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Historiographie du XVe au XVIIIe siècle
Jean Bodin (1529/30-1596)
L'auteur
La vie de Jean Bodin, tout comme sa personnalité, comportent encore bien des zones d'ombre : la chronologie est à certains moments imprécise, les faits eux-mêmes sont souvent mal assurés, les opinions réelles de l'auteur parfois difficiles à percevoir. Il est significatif de voir P. Mesnard, en ouverture de son édition des œuvres du philosophe, proposer une biographie intitulée Vers un portrait de Jean Bodin (p. VII-XXI), comme si un vrai portrait était irréalisable. Elle est suivie, il faut aussi le noter, par la reproduction de la notice consacrée à Bodin dans le Dictionnaire historique et critique de P. Bayle, laquelle, en dépit de sa date [1696], « est encore à l'heure présente [1951] la meilleure biographie de notre auteur, et celle qui contient le moins d'erreurs » (p. VIII).
Jean Bodin est né à Angers, entre juin 1529 et juin 1530, dans une famille bourgeoise, relativement aisée. Il entre très jeune au couvent des Carmes, y prononce ses vœux puis est envoyé à Paris étudier la philosophie. Il est probable que Bodin a profité de ce séjour pour s'initier aux langues anciennes, à la philosophie grecque, à la pensée juive et arabe. Il est vraisemblable aussi qu'à cette époque il s'est laissé tenter par les idées de la Réforme. Il va en tout cas réorienter sa vie. Sans doute relevé de ses vœux vers 1548-49, il quitte Paris, passe par Angers, puis gagne Toulouse où il entreprend des études de droit. Les années qu'il passe dans le Midi sont particulièrement obscures. Bodin a-t-il interrompu son séjour toulousain pour se rendre à Genève où il aurait contracté un premier mariage ? Ce n'est pas impossible. Toujours est-il que l'étudiant Bodin sera chargé d'un cours de droit à Toulouse et qu'en 1559, il prononce et publie un Discours ‒ en latin ‒ au Sénat et au Peuple de Toulouse sur l'éducation à donner aux jeunes gens dans la Répubique où il présente ses idées pour un renouveau de l'instruction publique dans la ville rose et, en conclusion, propose ses services pour leur mise en œuvre. L'orateur ne semble pas avoir été écouté : il quitte Toulouse peu de temps après pour rejoindre Paris où il est admis comme avocat au Parlement vers 1561. Des contemporains, cités par Bayle, disent « que la Plaidoirie ne lui fut pas glorieuse » (p. XXIII). « C'est sans doute, ajoute Bayle, ce qui l'obligea de quitter le Barreau, pour s'adonner à la composition des Livres, où il réussit admirablement. » Il est aussi chargé de plusieurs missions officielles sous les règnes de Charles IX et Henri III. Dans les guerres qui opposent maintenant en France Catholiques et Réformés, Bodin se rallie à un tiers-parti, les Politiques, qui prônent la tolérance et la réconciliation entre les deux clans plutôt que le recours aux armes. En 1571, notre auteur entre au service du dernier fils d'Henri II, François, duc d'Alençon. En 1576, il se (re)marie avec une riche veuve et obtiendra la succession de son nouveau beau-frère, procureur au Presidial de Laon. C'est à cette époque qu'il publie son chef d'œuvre, La République. Cette même année 1576, il est député du Tiers aux États généraux de Blois où il joue un rôle important dans l'opposition à la politique royale, ce qui va détériorer sensiblement ses relations avec Henri III. Autour des années 1580, Bodin accompagne son maître, François d'Alençon, devenu duc d'Anjou, en Angleterre où le prince français voulait conclure un mariage avec la reine Élisabeth, et en Flandre où il s'était allié à Guillaume le Taciturne contre les Espagnols d'Alexandre Farnèse. Le duc d'Anjou étant mort en 1584, Bodin se retire à Laon où il passe ses dernières années, troublées par de nouveaux conflits entre la ville et Henri III, et entre Catholiques et Protestants. Il meurt à Laon au cours de l'été 1596.
Œuvres
Bodin a commencé très tôt à écrire, et sur les sujets les plus variés. On n'évoquera ici que les principaux titres.
Dès 1555, Bodin publie une traduction en vers latins, avec un commentaire, d'un traité sur la chasse (Κυνηγητικά) d'Oppien, un auteur grec originaire d'Apamée de l'époque des Sévères. Ces Oppiani De venatione libri IIII lui vaudront d'ailleurs d'être accusé de plagiat par Turnèbe (cf. Bayle, art. Bodin, note C). En 1559, notre auteur s'intéresse à l'éducation des jeunes gens : c'est le Discours au Sénat et au Peuple de Toulouse dont il a déjà été question un peu plus haut. En 1566, il publie sa Méthode pour faciliter la connaissance de l'histoire, dont il faudra bientôt parler plus longuement. En 1568, il publie La réponse de Jean Bodin aux Paradoxes de M. de Malstroit. Il s'agit ici d'histoire économique : contre Malestroit, Bodin prétend que les prix ont fortement augmenté dans les dernières décennies, il recherche les causes de cette inflation et les remèdes pour la combattre.
En 1576, paraît son chef-d'œuvre, Les Six Livres de la République, monument qu'il serait impossible de résumer en quelques lignes : mieux vaut renvoyer le lecteur à une étude sérieuse, et d'accès facile, comme celle de P. Mesnard dans son Essor de la philosophie politique au XVIe siècle, Paris, 1969, p. 473-546. On ne relèvera ici qu'un aspect de l'ouvrage qui nous intéresse particulièrement, la place importante qu'y tient l'histoire. Bodin, en effet, n'est pas un pur théoricien. Sa République ne ressemble pas à celle de Platon mais plutôt, pour ce qui est de la méthode, à la Politique d'Aristote. Ce dernier, on le sait même si ces études préparatoires ont presque toutes disparu, avait étudié plus de cent cinqante constitutions de cités grecques avant de composer son Cours de Politique (Πολιτικὴ ἀκροάσις), pour reprendre l'intitulé que l'on trouve chez Diogène Laërce. De même, Bodin utilise, pour sa République, une énorme documentation où l'histoire, au sens large, c'est-à-dire l'histoire universelle, occupe une place considérable. Son état idéal n'est pas issu de son imagination mais de l'expérience de l'humanité.
