Bibliotheca Classica Selecta - Traductions françaises : sur la BCS - sur la Toile

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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


 

VIRGILE - BUCOLIQUES - II

(Trad. de la collection M. Nisard, Paris, 1850)

 


[1] Le berger Corydon brûlait pour le bel Alexis, les délices de son maître, et il n'avait pas ce qu'il espérait. Seulement il venait tous les jours sous les cimes ombreuses des hêtres épais ; là, seul, [5] sans art, il jetait aux monts, aux forêts cette plainte perdue :

"O cruel Alexis, tu dédaignes mes chants, tu n'es point touché de ma peine ; à la fin, tu me feras mourir. Voici l'heure où les troupeaux cherchent l'ombre et le frais ; où les vertes ronces cachent les lézards ; [10] où Thestylis broie l'ail et le serpolet odorants, pour les moissonneurs accablés des feux dévorants de l'été.

Et moi, attaché à la trace de tes pas, je n'entends plus autour de moi que les buissons qui retentissent, sous un soleil ardent, des sons rauques des cigales. Ne m'eût-il pas été moins dur de supporter les tristes colères [15] et les superbes dédains d'Amaryllis ? Que n'aimé-je Ménalque, quoiqu'il soit brun, quoique tu sois blanc ?

O bel enfant, ne compte pas trop sur la couleur : on laisse le blanc troène, on cueille la noire airelle. Tu me méprises. Alexis, et tu n'as souci de savoir qui je suis, [20] combien je suis riche en troupeaux, combien en blanc laitage. Mille brebis paissent pour moi sur les monts de Sicile ; l'été, l'hiver, le lait nouveau ne me manque pas. Je chante les airs que chantait, quand il appelait ses troupeaux, Amphion de Thèbes sur le haut Aracynthe. [25] Je ne suis pas si affreux ; je me suis vu naguère sur le rivage, dans la mer calme et unie ; et si le miroir des eaux ne nous trompe jamais, je ne craindrais pas, te prenant pour juge, Daphnis pour la beauté.

O qu'il te plaise seulement d'habiter avec moi ces pauvres campagnes, et nos humbles chaumières ; de percer les daims, [30] et de chasser devant toi, avec la verte houlette, la bande pressée de nos chevreaux. Avec moi dans les forêts tu imiteras Pan sur tes pipeaux. Pan le premier a enseigné à joindre ensemble par la cire plusieurs chalumeaux ; Pan protège et les brebis et les bergers. Ne crains pas de blesser avec la flûte ta lèvre délicate : [35] pour apprendre mes airs, que ne faisait pas Amyntas ? J'ai une flûte formée de sept tuyaux d'inégale hauteur, qu'autrefois Damétas m'a donnée en propre : en mourant il me dit : "Tu es le second qui l'aies." Ainsi dit Damétas ; Amyntas n'en fut-il pas sottement envieux ?

[40] De plus, j'ai trouvé au fond d'un périlleux ravin deux petits chevreuils tachetés de blanc ; chaque jour ils épuisent les mamelles de deux brebis : je les garde pour toi. Il y a longtemps que Thestylis me presse de les lui amener ; et elle les aura, puisque tu n'as que du dédain pour mes présents.

[45] Viens, ô bel enfant ! Voici les nymphes qui t'apportent des lis à pleines corbeilles ; pour toi une blanche naïade cueillant de pâles violettes, les plus hauts pavots, et le narcisse, les joint aux fleurs odorantes de l'anet ; pour toi entremêlant la case et mille autres herbes suaves, [50] elle peint la molle airelle des couleurs jaunes du souci. Moi-même je cueillerai les blanches pommes du coing au tendre duvet, et des châtaignes, qu'aimait mon Amaryllis : j'y joindrai la prune vermeille ; elle aussi sera digne de te plaire. Et vous aussi, lauriers, myrtes si bien assortis, je vous cueillerai, [55] puisqu'ainsi rassemblés vous confondez vos suaves odeurs.

Tu es sot, Corydon ; Alexis ne veut pas de tes présents ; et si les tiens le disputaient à ceux d'Iolas, Iollas ne te cèderait pas. Malheureux, qu'ai-je dit ? Je suis perdu d'amour ; j'ai déchaîné l'Auster sur les fleurs, j'ai lancé le sanglier fangeux dans les claires fontaines. [60] Ah ! qui fuis-tu, insensé ? Les dieux aussi ont habité les forêts ; le Troyen Pâris était berger. Que Pallas aime les hauts remparts qu'elle a bâtis : nous, que les bois nous plaisent par-dessus tout. La lionne à l'oeil sanglant cherche le loup ; le loup, la chèvre ; la chèvre lascive, le cytise en fleurs : [65] et toi, Corydon te cherche, ô Alexis ! chacun suit le penchant qui l'entraîne. Vois, les boeufs ramènent le soc levé de la charrue ; et le soleil, qui descend, double les ombres croissantes : et moi je brûle encore --- Est-il quelque répit à l'amour ?

Ah ! Corydon, Corydon, quelle démence est la tienne ? [70] La vigne, unie à cet ormeau touffu, reste à demi-taillée : que ne prépares-tu plutôt quelque ouvrage utile à tes champs ? que ne tresses-tu le jonc et le flexible osier ? Tu trouveras un autre Alexis, si cet Alexis te dédaigne.

 


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[Dernière intervention : 10 décembre 2002]

 

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