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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS
Historiographie du XVe au XVIIIe siècle
Bossuet (1627-1704)
L’AUTEUR
Jacques-Bénigne Bossuet est né à Dijon dans une famille de hauts magistrats. Il y fait ses études secondaires au collège des Jésuites puis, destiné à la prêtrise, reçoit une formation en philosophie et en théologie au collège de Navarre à Paris. Ordonné prêtre en 1652 et ayant conquis un doctorat en théologie, il s’installe à Metz où il avait obtenu un titre de chanoine depuis plusieurs années : il y prêche et s’occupe d’œuvres de charité. Mais il est très vite attiré par Paris où ses talents de prédicateur sont fort appréciés ; il est également très engagé dans la controverse avec les Protestants. En 1669, il est nommé évêque de Condom, dans le Gers, mais doit rapidement renoncer à son diocèse car, dès l’année suivante, il est choisi comme précepteur du Dauphin, le fils de Louis XIV, et va donc vivre à la Cour. Ses responsabilités pédagogiques se terminent en 1680. L’année suivante, Bossuet est nommé évêque de Meaux, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort, ce qui ne l’empêche pas d’être mêlé à toutes les grandes affaires qui agitent l’Église de France à cette époque, les relations entre cette Église et le Vatican (Gallicanisme), la controverse avec les Protestants, ravivée après la Révocation de l’édit de Nantes (1685), la querelle avec l’exégète R. Simon, avec Fénelon (Quiétisme), avec le P. Malebranche, avec les Jansénistes. Toutes ces luttes pour la défense de l’orthodoxie donnent naissance à une œuvre énorme dont une partie ne sera publiée qu’après la mort du prélat.
LES ŒUVRES HISTORIQUES
Deux titres, dans la vaste production littéraire de Bossuet, doivent retenir notre attention, le Discours sur l’histoire universelle à Monseigneur le Dauphin (1681) et l’Histoire des variations des Eglises protestantes (1688). Dans les deux cas, il s’agit d’ouvrages à finalité pratique : la formation (intellectuelle, politique, morale) du fils de Louis XIV, d’une part ; le retour des Réformés à l’Eglise catholique, de l’autre. Bossuet est un pasteur, qui ne se fait historien que par nécessité (cf. T 24).
Le Discours sur l’histoire universelle
Bossuet s’est occupé de l’éducation du Dauphin de 1670 à 1680. Le prince avait neuf ans quand on l’a confié à l’évêque de Condom, qui s’est chargé de la presque totalité de sa formation : religion, langue française et latine (pas de grec), histoire, géographie, philosophie, notions de physique et d’histoire naturelle ; les mathématiques étaient laissées à un autre précepteur. Bossuet a donc été amené à rédiger différents « manuels » à l’intention de son élève. C’est l’origine de notre Discours qui, bien sûr, a été remanié par l’auteur en vue de son édition.
Le titre de l’ouvrage appelle deux remarques. Il y est question d’histoire « universelle » : en réalité, Bossuet se limite au monde méditerranéen et au Proche-Orient, partant de la Création et parcourant les siècles dans le monde juif, chez les Assyriens, les Égyptiens, les Perses, les Grecs, les Romains, pour s’arrêter à Charlemagne. Les Musulmans, absents du Discours, auraient dû figurer dans une suite, annoncée, mais qui n’a pas vu le jour (T 9). On notera, en second lieu, que l’auteur parle bien d’un « discours » sur l’histoire universelle. Il ne s’agit donc pas d’un simple manuel présentant des événements dans une suite chronologique, mais d’un vaste survol de l’histoire humaine dont il faut tirer des leçons morales, politiques, survol illustrant surtout la volonté divine en action dans la « suite des temps ». L’histoire ne doit pas seulement informer le prince sur le passé mais lui faire découvrir « ce que peuvent les passions et les intérêts, les temps et les conjonctures, les bons et les mauvais conseils » (T 1).
Voyons maintenant le plan de l’ouvrage. Bossuet divise son Discours en trois parties, de longueur inégale. La première, une centaine de pages dans l’édition utilisée ici, est un rapide aperçu de l’histoire de l’humanité, de la création à Charlemagne, dans lequel l’auteur distingue douze périodes centrées chacune sur un personnage ou un événement emblématique : Adam, Noé, Abraham, Moïse, la prise de Troie, Salomon, Romulus, Cyrus, Scipion l’Africain ou Carthage vaincue, Jésus-Christ, Constantin, Charlemagne. C’est la base événémentielle sur laquelle Bossuet va bâtir son discours en traitant d’abord de la « Suite de la religion », de loin la partie la plus longue, puis en étudiant « Les empires » auxquels il consacre une petite centaine de pages.
La première partie, la « Suite des temps », est assez banale. L’auteur reprend les événements tels qu’il les a lus dans la Bible, chez les auteurs grecs et latins et les Pères de l’Église, sans aucun esprit critique, notant en marge les dates qu’il a trouvées dans ses sources, tout en avertissant son illustre élève que cette chronologie est fort incertaine (T 3).
La « Suite de la religion » a plus de consistance mais relève plus de la théologie que de l’histoire. Bossuet revient, cette fois de façon très détaillée, sur l’histoire juive, la venue du Messie, l’expansion de l’Église, et sans se limiter aux faits : il veut en dégager le sens. « C’est un sermon », note G. Lefebvre (La naissance de l’historiographie moderne, p. 97). L’auteur y développe ses idées, parfois sur un ton dithyrambique (T 7), toujours avec une assurance « pontificale » : la Bible dit la vérité, contrairement aux histoires profanes où l’on ne trouve que des fables ou des récits confus et sans intérêt (T 4) ; les peuples anciens les plus éclairés étaient, sur le plan religieux, les plus ignorants et les plus aveugles des hommes (T 5) ; et qu’on ne vienne pas mettre en doute le texte ou l’authenticité des Écritures : il n’y a là que des chicanes, de vaines curiosités qui ne portent pas atteinte au fond des choses (T 6 ; voir aussi T 25).
La troisième partie soulève un problème très important, qui touche à l’idée que Bossuet se fait des causes qui agissent dans l’histoire. Le pieux évêque croit évidemment, et le répète souvent, que les événements sont commandés par la Providence divine. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il faille voir partout la main de Dieu. Celui-ci se réserve « certains coups extraordinaires » où il agit seul ; pour le reste, ce sont les causes naturelles et humaines qui expliquent les révolutions des empires (T 8).
