Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 26b-35a
Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)
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* Myreur, p. 26b-29a (A. La seconde chute de Troie - La diaspora des Troyens - Énée en Italie)
* Myreur, p. 29b-35a (B. Événements divers chez les Juifs, les Gaulois, les Latins, etc.)
A. La seconde chute de Troie - la diaspora des troyens - Énée en Italie [Myreur, p. 26b-29a]
Ans 577 à 590 de Joseph = 1190 à 1177 a.C.n.
Introduction [texte]
L'histoire de Troie
Jean d'Outremeuse présente ici la suite de l'histoire de Troie, dont l'exposé avait commencé plus haut (p. 20-23). Si l'on s'en tient aux concordances de Myreur p. 20b, la « seconde Guerre de Troie » aurait duré de 1190 à 1180 a.C.n.
Son récit, qu'il s'agisse des motifs de la guerre (l'enlèvement d'Hélène), de sa durée (dix ans) et de ses conséquences (la destruction de la ville et la dispersion des rescapés), est relativement conforme à la tradition classique, tout comme d'ailleurs, mais avec quelques différences plus substantielles, celui de la dispersion des rescapés troyens qui en fut la conséquence majeure. Selon les auteurs anciens, cette diaspora toucha la Sicile, Carthage et l'Italie. C'est elle qui amena notamment Énée et les Troyens en Italie.
L'Énéide de Virgile
La traduction littéraire majeure de cette légende est l'Énéide de Virgile, dont la seconde partie est consacrée aux guerres que les Troyens d'Énée durent livrer pour s'installer solidement dans le Latium. Jean ne semble pas avoir lu lui-même l'Énéide, mais indirectement cette oeuvre a inspiré son récit qui fait intervenir Anchise, Énée, Didon, Albe, Évandre, Latinus, Turnus, Pallas, et même le prodige de la truie blanche aux trente porcelets. Ce dernier motif a été étudié dans trois de nos articles parus dans les FEC (t. 7-2004) : Le motif de la truie romaine aux trente gorets. I. Virgile et les attestations pré- et périvirgiliennes ; II. Une donnée folklorique ; III. Les actualisations romaines.
Chaque détail retenu par le chroniqueur mériterait bien sûr un examen approfondi mais grosso modo Jean est dans la ligne de la tradition romaine. Ce qui ne l'empêche toutefois pas de la modifier. Ainsi en Italie, selon Ly Myreur, Énée ne fonde pas Lavinium, comme dans la tradition romaine antique, mais Albe, fondation d'Ascagne selon cette même tradition antique ; Énée fonde aussi une autre ville portant son nom Énéoch, qui joue un rôle dans la suite du récit (p. 29, 30, 31, 47, 54, 56) et qui est inconnue de la tradition romaine. Didon, selon Jean, est l'épouse d'Énée et Ascagne est leur fils (p. 29), alors que, selon la tradition romaine antique, Énée n'a jamais épousé Didon et Ascagne est le fils d'Énée et de son épouse troyenne, Créuse. Mais on en restera là. Pour plus de détails, on se reportera à notre article sur Les « Primordia » de Rome selon Jean d'Outremeuse paru dans les FEC 34 (2017).
Le mythe médiéval de l'origine troyenne des peuples d'Occident
Par contre, on s'éloigne de la tradition romaine pour entrer dans celle du Moyen Âge quand on voit les Troyens d'Anténor s'installer en Allemagne et fonder la ville de Sicambrie, Franco, le fils du troyen Hector, s'installer en Gaule et Turquin, le fils du troyen Troïlus, s'installer en Turquie. La zone de la diaspora s'accroît donc très largement par rapport à la vision antique, ce qui a notamment pour résultat de fournir une origine troyenne à des peuples de la Gaule, de l'Allemagne et de la Turquie. Ce motif ‒ plus large ‒ de l'origine troyenne des peuples d'Occident dans la mentalité médiévale, a été traité, à propos précisément du troyen Anténor, fondateur légendaire de Venise, dans un autre de nos articles : Le mythe de l'origine troyenne au Moyen Âge et à la Renaissance : un exemple d'idéologie politique paru dans les FEC 5 (2003).
Valorisation de la Gaule et des Gaulois
En ce qui concerne le monde gaulois vu par Jean, on retiendra le nom de Franco, le premier duc de Gaule, qui meurt (p. 30) en l'an 597 de Joseph, c'est-à-dire en 1170 a.C.n. Son fils Mélus lui succède. Il règnera 51 ans. Dans la suite du Myreur, notre chroniqueur prendra toujours grand soin de suivre de près la succession des ducs de Gaule, en donnant chaque fois leurs noms (souvent Franco, ou Priam), la durée de leurs règnes, voire les événements marquants de ceux-ci.
On notera l'ancienneté, et donc la valorisation, de la Gaule. Dans l'optique du chroniqueur liégeois, l'origine des Gaulois est très ancienne, puisque Franco est pour ainsi dire le contemporain d'Énée. Son peuple est installé en Gaule, des siècles avant l'arrivée sur la scène internationale des Romains dont la capitale, dans la chronologie du Myreur, ne sera fondée qu'en 731-727 a.C.n. (p. 55-56) et ne sera achevée qu'en 710 a.C.n. (p. 58).
Une autre constante du chroniqueur liégeois sera de mettre l'accent sur les qualités des Gaulois, en particulier leur valeur guerrière et leur puissance militaire qui les rendaient particulièrement redoutables. Jean signale notamment, au fil des pages, de très nombreuses victoires gauloises sur les peuples voisins, y compris sur les Romains qui ont souvent peur d'eux. On verra apparaître régulièrement parmi les causes des guerres le tribut qu'on refuse de payer.
Gaulois et Sicambres - Questions d'onomastique et de linguistique
Une autre question importante, d'ordre onomastique cette fois, doit être soulevée. Pour désigner les habitants de la Gaule, Jean d'Outremeuse utilise les termes de Gaulois et de Sicambres, pratiquement sans différence de sens perceptible. Les graphies toutefois en moyen français peuvent être assez différentes : pour les Gaulois, on rencontrera Galliens, Galliiens, Galliciiens ; par contre les Sicambres seront presque toujours rendus par Sycambiens. Jean explique cet usage en se plaçant dans l'optique médiévale de l'origine troyenne.
Anténor, fuyant Troie, avait fondé en Allemagne une cité qu'il avait nommée Sicambrie, du nom de son épouse. Ses habitants s'étaient d'abord appelés Anténoriens, puis, après la mort du fondateur, Sicambres, du nom de la ville (p. 28). Très vite, ils furent battus par le duc Mélus, le premier successeur de Franco, et soumis (p. 30). Plus tard, beaucoup de Sicambres abandonnèrent leur cité pour aller s'installer en Gaule et se mêler aux autres Gaulois (déjà I, p. 28, mais surtout II, p. 100). Toutefois Sicambrie n'avait pas disparu. Ainsi Jean signale, en traitant des événements de l'époque des Sévères, que le duc de Gaule était le suzerain du duché de Sicambrie (II, p. 14). Les liens Sicambres-Gaulois restaient donc suffisamment forts. Telle est la raison pour laquelle, dans la suite du Myreur, les termes Gaulois et Sicambres seront régulièrement utilisés, l'un comme l'autre, pour désigner les habitants de la Gaule.
Dans la notice de I, p. 28, Jean survolait de très haut les changements qui, selon lui, auraient affecté le nom de la Gaule et de son peuple : d'abord Gaule et Gaulois, puis France et Français, puis Gaule et Gaulois, puis à nouveau France et Français. Il n'est peut-être pas très clair ici sur le sujet. En fait, il anticipait largement, faisant allusion à des événements de la seconde moitié du IVe siècle de l'Incarnation, en l'occurrence l'époque de Valentinien et de ses successeurs, avec ce qu'on peut appeler l'épisode complexe du tribut (II, p. 72-73 ; II, p. 82-83 ; II, p. 85-86 ; II, p. 87-89, et II, p. 100). Il reviendra à ce moment-là sur l'histoire d'Anténor, des Sicambres et des Gaulois. Il y expliquera pourquoi la Gaule s'appellera la France et ses habitants des Francs.
Mais n'allons pas trop vite en besogne. Avant d'en arriver là, il faut encore préciser un point important concernant le terme « Sicambre », dont le chroniqueur liégeois fait un si large emploi.
Ses Sicambres n'ont absolument rien à voir avec les Sicambres de l'histoire, c'est-à-dire la petite population germanique des Sugambri, installée au temps de César sur la rive droite du Rhin (Guerre des Gaules, IV, 16, 2-4 ; IV, 18, 2-4 ; IV, 19, 4) et que Tibère déplacera de force sur la rive gauche (H. Cüppers, Sugambri, dans Der Kleine Pauly, t. 5, Munich, 1975, col. 414). Les Sicambres de Jean relèvent de la légende, plus exactement de la littérature. C'est un mot utilisé régulièrement en poésie, pour désigner les Francs et/ou les Gaulois (P. Bourgain et M. Heinzelmann, "Courbe-toi, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé". À propos de Grégoire de Tours, Hist., II, 31, dans Bibliothèque de l'École des chartes, t. 154, 1996, p. 591-606 (plus particulièrement p. 594, n. 12). En ce qui concerne précisément nos Gaulois, la Chronique en prose de Martin d'Opava (XIIIe siècle), n'utilise jamais le mot Sicambri pour les désigner, à la différence du Pantheon de Godefroid de Viterbe (XIIe siècle), qui est une chronique en vers. Jean d'Outremeuse utilise lui les deux termes sans différence sensible de sens. Il utilise Sicambres pour désigner aussi bien les habitants de la ville fondée en Germanie par Anténor que les Gaulois « normaux », descendants du Franco, premier duc de Gaule.
