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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


APULEE

Le conte d'Amour et de Psyché 3

(Mét., V, 1, 1 - 6, 10)

Le palais enchanté et le mari invisible (V, 1, 1 - 4, 5)

(V, 1, 1) Déposée avec précaution sur une pelouse épaisse et tendre, Psyché s'étend voluptueusement sur ce lit de fraîche verdure. Un calme délicieux succède au trouble de ses esprits, et bientôt elle s'abandonne aux charmes du sommeil. Le repos rétablit ses forces, et au réveil la sérénité lui était revenue. (2) Elle voit un bois planté de grands arbres, d'un épais couvert; elle voit une fontaine dont l'onde cristalline jaillit au centre même du bocage. Non loin de ses bords s'élève un édifice de royale apparence; construction où se révèle la main, non d'un mortel, mais d'un divin architecte. (3) On y reconnaît dès le péristyle le séjour de plaisance de quelque divinité. Des colonnes d'or supportent une voûte lambrissée d'ivoire et de bois de citronnier, sculptée avec une délicatesse infinie. Les murailles se dérobent sous une multitude de bas-reliefs en argent, représentant des animaux de toute espèce, qui semblent se mouvoir et venir au-devant de vos pas. (4) Quel artiste, quel demi-dieu, quel dieu plutôt, a pu jeter tant de vie sur tout ce métal inerte ? (5) Le sol est une mosaïque de pierres précieuses, chargées des tableaux les plus variés. O sort à jamais digne d'envie ! marcher sur les perles et les diamants ! (6) À droite et à gauche, de longues suites d'appartements étalent une richesse qui défie toute estimation. Les murs, revêtus d'or massif, étincellent de mille feux. Au refus du soleil, l'édifice pourrait sécréter un jour à lui, tant il jaillit d'éclairs des portiques, des chambres et des parois mêmes des portes. (7) L'ameublement répond à cette magnificence : tout est céleste dans ce palais. On dirait que Jupiter, voulant se mettre en communication avec les mortels, se l'est élevé comme pied-à-terre.

(V, 2, 1) Psyché s'approche, attirée par le charme de ces beaux lieux, et bientôt elle s'enhardit à franchir le seuil. De plus en plus ravie de ce qu'elle voit, elle promène son admiration de détail en détail, passe aux étages supérieurs, et y reste en extase à la vue d'immenses galeries où s'entassent trésors sur trésors. Ce qu'on ne trouve pas là n'existe nulle part sur terre. (2) Mais ce qu'il y a de plus merveilleux, c'est qu'à cette collection des richesses du monde entier on ne voit fermeture, défense, ni gardien quelconque. (3) Tandis que Psyché ne peut se rassasier de cette contemplation, une voix invisible vient frapper son oreille : Pourquoi cet étonnement, belle princesse ? Tout ce que vous voyez est à vous. Voilà des lits qui vous invitent au repos, des bains à choisir. (4) Les voix que vous entendez sont vos esclaves : disposez de nos services empressés. Un royal banquet va vous être offert, après les premiers soins de la personne, et ne se fera pas attendre.

(V, 3, 1) Psyché vit bien qu'elle était devenue l'objet d'une sollicitude toute divine. Docile aux avis du conseiller invisible, elle se met au lit; puis elle entre dans un bain, dont l'influence eut bientôt dissipé toute fatigue. (2) Une table en hémicycle se dresse auprès d'elle. C'est son dîner sans doute qu'on va servir : sans façon elle y prend place. (3) Les vins les plus délicieux, les plats les plus variés et les plus succulents se succèdent en abondance. (4) Nul serviteur ne paraît. Tout se meut comme par un souffle. Psyché ne voit personne; elle entend seulement des voix : ce sont ces voix qui la servent. (5) Après un repas délectable, un invisible musicien se met à chanter, un autre joue de la lyre : on ne voit ni l'instrument ni l'artiste. Un concert de voix se fait entendre; c'est l'exécution d'un choeur sans choristes.