L’Histoire des variations des Eglises protestantes
Il n’est pas inutile de se rappeler le contexte dans lequel paraît, en 1688, l’Histoire des variations protestantes de Bossuet. L’œuvre s’inscrit dans un vaste mouvement de lutte anti-protestante qui a repris vigueur au lendemain de la Paix de Nimègue (1678). Ayant mis un terme à la guerre de Hollande, Louis XIV peut se consacrer à la politique intérieure et tenter de résoudre pour de bon un conflit qui déchire la France depuis des décennies. Appuyé par l’Église, il va forcer les Protestants qui résistent encore à revenir à la foi catholique, avec des méthodes de plus en plus brutales : en 1681, les dragonnades commencent en Poitou, s’étendent au Languedoc et au Béarn. Mais on combat aussi les Réformés à coups de publications ; on essaie de convaincre ces hérétiques de leur erreur et ceux-ci, bien entendu, répliquent aux « convertisseurs ». En 1680, par exemple, le P. Maimbourg, S.J., publie une Histoire du Luthéranisme, suivie, en 1682, par une Histoire du Calvinisme. P. Bayle lui répond aussitôt en faisant paraître, sans nom d’auteur, une Critique de l’Histoire du Calvinisme du P. Maimbourg. De tels ouvrages foisonnent dans les années qui nous occupent. En octobre 1685, Louis XIV prend une décision radicale, la révocation de l’Édit de Nantes, promulgué par Henri IV en 1598 et qui accordait aux Protestants, entre autres concessions, la liberté de culte, des places de sûreté et l’accès aux fonctions publiques. Ce fut l’occasion pour Bayle de se manifester de nouveau par un pamphlet devenu célèbre, Ce que c’est que la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand (1686). Bossuet, lui, se félicite de la décision royale. Dans l’oraison funèbre du chancelier Le Tellier, qui avait contribué à la rédaction de cet édit de Nantes et qui était mort quelques jours plus tard, le prédicateur atteint les sommets du lyrisme : « Touchés de tant de merveilles, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis. Poussons jusqu’au ciel nos acclamations, et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne, ce que les six cent trente Pères dirent autrefois dans le concile de Chalcédoine : Vous avez affermi la foi, vous avez exterminé les hérétiques : c’est le digne ouvrage de votre règne, c’en est le propre caractère. Par Vous, l’hérésie n’est plus ; Dieu seul a pu faire cette merveille. Roi du ciel, conservez le roi de la terre ; c’est le vœu des Eglises ; c’est le vœu des Evêques » (Œuvres, éd. Velat-Champailler, La Pléiade, p. 183-184).
L’Histoire des variations paraît donc trois ans après la révocation de l’édit de Nantes (ou de Fontainebleau). Louis XIV voulait convertir les Protestants par la force, l’évêque de Meaux va tenter de les ramener au bercail par la persuasion en leur montrant l’inconsistance, l’instabilité de leur doctrine (T 10). Or, « les variations dans la foi [sont une] preuve certaine de fausseté » (Histoire des variations, T. I, p. 2). Et pour rendre sa démonstration plus convaincante, Bossuet s’engage à n’utiliser que des documents d’origine réformée, que ses adversaires ne pourront pas récuser (T 11). Il faut reconnaître, d’ailleurs, qu’il a mené cette heuristique des sources avec le plus grand soin (T 11). Il a consulté la plupart des textes officiels émanant des différentes ´Eglises protestantes, luthérienne, calviniste, anglicane, zwinglienne ; il cite des lettres, d’Érasme, de Calvin, de Mélanchton ; il va jusqu’à reproduire les pièces relatives au remariage du landgrave de Hesse (Histoire, T. II, p. 266-276). Il connaît aussi, bien entendu, les historiens qui l’ont précédé, A. d’Aubigné, La Popelinière, Th. De Bèze, de Thou. Ce qui le dessert surtout, c’est son ignorance de l’allemand et de l’anglais : il ne peut donc lire les textes rédigés dans ces langues que s’ils ont été traduits en latin, ce qui n’est pas toujours le cas.
Bossuet construit son Histoire sur un plan chronologique. Le livre Ier couvre les années 1517-1520 , le second, les années 1520-1529, et ainsi de suite, avec toutefois des interruptions comme au livre V, où l’auteur se livre à des « Réflexions générales sur les agitations de Melanchton et sur l’état de la Réforme » ; au livre XI, où il revient en arrière pour traiter des prédécesseurs de la Réforme, Albigeois, Vaudois, Viclefistes et Hussites ; au livre XIII, entièrement consacré à la doctrine sur l’Antéchrist depuis Luther jusqu’au temps présent. Le livre XIV discute d’une nouvelle publication du ministre Jurieu sur l’union des Calvinistes avec les Luthériens. Le livre XV constitue le couronnement de l’ouvrage : c’est la démonstration de la fermeté inébranlable de l’Église catholique. Les événements politiques, militaires n’intéressent guère l’auteur, si ce n’est dans la mesure où ils illustrent cette nouvelle doctrine qui permet à des sujets de prendre les armes contre le roi et la patrie au nom de la religion (T 16). C’est le théologien qui parle dans cette Histoire, et le psychologue car Bossuet croit avoir découvert la cause profonde du mouvement réformateur : l’attachement des adeptes à leur opinion particulière, à leurs pensées personnelles, à la différence des Catholiques qui s’en écartent pour se rallier au sentiment commun de toute l’Église (T 1, T 21).