Quelques formules cependant étonnent. Ainsi on voit parfois apparaître sous la plume de Jean l'expression « Gaulois et Sicambres » dans la même notice pour décrire le même événement. C'est le cas en I, p. 126, et en I, p. 162. Et la seconde attestation vaut la peine d'être détaillée, car elle traduit indiscutablement une différence de sens. Il s'agit d'un violent combat qui oppose en 142 a.C.n. les Romains aux gens de la Gaule. Ces derniers sont sur le point d'être vaincus, mais, rapporte Jean, « quand les vrais Sicambres, constituant la vraie nation de Gaule, virent le désastre, ils se précipitèrent sur les Romains, en criant très fort 'Gaule' et 'Sicambre' au point que les Romains furent défaits et s'enfuirent ». Le texte est sans équivoque (quant les drois Sycambiens, qui astoient de la droit nation de Galle, veirent le mechief). Les Sicambres constitueraient-ils donc la quintessence, l'âme de la nation gauloise. Manifestement Jean ici se laisse aller... On trouve bien aussi dans une notice décrivant une guerre entre Romains et Gaulois sous Antonin le Pieux (I, p. 546) la formule Grant guerre entre Romans et Franchois où, au lieu le Franchois tient la place d'une forme moyen-français pour Gaulois ou Sicambres. Mais on est dans un lemme, qui n'est peut-être pas de la plume de Jean.
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* Ménélas et les Grecs s'emparent de Troie par la ruse après un siège de dix ans
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Une guerre acharnée oppose Priam et ses alliés Phrygiens aux Grecs, guerre attisée encore par l'enlèvement d'Hélène par Pâris (an 577 de Joseph = 1190 a.C.n.)
[p. 26] [Coment la guerre commenchat entre les Grigois et Troiens] Ilh est assavoir que quant les enfans le roy Priant furent en eaige, qu'ilh assemblat tous ses hommes et leur dest qu'ilh volloit vengier le despit que les Grigois lui avoient fait, et à chu demoront tous ses barons deleis luy ; [p. 27] et, par leur conselhe, ilh envoiat en Gresche à roy Thelamon dois messsaiges : assavoir, Eneas, le fis Anchises, de Talme, et Polidamas estoit li altre nommeis. Et li mandat qu'ilh li renvoiast sa soreur Exiona, et li amendast chu que ilh li aroit forfait ; mains de chu ne volt riens faire le roy Thelamon, ains dest qu'ilh tenroit Exiona en leur despit. Adont fut la guerre commenchié entres les Grigois et Frisons et Troiens, qui fut mult dure ; et chevalcharent les enfans Priant pluseurs fois sour les Grigois. |
[p. 26] [Le début de la guerre entre Grecs et Troyens] Il faut savoir que quand ses enfants eurent l'âge (de combattre), Priam assembla tous ses hommes et leur dit qu'il voulait venger l'affront que les Grecs lui avaient infligé. Tous ses barons se mirent à ses côtés. [p. 27] Sur leur conseil, Priam envoya deux messagers en Grèce, au roi Télamon : l'un était Énée, le fils d'Anchise de Talme, l'autre s'appelait Polydamas. Par leur intermédiaire, Priam demanda à Télamon de renvoyer sa soeur Exiona et de réparer le mal qu'il lui avait fait. Mais Télamon ne voulut rien entendre, déclarant qu'il garderait Exiona sans se soucier d'eux. Alors une guerre très dure commença entre les Grecs et les Phrygiens alliés aux Troyens. Les fils de Priam sur leurs montures foncèrent à cheval à plusieurs reprises sur les Grecs. |
[Coment Paris ravit Helene] Si avient que sor l'an del nativiteit Joseph Vc et LXXVII, qui fut li an del coronacion le roy Priant XXV, que Paris, le fis le roy Priant, ravit Helene, la soreur le roy Castor et le roy Peleus. Et de chu enchafat la guerre, et montarent sor mere les II roys Castor et Peleus et Cm hommes, por aleir à Troie. Mains nos ne savons qu'ilhs devinrent, car ils ne furent oncques depuis veus, n'en ne oyt-ons novelles. Et adont Paris esposat Helene, de quoy la soreur Paris, Cassandra, dest que leur dieux li avoient demonstreit, se Paris avoit une femme de Gresche, Troie en seroit destruit ; mains les barons n'y vorent entendre. |
[Pâris enlève Hélène] En l'an 577 de Joseph [1190 a.C.n.], qui était l'an 25 du couronnement de Priam, Pâris, le fils de Priam, enleva Hélène, la soeur du roi Castor et du roi Pollux. Cela ne fit qu'attiser la guerre. Les rois Castor et Pollux prirent la mer avec cinq mille hommes pour aller à Troie. Mais nous ne savons pas ce qu'ils devinrent, car depuis on ne les vit plus et on n'entendit plus parler d'eux. Pâris épousa Hélène, ce qui poussa Cassandre, la soeur de Pâris, à dire que leurs dieux lui avaient révélé que si Pâris épousait une femme de Grèce, Troie serait détruite ; mais les barons ne voulurent rien entendre. |
Ménélas et les Grecs s'emparent de Troie par la ruse après un siège de dix ans
[p. 27] [Menelaus et les Grigois asseghont Troie, et dura li siege X ans, et le destruirent par trahison] Si avient que cheli an meisme Troie fut assegié par le roy Menelaus, le marit Helene, et les Grigois. Se durat cheli siege X ans. Si oit entres eaux mult de batalhes ; mains en la fien furent les Troiens desconfis, et Priant et tous ses fis mors, et leur citeit destruite par trahison, enssi qu'ilh contient plainement en la gieste qui est de chu fait, qui asseis est vraie. Adont reprist ly roy Menelaus sa femme Helene, et le remynat awec ly. |
[p. 27] [Ménélas et les Grecs assiègent Troie durant dix ans et la détruisent par traîtrise] Il arriva qu'en cette même année, Troie fut assiégée par l'époux d'Hélène, le roi Ménélas, et les Grecs. Le siège dura dix ans. Il y eut entre les adversaires de nombreuses batailles mais, à la fin, les Troyens furent vaincus. Priam et tous ses fils moururent, et leur ville fut détruite par traîtrise, événement longuement raconté dans la geste, absolument véridique qui en fut faite. Alors Ménélas reprit sa femme Hélène et la ramena avec lui. |
Les rescapés troyens fuient Troie : Anchise meurt en Sicile - Énée et Ascagne s'installent en Italie - Didon, épouse d'Énée, fonde Carthage - Franco, fils d'Hector, s'installe en Gaule - Anténor fonde en Allemagne la ville de Sicambrie - Turquin, fils de Troïlus, s'installe en Turquie
[p. 27] [Coment, apres la destruction de Troie, pluseurs nobles chevalier s’en alerent nagant en pluseurs altres pays] Vos deveis savoir que quant Troie fut destruit, si soy partirent des Troiens de là, assavoir : Anchises, li dus de Talme, Eneas son fis, Ascanus li fis Eneas, Franco li fis Ector, Turcus le fis Troiolus, et Antenor lis fis le dus de Sorve ; lesqueis se misent sor mere en XII naves, et ariverent en Sizille. Et là morit Enchises, le peire Eneas, de la plaie qu'ilh avoit oyut en la desconfiture ; si fut là ensevelis. Puis ces (corr. Bo) partirent et vinrent vers Ytailes por habiteir, portant que ly pays y astoit bons, crasse et delitaible. Et estoit adont Europ petitement habitée. |
