui s'est beaucoup civilisé, cause aimablement avec les poètes, quand ce ne serait que pour ennuyer Minerve. La terrible gaminerie d'Ovide n'épargne ni les dieux ni les héros ; il se moque de Romulus qui a par erreur partagé l'année en dix mois :

Arma mugis quam sidera, Romule, noras,
« Pauvre Romulus, tu étais meilleur soldat qu'astronome ! ª

Il se raille des vieux noms de Janus, Clusius et Patulcius ; il représente le marchand qui demande à Mercure de l'aider dans ses fourberies et Mercure qui en rit, Silène toujours amoureux, les nymphes court-vêtues et tous les dieux qui aiment à rire, quicumque jocis non alienus erat ; voilà le monde où il aime à nous transporter, sans se douter qu'il trahit singulièrement les intentions morales et religieuses d'Auguste tout en ayant l'air de les servir. Il narre l'aventure de Faune, si amusante, fabula plena joci, celle de Priape et de Vesta. Ce ne sont que des épisodes, mais fort étendus ; on sent qu'Ovide est tout heureux de rencontrer ces anecdotes qui lui rappellent la matière habituelle de sa poésie. Le reste est plein de détails arides, et Ovide ne cesse d'être ennuyeux que pour être léger et frivole.

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H. Zehnacker & J.-Cl. Fredouille, Littérature latine, Paris, PUF, 1993, p. 202-203 [sans les notes]

[...] En même temps qu'aux Métamorphoses, Ovide travaillait aux Fastes, qui devaient être un commentaire poétique du calendrier religieux de Rome. Il avait prévu d'écrire, en distiques élégiaques, un livre pour chaque mois ; quand il dut quitter Rome, il avait réalisé six livres, de janvier à juin : le reste n'était qu'ébauché.

Il s'y remit pourtant, durant son exil, après la mort d'Auguste. Il révisa alors le livre I et le pourvut d'une nouvelle préface, dédiée à Germanicus [...] ; mais il n'alla guère plus loin. Après la mort du poète, le prologue primitif du livre 1, adressé à Auguste, fut mis en tête du livre 2 (ce qui n'avait pas grand sens) et le tout fut édité tel quel.

La trame du calendrier liturgique romain imposait à Ovide un cadre autrement plus contraignant que la variété foisonnante des fables. Il ne lui suffisait pas d'expliquer l'origine mythique des fêtes et des cultes, et de célébrer l'anniversaire des grands événements nationaux ; il lui fallait insérer toutes ces données dans la succession des jours et des mois. La réforme de César, conduite par les meilleurs astronomes grecs, avait accordé, autant que faire se pouvait, l'année civile et l'année solaire ; mais la succession des fêtes religieuses continuait à porter la marque d'une stratification séculaire.

Dans ce pari presque impossible, Ovide épuise toute sa virtuosité. Les récits étiologiques sont présentés tantôt par les dieux eux-mêmes, tantôt par le poète ou par des personnes qu'il interroge : un prêtre, un vétéran de la bataille de Thapsus, etc. Au livre 1, Janus se soumet avec bonne grâce à une série de questions qui font penser à une interview : il y a parfois un aspect journalistique dans la science toute fraîche d'Ovide. Et lorsque plusieurs explications se présentent, il les accueille toutes. Il s'était laissé guider surtout par les savantes études de Varron et de Verrius Flaccus [...], et les historiens actuels apprécient la sûreté de son information. Mais il a peu de sens religieux, et sa sensibilité, toute moderne, s'accorde mal avec l'évocation des temps anciens : la comparaison avec Virgile n'est pas à son avantage. Du moins cette oeuvre était-elle en accord avec la politique religieuse et culturelle voulue par Auguste.

