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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


APULEE

Le conte d'Amour et de Psyché 4

(Mét., V, 7, 1 - 11, 2)

La première visite des soeurs (V, 7, 1 - 8, 5)

(V, 7, 1) Les deux soeurs cependant se sont fait indiquer le rocher et la place même où Psyché a été abandonnée. Elles y courent aussitôt. Les pleurs inondent leurs yeux; elles se frappent la poitrine, et l'écho renvoie au loin leurs lamentations. (2) Elles appellent par son nom leur soeur infortunée. Du haut de la montagne, leurs cris déchirants vont retentir jusqu'aux oreilles de Psyché dans le fond de la vallée. Son cœur palpite et se trouble; elle sort éperdue de son palais. Pourquoi cette douleur et ces lamentations, s'écria-t-elle ? La voilà celle que vous pleurez; (3) cessez de gémir, séchez vos pleurs. Il ne tient qu'à vous d'embrasser celle qui les cause. (4) Alors elle appelle Zéphyr, et lui transmet l'ordre de son époux. Aussitôt, serviteur empressé, Zéphyr, d'un souffle presque insensible, enlève les deux soeurs, et les transporte auprès de Psyché. (5) On s'embrasse avec transport, mille baisers impatients se donnent et se rendent. Aux larmes de la douleur succèdent les larmes que fait couler la joie. (6) Allons, dit-elle, entrons dans ma demeure : plus de chagrin; il faut se réjouir, puisque votre Psyché est retrouvée.

(V, 8, 1) Elle dit, et se plaît à étaler à leurs yeux les splendeurs de son palais d'or, à leur faire entendre ce peuple de voix dont elle est obéie. Un bain somptueux leur est offert, puis un banquet qui passe en délices tout ce dont l'humaine sensualité peut se faire idée. (2) Si bien que, tout en savourant à longs traits l'enivrement de cette hospitalité surnaturelle, les deux soeurs commencent à sentir la jalousie qui germe au fond de leurs jeunes coeurs. (3) L'une d'elles à la fin presse Psyché, et ne tarit pas de questions sur le possesseur de tant de merveilles. Qui est ton mari ? comment est-il fait ? (4) Fidèle à l'injonction conjugale, celle-ci se garde bien de manquer au secret promis. Une fiction la tire d'affaire. Son mari est un beau jeune homme, dont le menton se voile d'un duvet encore doux au toucher. La chasse est son occupation habituelle; il est toujours par monts et par vaux. (5) Et, pour couper court à une conversation où sa discrétion pourrait à la longue se trahir, elle charge ses deux soeurs d'or et de bijoux, appelle Zéphyr, et lui enjoint de les reconduire où il les a prises. Aussitôt dit, aussitôt fait.

Les soeurs envieuses et jalouses (V, 9, 1 - 11, 2)

(V, 9, 1) Et voilà ces deux bonnes soeurs qui, tout en s'en retournant, le coeur rongé déjà du poison de l'envie, se communiquent leurs aigres remarques. L'une enfin éclate en ces termes : (2) Voilà de tes traits, ô cruelle Fortune ! Injuste, aveugle déesse ! nées de même père et de même mère, se peut-il que ton caprice nous fasse une condition si différente ? (3) Nous, ses aînées, on nous marie à des étrangers, ou plutôt on nous met à leur service; on nous arrache au foyer, au sol paternel, pour nous envoyer vivre en exil, loin des auteurs de nos jours; (4) et cette cadette, arrière-fruit d'une fécondité épuisée, nage dans l'opulence, et elle a un dieu pour mari; elle, qui ne sait pas même user convenablement d'une telle fortune ! (5) Vous avez vu, ma soeur, comme les joyaux (et quels joyaux !) font partout litière en sa demeure. Des étoffes d'une beauté ! des pierreries d'un éclat ! de l'or partout ! (6) Et s'il est vrai que son époux soit aussi beau qu'elle s'en vante, existe-t-il une plus heureuse femme au monde ? Vous verrez que l'attachement de cet époux-dieu, fortifié par l'habitude, ira jusqu'à faire de cette créature une déesse ! Et certes tout l'annonce : ces airs, cette tenue.... (7) On aspire au ciel; on ne tient plus à la terre, quand déjà l'on a des voix pour vous servir, quand les vents vous obéissent. (8) Et quel est mon lot à moi ? Un mari plus vieux que mon père, chauve comme une citrouille, le plus petit des nabots et qui cache tout, tient tout sous la clef.

(V, 10, 1) Moi, reprit l'autre, j'ai sur les bras un mari goutteux, perclus et tout courbé, qui n'a garde de faire souvent fête à mes charmes. (2) Je n'ai d'autre soin, pour ainsi dire, que de frictionner ses doigts tors et paralysés. Et mes mains, ces mains délicates que vous voyez, se gercent à force de manipuler des liniments infects, de dégoûtantes compresses et de fétides cataplasmes. Est-ce là le rôle d'épouse, ou le métier de garde-malade ? (3) Enfin, voyez, ma soeur, jusqu'où il vous convient de pousser la longanimité ou la bassesse; car il faut parler net. Quant à moi, je ne puis tenir à voir un si haut bonheur tombé en de pareilles mains. (4) Vous rappelez-vous sa morgue, son arrogance, et quel orgueil perçait dans cette superbe ostentation de toutes ses richesses ? (5) et comme elle nous en a jeté, comme à regret, quelques bribes ? et comme elle s'est débarrassée de nous ? comme, sur un mot d'elle, on nous a mises ou plutôt soufflées dehors ? (6) Oh ! j'y perdrai mon sexe et la vie, ou je la précipiterai de ce trône de splendeur. Tenez, l'insulte nous est commune; et si vous la sentez comme moi, prenons ensemble un grand parti. (7) D'abord, ne montrons à nos parents, ni à personne, les jolis cadeaux que nous portons là. Il y a mieux; ne disons mot de ce que nous savons d'elle. (8) C'est bien assez de mortification de l'avoir vu, sans l'aller conter à nos parents et proclamer par toute la terre. Richesse ignorée n'est pas contentement. (9) Faisons-lui voir que nous sommes ses aînées, et non ses servantes. En attendant, allons revoir nos maris et nos ménages : s'ils sont pauvres, ils sont simples du moins. Nous méditerons notre vengeance à loisir, et nous reviendrons bien en mesure de punir cette orgueilleuse.

(V, 11, 1) L'odieux pacte fut bientôt conclu entre ces deux perverses créatures. Elles cachent d'abord leurs riches présents; et, s'arrachant les cheveux, se déchirant le visage, (traitement, du reste, trop mérité), les voilà qui se lamentent sur nouveaux frais, mais cette fois par simagrée. (2) Quand elles ont réussi à rouvrir les plaies de leurs parents infortunés, elles les quittent brusquement, et regagnent leurs demeures; et là, gonflées de rage au point que la tête leur en tourne, elles ourdissent contre leur soeur innocente un détestable, disons mieux, un parricide complot.

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