[p. 27] [Après la destruction de Troie, plusieurs nobles chevaliers gagnent par mer de nombreux autres pays] Vous devez savoir qu'après la destruction de Troie, des Troyens quittèrent la ville : Anchise, duc de Talme, son fils Énée, Ascagne, fils d'Énée, Franco, fils d'Hector, Turcus [ou Turquin, cfr infra], fils de Troïlus, et Anténor, fils du duc de Sorbe. Tous s'embarquèrent sur douze navires et arrivèrent en Sicile. Là Anchise, père d'Énée, mourut des suites d'une blessure reçue lors de la défaite ; il fut enseveli sur place. Ensuite, les rescapés partirent pour habiter l'Italie, dont le pays était bon, fertile et agréable. À cette époque, l'Europe comptait très peu d'habitants. |
[Coment Dydo, la femme Eneas, fondat en Affrique la citeit de Cartaige] Si avient que li oraige de la mere [p. 28] le jettat en Affrique. Si demorarent là unc pou ; et adont fondat Dydo, la femme Eneas, I citeit qu'elle nommat Dydaine solonc son nom, qui puis fut nommée Cartage al temps le roy Cartago d'Orient, qui le fist plus grant et le fermat de murs. |
[Didon, la femme d'Énée, fonde la cité de Carthage en Afrique] Une tempête en mer survint [p. 28] qui jeta les Troyens en Afrique. Ils y restèrent quelque temps. Didon, l'épouse d'Énée, fonda une cité qu'elle nomma Didaine, d'après son nom ; après, la ville fut appelée Carthage, sous le roi Carthago d'Orient, qui l'agrandit et l'entoura de murailles (p. 36). |
[Coment Franco, ly fis Ector, avec IIIm hommes vint demoreir en Galle - Coment ly pays de Galle fut tout promier nommeis Franche, apres Franco] En ceste citeit demorat Dydo, et les altres soy partirent et vinrent en Europ, et puis soy partirent en diverses parchons ; car Franco, li fis Ector, awec IIIm hommes alat habiteir en Galle, que ons apelle maintenant Franche. Si fondat vilhes et casteals, et regnat X ans ; et fut tout son visquant son pays nommeis Franche, et ses gens Franchois solonc son nom. Mains quant ilh fut mors, ilhs soy nommarent Galliens et leur pays Galle, cum de promirs, jusques al temps de duc Priant, que ilh furent publement nommeis Franchois por le franchise de tregut, dequeile ilhs furent affranquis, si com vos oreis chi-apres. |
[Franco, le fils d'Hector, vient demeurer en Gaule avec trois mille hommes - Le pays de Gaule est d'abord appelé France, d'après Franco] Didon resta dans cette cité de Carthage et les autres s'en allèrent en Europe, où, plus tard, ils se séparèrent en divers groupes. En effet Franco, le fils d'Hector, avec trois mille hommes alla habiter la Gaule, appelée maintenant France. Il fonda des villes et des châteaux, et régna dix ans ; sa vie durant, son pays fut appelé France, et ses habitants Français, d'après son nom. Mais après sa mort, ils furent nommés Gaulois et leur pays Gaule, comme auparavant, jusqu'au temps du duc Priam, où ils furent communément appelés Français, parce qu'ils avaient été affranchis du tribut, comme vous l'entendrez plus loin (cfr II, p. 89). |
[Coment Antenoir arrivat en Allemangne et y fondat I citeit qui oit à nom, apres le nom de sa femme, Sycambre] Item Antenor arivat en Allemangne, oultres les palus de Metiopes. Si fondat une citeit qu'ilh nommat Sycambre, solonc le nom de sa femme, et nommat ses gens Antenoriens ; mains, quant ilh fut mors, ilh s'appelarent Sycambriens, selonc le nom de leur citeit ; et puis lassarent leur citeit, se vinrent habiteir en Galle awec les Gallyens. Si astoient appelleis Gallyens com les altres, enssi que vos oreis chi-apres. |
[Anténor arrive en Allemagne et y fonde une cité à laquelle il donne le nom de sa femme, Sicambre] Anténor arriva en Allemagne, au-delà des Marais Méotides. Il fonda une cité qu'il nomma Sicambrie, du nom de son épouse. Il appela les habitants Anténoriens, mais, après sa mort ils s'appelèrent Sicambres, du nom de leur cité. Dans la suite, ils abandonnèrent celle-ci pour aller habiter en Gaule avec les Gaulois. Ils furent alors appelés Gaulois, comme les autres habitants, ainsi que vous l'entendrez plus loin (cfr II, p. 14 et II, p. 100). |
[Coment Turquins, le fis Troielus, en orientaile sy apelat son pays apres luy Turques] Turquins, li fis Troiolus, soy remist sor mere. Si arivat en parties orientales, et y fondat pluseurs vilhes. Si nommat son pays Turquie, et ses gens Turques solonc son nom. |
[Turquin, le fils de Troïlus, en Orient, appelle son pays Turquie, d'après son nom] Turquin, le fils de Troïlus, reprit la mer. Il arriva dans les régions orientales et y fonda de nombreuses villes. Il appela son pays la Turquie, et ses habitants Turcs, d'après son propre nom. |
Une voix divine avertit Énée, arrivé en Italie, de se porter au secours du roi des Sept Monts, Évandre, alors en guerre contre le roi des Latins, Latinus, et le roi de Toscane, Turnus - Prodige de la truie blanche, à l'origine de la future fondation par Énée d'Albe et d'Énéoch
[p. 28] [Coment Eneas arivat en Ytale où ilh demoroit trois roys, et les conquestat leurs pays] Item, Eneas et son fis Ascanus ariverent en Ytaile, où ilh avoit III roys, assavoir : le roy de VII montangnes, le roy des Latins et le roy de Tusquaine. Si avient que une vois dest à Eneas, une nuyt en son dormant, de part ses dieux, en teile manière : « Eneas, va-t'en à roy Evandre de VII montangnes qui guerie contre Latinum, le roy des Latins, et Turnus, le roy de Tosquayne, et li fais socour, car toutes les III royalmes sont à toy, et en seras roy anchois LX jours ; et affin que tu me croie, je toy donne signe que en la voie où tu en yras tu troveras desous une arbre, c'on nom ylex, qui porte les glans, une blanche troie awec XXX blans porcheaux. » |
[p. 28] [Énée arrive en Italie où demeuraient trois rois, dont il conquiert le pays] Énée et son fils Ascagne arrivèrent en Italie, où régnaient trois rois1, c'est-à-dire : le roi des Sept Monts, le roi des Latins et le roi de Toscane. Une nuit dans son sommeil, Énée entendit une voix venant des dieux lui parler ainsi : « Énée, va chez Évandre, le roi des Sept Monts, qui est en guerre contre Latinus, le roi des Latins, et contre Turnus, le roi de Toscane, et porte-lui secours, car les trois royaumes sont à toi et tu en seras le roi avant quarante jours. Et pour que tu me croies, je te signale que sur la route que tu suivras, tu trouveras sous une yeuse, un arbre chargé de glands, une truie blanche avec trente jeunes porcelets blancs. » |
[Coment Eneas fondat II citeis : Enoch et Albaine] Quant Eneas entendit chu, ilh montat tantost lendemain luy et ses gens. Si vient vers le roy Evandre ; si trovat desous l'arbre chu que la vois li avoit dit, et portant ilh fondat là puis [p. 29] II citeis. Si nommat l’une solonc son nom Eneoch, et l'autre Albaine, c’est-à-dire blanche, por le blanche troie et porchelés. |
[Énée fonde deux cités : Énéoch et Albe] Quand il entendit cela, dès le lendemain, Énée prit sa monture et se rendit avec ses gens chez le roi Évandre. Il trouva, sous l'arbre, ce que la voix lui avait annoncé. C'est pourquoi par après il fonda là deux cités [p. 29]. Il en nomma une Énéoch, d'après son nom, et l'autre Albe, ou 'blanche', à cause de la truie blanche et des porcelets. |