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P. Grimal, La littérature latine, Paris, Fayard, 1994, p. 339-340 [sans les notes]

La dernière oeuvre à laquelle travaillait Ovide avant sa relégation était un long poème consacré au calendrier religieux et intitulé Fasti (au sens restreint, la liste des jours fastes, ceux qui étaient favorables pour toute action, et, par extension, la liste des jours, quel que fût leur caractère). De ce calendrier sacré nous ne possédons que les six premiers mois, de janvier à juin. Naturellement le poème achevé devait comprendre douze livres. Ont-il jamais été écrits ? Un vers des Tristes [II, 549] l'affirme, mais les six derniers, de juillet à décembre, ont disparu.

Le sujet des Fastes peut, aujourd'hui, nous surprendre, mais, en revenant, pour les écrire, au distique élégiaque, Ovide suit l'exemple de Properce, qui avait consacré le quatrième livre des Élégies à des poèmes étiologiques destinés à exposer l'origine de monuments et de rites romains. Parcours, donc, déjà classique, pour un poète élégiaque, qui se veut disciple de Callimaque ! La recherche des «causes» est l'une des préoccupations de ce temps, où Rome, après les bouleversements des guerres civiles, s'interroge sur sa continuité. Déjà Virgile avait inséré, au livre VIII de l'Énéide, un épisode entier, la promenade d'Énée et Évandre, consacré à la légende de l'Ara Maxima. Le passé légendaire annonce le présent. Il en est le garant mystique. Cette symbolique s'enracine dans le travail des «Antiquaires», Varron puis Verrius Flaccus. C'est aussi le moment où Tite-Live poursuit la rédaction de ses Histoires, qui font une large place aux légendes primitives. Les antiquités nationales sont à la mode. Claude le futur empereur, encore adolescent, se passionne pour l'histoire des Étrusques.

Telle est l'atmosphère dans laquelle Ovide rédigea les Fastes. La mise en oeuvre des antiques légendes, où le poète met côte à côte des traditions romaines et d'autres, venues du monde hellénique, est semblable à celle des Métamorphoses. Dans les deux poèmes nous trouvons la même chronologie légendaire, la même succession des générations divines. Ovide est cohérent avec lui-même. Les principes explicatifs adoptés par lui sont multiples. Il recourt souvent à l'histoire, plus souvent à des spéculations étymologiques, dont certaines peuvent être acceptées par les philologues modernes. Les étymologies sur lesquelles il s'appuie n'ont, en général, rien d'absurde et constituent des documents sur la manière dont le sens des mots est perçu. Ovide lui-même croit, sans aucun doute, à la vérité des explications qu'il avance. Lorsqu'il y en a plusieurs possibles, il les mentionne toutes, laissant le choix à son lecteur. Dans ce poème les divinités sont partout, tantôt comme interlocuteurs du poète, qui les interroge, tantôt comme puissances agissantes, omniprésentes dans la nature. À cet égard le poète est proche de la sensibilité religieuse des Romains de ce temps, qui croyaient à l'efficacité des pratiques décrites ici, échelonnées au fil des jours. Le monde divin, tel qu'il apparaît dans les Fastes, n'est pas artificiel, comme on le dit parfois, en ce sens qu'il n'est en aucune façon inventé par le poète. Il est seulement rendu plus réel par la puissance de la poésie, qui joue ici, une fois de plus, le rôle que joue la peinture dans la vie quotidienne de ce temps. De même, en d'autres temps et en d'autres religions, le sens du divin est incarné dans des images ou des hymnes qui lui servent d'appui.

L'intention d'Ovide était, semble-t-il, d'abord de dédier les Fastes à Auguste. Après l'exil, cela n'était plus possible. Aussi, vraisemblablement en 14 ap. J.-C., à la mort du prince, le dédicataire devint Germanicus, lui-même poète, dont chacun espérait qu'il parviendrait un jour au pouvoir. Espoir déçu. Germanicus mourut en 19, une année, sans doute, après la mort d'Ovide lui-même. Le rappel du poète dépendait de Tibère, qui le lui refusa obstinément.

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Date de dépôt  : 5 novembre 2004

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