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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


Historiographie gréco-romaine

 

HISTORIOGRAPHIE CHRETIENNE

 

Introduction

 

La diffusion du christianisme dans le monde gréco-romain a profondément influencé le développement de l'historiographie. Issue du judaïsme, la nouvelle religion avait emprunté à celui-ci ses livres sacrés qui racontaient l'histoire du peuple élu depuis la création du monde, des livres inspirés dont la véracité ne pouvait être mise en doute et qu'on allait confronter aux traditions de la littérature profane : l'historiographie chrétienne aura souvent une allure batailleuse. Mais les chrétiens n'ont pas seulement des sources particulières, les textes de ce qu'on va appeler l' « Ancien Testament », ils ont, sur l'histoire, des idées qui les distinguent des auteurs païens.

CONCEPTION DU TEMPS - On a souvent prétendu qu'il existait une opposition radicale entre historiens païens d'une part, juifs et chrétiens de l'autre à propos du temps conçu comme cyclique par les premiers, avec des retours réguliers au point de départ, comme linéaire par les seconds qui le voient comme un continuum allant de la création à la fin du monde avec, au centre, l'incarnation de Jésus-Christ (cf. par exemple, Guitton, Le temps et l'éternité chez Plotin et Saint Augustin, p. 401-404 ; Löwith, Histoire et salut, p. 21-42). Cette théorie n'est pas tout à fait sans fondement. L'idée d'un « éternel retour » est présente chez les stoïciens et l'on sait que Polybe (VI, 4, 7-10) a développé la thèse d'une évolution cyclique des constitutions (anacyclosis). Cela ne suffit pourtant pas pour justifier l'opposition décrite ci-dessus. En réalité, les historiens grecs et romains, Polybe y compris, décrivent le temps qui s'écoule sans jamais envisager de retour en arrière. « Pour ce qui est des conceptions du temps de l'histoire, affirme H. Inglebert, on sait désormais que l'antithèse entre le temps cyclique, supposé païen et le temps linéaire, supposé monothéiste, est une illusion d'historiographes contemporains » (Interpretatio Christiana, p. 473 ; voir aussi Press, History and the Development of the Idea of History in Antiquity). Ce qui distingue réellement les païens des chrétiens, c'est que, pour les uns, le déroulement du temps ne mène nulle part tandis que les autres attendent le retour du Sauveur, la Parousie.

IMPORTANCE DE LA CHRONOLOGIE - Juifs et chrétiens ne pouvaient s'accomoder des données fournies par les auteurs païens sur l'histoire ancienne de l'humanité. Ni les faits, ni les dates n'étaient compatibles avec ce que disent les textes sacrés. Comment concilier le récit du Déluge dans la Genèse (VI,5 - VIII,22) avec la version qu'en donne Platon dans les Lois (III, 677a - 678d) ou avec la légende de Deucalion? Comment admettre que le monde n'a pas eu de commencement ou que la Création a eu lieu il y a un peu plus de 150.000 ans, comme le prétendait Apollonius l'Égyptien (Théophile d'Antioche, A Autolycus, III,16)? Il fallait montrer que seule la Bible permet de remonter sûrement jusqu'aux origines du monde et que les traditions païennes, surtout grecques, ne méritent aucun crédit. Flave-Josèphe se charge de ce travail, dans les dernières années du Ier siècle, pour le compte des Juifs: c'est le thème du Contre Apion. Les chrétiens, au début, ne paraissent pas trop s'intéresser à ces questions. On relève bien, au début de l'évangile de saint Mathieu (1, 1-17), un tableau de l'ascendance de Jésus qui commence à Abraham, tableau qui permet à l'auteur de compter trois fois quatorze générations entre le patriarche et le Christ; saint Luc (3, 23-38), s'il ne compte pas les générations, dresse une liste semblable et qui remonte plus haut, jusqu'à Adam, fils de Dieu. Mais il faut attendre les apologistes du IIe siècle pour voir se développer de véritables recherches chronologiques. Dans son Discours aux Grecs, Tatien consacre plusieurs chapitres (31, 36-41) à démontrer que Moïse est bien antérieur à Homère, antérieur aussi à Orphée, Musée, Épiménide de Crète etc. Théophile d'Antioche est plus précis: pour lui, Moïse précède la guerre de Troie de 900 ou 1000 ans (A Autolycus, III, 21), donnée que l'on retrouve dans l'Apologétique de Tertullien (XIX, 1, 1*). Ces travaux de chronologie comparée aboutissent, au début du IVe siècle, au grand ouvrage d'Eusèbe de Césarée, les Canons chronologiques qui vont d'Abraham à 325 p.C., traduits en latin et prolongés jusqu'en 378 par saint Jérôme.

Par la suite, d'autres recherches chronologiques retiendront l'attention des chrétiens, en particulier pour fixer la date de Pâques, fête mobile liée au calendrier lunaire, puis celle de la naissance du Christ, calculée en 525 par le moine Denys le Petit qui crée ainsi l'ère de l'Incarnation.