1 Les rois des « trois royaumes » dont il a déjà été question plus haut (p. 5 et p. 20].
Énée et Évandre se battent contre Latinus et Turnus, lequel tue Pallas et est à son tour tué par Énée
[p. 29] Ors avient quant li roy Evandre veit venir Eneas, ilh fist armeir ses gens, et le vot sus corrir ; car ilh quidoit que ilh fust son annemis ; mains Eneas prist une renseal de olyvier, qui senefie pais en anchienes hystors, et adont vient li uns vers l'autre, et fisent teile acontanche que ilhs s’en allarent où li oust de leurs annemis astoit ; si orent batalhe ensemble. |
[p. 29] Quand le roi Évandre vit arriver Énée, il fit armer ses troupes et voulut l'attaquer, car il le croyait son ennemi. Mais Énée prit un rameau d'olivier, symbole de paix dans les histoires anciennes. Ils marchèrent l'un vers l'autre et s'accordèrent si bien qu'ils décidèrent de se rendre à l'endroit où se trouvait l'armée de leurs ennemis. Et ils menèrent ensemble la bataille. |
En cel batalhe ochist ly roy Turnus de Tusquaine Palliens le fis le roy Evandre ; et si trueve-on en escript, quant ilh chayt mors, que la terre tremblat ; car chu estoit I gran agoian de XXIIII piés de halt. Chis fut ensevelis en la citeit de Jano, où ilh fut puis troveis al temps l'empereur Henri li seconde de chi nom, si com ilh fait mencion chi apres, où ilh parolle de chel empereur. Et quant Eneas veit le fis le roy ochis, si ferit Turnus teilement qu'ilh li tollit le chief, et chayt mors. |
Au cours du combat, le roi Turnus de Toscane tua Pallas, fils du roi Évandre. Les textes disent qu'au moment où il tomba mort, la terre trembla ; car Pallas était un géant, haut de vingt-trois pieds. Il fut enseveli dans la ville de Jano, où il fut retrouvé plus tard, au temps de l'empereur Henri II, comme mentionné ci-après, où on parle de cet empereur. Quand Énée vit que le fils du roi était tué, il frappa Turnus avec tant de force qu'il lui trancha la tête et l'abattit. |
Énée tue Latinus et épouse sa fille Lavinia - Évandre étant mort de ses blessures, Énée devient roi du royaume des Latins, ou royaume d'Italie, durant trois ans - Ascagne, fils d'Énée et Didon, lui succède durant vingt-six ans
[p. 29] [Eneas esposat la filhe le roy de Latin] Chis Turnus, li roy de Tusquayne, devoit avoir à femme Lavine, la filhe à roy de Latins ; mains Eneas ochist oussi Latinum, et esposat la dammoselle. Si oit les II regnes des Latiens et de Tusquayne, desqueiles ilh avoit ochis les II roys. Et oussi li roy Evandre morut dez plaies qu'ilh oit en la batalhe, dedens les dis LX jours, si que li peuple fist homaige à Eneas. |
[p. 29] [Énée épouse la fille du roi des Latins] Ce Turnus, roi de Toscane, devait épouser Lavinia, la fille du roi des Latins, mais Énée tua aussi Latinus et épousa la demoiselle. Ainsi il acquit le royaume des Latins et celui de Toscane : il avait tué les deux rois. Le roi Évandre aussi, suite aux blessures reçues dans la bataille, mourut dans les quarante jours, si bien que son peuple fit allégeance à Énée. |
[Eneas fut roy de tot Ytalie] Enssi fut Eneas roy de tout Ytaile tou seuls ; si regnat III ans, puis morit. Et apres son decesse Ascanus, son fis de Dydo, sa promier femme, fut roy et regnat XXVI ans ; et fut coronneis al temps que Sampson li fors estoit juge de peuple Israel. Chis fist tout son rengne appelleir le royalme des Latiens ; mains quant ilh fut mors, li uns le nommat des Latiens et li altre le nommat de Ytale. |
[Énée devient roi de toute l'Italie] Ainsi Énée, à lui seul, devint roi de toute l'Italie. Il régna durant trois ans, puis mourut. Après son décès, Ascagne, le fils qu'il avait eu de Didon, sa première femme, lui succéda et régna durant vingt-six ans. Il fut couronné quand Samson le Fort était juge du peuple d'Israël. Il fit appeler toutes ses terres 'royaume des Latins', mais, après sa mort, les uns l'appelèrent 'royaume des Latins', et les autres, 'royaume d'Italie'. |
B. événements divers chez les juifs, les Gaulois, les latins, etc... [Myreur, p. 29b-35a]
Ans 590-691 de Joseph = 1177-1076 a.C.n.
Introduction [sommaire] [texte]
Calculés d'après le comput de Joseph, les événements du siècle suivant sont présentés sans guère de relief, d'une manière annalistique et généralement sous la forme de brèves notices. Elles concernent essentiellement les Juifs, les Latins et les Gaulois, même si d'autres villes et régions sont occasionnellement évoquées (Athènes, Allemagne, Grande-Bretagne, Éphèse, Corinthe, Troie, Béotie, Pellène). Elles s'intéressent aux successions, aux guerres, aux conquêtes, aux fondations de cités. Rares sont les récits un peu détaillés qu'on pourrait qualifier de micro-récits, racontant de courtes histoires : la mort de Samson, la délivrance et les épousailles de la jeune Lombarde, le rôle de Grata lors du siège d'Énéoch assiégée par Bosses, le roi d'Athènes.
Le monde juif n'occupe encore que peu de place, avec les juges Samson, Héli, Ophi et Phinées, le prophète Samuel, le roi Saül, auquel succéda le roi David. Jean s'inspire manifestement de la Bible. Par contre, les mondes gaulois et latin sont présentés avec plus de détails.
D'abord le monde gaulois. Franco, le premier duc de Gaule, meurt en l'an 597 de Joseph, laissant la place à son fils, Mélus, qui règne durant cinquante et un ans. Le nouveau duc attaque le duc de Sicambrie, Anténor, le tue, et les Sicambres sont vaincus. On pourrait penser que cet événement a marqué le début de l'étroite fusion entre les habitants de la Gaule et ceux de la Sicambrie, une question évoquée plus haut. En tout cas, on l'a dit aussi plus haut, dans la suite du Myreur, les deux termes Gaulois et Sicambres seront utilisés pratiquement sans différence de sens.
Quoi qu'il en soit, Mélus, avec Ydonus et Satilus, les fils de son ancien ennemi Anténor, reconstruit à Troie la forteresse d'Ilion. Il meurt en laissant deux fils, Borgons et Bosses. Borgons, l'aîné, s'étant établi en Bourgogne, c'est le cadet, Bosses, qui devient duc de Gaule pendant vingt-quatre ans. Il avait quatre fils. Le cadet, Alemaine, conquiert la Germanie à laquelle il donne son nom, Allemagne. L'aîné, Hector, prend la succession de son père, comme duc de Gaule, après avoir remporté une guerre contre son frère Alemaine. On n'est évidemment pas dans l'histoire mais dans le monde de la fantaisie légendaire.
Après le monde gaulois, le monde latin appelle quelques observations importantes. Comme l'a montré notre article sur Les « Primordia » de Rome selon Jean d'Outremeuse paru dans les FEC 34 (2017), Jean commence ici la présentation des rois latino-albains. Ces personnages, au nombre d'une quinzaine, ont été créés par la tradition romaine antique pour combler le vide chronologique existant entre l'arrivée d'Énée en Italie et la fondation de Rome par les jumeaux Romulus et Rémus. Ces rois sont le résultat d'une construction récente (IIe siècle avant notre ère ?), la liste primitive se réduisant à une succession de noms, avec parfois la mention, très brève, de quelques réalisations.
Les notices très élémentaires que lui fournissait la tradition romaine, le chroniqueur liégeois a voulu les compléter en attribuant à certains des rois des réalisations, souvent à tonalité épique, qu'il a purement et simplement inventées. Jean n'était pas novice en la matière. Il écrivit, vingt ans avant Ly Myreur, une Geste de Liege, dont près de 50.000 vers ont été conservés. Avec ces données en tête, on comprendra mieux les « aventures » prêtées par Jean aux trois personnages suivants, tous rois des Latins.
Ainsi Ascagne, fils d´Enée, a épousé la fille du roi Évandre, qui lui a donné un fils Ménélas et une fille Grata. Il refuse d'accepter le mariage de sa fille Grata avec Bosses, le roi d'Athènes. Le roi d'Athènes déclare alors la guerre à Ascagne, envahit son pays, tue Ascagne et assiège Énéoch, la plus grande ville du royaume d'Italie. Ménélas, le fils d'Ascagne, pour sauver leur pays, persuade sa soeur d'accepter ce mariage. Un accord est conclu : le roi d'Athènes lève le siège et se retire, laissant la terre à Ménélas. Un autre fils d'Énée, Silvius Postumus, revendique le trône et attaque Bosses, le tue et devient roi d'Italie. Ménélas, évincé par son oncle Silvius Postumus, va fonder Milan. Silvius Postumus épouse une fille de Mélus, duc de Gaule, dont il a deux fils : Broncus, futur fondateur de la Grande-Bretagne, et Énée le Posthume qui succéda à Silvius Postumus comme roi d'Italie. Cet Énée le Posthume délivra une jeune fille captive de brigands, l'épousa, donnant son nom à la Lombardie. Il fonda dans le pays diverses cités, dont Pavie. Une mini-épopée est ici proposée au lecteur.
Tel est le tableau qui se dégage de l'histoire des Gaulois et des Latins pendant le siècle pris ici en compte. La présentation morcelée du chroniqueur liégeois n'en facilite ni la lecture ni la reconstruction. Le lecteur rencontrera très souvent ce genre d'exposé atomisé et peu structuré, réduit à une succession de notices brèves concernant des événements et des pays différents. Heureusement quelques récits plus ou moins longs viendront parfois l'agrémenter.
Dans ces pages, les seuls éléments qui peuvent avoir un rapport avec l'Histoire authentique sont les personnages du monde juif, repris au récit biblique. Tout le reste relève de la pure fiction. Des noms comme Ascagne, Silvius Postumus ou Énée le Posthume, pour fictifs qu'ils soient, appartiennent à la tradition légendaire romaine, mais leur mise en rapport avec un roi d'Athènes qui assiège Énéoch, ou avec la fondation de villes en Lombardie, relève de l'invention médiévale. Quant à la présentation du monde gaulois, avec Anténor et ses Sicambres, avec Mélus et les fils d'Anténor reconstruisant la forteresse d'Ilion à Troie, ou avec Alemaine, le fils du duc Bosses, conquérant la Germanie à laquelle il donne son nom, Allemagne, elle semble entièrement issue de la fantaisie épique de Jean.
Quoi qu'il en soit, un des résultats des interventions de Jean ‒ on l'a déjà dit ‒ est d'accorder au monde gaulois et au monde latin une pseudo-histoire, remontant très loin dans le passé et comportant aussi une forme d'« internationalisation ». Le monde latin et gaulois est déjà en rapport étroit avec le monde grec. Ainsi le duc de Gaule, Mélus, contribue à la reconstruction de Troie ; un prince gaulois intervient sur le terrain pour rattacher la Béotie à Athènes ; Bosses, le roi d'Athènes, à qui Ascagne refuse la main de Grata, vient avec ses troupes attaquer l'Italie et assiéger Énéoch.