La bibliographie de Bodin s'enrichit en 1580 d'un nouveau titre, sur un sujet plutôt surprenant, la sorcellerie. L'auteur explique dans sa préface que c'est un procès auquel il a participé en avril 1578 qui l'a amené à « mettre la main à la plume, pour esclaircir le subiect des Sorciers, qui semble à toutes personnes estrange à merveilles, & à plusieurs incroyable ». Pour lui, l'existence et la malfaisance des sorcier(e)s sont un fait, même si leurs actes paraissent invraisemblables. « Il ne faut donc pas, dit-il un peu plus loin, s'opiniastrer contre la verité, quand on en voit les effects, & qu'on ne sçait pas la cause. » Son traité, intitulé De la demonomanie des sorciers, comporte quatre livres. Les trois premiers sont consacrés aux différents aspects de la sorcellerie, le quatrième, aux procédures judiciaires à mettre en œuvre contre ces criminels. L'ouvrage, plusieurs fois réédité à la fin du XVIe siècle, ne l'a plus été depuis lors. Il est accessible en version numérisée sur le site BNF Gallica. A noter aussi le jugement très sévère de Michelet sur la Démonomanie de Bodin dans La sorcière (GF-Flammarion, 1966, p. 164)
Signalons enfin un gros ouvrage longtemps attribué à Bodin mais dont l'authenticité est aujourd'hui contestée par certains, le Colloquium heptaplomeres de abditis rerum sublimium arcanis. Il s'agit d'un dialogue à la mode platonicienne dans lequel interviennent sept savants réunis à Venise chez un certain Coroni, catholique. Il y a là deux protestants, un calviniste et un luthérien, un converti à l'Islam, un Juif, un partisan de la religion naturelle et un sceptique, croyant en Dieu mais n'adhérant à aucune confession particulière. On discute évidemment de religion, avec une totale liberté de pensée, pour aboutir à un éloge de la tolérance et au chant du cantique Ecce quam bonum et quam jucundum cohabitare fratres in unum. Le Colloquium a longtemps circulé sous forme de copies manuscrites ; il n'a été édité ‒ en partie ‒ qu'en 1841, et réédité, au complet, en 1857.
La méthode de l'histoire
L'épître dédicatoire à Jean Tessier, qui ouvre La méthode de l'histoire, indique bien l'objectif poursuivi par l'auteur : « Comment recueillir les fleurs de l'histoire et en détacher les fruits les plus doux, cette Méthode, très honorable Président, se propose de l'enseigner » (p. XXIX). Bodin a donc mis au point une méthode pour lire l'histoire, avec profit, pas pour l'écrire. Il s'agit de guider le lecteur dans la masse des ouvrages qui s'offrent à lui ; les historiens, les auteurs, eux, n'ont pas besoin d'une nouvelle méthode, il leur suffit de lire leurs prédécesseurs et de les imiter (T 3, 7). L'épître à Jean Tessier contient une autre information intéressante. Bodin avoue en effet qu'il a été amené involontairement (neque ex mea voluntate) à traiter de la méthode de l'histoire, alors qu'il était occupé à un tout autre sujet, de legibus, c'est-à-dire qu'il avait entamé son grand ouvrage, La République. Il y a donc un lien entre ces deux livres. Ayant commencé sa réflexion sur l'état idéal, l'auteur s'aperçoit, comme Platon autrefois, que le seul moyen de découvrir la législation la meilleure pour le gouvernement de la cité, c'est de recueillir toutes les lois existantes, de les comparer et de choisir les plus satisfaisantes. D'où la nécessité, pour cette collecte, de recourir à l'histoire et à l'histoire universelle, et l'utilité d'une méthode permettant de s'orienter dans la masse des œuvres historiques de tous les temps et de tous les pays.
L'Avant-propos qui suit l'Épître à Tessier ne contient que des idées assez banales. Bodin fait sienne la définition de l'histoire donnée par Cicéron, magistra vitae, et en souligne l'utilité (T 1). Il note que, du fait de son indépendance par rapport aux autres sciences ‒ l'histoire, en effet, n'exige pas ce que nous appelons aujourd'hui des « prérequis » ‒, elle est d'un accès très facile et que, par ailleurs, elle procure au lecteur un plaisir sans égal, capable même de guérir les maux de l'âme et du corps (T 2). Bodin termine son avant-propos en détaillant le plan de l'ouvrage, en dix chapitres, que l'on va rapidement passer en revue.
Les premiers chapitres sont fort brefs. L'auteur commence logiquement par une définition de l'histoire (T 5), fort large puisque, selon lui, cette discipline ne se limite pas à l'étude du passé humain mais s'étend, ou plutôt s'élève jusqu'à la vie de la nature et à l'action divine. Bodin établit en effet une hiérarchie entre ces trois formes d'histoire, la plus haute étant l'histoire sainte qui conduit à la contemplation de l'éternel. Mais la Méthode concernera principalement l'histoire humaine et l'auteur est donc amené un peu plus loin à resserrer sa définition : l'histoire, c'est « la narration exacte des actions passées » (p. 14). Le second chapitre est très confus quant à ses objectifs et à son contenu. D'après le titre, il s'agirait d'indiquer l'ordre qu'il convient de suivre dans l'étude de l'histoire universelle. Le chapitre suivant, de tonalité plus philosophique, propose une analyse et un classement des actions humaines, puis des différents aspects de la vie en société. Bodin évoque ensuite un futur livre ‒ mystérieux ‒ qui traiterait de l'histoire humaine, naturelle et divine, avant de s'égarer dans des historiettes moralisantes provenant pour la plupart de l'antiquité gréco-romaine.
Le chapitre IV, intitulé De historiarum delectu, est plus intéressant. L'auteur y propose quelques règles permettant de bien choisir ses lectures historiques mais rappelle d'abord ce principe, tiré d'Aristote, selon lequel le lecteur ne doit se montrer ni trop crédule, ni trop méfiant : « le prudent lecteur de l'histoire tiendra donc un juste milieu entre ces deux défauts, dont l'un provient de la vanité et l'autre de la sottise » (p. 30). Quant au choix des lectures, voici quelques conseils donnés par la maître : se méfier des louanges qu'un écrivain adresse à ses concitoyens ou à ses amis, comme des critiques qui visent ses ennemis, tenir pour vraisemblable au contraire ce qu'il dit de bien de ses ennemis, règle s'appliquant notamment à des auteurs de panégyriques comme Eusèbe ou Eginhard (p. 32). On se méfiera aussi des mémoires des rois, on leur préférera les récits fondés sur des documennts anciens ; on ne rejettera pas systématiquement des faits paraissant invraisemblables, ils peuvent être admis s'ils sont attestés par des témoins nombreux et en désaccord entre eux sur d'autres sujets ; l'accord des témoins n'offre pourtant pas une garantie absolue, ils peuvent tous se tromper ; si on se trouve devant des récits discordants, on donnera la préférence à ceux qui proviennent des historiens les plus récents car la vérité est souvent lente à voir le jour ; en histoire des religions, là où les passions sont les plus violentes, il ne faut pas s'attendre à trouver la vérité chez un auteur parlant d'une confession rivale mais comparer et vérifier les versions des uns et des autres (T 6). La seconde partie du chapitre se présente autrement. Bodin n'y formule plus de règles générales mais donne son opinion sur des auteurs qu'il juge sans doute particulièrement importants, présentés dans un certain désordre : Hérodote, Thucydide, Salluste, Froissart, Polybe, P. Jove, Denys d'Halicarnasse, Guichardin, Bembo... pour finir pas des « géographistoriens », Alvarez, Léon l'Africain, Strabon, Pausanias etc. Ammien Marcellin clôture de manière inattendue ce défilé (T 8).
Suit un cinquième et curieux chapitre où, sous prétexte d'indiquer les moyens de juger correctement des récits historiques souvent discordants entre eux ou révélant des contradictions internes, Bodin invoque l'influence des astres, du climat, des particularités du sol, des lois etc... sur le caractère, l'aspect physique, la santé des différents groupes humains, et donc sur leur comportement et leur histoire. Il faut reconnaître que ces considérations plutôt fumeuses n'ont avec la discipline historique que des liens assez ténus.