Réception
Le Discours sur l’histoire universelle a suscité, au fil du temps, des réactions très contrastées. Il était apprécié de Voltaire, surtout pour son style (cf. Le siècle de Louis XIV, Coll. La Pléiade, p. 1006), et par Mme du Châtelet, pour la même raison : « Elle lut enfin le discours de l’illustre Bossuet sur l’histoire universelle… elle admira le pinceau de Bossuet, et trouva son tableau très infidèle » (Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, Classiques Garnier, T. II, p. 902-903). On sait d’ailleurs que c’est à la demande de cette savante amie, qui voulait savoir ce qui s’était passé dans le monde après Charlemagne, que Voltaire, écrivit son Essai, devenant ainsi, en quelque sorte, le continuateur de Bossuet (cf. Essai, T. II, p. 954). D’autres personnages célèbres ont dit leur admiration pour le Discours de l’évêque de Meaux. L’empereur Napoléon voyait en l’auteur « la plus grande parole de l’univers chrétien et le meilleur conseiller des princes », et d’ajouter, « Le jour où par bonheur je rencontrai Bossuet, où je lus, dans son Discours sur l’histoire universelle, la suite des empires, il me sembla que le voile du temple se déchirait de haut en bas et que je voyais les dieux marcher » (cfr). Chateaubriand n’était pas moins enthousiaste, comparant notre auteur aux plus grands historiens de l’antiquité : « Politique comme Thucydide, moral comme Xénophon, éloquent comme Tite-Live, aussi profond et aussi grand peintre que Tacite, l’évêque de Meaux a de plus une parole grave et un ton sublime dont on ne trouve ailleurs aucun exemple, hors dans l’admirable début du livre des Macchabées » (Le génie du christianisme, IIIe partie, Livre III, Ch. VIII). Un siècle plus tard, à peu près, G. Lanson, tout en reconnaissant les faiblesses du Discours, trouve certaines pages remarquables : « quelle vérité ! quelle netteté ! quelle vue saisissante et juste de toutes les histoires ! Les erreurs ou les inexactitudes de détail n’y font rien : l’ensemble a la vérité et la vie » (Bossuet, p. 149). L’opinion de Fueter, de la même époque, est bien plus réservée. « L’ouvrage de Bossuet, dit-il, n’est ni remarquable ni original » : la présentation des faits dans la première partie, à la façon des annales, est gauche et confuse ; sa critique est insuffisante (Histoire de l’historiographie moderne, p. 359). Bref, « c’est un sermon à texte historique » (ibid., p. 330). Plus près de nous, .H.-I. Marrou a lui aussi manifesté des réticences vis-à-vis de ce Discours : « on a trop fait de Bossuet, dit-il, le champion de la pensée chrétienne quant à l’histoire ; j’estime pour ma part que Bossuet… suscite autant de réserves, d’un point de vue strictement chrétien, que Dante qui sait, lui, quels et quels Florentins ont mérité d’être précipités en enfer » (Philosophie critique de l’histoire, dans L’homme et l’histoire. Actes du sixième Congrès des sociétés de philosophie de langue française, Paris, 1952, p. 9-10). P. Veyne nous servira de transition pour passer à l’autre œuvre historique de Bossuet, l’Histoire des variations, qu’il compare au Discours sur l’histoire universelle : « si l’on cherche, au XVIIe siècle, quelque chose qui ressemble à peu près à ce qu’on entend par science historique au XIXe siècle, on le trouvera, non dans le genre historique, mais dans la controverse (autrement dit, ce qui ressemble à ce que nous appelons de l’Histoire est l’Histoire des variations, livre d’ailleurs toujours admirable et lecture qu’on dévore, et non pas dans l’illisible Discours sur l’histoire universelle) » (Comment on écrit l’histoire suivi de Foucault révolutionne l’histoire, Paris, 1971-1976, p. 230).
Il est assez normal que l’Histoire des variations des Églises protestantes ait été très mal accueillie dans les milieux protestants. De Rotterdam, le pasteur Pierre Jurieu consacre désormais les Lettres pastorales qu’il adressait à ses coreligionnaires restés en France à une vigoureuse défense des thèses calvinistes (cf. Rébelliau, Bossuet, p. 143-153). L’évêque de Meaux lui réplique longuement dans ses Avertissements aux Protestants sur les Lettres du ministre Jurieu (1689-1691). Un autre pasteur français réfugié en Hollande, J. Basnage, publie en 1690 une Histoire de la religion des Églises réformées pour servir de réponse à l’Histoire des variations des Églises protestantes de M. de Meaux ; d’Angleterre aussi arrive une censure du Discours, signée G. Burnet. Bossuet associe ses deux adversaires dans sa réplique, Défense de l’Histoire des variations (ce texte figure à la suite du XVe et dernier livre de l’Histoire des variations dans l’édition Garnier utilisée ici). On pourrait allonger la liste de ces ouvrages de controverse. Bayle, par exemple, signale une réponse à M. de Meaux, en latin, rédigée par un Allemand nommé Scutet, « luthérien rigide », qu’il ne trouve pas très convaincante (Correspondance de Pierre Bayle, éd. É. Labrousse e.a., T. XIII, Oxford, 2016, p. 156). En 1691, Joachim Le Grand édite à Paris des Lettres à M. Burnet dans lesquelles il prend la défense de Bossuet, puis critique certaines œuvres historiques de l’évêque anglican. Voltaire, en bon connaisseur, n’appréciait pas trop cette littérature : « Presque tous les livres polémiques n’ont qu’un temps. Les fables de La Fontaine, l’Arioste, passeront à la dernière postérité ; cinq ou six mille volumes de controverse sont déjà oubliés » (Le siècle de Louis XIV, Coll. La Pléiade, p. 1150). Voltaire n’a sans doute pas tort, si ce n’est que l’Histoire des variations a mieux résisté que les autres publications du même genre. Dans son compte rendu du livre de Rébelliau, Bossuet historien du protestantisme, F. Brunetière considère cette Histoire comme « assurément l’un des plus beaux ouvrages de Bossuet, le plus beau peut-être et le plus accompli » (Revue des Deux Mondes, 109, 1892, p. 694). Lanson parle de l’ « admirable Histoire des variations » (Bossuet, p.176) : c’est l’expression qu’on retrouve sous la plume de P. Veyne, dans le texte cité ci-dessus.
BIBLIOGRAPHIE
Textes
‒ Discours sur l'histoire universelle à Monseigneur le Dauphin pour expliquer la suite de la religion et les changements des empires, Paris, s.d. (Coll. Garnier).
‒ Discours sur l'histoire universelle, éd. J. TRUCHET, Paris, G-F., 1966.
‒ Histoire des variations des Églises protestantes, 2 vol., Paris, s.d. (Coll. Garnier).
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‒ Œuvres complètes ... par une Société d'ecclésiastiques, t. V. Controverse, Paris, s.d.
‒ Œuvres, éd. B. VELAT - Y. CHAMPAILLER, Paris, 1961 (Bibl. de la Pléiade).