Si cette magnification du passé gaulois et latin relève à l'évidence de la fiction, la question se pose de son origine. Jean a-t-il lui-même inventé et organisé cette matière, ou a-t-il utilisé des sources qui allaient dans ce sens ? Personnellement, nous pencherions pour la première solution.
La chronique aborde ensuite le « quatrième âge du monde » qui commence avec le couronnement du roi David.
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* Digression : Les Amazones et la ville d'Éphèse (an 621 de Joseph = 1146 a.C.n.)
* Naissance du futur roi David à Bethléem (an 660 de Joseph = 1107 a.C.n.)
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Samson, juge d'Israël, écrase ses ennemis les Philistins, mais trouve la mort (vers an 590 de Joseph = 1177 a.C.n.)
[p. 29] [De dus Sampson d’Israel] A cel temps guerrioit fortment Sampson, li dus de Israel, les Philistyens, car ilh estoit mult fors. Si vot-ons dire qu'ilh avait ortant de forches d'hommes, quant cheveals ilh avoit sour son chief ; mains quant ilh estoit raseis, se n'avoit que le forche d'onne homme ; et estoit desquendus de la lignie Dan, le fis Jacob. Item, le nuit que ilh fut engenreis, dest une vois à son pere et a sa mere qu’ilh gardassent leur fis de boire vin et de tondre ses cheveals toute sa vie, et, se ilh ne faisoient chu, ilh en varoit pies. Et enssi en [p. 30] avient ; car ilh fut trop mal gardeis : et fut par sa femme meismes, qui amoit I Philistyen, ennyvreis de vin, et puis tondus. |
[p. 29] [Samson, duc d'Israël] En ce temps-là [vers 1177 a.C.n.], Samson, le duc d'Israël, menait une guerre intense contre les Philistins, car il était très fort. On peut dire qu'il avait la force d'autant d'hommes qu'il avait de cheveux sur la tête, mais si ses cheveux étaient coupés, il n'avait que la force normale d'un homme. Il descendait de la tribu de Dan, le fils de Jacob. La nuit où il fut conçu, une voix avait dit à ses père et mère de veiller à ce que, toute sa vie durant, leur fils ne boive pas de vin et ne se coupe pas les cheveux. Sinon, cela tournerait mal. C'est ce qui [p. 30] arriva. La prescription fut très mal observée : sa femme elle-même, amoureuse d'un Philistin, l'enivra avec du vin et lui rasa la tête. |
[Coment Sampson oit creveis les yeux] Et adont le prirent les Philistyens que ilh avoit mult guerroiet aidant son peuple, se li creverent les oux et le misent en la prison, où ilh demorat tant que ses cheveals furent recrus, et sa forche li fut rendueve, dont ilh debrisat la prison par forche. Apres se fist myneir en palais par I garchon, et prist le pyleir qui sortenoit tout le palais et l'abatit ; si chayt le palais sor le roy des Philistyens et sor ses gens. Si en fut ochis IIIm et Sanse meisme fut ochis awec, qui avoit adont regneit XIX ans. |
[Samson a les yeux crevés] C'est alors que les Philistins, qu'il avait beaucoup combattus pour aider son peuple, lui crevèrent les yeux et le mirent en prison, où il resta jusqu'à ce que ses cheveux eussent repoussé. Ayant retrouvé sa force, il l'utilisa pour briser sa prison. Il se fit ensuite conduire au palais par un valet, saisit le pilier qui soutenait tout le bâtiment et abattit le palais, qui s'effondra sur le roi des Philistins et ses gens. Trois mille personnes furent tuées, et Samson périt avec elles. Il avait alors régné dix-neuf ans. |
Fondations de cités, alliances, naissances et successions chez les Latins (Ascagne) et en Gaule (Mélus) - Mélus, duc de Gaule, vainc et tue au combat Anténor, duc de Sicambrie, ce qui assure, semble-t-il, la fusion des Gaulois et des Sicambres (ans 593-604 de Joseph = 1174-1163 a.C.n.)
[p. 30] Sor l'an del nativiteit Joseph Vc et XCIII fondat Ascanus, li roy des Latin, une citeit que ilh nommat Ascanon, et II ans apres fondat I altre asseis pres de la citeit de Eneoche, qu'ilh nommat Sydaine. |
[p. 30] En l'an 593 de la nativité de Joseph [1174 a.C.n.], Ascagne, le roi des Latins, fonda une cité qu'il nomma Ascanon, et deux ans plus tard il en fonda une autre tout près de la cité d'Énéoch, qu'il appela Sydaine. |
[Li promier duc de Galle morut, Franco - Melus le IIe duc] Item, l'an del nativiteit Joseph Vc XCVII, morut Franco, li promier duc de Galle ; si regnat après luy son fis Melus LI an. |
[Mort de Franco, premier duc de Gaule - Mélus, deuxième duc] En l'an 597 de la nativité de Joseph [1170 a.C.n.], Franco, le premier duc de Gaule, mourut. Son fils Mélus lui succéda et régna cinquante et un ans. |
Item, l'an del nativiteit Joseph Vc XCVIII, oit Ascanus de sa femme Eutrop, filhe le roy Evandre deseurdit, I fis qui fut nommeis Menelaus ; et li dus de Galle Melus oit en cesti an meismes (I fis) de sa femme Austrope, filhe le roy Bosses d'Athenne, et fut chis fis nommeis Borgors. |
En l'an 598 de la nativité de Joseph [1169 a.C.n.], Ascagne eut, de sa femme Eutrope, fille du roi Évandre, mentionné plus haut, un fils nommé Ménélas. La même année, le duc de Gaule Mélus eut de sa femme Austrope, fille du roi Bosses d'Athènes, un fils, qu'il nomma Borgors. |
Item, l'an Joseph VIc et IIII, oit grant batalhe entre Melus le duc de Galle, et Antenor le duc de Sycambre ; et là fut ochis Antenor, et ses gens desconfite. |
En l'an 604 [1163 a.C.n.], une grande bataille opposa Mélus, le duc de Gaule, à Anténor, le duc de Sicambre. Anténor fut tué et ses troupes vaincues (cfr p. 28). |
Le juge Héli et ses fils succèdent à Samson - Naissance du prophète Samuel en Israël - Le duc de Gaule Mélus et les fils d'Anténor, Ydonus et Satilus, reconstruisent la forteresse d'Ilion à Troie (ans 611-614 de Joseph = 1156-1153 a.C.n.)
[p. 30] Item, l'an Joseph VIc et XI, issit Sampson fours de la prison des Philistyens, et abatit le palais enssi que dit est par deseur ; et là fut mors. |
[p. 30] En l'an 611 de Joseph [1156 a.C.n.], Samson sortit de la prison des Philistins et abattit le palais, comme cela a été dit ci-dessus ; et c'est là qu'il mourut. |
[De Hely, juge d’Israel] Si fut dus d'Israel Heli, ly soverains evesques de la loy, awec ses II fis Offines et Finées ; si regnarent XXXIX ans. |
[Héli, juge d’Israël] Héli, le grand prêtre, devint duc d'Israël avec ses deux fils, Ophni et Phinées : ils régnèrent trente-neuf ans (p. 33 ; cfr Samuel, I, 1, ch. 1, 3, 12-18). |
A cel temps et devant al temps de la destruction de Troie, et I pou devant, estoient les saraines apparante aux gens, et les dechivoient et par especial les mareniers. |
En ce temps-là et précédemment, au moment de la destruction de Troie et un peu avant, des sirènes apparaissaient aux gens et les trompaient, spécialement les marins. |
[De bons Samuel le prophete] Item, l'an Joseph VIc et XII, fut neis Samuel le prophete le IIIIe jour de decembre. |
[Le bon prophète Samuel] En l'an 612 de Joseph [1155 a.C.n.], le prophète Samuel naquit, le quatre décembre. |
[Melus, le duc de Galle redifiat Troie] Item, l'an VIc et XIIII, s'en alat Melus, li dus de Galle, oultre mere et arivat à Troie la déserte. Si trovat là Ydonus et Satilus, les enfans Antenor de Sycambre, qui là estoient fuys por le paour del duc Melus ; et les chargat a reedifyer la fortereche Ylon, que les fis Antenor avoient ja commenchiet à refaire. |
[Mélus, le duc de Gaule reconstruit Troie] En l'an 614 [1153 a.C.n.], Mélus, le duc de Gaule, s'en alla outre-mer et arriva à Troie la déserte. Il y trouva Ydonus et Satilus, les fils d'Anténor de Sicambrie, qui avaient fui là-bas par peur de Melus. Celui-ci les chargea de reconstruire la forteresse d'Ilion, un travail qu'ils avaient déjà commencé. |
Le roi Bosses d'Athènes tue le roi d'Italie Ascagne, qui lui avait refusé la main de sa fille Grata - Ménélas persuade sa soeur Grata d'épouser Bosses, qui lève le siège d'Énéoch - Ménélas redevient roi d'Italie (an 616 de Joseph = 1151 a.C.n.)