Le chapitre VI, le plus long de l'ouvrage (p. 138-286), relève plus de la pensée politique que de l'histoire. Il suffit de voir les sous-titres introduits par l'auteur pour s'en convaincre : Du magistrat, De la souveraineté, Le gouvernement des Romains, de Sparte, de Venise, Comparaison des trois républiques d'Athènes, Venise et Rome, Le gouvernement aristocratique, monarchique, La constitution germanique etc... A noter le curieux paragraphe intitulé « Les Révolutions des Etats rapportées aux nombres » (T 9).
On revient à l'histoire au chapitre suivant, assez bref. Bodin y réfute des théories fondées sur deux passages du prophète Daniel. D'abord le songe de Nabuchodonosor (Dn, 2) qui a vu dans son sommeil une statue composite, la tête en or, la poitrine d'argent, les jambes de fer, les pieds faits d'un mélange de fer et de terre cuite ; une pierre se détache de la montagne et frappe les pieds de la statue qui s'effondre totalement. En second lieu, un rêve du prophète lui-même (Dn, 7) : trois bêtes effrayantes surgisent de la mer, puis une quatrième, plus monstrueuse encore, qui finit par être tuée, avant que les trois autres ne subissent le même sort. Bodin rejette catégoriquement les interprétations données par Mélanchton, Sleidan, d'autres encore qui voyaient dans ces récits l'image de quatre monarchies résumant l'histoire de l'humanité ou de l'âge d'or que les hommes auraient connu aux origines.
Dans son chapitre VIII, Bodin traite de la chronologie universelle, indispensable, selon lui, pour ne pas s'égarer dans le labyrinthe de l'histoire (T 11). Il aborde d'abord la question sous un angle philosophico-théologique : le monde a-t-il eu un commencement ou, comme le croyait Aristote, serait-il éternel ? Aura-t-il un fin ? On ne s'étonnera pas de lire la conclusion (p. 317) : il y a eu un commencement et il y aura une fin des temps. Bodin passe alors à des problèmes plus concrets. Se fondant sur la Bible, qui lui permet de remonter aux origines du monde et de l'humanité, il fixe un certain nombre de dates : par exemple, de la création du monde à Philon, sous Caligula, il y a eu exactement 4000 ans (p. 319) ; Ninus, le fondateur de l'empire assyrien, a régné 250 ans après le Déluge (p. 319-320) ; la seconde guerre médique et la défaite de Xerxès se situent en l'an 3486 de la Création (p. 321), Création qui a eu lieu en automne (p. 324). Bodin trouve aussi des raisons d'admettre les passages de la Bible qui font vivre les patriarches 600, 800, voire 900 ans (p. 322-323). Il aborde ausi des questions plus techniques comme l'invention des ères, des années lunisolaires, des jours intercalaires ; il explique la réforme du calendrier décidée par César (p. 327). Le chapitre se termine par un aveu d'impuissance quant à savoir la date et la manière dont le monde finira : c'est une énigme pour les anges eux-mêmes.
Le chapitre IX est sans doute un des plus originaux de l'ouvrage : l'auteur y propose une méthode pour connaître l'origine réelle des peuples, loin des légendes dont ceux-ci aiment les orner, se prétendant autochtones, quand ils ne se disent pas descendants d'une divinité. Il faut d'abord, pense-t-il, se reporter à Moïse, c'est-à-dire au début de la Genèse, et admettre que tous les peuples ont une origine commune (p. 335). Puis est venue la dispersion dans toutes les régions de la terre, y compris les plus déshéritées. D'après Bodin, établir la provenance authentique de ces groupes humains est possible, et l'auteur de proposer pour ce faire trois directions de recherche (p. 336 et sv.) : d'abord vérifier la confiance que méritent les historiens qui traitent ce sujet ; ensuite, et ceci est plus neuf, recourir à la linguistique. Les langues en effet évoluent, pour différentes raisons, le vieillissement naturel, par exemple, ou le contact avec des idiomes étrangers ; elles gardent pourtant des traces de leurs états antérieurs, ainsi le grec et le latin qui ont conservé des mots de provenance hébraïque et qui remontent par là au chaldéen, parler du plus ancien de tous les peuples. Bodin développe beaucoup moins ses idées quant à la troisième direction à prendre dans la recherche des origines des groupes humains, le recours « à la situation et à la description des lieux » (p. 336). Il observe simplement que, dans leurs pérégrinations, les peuples occupent d'abord les régions les plus favorables et ne les quittent pour des pays plus rudes que s'ils y sont forcés (p. 338). L'étude de la géographie permet donc elle aussi de reconstituer les déplacements de nos ancêtres.
Le dernier chapitre est une simple liste des principaux historiens de tous les temps et de tous les pays, avec la date de leur acmé et le titre de leurs œuvres, rangés dans quelques grandes catégories : auteurs d'histoires universelles, historiens des religions, historiens de l'Orient, de la Grèce, de Rome, des Gaulois, des Germains, des Slaves etc.
Qu'en est-il de l'accueil réservé à ce curieux ouvrage et de son influence sur la méthode historique ?
Il est incontestable que le le livre de Bodin a connu un certain succès : dans sa bibliographie, J.L. Brown ne recense pas moins de dix éditions parues entre 1566 et 1650 (The Methodus... of Jean Bodin, p. 195). L'œuvre n'a pourtant pas suscité que des applaudissements. Sans doute ne faut-il pas accorder beaucoup d'importance au jugement de Scaliger : « elle [la Méthode] ne répond nullement à son titre et Bodin y traite à peu près de toutes choses à l'exception de l'Histoire » (cité par Mesnard, Jean Bodin, La Méthode de l'histoire, p. XXIV). Scaliger n'avait pas bon caractère et, selon l'abbé Lenglet Dufresnoy, n'avait que dédain pour la travail d'autrui (T 12). Son contemporain, La Popelinière, est plus nuancé, quoique, lui aussi, assez critique (T 16). S'il reconnaît que la Méthode de Bodin est meilleure que d'autres ouvrages du même genre, il en souligne aussi quelques défauts : une conception trop large de l'histoire qui, selon lui, ne devrait s'intéresser qu'aux affaires humaines, et un intérêt pour des sujets (géographie, astronomie...) qui lui paraissent hors de propos. Dans son Dictionnaire historique et critique, P. Bayle consacre à notre auteur une notice assez brève mais, comme d'habitude, accompagnée de notes très abondantes (reproduite dans P. Mesnard, Œuvres philosophiques de Jean Bodin, p. XXIII-XXXVII). C'est la note N qui mérite l'attention. Bayle y analyse les réactions suscitées par les différentes œuvres de Bodin chez ses contemporains : « Il y a autant d'hyperbole dans les louanges que Gabriel Naudé lui a données... que d'injustice dans le mépris que Cujas, Scaliger, et quelques autres lui ont témoigné ». Et de conclure : « si nous voulons disputer à Jean Bodin la qualité d'Écrivain exact et judicieux, laissons lui sans controverse un grand génie, un vaste savoir, une mémoire et une lecture prodigieuses » (cf. P. Mesnard, Œuvres philosophiques de Jean Bodin, p. XXXI-XXXII).