RECHERCHE DES CAUSES - On sait, au moins depuis Hérodote, que l'historien ne peut se contenter de rapporter des événements, qu'il doit en rechercher les causes, et les auteurs païens, se conformant à cette règle, en avaient identifié un certain nombre : la volonté des dieux, invoquée par Xénophon, ou les passions humaines. Des causes politiques interviennent dans l'œuvre de Thucydide et de Polybe : l'impérialisme athénien qui est à l'origine de la guerre du Péloponnèse, la constitution mixte de Rome qui explique son redressement après la bataille de Cannes. A l'époque hellénistique, face au caractère inexplicable par la raison de certains événements, se développe l'idée que ceux-ci sont simplement l'effet de la Tychè, la fortune ou le hasard ; bien plus tard, Ammien Marcellin soulignera le rôle de Némésis.

Les chrétiens récusent cette étiologie. Pour eux, Dieu est le créateur et le sauveur des hommes ; c'est lui qui agit en profondeur dans leur histoire, qui a mis fin aux persécutions, par exemple, et puni les coupables de manière exemplaire (Lactance). Cette conception providentialiste de l'histoire va rester longtemps dominante. Bornons-nous ici à quelques exemples. Au début du XIIe siècle, Guibert de Nogent fait le récit de la première croisade et lui donne un titre très significatif, non pas « Gesta Francorum » mais « Gesta Dei per Francos » : les Croisés ne sont que les instruments de la volonté divine, volonté divine qui est toujours agissante, même si elle est parfois impénétrable comme le note un contemporain de Guibert, Ordéric Vital. Un laïc comme Commynes attribue lui aussi les revers subis par les grands hommes à l'intervention de Dieu, plutôt qu'aux coups de la Fortune, et le huguenot A. d'Aubigné considère même que c'est là le vrai fruit à retirer de toute histoire : « connoistre en la folie et la foiblesse des hommes le jugement et la force de Dieu », opinion que n'aurait sans doute pas reniée le très catholique Bossuet.

OBJET ET BUT DE L'HISTOIRE - Les chrétiens ne s'intéressent guère à l'histoire profane, si ce n'est pour les besoins de leur apologétique. Pourquoi parler de Darius et de Cyrus, des guerres d'Athènes et de Sparte? se demande Théophile. L'histoire des païens ne mérite d'être prise en considération que pour sa valeur pédagogique : aux yeux de Lactance et d'Orose, ce ne sont pas tellement les événements qui comptent, c'est la leçon qui s'en dégage. La plupart des auteurs chrétiens vont donc se tourner vers d'autres sujets, l'histoire de l'Église, d'une part, et dans un premier temps il s'agit de l'Église universelle, les vies de saints de l'autre, où les fidèles trouvent des modèles à imiter. Ces deux genres littéraires se développeront au moyen âge, à cela près que les histoires de l'Église vont se rétrécir et se limiter à un pays, à un diocèse, voire à un monastère.

 

 

Bibliographie

 

- Altaner B. (adapté par H. Chirat), Précis de patrologie, Mulhouse, 1961.

- Bouffartigue J., Entre Constantin et Théodose. L'image incertaine des empereurs chrétiens chez leurs corréligionnaires des IVe et Ve siècles, dans Les Études Classiques, 75, 2007, p.53-66.

- Cracco Ruggini L., The Ecclesiastical Histories and the Pagan Historiography : Providence and Miracles, dans Athenaeum, N.S. 55, 1977, p.107-126.

- Den Boer W., Some Remarks on the Beginnings of Christian Historiography, dans Studia Patristica, 4, 1961, p.348-362 (= H.W. Pleket - H.S. Versnel - M.A. Wes (éd.), W. Den Boer, SYGGRAMMATA. Studies in Graeco-Roman History, Leyde, 1979, p.23-37).

- Duval Y.- M., Temps antique et temps chrétien, dans Histoire et historiographie en Occident aux IVe et Ve siècles, Aldershot,Variorum Collected Studies Series, 1997.

- Guitton J., Le temps et l'éternité chez Plotin et Saint Augustin, 3e éd., Paris, 1959 (Bibliothèque d'histoire de la philosophie).

- Inglebert H., Les Romains chrétiens face à l'histoire de Rome, Paris, 1996 (Coll. des Études Augustiniennes. Sér. Antiquité, 145).

- Inglebert H., Interpretatio Christiana. Les mutations des savoirs (cosmographie, géographie, ethnographie, histoire) dans l'Antiquité chrétienne (30-630 après J.-C.) , Paris, 2001 (Coll. des Études Augustiniennes. Sér. Antiquité, 166).

- Löwith K., Histoire et salut. Les présupposés théologiques de la philosophie de l'histoire, Paris, 2002 (Bibliothèque de philosophie).

- Momigliano A., L'historiographie païenne et chrétienne au IVe siècle après J.-C., dans Problèmes d'historiographie ancienne et moderne, Paris, 1983, p.145-168.

- Momigliano A., Time in Ancient Historiography, dans History and Theory, Beiheft 6, 1966, p.1-23 (= Essays in Ancient and Modern Historiography, 1977, p.179-204).

- Pouderon B. - Duval Y.-M. (dir.), L'historiographie de l'Église des premiers siècles, Paris, 2001 (Théologie historique, 14).

- Press G.A., History and the Development of the Idea of History in Antiquity, dans History and Theory, 16.3, 1977, p.280-296.

- Vidal-Naquet P., Temps de Dieu et temps des hommes. Essai sur quelques aspects de l'expérience temporelle chez les Grecs, dans Revue de l'histoire des religions, 157, 1960, p.55-80.


Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick

[ 9 juin 2009 ]


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