[p. 31] [Del guere qui fut entre le roy Boses et le roy Ascanus, por la femme qu’ilh voloit avoir] Sor l’an del nativiteit Joseph VIc et XVI, oit batalhe entre Bosses le roy d'Athenne, et Ascanus le roy d'Ytale. Si avoit Bosses Xm hommes et Ascanus en avoit VIIm ; si fut Ascanus ochis et ses gens disconfite. Et ceste guere estoit commenchié portant que li roy Bosses voloit avoir à femme Grata, la filhe Ascanus, et Ascanus ne li voloit otriier. |
[p. 31] [La guerre éclate entre le roi Bosses et le roi Ascagne, à cause de la femme qu’il veut épouser] En l'an 616 de la nativité de Joseph [1151 a.C.n.], une bataille opposa Bosses, le roi d'Athènes, à Ascagne, le roi d'Italie. Bosses disposait de dix mille hommes et Ascagne de sept mille ; Ascagne fut tué et ses hommes défaits. Cette guerre avait commencé parce que le roi Bosses voulait épouser Grata, la fille d'Ascagne, et que ce dernier avait refusé de la lui accorder. |
Si avient que ly roy Bosses assist dedens la citeit de Eneoch, qui estoit la plus grant del regne d'Ytale, Menelaus, le fis Ascanus, qui astoit jovene de XVIII ans ; mains, quant ilh veit chu, se vient à sa soreur Grata et li dest : « Ma chire seure, se vos n'asteis d'acord de prendre le roy Bosset à maris, je et vos astons mors et nos pays exilhiés. » Et là respondit Grata : « Beals freire, vos saveis que le roy que donneir me volleis par mariage at ochis mon pere, et comment le poroit donc mon cuer ameir ? ». A chu respondit Menelaus : « De dois mails doit-ons faire le mainre por le plus grief lassier ; ilh vaut mies que chu soit vostre maris, que vos soyés ochis et nostre pays gasteit. » Et cel respondit qu'elle feroit son plaisir. De chu le remerchiat mult Menelaus ; puis mandat al roy Bosses que ilh li donroit sa soreur s'ilh voloit issir de son regne, et cis ly otriat ; enssi furent accordeis, et oit Bosses Grate à femme, et rendit sa terre Menelaus por estre roy. |
Un jour, le roi Bosses assiégea la ville d'Énéoch, la plus grande ville du royaume d'Italie. Ménélas, le fils d'Ascagne, était un jeune homme de dix-huit ans. Quand il vit cela, il vint trouver sa soeur Grata et lui dit : « Ma soeur chérie, si vous n'acceptez pas de prendre le roi Bosses pour époux, vous et moi, nous sommes morts et nos pays sont perdus. » Grata lui répondit : « Beau frère, vous savez que le roi que vous voulez me donner pour mari a tué mon père ; comment donc pourrais-je l'aimer ? » À cela Ménélas répondit : « De deux maux, on doit choisir le moindre pour éviter le pire ; il vaut mieux que votre mari soit tué plutôt que vous-même, et que notre pays ne soit pas dévasté. » Grata consentit à ces souhaits. Ménélas l'en remercia beaucoup, puis il fit savoir à Bosses qu'il lui accorderait sa soeur, s'il sortait de son royaume, ce qu'il accepta. Tel fut leur accord. Bosses épousa Grata et rendit sa terre à Ménélas, qui en devint le roi. |
Silvius Postumus, fils d'Énée et ancêtre des Silvii, tue Bosses et devient roi d'Italie - Ménélas fonde Milan
[p. 31] Mains Silvius, li fis Eneas de Livine la seconde femme, qui ja avoit XXVI ans d'eiage, assemblat gens et corrut sus Bosses, et le desconfist mult laidement ; et remynat Grata la pucelle, quant ilh oit ochis Bosses ; et vient el regne d'Ytale. |
[p. 31] Mais Silvius, fils d'Énée et de sa seconde femme Lavinie, âgé déjà de vingt-six ans, rassembla ses gens et attaqua Bosses, le défit complètement et ramena la jeune Grata, après avoir tué Bosses. Puis il revint au royaume d'Italie. |
[Coment Menelaus fondat la citeit de Melan] Si encachat Menelaus, son neveur, qui s'en fuit fors del regne, et fondat une citeit qu'ilh nommat Melan apres son nom, en laqueile ilh habitat tout son vivant. |
[Ménélas fonde la cité de Milan] Silvius chassa Ménélas son neveu, qui s'enfuit hors du royaume et fonda une cité qu'il nomma Milan, d'après son nom, ville dans laquelle il habita durant le reste de sa vie. |
[De Silvius, le IIe roy de Ytaile] Et Silvius fut roy d'Ytale, si regnat XIX ans valhamment. Chis roy fut nommeis Silvius Postivus : Silvius, por tant qu'ilh fut nouris en unc bois, et Postivus, por tant qu'ilh fut neis après le mort de son peire ; car Eneas, son peire, laissat sa femme Lavine enchainte de ly ; et por l'amour de li tous les roys d'Albaine sont nommeis Silvii, c'este-à-dire Silvestre, qui est ortant à dire que de boscaige. |
[Silvius, deuxième roi d'Italie] Silvius devint alors roi d'Italie et régna en homme vaillant durant dix-neuf ans. Il fut nommé Silvius Postumus : Silvius, parce qu'il fut élevé dans un bois, et Postumus, parce qu'il naquit après la mort de son père. En effet, Énée son père avait laissé enceinte sa femme Lavinie. C'est par amour pour lui que tous les rois d'Albe furent nommés Siluii, c'est-à-dire silvestre, qui signifie du bois. |
Digression : Les Amazones et la ville d'Éphèse (621 de Joseph = 1146 a.C.n.)
[p. 31] [Des Amasones] Item, l'an del nativiteit Joseph VIc et XXI, prisent les femmes d'Amasonie une citeit qui fut nommé Dolet ; si fut dedont en avant nommée Ephesse com devant ; car [p. 32] la royne Ephesaine l'avoit fondeit. Si l'avoit li roy de Perse gangniet jadit, se le nommat Dolet. |
[p. 31] [Les Amazones] L'an 621 de la nativité de Joseph [1146 a.C.n.], les femmes d'Amazonie s'emparèrent d'une cité, nommée Dolet ; ensuite cette ville retrouva son nom d'Éphèse, comme avant ; car [p. 32] elle avait été fondée par la reine Éphisanie. Le roi de Perse qui l'avait conquise jadis l'avait nommée Dolet (p. 26). |
Silvius Postumus épouse Odéla, fille de Mélus, qui lui donne deux fils : Broncus, futur fondateur de la Grande-Bretagne, et Énée le Posthume - Borgons, fils de Mélus, fonde la Bourgogne et son fils Hector fonde Troyes (ans 623-630 de Joseph = 1144-1137 a.C.n.)
[p. 32] Apres, sour l'an Joseph VIc et XXIII, oit Silvius, le roy d'Ytale, à femme Odela, la filhe Melus le duc de Galle, et por son amour ilh fondat l'an apres une citeit en son regne qu'ilh appelIat Odelin. |
[p. 32] Ensuite, en l'an 623 de Joseph [1144 a.C.n.], Silvius, roi d'Italie, épousa Odéla, fille de Mélus, duc de Gaule ; par amour pour elle, l'année suivante, il fonda dans son royaume une cité qu'il appela Odelin. |
[Silvius, li roy d’Itaile, oit unc fis qui oit nom Broncus, lyqueis fondat la Grant Bretangne, c’est Engleterre] Item, l'an Joseph VIc et XXVI, Odela oit de roy Silvius unc fis qui fut nommeis Broncus. Chis Broncus fut chis qui puis fondat la Grant Bretangne, c'on nom maintenant Engleterre, enssi com vos oreis chi-apres. |
[Silvius, le roi d’Italie, a un fils nommé Broncus, lequel fonde la Grande-Bretagne, qui est l'Angleterre] En outre, l'an 626 de Joseph [1141 a.C.n.], Odéla eut du roi Silvius un fils nommé Broncus. Ce Broncus fonda plus tard la Grande-Bretagne, appelée ensuite Angleterre, comme vous l'apprendrez ci-après (p. 127). |
Item, sor I'an Joseph VIc et XXVII, oit Odela de Silvius I fis qui fut nommeis Eneas le postis. |
En l'an 627 de Joseph [1140 a.C.n.], Odéla eut de Silvius un fils, nommé Énée le Posthume. |
[Borgons, li fis le duc de Galle, fondat promier le pays de Borgongne et en fut promier sires] Item, l'an Joseph VIc XXX, priat Borgons, li fis le duc de Galle, à son pere qu'ilh li vosist donneir terre, où ilh posist fondeir vilhes et casteals por habiteir ; et chil li otriat I certain terre grant et long, où ilh fondat pluseurs vilhes où les gens habiteroient. Si en fut sires. Si nommat son pays Borgongne apres son nom, où ilh oit puis regnant III roys ensembles, si com vos oreis chi-apres. |
[Borgons, le fils du duc de Gaule, fonde d'abord le pays de Bourgogne et en est le premier seigneur] L'an 630 de Joseph [1137 a.C.n.], Borgons, le fils du duc de Gaule, pria son père de consentir à lui donner un territoire, pour y fonder des villes et des châteaux à habiter. Son père lui accorda un territoire long et large, bien délimité, où il fonda de nombreuses villes. Il en fut le seigneur. Il l'appela Bourgogne, d'après son nom. Trois rois y régnèrent ensemble, comme vous l'apprendrez ci-après (Myreur, II, p. 129-130). |
[Ector, le fis le dit Borgons, fondat Troie en Borgongne] Chis Borgons oit I fis qui fut nommeis Ector, qui puis fondat Troie en Borgongne. |
[Hector, le fils de Borgons, fonde Troyes en Bourgogne] Ce Borgons eut un fils nommé Hector, qui par la suite fonda Troyes en Bourgogne [pour Champagne ?]. |
Énée le Posthume, successeur de Silvius comme roi d'Italie, délivre Lombarde, une jeune fille captive de brigands, l'épouse, donne son nom à la Lombardie et fonde des cités, dont Pavie (an 635 de Joseph = 1132 a.C.n.)