Au début du XVIIIe siècle, l'abbé Lenglet Dufresnoy revient sur le sujet déjà traité par Bodin et publie à son tour une Méthode pour étudier l'histoire (T 12). L'auteur reconnaît à son prédécesseur du bon sens, admet qu'on trouve dans son ouvrage de sages réflexions et trouve injustes les critiques de Scaliger. A ses yeux, la Méthode de Bodin n'est pourtant pas sans défaut, ce qui, avoue-t-il, ne l'a pas empêché de s'en inspirer. A peu près au même moment ‒ nous sommes en 1716 et la Méthode de Lenglet date de 1713 ‒, le chancelier d'Aguesseau envoie à son fils aîné des instructions quant à la conduite de ses études. Pour l'histoire, il reconnaît que la Méthode de Bodin est le meilleur guide qui soit : « je vous dirai en passant que c'est un livre qui mérite que vous le lisiez comme un des meilleurs, et peut-être même, à tout prendre, le meilleur de ceux qui ont été faits sur ce sujet ». Ce livre, poursuit-il, n'a qu'un défaut, c'est de proposer un programme de lectures trop vaste, supposant des loisirs dont les magistrats ne disposent plus aujourd'hui (Discours du Chancelier d'Aguesseau, Nouv. éd. augmentée de ses Instructions à son fils, t. II, Paris, 1822, p. 79).
Aux « égarements » de Bodin, pour reprendre la formule de Lenglet Dufresnoy, va s'ajouter maintenant un autre motif d'oublier sa Méthode de l'histoire. C'est que les centres d'intérêt des historiens ont évolué. Ils ne se soucient plus guère de mettre au point des méthodes pour lire, connaître, apprendre l'histoire ; ils vont plutôt s'interroger sur la façon de l'écrire correctement, sur les sujets qui méritent d'être étudiés, sur les sources à utiliser et les opérations critiques auxquelles il faut les soumettre, des thèmes ignorés par Bodin et qu'il n'avait d'ailleurs pas à envisager dans les perpectives qui étaient les siennes. Est-ce à dire que Bodin n'a exercé aucune influence sur le développement de l'historiographie, ainsi qu'on peut le lire dans l'Histoire de l'historiographie moderne d'Ed. Fueter (Paris, 1914, p. 541) ? Certainement pas, mais cette influence ne se manifeste pas immédiatement. Comme l'a bien montré G. Huppert, Bodin est de ceux qui ont montré le plus clairement l'intérêt, et même la nécessité, d'une histoire universelle, s'étendant jusqu'aux Turcs et aux Arabes, aux Tartares et aux Moscovites (L'idée de l'histoire parfaite, ch. V). Mais il faudra attendre des œuvres comme celles de Voltaire ou de Herder pour entrevoir la réalisation d'un tel programme. Bodin est aussi un des promoteurs les plus notables du comparatisme en histoire, plus particulièrement dans l'histoire des institutions : pour lui, le progrès de la discipline passe par cette méthode, qui ne s'imposera pourtant que lentement et difficilement (cf. J.-M. Hannick, Brève histoire de l'histoire comparée, dans G. Jucquois - Chr. Vielle, Le comparatisme dans les sciences humaines. Approches pluridisciplinaires, Bruxelles, 2000, p. 301-325).
Bibliographie
Texte/Traduction :
‒ La méthode de l'histoire, trad. P. MESNARD, Paris, 1941 (Publ. de la Faculté des Lettres d'Alger, 2e sér., t. 14).
‒ Œuvres philosophiques de Jean Bodin, éd.- trad. P. MESNARD, Paris, 1951 (Corpus général des philosophes français. Auteurs modernes, V 3). [Contient le Discours au Sénat et au Peuple de Toulouse, le Tableau du Droit universel, la Méthode de l'histoire].
‒ La Response de Jean Bodin à M. de Malestroit - 1568 -, nouv. éd. H. HAUSER, Paris, 1932.
‒ Colloque entre sept scavans qui sont de differens sentimens des secrets cachez des choses relevées. Traduction anonyme du Colloquium heptaplomeres de Jean Bodin, éd. F. BERRIOT e.a., Genève, 1984 (Travaux d'Humanisme et Renaissance, 204).
Bibliographie :
‒ COUZINET Marie-Dominique, Jean Bodin, Paris, 2001 (Bibliographie des écrivains français, 23).
Études :
‒ BALDINI A.E. (éd.), Jean Bodin a 400 anni dalla morte. Bilancio storiografico e prospettive di ricerca, Il Pensiero politico, 30.2, 1997.
‒ BROWN J.L., The Methodus ad Facilem Historiarum Cognitionem of Jean Bodin. A Critical Study, Washington, 1039.
‒ CHAUVIRÉ R., Grandeur de Bodin, dans Revue historique, 188-189, 1940, p. 378-397.
‒ COTRONEO G., Le Quatrième Chapitre de la « Methodus ». Nouvelles Analyses et Perspectives Historiographiques, dans Actes du Colloque international Jean Bodin à Munich, p. 87-103.
‒ COUZINET Marie-Dominique, Histoire et méthode à la Renaissance. Une lecture de la Methodus ad facilem historiarum cognitionem de Jean Bodin, Paris, 1996 (Coll. Philologie et Mercure).
‒ COUZINET Marie-Dominique, Histoire et méthode chez Jean Bodin, dans Il Pensiero politico, 30.2, 1997. p. 217-232.
‒ DENZER H. (éd.), Actes du colloque international Jean Bodin à Munich, Munich, 1973 (Münchener Studien zur Politik, 18).
‒ FRANKLIN J.H., Jean Bodin and the Sixteenth-Century Revolution in the Methodology of Law and History, New-York, 1963.
‒ FREUND J., Quelques aperçus sur la conception de l'histoire de Jean Bodin, dans Actes du Colloque international Jean Bodin à Munich, p. 105-122.
‒ HUPPERT G., L'idée de l'histoire parfaite, Paris, 1973 [Ch. V Une méthode simple pour l'intelligence d'une histoire universelle].
‒ KELLEY D.R., The Development and Context of Bodin's Method, dans Actes du Colloque international Jean Bodin à Munich, p. 123-150.
‒ SEE H., La philosophie de l'histoire de Jean Bodin, dans Revue historique, 175, 1935, p. 497-505.
‒ WEBER H., Jean Bodin et la vérité historique, dans GADOFFRE G. (Dir.), Certitudes et incertitudes de l'histoire. Trois colloques sur l'histoire de l'Institut collégial européen, Paris, 1987, p.77-86.
‒ ZARKA Y.-Ch. (Dir.), Jean Bodin. Nature, histoire, droit et politique, Paris, 1996 (Coll. Fondements de la politique).
