Bibliotheca Classica Selecta - Traductions françaises : sur la BCS - sur la Toile

Virgile : Énéide - Géorgiques

Bucoliques : Gen - I - II - III - IV - V - VI (Hypertexte louvaniste) - VII - VIII - IX - X

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


 

VIRGILE - BUCOLIQUES - VI

(Trad. de la collection M. Nisard, Paris, 1850)

 


[1] Ma muse la première a daigné redire, en se jouant, les vers du poète de Syracuse, et n'a pas rougi d'habiter les forêts. J'allais chanter les rois et les combats, quand Apollon, me tirant l'oreille, me dit : "Tityre, un berger [5] doit faire paître ses grasses brebis, et chanter de petits airs champêtres." Je vais donc, puisque assez d'autres, ô Varus, diront à l'envi tes louanges et peindront les tristes guerres, je vais essayer un air champêtre sur mon chalumeau léger : un dieu me l'ordonne ainsi. Mais ces humbles vers, ô Varus, [10] si quelqu'un les lit et qu'ils le charment, il entendra nos bruyères, il entendra nos bois résonner de ton nom. Est-il rien de si agréable à Phébus, que la page qui s'est décorée du nom de Varus ?

Muses, continuez. Chromis et Mnasyle, deux bergers, deux enfants, trouvèrent un jour Silène endormi dans un antre. [15] Il avait, comme toujours, les veines enflées du vin de la veille. Sa couronne tombée de sa tête était loin de lui, et de sa main, qui en avait usé l'anse, pendait encore un vase pesant. Souvent le vieillard leur avait fait espérer ses chants ; toujours il les avait trompés : ils se jettent sur lui, et le lient avec ses propres guirlandes. [20] Églé survient ; Églé, la plus belle des nymphes, encourage les timides bergers et leur prête secours ; et, au moment que le vieillard ouvre les yeux, elle lui rougit le front et les tempes du jus sanglant de la mûre. Lui, riant du badinage : "Pourquoi ces noeuds, enfants ? leur dit-il. Dégagez-moi ; c'est assez d'avoir pu me surprendre. [25] Les chants que vous voulez de moi, vous allez les entendre : à vous mes chants ; à celle-ci je réserve une autre récompense." Il dit ; il va chanter. Alors vous eussiez vu les Faunes et les bêtes sauvages accourir en cadence et se jouer autour de lui, et les chênes eux-mêmes balancer leurs cimes émues. Les rochers du Parnasse ne se réjouissent pas autant des accents d'Apollon ; [30] le Rhodope et l'Ismare n'admirent pas autantOrphée.

Silène chanta comment s'étaient pressés, confondus dans le vide immense, les éléments de la terre, de l'air, de la mer, et du feu liquide ; comment ils donnèrent naissance à toute chose, comment le monde encore tendre se forma de ces germes féconds ; [35] comment le sol commença à durcir, et à se séparer des eaux reçues dans le sein des mers ; comment la matière revêtit peu à peu des formes diverses. II dit les premiers feux du soleil, et la terre étonnée de le voir luire ; les nuages montant au plus haut des airs et retombant en pluies, les jeunes forêts levant leurs fronts sauvages, [40] et les animaux errant en petit nombre sur les monts inconnus.

Il dit les pierres jetées par Pyrrha, le règne de Saturne, les vautours du Caucase, et le vol de Prométhée ; Hylas perdu sous l'onde, et qu'appelaient en vain ses compagnons ; Hylas, Hylas, que redemandait au loin la rive. [45] Heureuse, hélas ! s'il n'y eût jamais eu de troupeaux, Pasiphaé, il plaint ton déplorable amour pour un taureau blanc comme la neige. Ah ! vierge infortunée, quel délire t'a emportée ! Les Proétides remplirent les campagnes de faux beuglements ; mais aucune d'elles ne s'abandonna [50] aux honteux hyménées des troupeaux, quoiqu'elles craignissent le joug pour leur tête, et que souvent elles cherchassent des cornes sur leur front uni. Ah ! malheureuse amante, tu erres maintenant sur les montagnes ; et lui, couché sur la molle hyacinthe, où s'étale la blancheur de ses flancs, il rumine de vertes herbes sous l'ombre noire d'une yeuse, [55] ou poursuit quelque génisse dans un grand troupeau. Fermez, nymphes de Crète, fermez les issues des forêts ! peut-être s'offriront à mes yeux les traces vagabondes du taureau que j'aime ; peut-être aussi que, charmé par les verts pâturages, ou que suivant un troupeau, [60] quelque génisse l'attire vers les étables de Gortyne. Alors il chante la jeune fille éblouie des pommes d'or du jardin des Hespérides ; il enveloppe d'une écorce amère et moussue les soeurs de Phaéton, s'élevant de la terre dans les airs en hauts peupliers.

II chante Gallus, errant sur les bords du Permesse : [65] il dit comment une des neuf soeurs le conduisit sur le sommet de l'Hélicon, et comment devant lui se leva tout le choeur d'Apollon ; comment le berger Linus, le front couronné de fleurs et d'ache amère, lui dit d'une voix divine : "Reçois des mains des Muses ces chalumeaux, [70] qu'elles donnèrent autrefois au vieillard d'Ascra ; quand il en tirait des accords, les ormes émus, descendaient des montagnes. Dis-nous sur ces chalumeaux les origines de la forêt de Grynée ; et que, chanté par toi, il n'y ait aucun bois sacré dont Apollon se glorifie davantage."

Que ne chanta pas Silène ? II dit les fureurs de Scylla, fille de Nisus ; [75] les monstres aboyants qui entouraient ses flancs d'albâtre d'une horrible ceinture ; comment elle tourmenta les vaisseaux d'Ulysse, précipita ses compagnons tremblants dans l'abîme profond des mers, hélas ! et les livra à la dent dévorante de ses chiens. II dit Térée et sa triste métamorphose, quels funestes mets lui prépara Philomèle ; [80] comment, nouvel oiseau, il s'enfuit dans les déserts ; comment, avant de fuir, le malheureux voltigea au-dessus de son palais.

Enfin, tous les beaux chants d'Apollon qu'écouta jadis l'Eurotas ravi, et qu'il fit retenir à ses lauriers, Silène les redit ; et les échos des vallons les renvoient jusqu'aux astres. [85] Mais Vesper, se levant, ordonne aux deux bergers de pousser vers l'étable leurs brebis rassemblées, et de les compter, et l'Olympe voit à regret s'avancer la nuit.

  


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[Dernière intervention : 10 décembre 2002]

 

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