[p. 32] Item, l'an Joseph VIc et XXXV, morut Silvius, ly roy d'Ytale. Si regnat son fis Eneas apres, qui estoit encors jovenes de IX ans ; mains Menelaus, son oncle, li aidat tant qu'ilh oit eaige, et regnat XXXI an. Broncus, son frere, astoit anneis ; mains ilh ne vout oncques tenir terre, s'ilh ne le conqueroit ou edifioit de novel. |
[p. 32] En l'an 635 de Joseph [1132 a.C.n.], Silvius, roi d'Italie, mourut. Son fils Énée (le Posthume), âgé de neuf ans seulement, lui succéda, mais son oncle Ménélas l'aida en attendant qu'il soit en âge de régner. Ce règne dura trente et un ans. Broncus était le frère aîné d'Énée (le Posthume), mais il ne voulait pas posséder une terre qu'il n'aurait pas conquise ou édifiée lui-même. |
[Eneas, le fis le roy d’Ytale, rescoiit Londarde (sic) del main de III lauron, et l’esposat, et apres lée ilh apellat son paiis Lombardie] Chis roy Eneas s'en allat I jour cachier en I bois, et awec li cent hommes ; si trovat que III murdreurs avoient une mult belle pucelle qu'ilh voloient violeir ; et li roy les fist prendre, si les demandat qui la pucelle estoit. Chil respondirent que ch'estoit le filhe l'empereur de Gresse, et l'avoient robeit al port de Gresse. Adont les fist li roy coupeir les pungnes, les langues, si que de part eaux ne fust dit jamais novelle de la damoiselle. |
[Énée, le fils du roi d’Italie, sauve Lombarde des mains de trois brigands, l’épouse et donne son nom à son pays, la Lombardie] Énée (le Posthume) alla un jour chasser dans une forêt, accompagné de cent hommes. Il tomba sur trois meurtriers qui voulaient violer une très belle pucelle. Le roi les fit arrêter et leur demanda qui était la victime. Ils répondirent qu'elle était la fille de l'empereur de Grèce et qu'ils l'avaient enlevée dans un port de ce pays. Alors le roi leur fit couper les mains et les langues, pour qu'ils ne puissent jamais parler de la demoiselle. |
[Lombardie - Pavie] Apres demandat li roy à la pucelle comment el estoit nommée ; elle respondit qu'elle estoit nommée Lombarde, et li roy li dest qu'ilh (la) prenderoit à femme, et l'amynat awec li. Si l'esposat solonc sa loye ; et, por la grant amour qu'ilh avoit à lée, ilh appellat son paiis Lombardie, et y fondat pluseurs citeis et casteals, entres lesqueilles ilh fist I belle, en droit lieu où ilh avoit sa femme trovée ; si l'apellat Pavie, par le raison de chu qu’ilh avoit là passeit, ilh avoit sa femme savée la vie. |
[Lombardie - Pavie] Ensuite le roi demanda son nom à la pucelle ; elle répondit qu'elle se nommait Lombarde. Le roi lui dit qu'il la prendrait pour femme et l'emmena avec lui. Il l'épousa selon sa loi. Très amoureux d'elle, il appela son pays la Lombardie et y fonda plusieurs cités et châteaux. Il construisit notamment une belle cité, à l'endroit exact où il avait trouvé sa femme ; il l'appela Pavie, pour la raison qu'il était passé par là et qu'il y avait sauvé la vie de sa femme. |
Un chevalier de Gaule, Mélompus, succède en Grèce à Bosses, transmet la royauté à ses descendants et rattache la Béotie à Athènes - À la mort du duc de Gaule Mélus, son fils Bosses lui succède (ans 640-648 de Joseph = 1127-1119 a.C.n.)
Item, l’an [p. 33] Joseph VIc et XL, morut Bosses, le roy d'Athennes, fis à roy Bosset que Silvius ochist. Apres la mort Bosset vout eistre roy Andromart de Boiesse, et gueroiat longement le peuple d'Athenne ; mains ilh furent secorus par I chevalier de Galle qui fut nommeis Melompus, fis de la soreur le duc Melus, liqueis chevalier ochist en batalhe le duc Adromart. |
En l'an [p. 33] 640 de Joseph [1127 a.C.n.] mourut Bosses, le roi d'Athènes, fils du roi Bosses tué par Silvius. Après la mort de Bosses, Andromart de Béotie voulut être roi. Il guerroya longtemps contre le peuple d'Athènes ; mais ceux-ci furent aidés par un chevalier de Gaule, nommé Mélompus, fils de la soeur du duc Mélus. Au cours du combat, Mélompus tua le duc Andromart. |
Et quant le peuple de Athenne veit chu, se fisent Melompus roy ; et ilh les governat bien et gentiment. Et deveis savoir que ons faisoit el roy d'Athenne par election ; mains le peuple le donnat à Melompus por sa grant proieche et à ses heures dedont en avant ; et adont fut cassée li election. Item, l'an Joseph VIc XLIIII, conquist Melompus toute la terre de Boresse, et le mist awec la sien. |
Quand les Athéniens virent cela, ils firent de Mélompus leur roi, qui les gouverna avec bonté et douceur. Vous devez savoir qu'on devenait roi d'Athènes par élection. Mais, le peuple offrit pour ses prouesses la couronne à Mélompus, et ultérieurement à ses héritiers. L'élection fut ainsi abolie. En l'an 644 de Joseph [1123 a.C.n.], Mélompus conquit toute la terre de Béotie, qu'il joignit à la sienne. |
[De duc de Galle] Item, l'an Joseph VIc et XLVIII, morut Melus, li duc de Galle, qui fut le fis Franco, le fis Ector de Troie, qui avoit regneit LI an. Chis dus Melus avoit II fis de sa femme, qui furent nommeis : li anneis Borgons, et li altre Bosses. Borgons avoit pris terre altre part, sique Bosses fut dus de Galle, et regnat XXIIII ans. Chis Bosses oit IIII fis : li plus anneis oit nom Ector, li altre Priant, ly altre Polus et li altre Alemanie ; mains Priant et Polus morurent jovenes, si qu'ilh n'en oit que II, qui mult furent valhans en armes. |
[Le duc de Gaule] En l'an 648 de Joseph [1119 a.C.n.], après cinquante et un ans de règne, mourut Mélus, duc de Gaule, fils de Franco, petit-fils d'Hector de Troie. Ce duc Mélus avait de sa femme deux fils, Borgons, l'aîné, et Bosses. Borgons s'était établi dans un autre territoire (p. 32), si bien que Bosses devint duc de Gaule et régna vingt-quatre ans. Ce Bosses eut quatre fils : l'aîné Hector, le second Priam, le troisième Polus et le quatrième Alemaine. Priam et Hector moururent jeunes, les deux autres furent de vaillants guerriers. |
Aux juges d'Israël, Ophni et Phinées, défaits et tués par les Philistins, succède le prophète Samuel, qui désigne Saül comme premier roi (ans 650-653 de Joseph = 1117-1114 a.C.n.)
[p. 33] [Les Philistiiens orent victoir contre Israel - Samuel fut fais juge d’Israel] Item, l'an Joseph VIc et L en novembre, orent batalhe li peuple d'Ysrael et les Philistiiens ensemble ; si orent les Philistiiens victoir, et furent les fis d'Ysrael desconfis, et leurs II juges Offines et Finées ochis. Et quant Heli leur peire le soit, si en prist teile coroche que ilh en morut. Et avoient gouverneit XL ans ; et apres leurs mors fut eslus Samuel, qui fut li soverains prophete de son temps. |
[p. 33] [Les Philistins remportent la victoire sur Israël - Samuel devient juge d'Israël] En novembre de l'an 650 de Joseph [1117 a.C.n.], une bataille opposa le peuple d'Israël et les Philistins. Ces derniers remportèrent la victoire, les fils d'Israël furent défaits et leurs deux juges, Ophni et Phinées, furent tués (p. 30). Quand leur père Héli l'apprit, il en conçut un tel dépit qu'il en mourut. Ils avaient gouverné quarante ans. Après leur mort, Samuel fut élu et fut le souverain prophète de son temps. |
[Exemple - Saul le promier roi d'Israel] Item, l'an Joseph VIc et LIII, priarent les peuples d'Ysrael à leur juge Samuel qu'ilh leur vosist donneir I roy, qui les menast en batalhe contre leur annemis, enssi que les altres nations avoient. Et Samuel leur otriat, mains ilh prist III jours de conselhe. Dedens ches trois jours, Samuel priat à Dieu devoltement que ilh li donnast à cognostre queile homme ilh poroit eslire por estre roy ; et Dieu li demonstrat que ilh presist Saul, qui estoit de sa lignie desquendus. Quant Samuel l'entendit, si fist [p. 34] tantoist roy de Saul, qui governat le peuple bien unc pau de temps. |
[Exemple - Saül le premier roi d'Israël] En l'an de Joseph 653 [1114 a.C.n.], les peuples d'Israël prièrent leur juge Samuel de consentir à leur donner un roi, comme dans les autres nations. Samuel fut d'accord, mais consacra trois jours à la réflexion. Durant ces trois jours, Samuel pria Dieu avec dévotion, lui demandant de lui faire connaître l'homme qu'il pourrait désigner comme roi. Dieu lui fit comprendre qu'il devait choisir Saül, un descendant de sa lignée. Quand Samuel l'entendit, il désigna [p. 34] aussitôt Saül comme roi, lequel gouverna bien le peuple pendant un court espace de temps. |
Alemaine, fils de Bosses de Gaule, conquiert la Germanie appelée 'Allemagne' d'après son nom (an 657 de Joseph = 1110 a.C.n.)