Textes choisis
La méthode de l'histoire (trad. P. Mesnard, 1941)
L'histoire compte de nombreux panégyristes qui lui ont décerné des louanges aussi méritées qu'appropriées : mais entre tous celui-ci mérite la palme qui l'a nommée « maîtresse de la vie ». Par ce terme qui embrasse toutes les ressources de toutes les vertus et de toutes les sciences il a voulu très opportunément signifier que toute la vie des hommes doit être régie par les lois sacrées de l'histoire comme par le canon de Polyclète. Et en effet la philosophie que l'on appelle souvent de son côté guide de la vie aurait depuis longtemps cessé de nous rappeler les termes extrêmes des biens et des maux si elle n'avait retrouvé dans l'histoire les dits, les faits et les enseignements du passé. C'est grâce à l'histoire que le présent s'explique aisément, que le futur se pénètre et que l'on acquiert des indications très certaines sur ce qu'il convient de rechercher ou de fuir. Aussi m'étonné-je de voir que parmi une si grande multitude d'écrivains et à une époque aussi savante il ne se soit encore trouvé personne pour comparer entre elles les histoires célèbres de nos ancêtres ni pour les confronter avec les gestes des anciens. Mais cela ne serait point difficile à réaliser si après avoir rassemblé tous les genres d'actions humaines, on classait convenablement la variété des exemples. Ainsi seraient très justement voués aux malédictions tous ceux qui se seraient complètement abandonnés à des vices dégradants, tandis que l'on louerait pour leurs mérites ceux qui auraient brillé par quelque vertu ; et l'on tirerait de l'histoire le fruit le plus important puisque l'on pourrait grâce à elle enflammer les uns pour le bien et détourner les autres du mal (Avant-propos, p. XXXVIII = éd. 1951 p. 278).
T 2 - Facilité et agrément de l'histoire
Mais en dehors de cet incroyable profit, les deux choses que l'on a coutume de rechercher en tout savoir, la facilité et l'agrément, s'accordent si bien dans l'histoire qu'on ne trouverait aucune discipline ou la facilité soit plus grande et le plaisir équivalent. Cette facilité est telle que, sans solliciter le secours d'un art étranger, l'histoire d'elle-même est accessible à tous. Tandis que les autres sciences s'enchaînent les unes aux autres dans une mutuelle dépendance, si bien que l'on ne peut en posséder l'une si l'on ne connaît pas la voisine ‒ l'histoire, au contraire, comme si elle occupait au-dessus des autres disciplines une place prééminente, ne sollicite aucun autre concours, et pas même celui de l'écrivain puisque la postérité la reçoit par tradition orale aussi bien que sous forme écrite ...
Mais à la facilité s'ajoute le plaisir que l'on éprouve au récit des plus beaux exploits, et ce plaisir est si grand que celui qui reçoit un jour le tendre baiser de l'histoire ne souffrira plus désormais qu'on l'arrache à sa douce étreinte. Si les hommes sont en effet animés d'un tel désir de savoir qu'ils se délectent même aux récits fabuleux, quelle joie n'éprouveront-ils pas devant des hauts faits authentiques ? Et qu'y a-t-il donc de plus agréable que de contempler dans l'histoire comme dans un tableau les actes des anciens ; de plus plaisant que de regarder leurs ressources, leurs richesses et leurs armées face à face ? Tel est le plaisir éprouvé qu'il suffit parfois à porter remède aux maux de l'âme et du corps : témoins, entre mille autres, Alphonse et Ferdinand, rois d'Espagne et de Sicile qui recouvrèrent la santé en relisant l'un Tite-Live et l'autre Quinte-Curce, alors que les médecins s'étaient reconnus impuissants. Témoin aussi Laurent de Médicis, surnommé le Père des Lettres, qui sans autre médecin (l'histoire, il est vrai, est un médicament salutaire), sortit, dit-on, de maladie en écoutant l'histoire de l'empereur Conrad III. Celui-ci avait enfin eu raison par un long siège du duc Guelfe de Bavière, et rien ne semblait pouvoir le détourner de son projet de renverser et de raser sa capitale : mais cédant à la fin aux prières des femmes nobles il leur permit de se retirer sans dommage à condition de n'emporter de la cité que ce qu'elles auraient sur leurs épaules. Alors elles entreprirent, avec une audace qui me paraît encore l'emporter sur leur piété, de charger sur leurs épaules leur duc et leurs maris, leurs enfants et leurs parents. Or l'empereur en fut si doucement ému qu'il versa des larmes de joie et que non content de renoncer à sa vengeance et à sa colère, il alla jusqu'à épargner la ville et à lier amitié avec son ennemi le plus déclaré (p. XL-XLII = éd. 1951 p. 279).
C'est d'ailleurs, en ce qui me concerne, l'incroyable utilité de cette discipline qui m'a poussé à entreprendre cet ouvrage : il était manifeste en outre que s'il n'y avait point disette d'auteurs personne n'avait cependant défini le contenu et la méthode de l'histoire : si bien que l'on voyait jusqu'ici la plupart des écrivains mêler maladroitement et imprudemment leurs sources, sans en tirer le moindre enseignement. Et je veux bien reconnaître qu'on en a trouvé quelques-uns avant moi pour écrire des livres sur la manière de composer l'histoire [qui de instituenda historia libros scripserunt] ; et sans doute leur dessein relève-t-il d'une intention louable. Mais pour autant qu'il m'est permis, je comparerais leur conduite à celle de certains médecins qui, après avoir proposé au malade toute espèce de médicaments, discutent à nouveau sur le traitement convenable sans s'efforcer pour autant d'étudier la force et la nature de tous les remèdes dont ils ont usé et abusé, ou de les adapter à la maladie en question. Telle est pourtant l'attitude de ceux qui composent des livres sur les canons de l'histoire [sic illi quoque de scribenda historia libros instituunt], alors que tous les livres sont pleins de références aux ouvrages anciens et que les bibliothèques regorgent d'historiens : ne feraient-ils pas mieux d'inviter à les lire et à les imiter, plutôt que de disserter en forme sur les exordes, les développements, la valeur des mots et des phrases ? (p. XLIII-XLIV = éd. 1951, p. 280-281).
Afin donc que ce que nous avons entrepris d'écrire sur la méthode historique ait quelque valeur didactique, nous commencerons par définir l'histoire et ses principales divisions ; puis nous étudierons la succession chronologique ; en suite de quoi, pour soulager la mémoire, nous adapterons à l'histoire les développements classiques touchant les actions humaines ; puis nous établirons entre tous les historiens notre choix particulier ; nous discuterons alors sur le jugement critique en matière d'histoire. Cela nous conduira à étudier la constitution des républiques, qui contient tout le secret de cette science historique ; et nous pourrons alors réfuter ceux qui ont voulu nous imposer leurs quatre monarchies et leurs quatre siècles d'or. Tout cela une fois expliqué, afin que l'on puisse savoir où rechercher et reporter l'origine des récits historiques, nous tâcherons de rétablir la succession des temps malgré son obscurité et sa confusion apparentes ; cela nous permettra de déceler l'erreur de ceux qui nous ont transmis comme sûres les origines fabuleuses des nations. Et nous terminerons en dressant le catalogue et la succession des historiens pour que l'on puisse être fixé avec certitude sur les sujets qu'ils ont traités et l'époque où ils florissaient (p. XLIV = éd. 1951 p. 281).