Études
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‒ GOYET Th., Autour du Discours sur l’Histoire Universelle. Etudes critiques. I. L’histoire du Discours ; II. L’utilisation de Platon, Paris, 1956 (Annales littéraires de l’Université de Besançon).
‒ GOYET Th., L’humanisme de Bossuet, 2 vol., Paris, 1965.
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‒ MINOIS G., Bossuet entre Dieu et le Soleil, Paris, 2003.
‒ QUANTIN J.- L., Bossuet et l’érudition de son temps, dans FERREYROLLES G. (éd.), Bossuet. Le Verbe et l’histoire, p. 65-103.
‒ RÉBELLIAU A., Bossuet historien du protestantisme. Étude sur "L'histoire des variations" et sur la controverse au dix-septième siècle, 3e éd. Paris, 1909.
‒ RÉBELLIAU A., Bossuet, Paris, 1922 (Les grands écrivains français).
‒ RICUPERATI G., Jacques-Bénigne Bossuet et l'histoire universelle, dans Storia della storiografia, 35, 1999, p. 27-61.
‒ TOUBOUL P., L’histoire providentialiste de Bossuet au miroir de l’historiographie contemporaine, dans XVIIe Siècle, 239, 2008, p. 243-259.
‒ TRUCHET J., La prédication de Bossuet. Étude des thèmes, 2 vol., Paris, 1960 [voir, en particulier, vol. II, ch. III : Prédication aux Protestants] .
TEXTES CHOISIS
Discours sur l’histoire universelle (Coll. Garnier)
T 1 ‒ Utilité de l’histoire pour les princes
Quand l’histoire serait inutile aux autres hommes, il faudrait la faire lire aux princes. Il n’y a pas de meilleur moyen de leur découvrir ce que peuvent les passions et les intérêts, les temps et les conjonctures, les bons et les mauvais conseils. Les histoires ne sont composées que des actions qui les occupent, et tout semble y être fait pour leur usage. Si l’expérience leur est nécessaire pour acquérir cette prudence qui fait bien régner, il n’est rien de plus utile à leur instruction que de joindre aux exemples des siècles passés les expériences qu’ils font tous les jours. Au lieu qu’ordinairement ils n’apprennent qu’aux dépens de leurs sujets et de leur propre gloire à juger des affaires dangereuses qui leur arrivent ; par le recours à l’histoire, ils forment leur jugement, sans rien hasarder, sur les événements passés. Lorsqu’ils voient jusqu’aux vices les plus cachés des princes, malgré les fausses louanges qu’on leur donne pendant leur vie, exposés aux yeux de tous les hommes, ils ont honte de la vaine joie que leur cause la flatterie, et ils connaissent que la vraie gloire ne peut s’accorder qu’avec le mérite (Avant-propos, p. 1-2).
Au milieu des malheurs de l'Italie, et pendant que Rome étoit affligée d'une peste épouvantable, saint Grégoire le Grand fut élevé, malgré lui, sur le siège de saint Pierre. Ce grand pape apaise la peste par ses prières, instruit les empereurs et tout ensemble leur fait rendre l'obéissance qui leur est due ; console l'Afrique, et la fortifie ; confirme en Espagne les Visigoths, convertis de l'arianisme, et Récarède le Catholique, qui venoit de rentrer au sein de l'Église; convertit l'Angleterre, réforme la discipline dans la France, dont il exalte les rois, toujours orthodoxes, au-dessus de tous les rois de la terre ; fléchit les Lombards ; sauve Rome et l'Italie, que les empereurs ne pouvaient aider ; réprime l'orgueil naissant des patriarches de Constantinople ; éclaire toute l'Église par sa doctrine ; gouverne l'Orient et l'Occident avec autant de vigueur que d'humilité, et donne au monde un parfait modèle de gouvernement ecclésiastique. L'histoire de l'Église n'a rien de plus beau que l'entrée du saint moine Augustin dans le royaume de Kent, avec quarante de ses compagnons, qui, précédés de la croix et de l'image du grand roi notre Seigneur Jésus-Christ, faisoient des vœux solennels pour la conversion de l'Angleterre. Saint Grégoire, qui les avoit envoyés, les instruisoit par des lettres véritablement apostoliques, et apprenoit à saint Augustin à trembler parmi les miracles continuels que Dieu faisoit par son ministère (Ière Partie, XIe Epoque ; p. 102-103).
T 3 ‒ Conclusion de la première partie [Les époques, ou la suite des temps]
Quand je parle de l’ordre des temps, je ne prétends pas, Monseigneur, que vous vous chargiez scrupuleusement de toutes les dates ; encore moins que vous entriez dans toutes les disputes des chronologistes, où le plus souvent il ne s’agit que de peu d’années. La chronologie contentieuse, qui s’arrête scrupuleusement à ces minuties, a son usage sans doute ; mais elle n’est pas votre objet, et sert peu à éclairer l’esprit d’un grand prince. Je n’ai point voulu raffiner sur cette discussion des temps ; et parmi les calculs déjà faits, j’ai suivi celui qui m’a paru le plus vraisemblable, sans m’engager à le garantir.
Que dans la supputation qu’on fait des années, depuis le temps de la création jusqu’à Abraham, il faille suivre les Septante, qui font le monde plus vieux, ou l’hébreu, qui le fait plus jeune de plusieurs années ; encore que l’autorité de l’original hébreu semble devoir l’emporter, c’est une chose si indifférente en elle-même, que l’Église, qui a suivi avec saint Jérôme la supputation de l’hébreu dans notre Vulgate, a laissé celle des Septante dans son Martyrologe. En effet, qu’importe à l’histoire de diminuer ou de multiplier des siècles vides, où, aussi bien, l’on a rien à raconter ? N’est-ce pas assez que les temps où les dates sont importantes aient des caractères fixes, et que la distribution en soit appuyées sur des fondements certains ? Et quand même dans ces temps il y auroit de la dispute pour quelques années, ce ne serait presque jamais un embarras. Par exemple, qu’il faille mettre de quelques années plus tôt ou plus tard, ou la fondation de Rome, ou la naissance de Jésus-Christ, vous avez pu reconnaître que cette diversité ne fait rien à la suite des histoires, ni à l’accomplissement des conseils de Dieu. Vous devez éviter les anachronismes qui brouillent l’ordre des affaires, et laisser disputer des autres entre les savants.