[p. 34] [Allemain, le fis de duc de Galle, fondat li Allemangne] Item, l'an Joseph VIc et LVII, allat Alemanie, le fis le duc Bosses de Galle, josteir trois cops de lanches contre I chevalier qui fut nommeis Andol, et se n'avoit lidis Alemaine que VII ans ; si brisat sa lanche et ne chayt point ; dont pluseurs chevaliers dessent qu'ilh seiroit encor valhan, enssi qu'ilh fut, car ilh conquist puis tout Germaine, et le multipliat mult fortement de citeis. Si l'appellat solonc son nom Allemaingne, et ses gens Allemans, et conquist mult de terre entour li le temps qu'ilh regnat. |
[p. 34] [Alemaine, le fils du duc de Gaule, fonde l'Allemagne] En l'an de Joseph 657 [1110 a.C.n.], Alemaine, le fils du duc Bosses de Gaule, alla jouter et porta trois coups de lance à un chevalier nommé Andol. Cet Alemaine n'avait que sept ans ; sa lance fut brisée mais il ne tomba pas. Ce qui fit dire à beaucoup de chevaliers qu'il serait toujours aussi vaillant. Ce fut le cas, car il conquit plus tard toute la Germanie, dont il augmenta fortement le nombre de cités. Il appela le pays, d'après son nom, Allemagne, et ses habitants Allemands. Il conquit beaucoup de terres aux alentours pendant la durée de son règne. |
Naissance du futur roi David à Bethléem (an 660 de Joseph = 1107 a.C.n.)
[p. 34] [La nascenche David, qui puis fuit roy] L'an Joseph VIc et LX fut neis David, qui puis fuit roy de peuple d'Israel et fut le fis Ysay, et par altre nom ilh fut nommeis Jessé et fut David neis en la citeit de Bethleem, et issit de la lignie Juda. |
[p. 34] [Naissance de David, qui ensuite devient roi] En l'an 660 de Joseph [1107 a.C.n.] naquit David, qui fut par la suite roi du peuple d'Israël. Fils d'Isaïe [Samuel, I, ch. XVI], il porta un autre nom, Jessé. David est né dans la cité de Bethléem et est issu de la tribu de Juda. |
Latinus succède à Énée comme roi des Latins et Alétès est le premier roi de Corinthe - À la mort de leur père Bosses, Hector devient duc de Gaule et Alemaine conquiert la Germanie - Casdros, fils de Mélompus d'Athènes, est tué par les habitants de Pellène (ans 666-677 de Joseph = 1101-1090 a.C.n.)
[p. 34] [Des Latins] Item, l'an Joseph VIc et LXVI, morut Eneas, li roy des Latiens, qui avoit regneit XXXI an, qui estoit li an de son eaige XL. Et apres luy fut roy son fis Latin, qui regnat L ans. |
[p. 34] [Les Latins] Énée, roi des Latins, mourut en l'an 666 de Joseph [1101 a.C.n.], à l'âge de quarante ans, après trente et un ans de règne. Son fils Latinus lui succéda et régna cinquante ans. |
[Le promier roi de Corinthe] En cesti an meismes fisent cheaux de Corinthe leur promier roy, car oncques n'avoient oyut roy, et fut nommeit Aletes, et regnat XXXV ans. |
[Le premier roi de Corinthe] En cette même année, les habitants de Corinthe eurent leur premier roi, car ils n'en avaient jamais eu. Il fut nommé Alétès et régna trente-cinq ans. |
[De dus de Galle et Germaine] Item, l'an Joseph VIc LXXII, morut li dus de Galle Bosses. Si regnat son fis Ector, li anneis, XVI ans et, quant Alemanie, son jovenes frere, soit que son pere estoit mors, et que son frere estoit dus de Galle, si allat en Germaine et le conquist ; si en fut dus, si com j'ay dit desus. |
[Le duc de Gaule et la Germanie] En l'an 672 de Joseph [1095 a.C.n.], le duc Bosses de Gaule mourut. Son fils aîné, Hector, lui succéda durant seize ans. Quand Alemaine, le cadet, apprit que son père était mort et que son aîné était devenu duc de Gaule, il alla en Germanie, la conquit et en devint le duc, comme je viens de le dire. |
Item, l'an Joseph VIc LXXVII, morut li roy Melompus d'Athennes ; si regnat son fis apres Casdros, à cuy cheaux de Pulaine gueriont longtemps ; mains al dierain ilhs l'ochirent en batalhe. |
En l'an 677 de Joseph [1090 a.C.n.], Mélompus d'Athènes mourut et laissa le pouvoir à son fils Casdros, contre lequel les habitants de Pellène guerroyèrent longtemps. À la fin, ils le tuèrent au combat. |
L'année de la mort de Samuel, Hector duc de Gaule est vaincu et tué par son frère Alemaine, qui devient duc de Gaule - Le roi Saül d'Israël, vaincu par les Philistins sur le mont Gelboé, se suicide (ans 688-691 de Joseph = 1079-1076 a.C.n.)
[p. 34] Item, l'an Joseph VIc LXXXVIII, morut Samuel, qui fut grandement ploreis de peuple Israel. |
[p. 34] En l'an 688 de Joseph [1079 a.C.n.] mourut Samuel, qui fut très pleuré par le peuple d'Israël. |
En cel an meisme, oit li dus Ector de Galle batalhe contre son frere Alemaine, qui le guerioit por le sien part de la terre de Galle ; si furent les Gallyens desconfis, et Ector ochis. Si fut dus Alemaine fais de [p. 35] pars les chevaliers ; si regnat XXII ans. |
La même année, le duc Hector de Gaule batailla contre son frère Alemaine, qui lui faisait la guerre pour obtenir sa part du pays de Gaule. Les Gaulois furent défaits et Hector tué. Alemaine fut fait duc (de Gaule) [p. 35] par les chevaliers. Son règne dura vingt-deux ans. |
[Del grant batalhe en mont Gelboé] Item, l'an Joseph VIc XCI, fut la grant batalhe en mont Gelboée de Saul, le roy Israel, encontre les Philistiiens ; si tournat le mal sour le peuple d'Ysrael, car Gerblo, Sanse, et Grandons et Jonatas, les enfans Saul, furent ochis en la batalhe, et grant quantiteit de peuple Israel awec. Et quant Saul veit chu, se priat à son escuwier que ilh le tuast, et chis ne l'oisat faire. Adonc prist Saul son espée, se soy tuat luy-meismes, et le peuple fut desconfis. |
[La grande bataille du mont Gelboé] En l'an 691 de Joseph [1076 a.C.n.] se déroula sur le mont Gelboé la grande bataille entre Saül, le roi d'Israël et les Philistins. Cela finit mal pour le peuple d'Israël, car Gerblo, Samson, Grandons et Jonathas, les enfants de Saül [cfr Samuel, I, ch. XIV, 49, où ne se retrouve que le dernier nommé] furent tués dans la bataille, avec un grand nombre d'habitants d'Israël. Quand Saül vit cela, il pria son écuyer de le tuer, mais celui-ci n'osa pas. Alors Saül prit son épée et se tua lui-même. Le peuple fut vaincu. |
Transition entre le troisième et le quatrième âge du monde, celui du couronnement de David
[p. 35] [Del IIIIe eaige de monde] Chi fine le thier eaige de monde, qui contient de la nativiteit Abraham jusqu'à David, quant ilh fut coronneis, IXc et XL ans. Si commencherons nous dautes sour l'an que David fut coroneis à roy de peuple Israël, qui fut li an del origination de monde IIIIm C et XXIIII. |
[p. 35] [Le quatrième âge du monde] Ici s'achève le troisième âge du monde, qui, de la naissance d'Abraham au couronnement de David compte neuf cent quarante ans. Nous commencerons (maintenant) à dater les événements à partir du couronnement de David, roi du peuple d'Israël, qui correspond à l'an 4124 de l'origine du monde [1075 a.C.n.]. |
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