T 5 - De l'histoire et de ses diverses sortes
Il y a trois sortes d'histoire ou de récit véridique : l'histoire humaine, l'histoire naturelle et l'histoire sacrée. La première se rapporte à l'homme, la seconde à la nature et la troisième à son auteur. L'une expose les gestes de l'homme à travers ses sociétés ; l'autre étudie les causes opérant dans la nature et déduit leur marche progressive à partir d'un premier principe ; la dernière enfin revendique et considère l'action et les manifestations du Dieu Souverain et des esprits immortels. Ces trois disciplines conduisent donc à trois sortes d'assentiment qui s'accordent à la vraisemblance, à la nécessité logique, à la foi ; et aux vertus correspondantes, la prudence, la science et la religion. La première vient opérer la discrimination de l'honnête et du honteux, la seconde du vrai et du faux, la troisième de la piété et de l'impiété. L'une reçoit de sa conformité à la raison et à l'expérience le titre de guide de l'existence ; l'autre de la recherche des secrets de la nature celui d'inquisiteur universel ; et la dernière, de la grâce de Dieu à notre égard le nom de fléau des vices. Ces trois vertus conjuguées engendrent la sagesse authentique, le bien suprême et souverain de l'homme. Ceux qui dès cette vie participent à ce bien sont appelés bienheureux ; et puisque c'est pour en jouir que nous venons au monde, nous agissons en ingrats si nous n'embrassons pas ce bien qui nous est offert par la faveur divine, et nous nous trouvons malheureux quand nous en sommes séparés (Ch. I, p. 1 = éd. 1951 p. 281).
T 6 - Règle de critique historique
Ce n'est d'ailleurs pas qu'il faille chercher la vérité historique dans les mémoires des rois portés à se vanter eux-mêmes : mais ils n'en rapportent pas moins tout ce qui, de près ou de loin tourne à leur éloge ou à leur blâme, renseignements chronologiques, géographiques, administratifs, touchant les divers règnes et leur succession, et surtout la raison d'état qui sert de masque aux intérêts des princes. Il faut à ce sujet rapporter l'enseignement de Métasthène [cf. p. 375 : le Persan, 330 a.C.] : « Sans doute ne faut-il point croire tous ceux qui ont écrit l'histoire des divers règnes ; mais on doit réserver un assentiment privilégié à ces prêtres qui recevaient le dépôt et la garde des annales publiques, comme Bérose qui a ainsi compilé et mis en ordre toute l'époque des Assyriens d'après leurs chroniques anciennes ». Et si quelque histoire allègue des témoins si nombreux qu'elle ne puisse être rejetée, même lorsqu'elle nous paraît incroyable, elle n'en présente pas moins les plus grandes présomptions d'authenticité, surtout si les témoins sont en discordance sur les autres points. Qui eût cru par exemple que le Sénat romain se serait ému du songe d'un paysan qui réclamait au nom de Jupiter la célébration de nouveaux jeux sous prétexte qu'aux précédents le premier danseur avait mal rempli son office ? Le Sénat romain n'en décréta pas moins de nouveaux jeux... Et certes si cette histoire ne reposait que sur l'autorité d'une seul auteur, personne n'y ajouterait foi ; mais le fait est confirmé à la fois par Plutarque, Tite-Live, Denys, Valère et Pline, qui n'ont probablement pu se tromper tous à la fois sur un fait public de cette importance. Il est vrai qu'on peut m'objecter : chacun de ces écrivains peut avoir été entraîné par l'erreur de l'un d'eux. Cela n'est certes pas impossible, et non seulement dans l'histoire humaine mais encore dans l'histoire naturelle. On rapporte, par exemple, depuis la plus haute antiquité qu'à l'approche de leur mort les cygnes exhalent un mélodieux chant funèbre : le fait est affirmé non seulement par les poètes et par les peintres, à partir d'Eschyle, mais même par les principaux philosophes, Platon, Aristote, Chrysippe, Philostrate, Cicéron, Sénèque. Cependant Pline en premier lieu, et bientôt Athénée aussi, après une longue expérience, soutinrent que c'était là une pure imagination, et nous en sommes aujourd'hui convaincus.
Mais ces histoires naturelles, qu'elles soient exactes ou non, se comprennent toujours aisément. Il n'en va pas de même pour les histoires humaines, qui diffèrent toujours les unes des autres. Et par exemple on trouve de nombreux historiens pour rapporter que Charles d'Orléans, accusé de lèse-majesté, avait été exécuté à Paris : et il ne s'agit pas là d'un ou deux témoins isolés, mais peut-être d'une vingtaine. Il n'en demeure pas moins établi que ce prince, après une captivité de trente années en Angleterre, revint en France et y mourut tranquillement ; et mon compatriote Guillaume Du Bellay souligne à cette occasion la négligence des historiens qui donnent pour assuré ce qu'un bruit récent a seul répandu. Et c'est la même erreur que reproche Strabon à Possidon [Poseidonius d'Apamée], Eratosthène et Métrodore, qui auraient donné comme histoire authentique les racontars des gens les plus frivoles : mais Possidon s'est appuyé sur l'autorité de Cneius Pompée pour ne rien écrire de téméraire. Là où les historiens ne sont pas d'accord, je pense qu'il vaut mieux en croire les plus récents, s'ils emploient des preuves péremptoires ou tout au moins suffisantes pour mériter l'assentiment. Tels sont en effet le caractère et la nature de la vérité qu'elle ne parvient à la lumière qu'après un très long délai, lorsque les erreurs populaires, les flatteries et les haines se sont définitivement calmées. Et comme les animosités les plus violentes proviennent de la différence de religion, il ne convient donc pas de solliciter l'opinion des païens sur les juifs, ni celle que les juifs peuvent bien avoir des chrétiens, ni même celle de nos historiens sur les Maures et Musulmans : mais il faut comparer entre eux les historiens les plus qualifiés, de quelque provenance qu'ils soient, et examiner si leurs récits eux-mêmes sont bien avérés. D'ailleurs en la matière la plupart des défaillances proviennent moins de mensonges délibérés que de l'ignorance de l'antiquité : ainsi ce que les anciens Grecs ont pu écrire des Romains et des Celtes, ou les Romains des Chaldéens et des Hébreux est presque entièrement controuvé, parce que les premiers nommés ignoraient entièrement les origines des autres (Ch. IV, p. 34-36 = éd. 1951 p. 296-297).
T 7 - Rejet de certains théoriciens de l'histoire
Arrivons-en maintenant au choix du plus parfait [historien]. En espérer de meilleurs que ceux que nous possédons, paraîtrait folie pure ; en souhaiter, un crime. Je n'ai jamais, en effet, considéré comme très utiles les recherches de ceux qui se forgent l'idée d'un historien accompli tel qu'il n'y en eut jamais et qu'il ne saurait y en avoir davantage, et qui en attendant oublient ceux que nous tenons sans cesse entre nos mains. Et qui donc doute qu'un historien ne doive être un homme grave, intègre, sérieux, intelligent, disert, au courant de la vie publique et privée ainsi que de tous les faits notables ? Ce serait en effet une grande sottise de n'admirer dans l'histoire que la force de l'éloquence, l'invention du discours ou l'agrément des digressions : car je tiens pour établi qu'on ne peut rechercher tout ensemble l'agrément et la vérité ‒ c'est d'ailleurs ce que Thucydide, Plutarque et Diodore reprochent à Hérodote (Ch. IV, p. 41 = éd. 1951, p. 300)
T 8 - Du choix des historiens : Ammien Marcellin
Mieux aurait valu pour eux [les écrivains ecclésiastiques parlant des païens] imiter la sincérité d'Ammien Marcellin et son effort pour dégager la vérité. Celui-ci se contente, comme tout écrivain de premier ordre, de noter avec la plus grande exactitude les qualités et les défauts des princes. Il reproche à Julien d'avoir confondu (suivant ses propres paroles), la religion chrétienne « simple et essentielle » avec la superstition des bonnes femmes, d'avoir cruellement interdit les belles-lettres aux chrétiens et d'avoir fait tuer les comtes palatins de Constance. Mais il célèbre par contre ses rares qualités par des louanges remarquables, soulignant son extrême sobriété, sa force, sa continence, son amour de la sagesse et sa justice inaccessible aux remous de l'opinion...