Je ne veux non plus charger votre mémoire du compte des olympiades, quoique les Grecs, qui s’en servent, les rendent nécessaires à fixer les temps. Il faut savoir ce que c’est, afin d’y avoir recours dans le besoin : mais, au reste, il suffira de vous attacher aux dates que je vous propose comme les plus simples et les plus suivies, qui sont celles du monde jusqu’à Rome, celles de Rome jusqu’à Jésus-Christ, et celles de Jésus-Christ dans toute la suite.
Mais le vrai dessein de cet abrégé n'est pas de vous expliquer l'ordre des temps, quoiqu'il soit absolument nécessaire pour lier toutes les histoires, et en montrer le rapport. Je vous ai dit, Monseigneur, que mon principal objet est de vous faire considérer, dans l'ordre des temps, la suite du peuple de Dieu et celle des grands empires.
Ces deux choses roulent ensemble dans ce grand mouvement des siècles, où elles ont pour ainsi dire un même cours ; mais il est besoin, pour les bien entendre, de les détacher quelquefois l'une de l'autre, et de considérer tout ce qui convient à chacune d'elles (p. 116-118).
T 4 ‒ Supériorité de l'histoire sainte sur l'histoire profane
Quel témoignage n'est-ce pas de sa vérité, de voir que dans les temps où les histoires profanes n'ont à nous conter que des fables, ou tout au plus des faits confus et à demi oubliés, l'Écriture, c'est-à-dire, sans contestation, le plus ancien livre qui soit au monde, nous ramène par tant d'événements précis, et par la suite même des choses, à leur véritable principe, c'est-à-dire à Dieu, qui a tout fait ; et nous marque si distinctement la création de l'univers, celle de l'homme en particulier, le bonheur de son premier état, les causes de ses misères et de ses foiblesses, la corruption du monde et le déluge, l'origine des arts et celle des nations, la distribution des terres, enfin la propagation du genre humain, et d'autres faits de même importance dont les histoires humaines ne parlent qu'en confusion, et nous obligent à chercher ailleurs les sources certaines ?
Que si l’antiquité de la religion lui donne tant d’autorité, sa suite, continuée sans interruption et sans altération durant tant de siècles, et malgré tant d’obstacles survenus fait voir manifestement que la main de Dieu la soutient (IIe Partie, Ch. I ; p. 120-121).
Comme toutefois la conversion de la gentilité étoit une œuvre réservée au Messie et le propre caractère de sa venue, l'erreur et l'impiété prévaloient partout. Les nations les plus éclairées et les plus sages, les Chaldéens, les Égyptiens, les Phéniciens, les Grecs, les Romains, étoient les plus ignorants et les plus aveugles sur la religion : tant il est vrai qu'il faut y être élevé par une grâce particulière et par une sagesse plus qu'humaine. Qui oseroit raconter les cérémonies des dieux immortels, et leurs mystères impurs ? Leurs amours, leurs cruautés, leurs jalousies, et tous leurs autres excès étoient le sujet de leurs fêtes, de leurs sacrifices, des hymnes qu'on leur chantoit, et des peintures que l'on consacroit dans leurs temples. Ainsi le crime étoit adoré, et reconnu nécessaire au culte des dieux. Le plus grave des philosophes [Platon] défend de boire avec excès, si ce n'étoit dans les fêtes de Bacchus et à l'honneur de ce dieu. Un autre [Aristote], après avoir sévèrement blâmé toutes les images malhonnêtes, en excepte celle des dieux, qui vouloient être honorés par ces infamies. On ne peut lire sans étonnement les honneurs qu'il falloit rendre à Vénus, et les prostitutions qui étoient établies pour l'adorer.
La Grèce, toute polie et toute sage qu'elle étoit, avoit reçu ces mystères abominables. Dans les affaires pressantes, les particuliers et les républiques vouoient à Vénus des courtisanes, et la Grèce ne rougissoit point d'attribuer son salut aux prières qu'elles faisoient à leur déesse. Après la défaite de Xerxès et de ses formidables armées, on mit dans le temple un tableau où étoient représentés leurs vœux et leurs processions, avec cette inscription de Simonides, poëte fameux : « Celles-ci ont prié la déesse Vénus, qui pour l'amour d'elles a sauvé la Grèce.»
S'il falloit adorer l'amour, ce devoit être du moins l'amour honnête : mais il n'en étoit pas ainsi. Solon, qui le pourroit croire et qui attendroit d'un si grand nom une si grande infamie ? Solon, dis-je, établit à Athènes le temple de Vénus la prostituée, ou de l'amour impudique. Toute la Grèce étoit pleine de temples consacrés à ce dieu, et l'amour conjugal n'en avoit pas un dans tout le pays (IIe Partie, Ch. XVI ; p. 198-199).
a) C’est ainsi que s’est formé le corps des Écritures saintes tant de l’Ancien que du Nouveau Testament : Écritures qu’on a regardées, dès leur origine, comme véritables en tout, comme données de Dieu même, et qu’on a aussi conservées avec tant de religion, qu’on n’a pas cru pouvoir sans impiété y altérer une seule lettre.
C’est ainsi qu’elles sont venues jusqu’à nous, toujours saintes, toujours sacrées, toujours inviolables ; conservées, les unes, par la tradition constante du peuple juif, et, les autres, par la tradition du peuple chrétien, d’autant plus certaine, qu’elle a été confirmée par le sang et par le martyre, tant de ceux qui ont écrit ces livres divins, que de ceux qui les ont reçus.
Saint Augustin et les autres Pères demandent sur la foi de qui nous attribuons les livres profanes à des temps et à des auteurs certains. Chacun répond aussitôt que les livres sont distingués par les différents rapports qu’ils ont aux lois, aux coutumes, aux histoires d’un certain temps, par le style même qui porte imprimé le caractère des âges et des auteurs particuliers ; plus que tout cela, par la foi publique, et par une tradition constante. Toutes ces choses concourent à établir les livres divins, à en distinguer les temps, à en marquer les auteurs ; et plus il y a eu de religion à les conserver dans leur entier, plus la tradition qui nous les conserve est incontestable (IIe Partie, Ch. XXVII ; p. 302).
b) Voyons maintenant ce qu’on oppose à une autorité si reconnue, et au consentement de tant de siècles : car puisque de nos jours on a bien osé publier en toute sorte de langues des livres contre l’Écriture, il ne faut point dissimuler ce qu’on dit pour décrier ces antiquités. Que dit-on donc pour autoriser la supposition du Pentateuque, et que peut-on objecter à une tradition de trois mille ans, soutenue par sa propre force et par la suite des choses ? Rien de suivi, rien de positif, rien d’important ; des chicanes sur des nombres, sur des lieux, ou sur des noms : et de telles observations, qui, dans toute autre matière, ne passeroient tout au plus que pour de vaines curiosités incapables de donner atteinte au fond des choses, nous sont ici alléguées comme faisant la décision de l’affaire la plus sérieuse qui fut jamais (IIe Partie, Ch.XXVIII ; p. 311).