(V, 4, 1) Enfin, au milieu de tant de plaisirs, le soir vient; et Psyché, que l'heure invite au repos, se retire dans son appartement. Déjà la nuit avançait; un bruit léger vient frapper son oreille : (2) la jeune vierge s'inquiète alors de sa solitude. Sa pudeur s'alarme, elle frémit, elle craint d'autant plus qu'elle ignore; (3) mais déjà l'époux mystérieux est entré, il a pris place, et Psyché est devenue sa femme. Aux premiers rayons du jour il a disparu. (4) Aussitôt les voix sont là pour prêter leur ministère à l'épouse d'une nuit et panser de douces blessures. Le temps s'écoule cependant, et chaque nuit ramène la même scène. (5) Par un effet naturel, Psyché commence à se faire à cette singulière existence; l'habitude lui en semble douce; et le mystère de ces voix donne de l'intérêt à sa solitude.

La menace que représentent les soeurs. Premier avertissement (V, 4, 6 - 6, 10)

(6) Cependant les malheureux parents usaient leurs vieux jours dans une douleur sans fin. L'aventure de Psyché avait fait du bruit, et la renommée l'avait fait parvenir aux oreilles de ses soeurs aînées. Toutes deux, le cœur serré, et la douleur peinte sur le visage, avaient quitté leurs foyers, empressées d'aller chercher la présence et l'entretien de leurs vieux parents.

(V, 5, 1) La nuit même de leur arrivée, l'époux eut avec Psyché la conversation suivante : (2) Ma Psyché, ma compagne adorée, la cruelle Fortune te prépare la plus périlleuse des épreuves. Ta prudence, crois-moi, ne saurait être trop éveillée. (3) On te croit morte, et tes deux soeurs, affligées de ta perte, sont déjà sur ta trace. Elles vont venir au pied de ce rocher. Si leurs lamentations arrivent jusqu'à ton oreille, garde-toi de leur répondre, de leur donner même un coup d'oeil. Sinon, il en résultera pour moi les plus grands chagrins, pour toi les plus grands malheurs. (4) Psyché parut se résigner, et promit obéissance. Mais l'époux n'eut pas plutôt disparu avec les ténèbres, qu'elle se lamente, et toute la journée se passe en pleurs et en gémissements. (5) C'est maintenant qu'elle est perdue, puisque ces beaux lieux ne sont qu'une prison pour elle, puisque désormais, sevrée de tout commerce humain, elle ne peut rassurer ses soeurs désolées, et qu'elle n'a pas même la consolation de les voir. (6) Elle néglige le bain, ne prend aucune nourriture, et se refuse à toute distraction. Ses pleurs n'avaient pas cessé de couler, quand elle se retira pour se mettre au lit.

(V, 6, 1) Son mari est à ses côtés plus tôt que de coutume; et l'embrassant tout éplorée : (2) Ma Psyché, dit-il, est-ce là ce que tu m'avais promis ? Ton époux n'a-t-il rien à attendre, rien à espérer de toi ? Quoi donc ! toujours gémir, et le jour et la nuit, et jusque dans mes bras ? (3) Eh bien ! satisfais ton envie, contente un désir funeste: mais rappelle-toi mes avis, lorsque viendra (trop tard hélas !) le moment du repentir. (4) Psyché le presse, Psyché l'implore : il y va, dit-elle, de sa vie. Enfin elle l'emporte. Elle verra ses soeurs, elle pourra les consoler, s'épancher avec elles. L'époux accorde tout aux prières de la jeune épouse. (5) Il va plus loin; il lui permet de combler à discrétion ses soeurs et d'or et de bijoux. (6) Mais il lui interdit à plusieurs reprises, et sous les plus terribles conséquences, de jamais chercher à voir sa figure, au cas où ses soeurs lui en donneraient le conseil pernicieux. Cette curiosité sacrilège la précipiterait du faîte du bonheur dans un abîme de calamités, et la priverait à jamais de ses embrassements.

(7) Psyché remercie son époux, et, dans un transport de joie: Ah ! dit-elle, plutôt cent fois mourir que de renoncer à cette union charmante ! car je t'aime, qui que tu sois; oui, je t'aime plus que ma vie. Cupidon lui-même me paraîtrait moins aimable. (8) Mais, de grâce, encore une faveur. Ordonne à ton familier Zéphyr d'amener mes soeurs ici, comme il m'y a transportée moi-même. (9) Elle prodigue en même temps à son époux les baisers, les mots tendres; et l'enlaçant des plus caressantes étreintes : Doux ami, disait-elle, cher époux, âme de ma vie... (10) C'en est fait, Vénus sera vengée. L'époux cède, non sans regret; tout est promis, et l'approche du jour le chasse encore des bras de Psyché.

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