Ammien, lui, était de race grecque, et, comme lui-même nous l'apprend, soldat. Compagnon inséparable d'Ursicin, le grand maître de la cavalerie, il assista ainsi à la plupart des campagnes que les Romains effectuèrent à son époque en Europe et en Asie ; il nous les raconte entièrement en dix-huit livres qui vont de la trentième année du règne de Constance jusqu'à la mort de Valens. Ils étaient précédés de treize autres qu'il nous faut suppléer par les uvres d'autres auteurs, car il commençait à Nerva, là où avait cessé l'histoire de Tacite qu'il paraît s'être proposé de suivre et d'imiter entre tous. Mais ils diffèrent cependant en ceci que Tacite épouse la solennité de la langue romaine qu'on parlait à son époque, tandis qu'Ammien est un écrivain grec, qu'il emploie la langue latine, ou ce qui est plus fréquent, la grecque. Il lui arrive en outre plus souvent de s'écarter du but fixé, mais les plus grands hommes n'échappent pas à ce défaut, puisque Possidonius établit de manière indiscutable sa présence jusque chez Cicéron (Ch. IV, p. 65-66 = éd. 1951 p. 312-313).
Remarquons tout d'abord ceci : que le nombre parfait de six affecte les femelles et le nombre sept les mâles. Ainsi pour les uns et pour les autres les maladies sont dangereuses qui arrivent dans les années multiples de sept et de neuf, et dans toute la nature l'influence de ces nombres est considérable. Tous les sept ans dit Sénèque, nous franchissons un palier (et cela s'entend des mâles). Or je n'ai pas été sans éprouver un certain étonnement en vérifiant sur de nombreux exemples que les révolutions survenaient dans les Etats lorsque les nombres sept et neuf s'y rencontraient soit multipliés l'un par l'autre, soit élevés au carré, au cube ou à la puissance sphérique. La mort des hommes, il est vrai, arrive souvent dans les années multiples de 7 et de 9, comme on peut s'en rendre compte aisément : c'est à dire à 14, 18, 21, 27, 28, 35, 36, 42, 45, 49, et 56 ans. Lorsque le nombre sept concourt avec le nombre 9 toute l'antiquité trouve que l'année est particulièrement dangereuse. C'est ainsi qu'Auguste se félicite dans une lettre à des amis d'avoir heureusement passé la soixante-troisième année, qu'il déclare fatale à tous les vieillards. Puis vient la soixante-dixième dans laquelle mourut Pétrarque le jour anniversaire de sa naissance ...
Enfin un nombre d'hommes considérable meurent à 63 ans : Aristote, Chrysippe, Boccace, saint Bernard, Erasme, Luther, Melanchton, Sylvius, Aléandre, Jacques Storm, Nicolas de Cuse, Thomas Linacre, tous emportés par quelque maladie, et au même âge Cicéron est tué. A 72 ans le pape Alexandre [VI Borgia] est empoisonné, à 99 ans Isocrate, après avoir appris le désastre de Chéronée, se laissa mourir de faim. Pline succombe à l'asphyxie à 56 ans, César est assassiné, Æcolampade meurt de chagrin à 49 ans, et Atticus d'inanition à 77.
Nous adopterons donc la même façon de voir en ce qui concerne le changement des Etats, mais en portant au carré et au cube les nombres de 7 et de 9 ou en multipliant le cube ou le carré de l'un par la base de l'autre, ou par le nombre parfait, ou encore par tous les cubes sphériques et solides contenus dans le grand nombre ; enfin par le carré ou le cube de douze que les Académiciens appellent le grand nombre de Platon (Ch. VI, p. 216-217 = éd. 1951 p. 389).
T 10 - A propos de la théorie des quatre empires
Cette erreur invétérée concernant les quatre empires, vulgarisée par de grands auteurs, a poussé de si profondes racines qu'elle semble aujourd'hui impossible à extirper. Elle a pour elle en effet un nombre presque infini d'exégètes et pour citer les plus récents Luther, Melanchton, Sleidan, Lucidus, Funck, Onuphre, tous excellents connaisseurs des livres saints et de l'histoire ancienne : et leur autorité m'imposait au point que j'ai été très longtemps avant de croire que l'on pût élever sur ce point le moindre doute. En outre j'étais ébranlé par l'autorité de Daniel dont il serait criminel d'affaiblir le crédit et impie de ruiner l'autorité. Mais j'ai fini par comprendre que les paroles de Daniel, obscures et ambiguës, pouvaient se prendre en divers sens ; et dans l'interprétation des oracles j'ai préféré employer la formule bien connue des jurés : « ma conviction n'est pas faite » plutôt que de donner témérairement sur l'autorité d'autrui mon asssentiment à quelque proposition que je n'entends point. Et j'approuve fort l'attitude aussi prudente que courtoise de Calvin qui, prié de donner son sentiment sur l'Apocalypse, répondit sans détour qu'il ignorait complètement le sens d'un livre aussi obscur et que d'ailleurs, quel qu'en soit l'auteur, il ne pouvait prendre rang parmi les écrivains scientifiques.
Je ne vois pas pourquoi nous voulons à toute force voir dans la statue et les bêtes féroces dont nous parle Daniel l'image des empires qui nous ont précédés dans l'histoire ou qui florissent aujourd'hui. Il convient en tout cas de définir en premier lieu la monarchie par sa constitution et son territoire, par la race illustre du prince ou du peuple dont il s'agit. Or, ce point capital, les commentateurs des prophéties ne l'ont pas suffisamment éclairci. Ils se sont bornés au contraire à affirmer que par cette vision de la statue et des quatre bêtes fauves le prophète avait voulu représenter quatre empires, à savoir ceux des Assyriens, des Perses, des Grecs et des Romains, et ils ne pensent pas qu'il puisse jamais en exister d'autres : ce sont maintenant les Allemands, ajoute-t-on, qui gouvernent à l'empire romain. Mais comme ces commentateurs sont eux-mêmes d'Allemagne je pense que leur opinion est dictée par le souci de flatter leur nom et leur pays, ce qui n'a rien à voir avec l'interprétation objective de Daniel (Ch. VII, p. 287-288 = éd. 1951 p. 424-425).
T 11 - De la chronologie universelle
Ceux qui croient pouvoir entendre l'histoire sans la connaissance des dates commettent la même erreur que s'ils prétendaient se reconnaître sans guide dans un labyrinthe : on les verrait alors se porter de ci de là sans pouvoir trouver la sortie. Mais dans la première hypothèse on voit également les téméraires errer d'un pas incertain dans les innombrables dédales de l'histoire sans savoir où ils commencent ni où s'en trouve l'issue. Mais la chronologie sera le guide de l'histoire, et comme un fil d'Ariane nous conduisant aux retraites les plus cachées, non seulement elle nous gardera de toute erreur, mais elle nous permettra souvent de ramener dans la bonne voie les historiens égarés. C'est pourquoi nous voyons les écrivains les plus distingués prendre un si grand soin des dates qu'ils ne se bornent pas à noter les années et leurs diverses saisons, mais qu'ils précisent les mois et les jours, voire le moment de la journée où quelque chose s'est passé : parce qu'ils ont fort bien compris que sans une détermination du temps aussi exacte que possible il devient malaisé de tirer de l'histoire le moindre profit. Puisque donc l'intérêt essentiel de l'histoire repose sur cette connaissance des dates, j'en ai conclu que l'établissement d'une chronologie universelle était indispensable à cette Méthode, tant par son utilité directe, que pour apporter un peu de lumière dans les controverses entre historiens sur la situation relative des diverses époques.