T 7 – La suite des temps, de la création du monde à Innocent XI
Quelle consolation aux enfants de Dieu ! mais quelle conviction de la vérité, quand ils voient que d’Innocent XI, qui remplit aujourd’hui si dignement le premier siège de l’Église, on remonte sans interruption jusqu’à saint Pierre, établi par Jésus-Christ prince des apôtres : d’où, en reprenant les pontifes qui ont servi sous la loi, on va jusqu’à Aaron et jusqu’à Moïse ; de là jusqu’aux patriarches et jusqu’à l’origine du monde ! Quelle suite, quelle tradition, quel enchaînement merveilleux ! Si notre esprit naturellement incertain, et devenu par ses incertitudes le jouet de ses propres raisonnements, a besoin dans ces questions où il y va du salut, d’être fixé et déterminé par quelque autorité certaine, quelle plus grande autorité que celle de l’Église catholique, qui réunit en elle-même toute l’autorité des siècles passés, et les anciennes traditions du genre humain jusqu’à sa première origine ?
Ainsi la société que Jésus-Christ, attendu durant tous les siècles passés, a enfin fondée sur la pierre, et où saint Pierre et ses successeurs doivent présider par ses ordres, se justifie elle-même par sa propre suite, et porte dans son éternelle durée le caractère de la main de Dieu (IIe Partie, Ch. XXXI ; p. 327-328).
Mais ce qui rendra ce spectacle plus utile et plus agréable, ce sera la réflexion que vous ferez, non seulement sur l’élévation et sur la chute des empires, mais encore sur les causes de leur progrès et sur celles de leur décadence.
Car ce même Dieu qui a fait l’enchaînement de l’univers, et qui, tout-puissant par lui-même, a voulu, pour établir l’ordre, que les parties d’un si grand tout dépendissent les unes des autres, ce même Dieu a voulu aussi que le cours des choses humaines eût sa suite et ses proportions : je veux dire que les hommes et les nations ont eu des qualités proportionnées à l’élévation à laquelle ils étaient destinés ; et qu’à la réserve de certains coups extraordinaires, où Dieu vouloit que sa main parût toute seule, il n’est point arrivé de grand changement qui n’ait eu ses causes dans les siècles précédents.
Et comme dans toutes les affaires il y a ce qui les prépare, ce qui détermine à les entreprendre, et ce qui les fait réussir, la vraie science de l’histoire est de remarquer dans chaque temps ces secrètes dispositions qui ont préparé les grands changements, et les conjonctures importantes qui les ont fait arriver (IIIe Partie, Ch. II ; p. 339-340).
Vous croirez peut-être, Monseigneur, qu’il aurait fallu vous dire quelque chose de plus de vos François et de Charlemagne qui a fondé le nouvel empire. Mais outre que son histoire fait partie de celle de France que vous écrirez vous-même, et que vous avez déjà si fort avancée, je me réserve à vous faire un second Discours, où j’aurai une raison nécessaire de vous parler de la France et de ce grand conquérant, qui étant égal en valeur à ceux que l’antiquité a le plus vantés, les surpasse en piété, en sagesse et en justice.
Ce même Discours vous découvrira les causes des prodigieux succès de Mahomet et de ses successeurs. Cet empire, qui a commencé deux cents ans avant Charlemagne, pouvait trouver sa place dans ce Discours : mais j’ai cru qu’il valait mieux vous faire voir dans une même suite ses commencements et sa décadence.
Ainsi je n’ai plus rien à vous dire sur la première partie de l’histoire universelle. Vous en découvrez tous les secrets, et il ne tiendra plus qu’à vous d’y remarquer toute la suite de la religion et celle des grands empires jusqu’à Charlemagne.
Pendant que vous les verrez tomber presque tous d’eux-mêmes, et que vous verrez la religion se soutenir par sa propre force, vous connaîtrez aisément quelle est la solide grandeur, et où un homme sensé doit mettre ses espérances (IIIe Partie, Ch. VIII Conclusion ; p. 423).
Histoire des variations des Églises protestantes (Coll. Garnier)
Si les Protestants savaient à fond comment s'est formée leur religion, avec combien de variations et avec quelle inconstance leurs Confessions de foi ont été dressées ; comment ils se sont séparés premièrement de nous, et puis entre eux ; par combien de subtilités, de détours et d'équivoques ils ont tâché de réparer leurs divisions, et de rassembler les membres épars de leur Réforme désunie : cette Réforme, dont ils se vantent, ne les contenterait guère ; et, pour dire franchement ce que je pense, elle ne leur inspirerait que du mépris. C'est donc ces variations, ces subtilités, ces équivoques et ces artifices dont j'entreprends de faire l'histoire (Préface, p.1)
Pour ce qui regarde les actes publics des Protestants, outre leurs Confessions de foi et leurs Catéchismes, qui sont entre les mains de tout le monde, j'en ai trouvé quelques-uns dans le recueil de Genève ; d'autres dans le livre appelé Concorde, imprimé par les Luthériens en 1654 ; d'autres dans le résultat des synodes nationaux de nos prétendus Réformés, que j'ai vus en forme authentique dans la bibliothèque du Roi ; d'autres dans l'Histoire Sacramentaire, imprimée à Zurich, en 1602, par Hospinien, auteur zwinglien, ou enfin par d'autres auteurs protestants : en un mot, je ne dirai rien qui ne soit authentique et incontestable. Au reste, pour le fond des choses, on sait bien de quel avis je suis : car assurément je suis Catholique aussi soumis qu'aucun autre aux décisions de l'Eglise, et tellement disposé, que personne ne craint davantage de préférer son sentiment particulier au sentiment universel. Après cela, d'aller faire le neutre et l'indifférent, à cause que j'écris une histoire, ou de dissimuler ce que je suis, quand tout le monde le sait et que j'en fais gloire, ce serait faire au lecteur une illusion trop grossière : mais avec cet aveu sincère, je maintiens aux Protestants qu'ils ne peuvent me refuser leur croyance, et qu'ils ne liront jamais nulle histoire, quelle qu'elle soit, plus indubitable que celle-ci ; puisque, dans ce que j'ai à dire contre leurs Eglises et leurs auteurs, je n'en raconterai rien qui ne soit prouvé clairement par leurs propres témoignages (Préface, p. 13).
T 12 ‒ Ce que cette Histoire doit opérer dans les Catholiques
Pour ce qui regarde le Catholique, il ne cessera partout de louer Dieu de la continuelle protection qu’il donne à son Eglise, pour en maintenir la simplicité et la droiture inflexible, au milieu des subtilités dont on embrouille les vérités de l’Evangile. La perversité des hérétiques sera un grand spectacle aux humbles de cœur. Ils apprendront à mépriser, avec la science qui enfle, l’éloquence qui éblouit ; et les talents que le monde admire leur paraîtront peu de chose, lorsqu’ils verront tant de vaines curiosités et tant de travers dans les savants ; tant de déguisements et tant d’artifices dans la politesse du style ; tant de vanité, tant d’ostentation, et des illusions si dangereuses parmi ceux qu’on appelle beaux esprits ; et enfin tant d’arrogance, tant d’emportement, et ensuite des égarements si fréquents et si manifestes dans les hommes qui paraissent grands, parce qu’ils entraînent les autres. On déplorera les misères de l’esprit humain, et on reconnaîtra que le seul remède à de si grands maux est de savoir se détacher de son propre sens ; car c’est ce qui fait la différence du catholique et de l’hérétique. Le propre de l’hérétique, c’est-à-dire de celui qui a une opinion particulière, est de s’attacher à ses propres pensées ; et le propre du catholique, c’est-à-dire de l’universel, est de préférer à ses sentiments le sentiment commun de toute l’Eglise : c’est la grâce qu’on demandera pour les errants. Cependant on sera saisi d’une sainte et humble frayeur, en considérant les tentations si dangereuses et si délicates que Dieu envoie quelquefois à son Eglise, et les jugements qu’il exerce sur elle ; et on ne cessera de faire des vœux pour lui obtenir des pasteurs également éclairés et exemplaires, puisque c’est faute d’en avoir eu beaucoup de semblables que le troupeau racheté d’un si grand prix a été si indignement ravagé (Préface, fin, p. 19-20).
Il sera maintenant aisé d’entendre d’où vient que les défenseurs du sens littéral, Catholiques et Luthériens, se sont tant servis des mots de vrai corps, de corps réel, de substance, de propre substance, et des autres de cette nature.
Ils se sont servis du mot de réel et de vrai, pour faire entendre que l’Eucharistie n’était pas un simple signe du corps et du sang, mais la chose même.
C’est encore ce qui leur fait employer le mot de substance ; et si nous allons à la source, nous trouverons que la même raison qui a introduit ce mot dans le mystère de la Trinité, l’a aussi rendu nécessaire dans le mystère de l’Eucharistie.
Avant que les subtilités des hérétiques eussent embrouillé le sens véritable de cette parole de notre Seigneur, Nous sommes moi et mon Père une même chose (Joan., X, 30), on croyait suffisamment expliquer l’unité parfaite du Père et du Fils par cette expression de l’Ecriture, sans qu’il fût nécessaire de dire toujours qu’ils étaient un en substance ; mais depuis que les hérétiques ont voulu persuader aux fidèles que cette unité du Père et du Fils n’était qu’une unité de concorde, de pensée et d’affection, on a cru qu’il fallait bannir ces pernicieuses équivoques en établissant la consubstantialité, c’est-à-dire l’unité de substance.
Ce terme, qui n’était point dans l’Ecriture, fut jugé nécessaire pour la bien entendre, et pour éloigner les dangereuses interprétations de ceux qui altéraient la simplicité de la parole de Dieu (L. III, § 16 ; T. I, p. 118-119).
Pendant que ce chef des Réformateurs tirait à sa fin, il devenait tous les jours plus furieux. Ses thèses contre les docteurs de Louvain en sont une preuve : et je ne crois pas que ses disciples puissent voir sans honte, jusque dans les dernières années de sa vie, le prodigieux égarement de son esprit. Tantôt il fait le bouffon, mais de la manière du monde la plus plate : il remplit toutes ses thèses de ces misérables équivoques, vaccultas, au lieu de facultas ; cacolyca Ecclesia, au lieu de catholica ; parce qu'il trouve dans ces mots, vaccultas et cacolyca, une froide allusion avec les vaches, les méchants et les loups. Pour se moquer de la coutume d'appeler les docteurs nos maîtres ; il appelle toujours ceux de Louvain, nostrolli magistrolli, bruta magistrolia ; croyant les rendre fort odieux ou fort méprisables par ces ridicules diminutifs qu'il invente. Quand il veut parler plus sérieusement il appelle ces docteurs, « de vraies bêtes, des pourceaux, des Epicuriens, des Païens et des Athées, qui ne connaissent d'autre pénitence que celle de Judas et de Saül, qui prennent non de l'Ecriture, mais de la doctrine des hommes, tout ce qu'ils vomissent ;» et il ajoute, ce que je n'ose traduire, quidquid ructant, vomunt et cacant. C'est ainsi qu'il oubliait toute pudeur, et ne se souciait pas de s'immoler lui-même à la risée publique, pourvu qu'il poussât tout à l'extrémité contre ses adversaires (L. VI, § 39 ; T. I, p. 262-263).
Ceux qui ont vu les variations infinies de Luther pourront demander si Calvin est tombé dans la même faute. A quoi je répondrai, qu’outre que Calvin avait l’esprit plus suivi, il est vrai d’ailleurs qu’il a écrit longtemps après le commencement de la Réforme prétendue ; de sorte que les matières ayant déjà été fort agitées, et les docteurs ayant eu plus de loisir de les digérer, la doctrine de Calvin paraît plus uniforme que celle de Luther. Mais nous verrons dans la suite que, par une politique ordinaire aux chefs des nouvelles sectes qui cherchent à s’établir, ou par la nécessité commune de ceux qui tombent dans l’erreur, Calvin ne laisse pas d’avoir beaucoup varié non seulement dans ses écrits particuliers, mais encore dans les actes publics qu’il a dressés au nom de tous les siens, ou qu’il leur a inspirés.