Il nous faudra donc naturellement commencer par fixer une origine du temps, sans quoi cette dissertation serait vaine : et comme l'argument d'autorité n'a pas cours chez ceux qui font profession de suivre la raison, nous aurons à produire des preuves contraignantes. Sans doute, lorsque les livres sacrés des Hébreux et les oracles de la Loi divine nous donnent l'assurance que ce monde-ci a bien eu un commencement, il peut paraître criminel de chercher plus outre et d'en douter. Quant à moi j'accorde en effet tant de poids à l'autorité de Moïse que je mets son seul témoignage bien au-dessus de tous les écrits et de toutes les assertions qu'aient produit les philosophes. Or Moïse a condamné à mort ceux qui violeraient le sabbat, tout particulièrement parce qu'en agissant ainsi ils avaient l'air de mettre en doute la réalité de la création : telle est l'interprétation du fameux rabbin Maimonide. Mais comme il existe des gens assez pervers pour récuser cette autorité et pour calomnier témérairement les oracles divins, il importe de contrebattre leurs arguments par des arguments analogues. Car si l'analyse des philosophes et le poids de leurs conclusions nous démontrent clairement que le monde n'est pas éternel et a été créé par le Dieu immortel à un moment déterminé, nous pourrons nous tenir à l'histoire sainte avec une confiance accrue. En outre la condition d'un monde auquel nous reconnaîtrions une si remarquable origine augmenterait singulièrement en nous l'admiration et l'amour de Dieu (Ch. VIII, p. 300-301 = éd. 1951 p. 431)
...
[Conclusion du chapitre VIII] Voici donc traitées les questions de la chronologie de l'histoire universelle et de l'origine du monde. Quant à savoir la date et la manière dont il finira, c'est là une énigme pour les anges eux-mêmes, à plus forte raison pour les mortels, à moins que nous n'acceptions les conjectures des rabbins Elie et Catina, qui traitent la question dans le Talmud, au titre Sanhédrin, chapitre Helec et aussi au titre De l'Idolâtrie, chapitre Libne : ils limitent la durée de l'univers à 6000 ans, à cause de l'œuvre des six jours, et beaucoup de gens acceptent cette hypothèse en la considérant comme une prédiction du prophète Elie. C'est ainsi que rabi Isaac, dans son commentaire au premier livre de la Genèse et saint Augustin, au second livre de la Cité de Dieu considèrent cette opinion comme un avertissement du ciel. Mais Léon l'Hébreu va plus loin. D'après lui le monde sensible est soumis à un mouvement continu d'une période de six mille ans, mais connaît le repos tous les septièmes millénaires : et lorsque quarante-neuf mille ans se seront écoulés le cinquantième millénaire apportera la fin des sphères célestes et le repos définitif du Grand Jubilé. En ce qui nous concerne nous nous contentons de penser que la recherche trop subtile de ces questions qui dépassent la portée de l'esprit humain et qu'on ne peut trancher par l'autorité de la parole divine, relève autant de la sottise que de l'impiété (p. 333 = éd. 1951 p. 447-448).
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T 12 - Methode pour étudier l’histoire par M. l’abbé Lenglet Du Fresnoy, Nouv. Éd., t. I, Paris, 1735
Préface, A son Excellence Monseigneur le Marquis De Santa Cruz de Marzenado, Ambassadeur Extraordinaire & Plenipotentiaire de Sa Majesté Catholique au Congrès de Soissons, p. X-XI
Je dirai donc quelque chose, mais le plus briévement que je pourrai, MONSEIGNEUR, sur les Auteurs de la Troisiéme classe. Elle comprend ceux qui ont donné des Methodes introductives à la lecture de l’Histoire, qu’ils ont rédigées par ordre & par principes.
Le premier est BODIN, qui fit paroître le seiziéme siecle une Methode pour étudier l’Histoire. Elle est pleine de bon sens, de sages réflexions & de remarques importantes. Il est un de ceux qui a le mieux connu la vraye maniere de regler cette sorte d’étude. Joseph Scaliger qui n’admira jamais que ses propres ouvrages, en a loué le style, & blâmé la conduite. Ce n’est pas peu de moderation dans un homme de ce caractere. Cependant malgré ce jugement, on peut dire que cette Methode a toujours eu beaucoup d’approbateurs ; jusques-là que M. Menage souhaitoit qu’on en donnât une bonne traduction. VOTRE EXCELLENCE sait mieux que moi ce qu’en pense le commun des savans, je dirai qu’on a trouvé qu’il s’étend trop sur des choses générales, comme l’éloge de l’Histoire, l’origine de quelques Nations, les migrations de certains peuples, & les révolutions anciennes de leur gouvernement, & qu’il a trop déféré aux fausses suppositions du Moine Annius de Viterbe. Les Allemands l’accusent en particulier de n’avoir point eu assez d’équité pour eux. Mais, MONSEIGNEUR, une accusation plus importante a été formée contre Bodin par le P. Possevin, l’un des plus illustres membres de la Compagnie de Jesus, celebre par une infinité de grands hommes, & même de Heros qu’elle a produits dès les premiers temps de son établissement. Cet habile Jesuite reprend avec raison Bodin, d’avoir eu sur l’étendue de la divine Providence une erreur intolerable dans la societé, & dangereuse dans la Religion ; c’étoit de dire que Dieu abandonnoit les hommes à eux-mêmes, & ne prenoit aucun soin, ni de l’homme de bien, ni du scelerat.
Mais sans m’engager dans l’examen & la réfutation des égaremens de Bodin, j’ai tiré de son livre, MONSEIGNEUR, ce qui convenoit à mon sujet : Mais le dirai-je ? Quoiqu’il y eût au temps de Bodin un goût de critique assez bon, ce goût néanmoins n’étoit pas encore épuré. Cet ouvrage donc, aussi bien que celui de Chytræus Protestant Allemand du seiziéme siecle, n’est pas dans le degré de perfection qui est aujourd’hui nécessaire pour étudier l’Histoire. Ces Auteurs ont, à la verité, connu les principes de cette science ; mais les lumieres qui sont venues depuis, & les révolutions arrivées dans le monde, font voir qu’il est difficile de les prendre pour guides de cette étude. Il y a trop de choses à ajouter à leur travail, & peut-être y en a-t-il aussi beaucoup à retrancher. Ces deux Ecrivains ont paru d’abord séparément mais en 1574. & 1579. on les fit réimprimer à Bâle avec plusieurs autres, sous le titre de Penus artis historicæ.
[Introduction] [La Grèce et Rome] [Le moyen-âge] [Du XVe au XVIIIe siècle] [Le XIXe siècle] [Le XXe siècle]
Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick.8 juin 2016