Et même, sans aller plus loin, en considérant seulement ce que nous avons rapporté de sa doctrine, nous avons vu qu’elle est pleine de contradictions, qu’il ne suit pas ses principes, et qu’avec de grands mots il ne dit rien (L.IX, § 85 ; T. I, p. 437).
La reine Elisabeth favorisait secrètement la disposition que ceux de France avaient à la révolte : ils se déclarèrent à peu près dans le même temps que la réformation anglicane prit sa forme sous cette reine. Après environ trente ans, nos Réformés se lassèrent de tirer leur gloire de leur souffrance : leur patience n'alla pas plus loin. Ils cessèrent aussi d'exagérer à nos rois leur soumission. Cette soumission ne dura qu'autant que les rois furent en état de les contenir. Sous les forts règnes de François Ier et de Henri II, ils furent à la vérité fort soumis, et ne firent aucun semblant de prendre les armes. Le règne aussi faible que court de François II leur donna de l'audace : ce feu longtemps caché éclata enfin dans la conjuration d'Amboise. Cependant il restait encore assez de force dans le gouvernement pour éteindre la flamme naissante : mais durant la minorité de Charles IX, et sous la régence d'une Reine dont toute la politique n'allait qu'à se maintenir par de dangereux ménagements, la révolte parut tout entière, et l'embrasement fut universel par toute la France. Le détail des intrigues et des guerres ne me regarde pas, et je n'aurais même point parlé de ces mouvements, si, contre toutes les déclarations et protestations précédentes, ils n'avaient produit dans la Réforme cette nouvelle doctrine, qu'il est permis de prendre les armes contre son Prince et sa patrie pour la cause de la religion (L. X, § 24 ; T. II, p. 17-18).
T 17 ‒ Responsabilité des Protestants dans la Conjuration d’Amboise
Pour la conjuration d'Amboise, tous les historiens le témoignent, et Bèze même en est d'accord dans son Histoire ecclésiastique. Ce fut sur l'avis des docteurs que le Prince de Condé se crut innocent, ou fit semblant de le croire, quoiqu'un si grand attentat eût été entrepris sous ses ordres. On résolut dans le parti de lui fournir hommes et argent, afin que la force lui demeurât : de sorte qu'il ne s'agissait de rien moins, après l'enlèvement violent des deux Guises dans le propre château d'Amboise où le Roi était, que d'allumer dès lors dans tout le royaume le feu de la guerre civile. Tout le gros de la Réforme entra dans ce dessein, et la province de Saintonge est louée par Bèze en cette occasion, d'avoir fait son devoir comme les autres. Le même Bèze témoigne un regret extrême de ce qu'une si juste entreprise a manqué, et en attribue le mauvais succès à la déloyauté de quelques-uns (L. X, § 26 ; T. II, p. 18-19).
Calvin mourut au commencement des troubles [1564 – 1ère guerre civile : 1562/3]. C’est une faiblesse de vouloir trouver quelque chose d’extraordinaire dans la mort de telles gens : Dieu ne donne pas toujours de ces exemples. Puisqu’il permet les hérésies pour l’épreuve des siens, il ne faut pas s’étonner que, pour achever cette épreuve, il laisse dominer en eux jusqu’à la fin l’esprit de séduction avec toutes les belles apparences dont il se couvre ; et sans m’informer davantage de la vie et de la mort de Calvin, c’en est assez d’avoir allumé dans sa patrie une flamme que tant de sang répandu n’a pu éteindre, et d’être allé comparaître devant le jugement de Dieu sans aucun remords d’un si grand crime (L. X, § 57 ; T. II, p. 46-47).
Les Réformés affligés de leur nouveauté, qu’on ne cessait de leur reprocher, avaient besoin de cette faible consolation [une origine vaudoise au IVe ou même au IIe siècle]. Mais pour en tirer du secours il a fallu cacher avec soin le vrai état de ces Albigeois et de ces Vaudois. On n’en a fait qu’une secte, quoique c’en soient deux très différentes ; de peur que les Réformés ne vissent parmi leurs ancêtres une trop manifeste contrariété. On a, sur toutes choses, caché leur abominable doctrine : on a dissimulé que ces Albigeois étaient de parfaits Manichéens, aussi bien que Pierre de Bruis et son disciple Henri. On a su que ces Vaudois s’étaient séparés de l’Eglise sur des fondements détestés par la nouvelle Réforme, aussi bien que par l’Eglise romaine. On a usé d’une pareille dissimulation à l’égard de ces Vaudois de Pologne, qui n’avaient que le nom de Vaudois ; et on a caché au peuple que leur doctrine n’était ni celle des anciens Vaudois, ni celle des Calvinistes, ni celle des Luthériens. L’histoire que je vais donner de ces trois sectes, quoiqu’elle soit abrégée, ne laisse pas d’être soutenue par assez de preuves, pour faire honte aux Calvinistes des ancêtres qu’ils se sont donnés (L. XI, § 6 ; T. II, p. 63).
T 20 – Réflexions générales sur l’histoire de toutes ces sectes
Qu’il nous soit maintenant permis de faire un peu de réflexion sur cette Histoire des Vaudois, des Albigeois et des Bohémiens. On voit si les Protestants ont eu raison de les compter parmi leurs ancêtres ; si cette descendance leur fait honneur, et en particulier s’ils ont dû regarder la Bohême depuis Jean Hus comme la mère des Eglises reformées (Jurieu) . Il est plus clair que le jour, d’un côté, qu’on ne nous allègue ces sectes que dans la nécessité de trouver dans les siècles passés des témoins de ce qu’on croit être la vérité (cf. Centuries de Magdebourg : Les publications préliminaires) ; et de l’autre, qu’il n’y a rien de plus misérable que d’alléguer de tels témoins, qui sont tous convaincus de faux en des matières capitales, et qui au fond ne s’accordent ni avec les Protestants, ni avec nous, ni avec eux-mêmes. C’est la première réflexion que doivent faire les Protestants (L. XI, § 199 ; t. II, p. 188).
T 21 – Autre réflexion sur ce que des sectes si contraires se fondent toutes sur l’Ecriture
La seconde n’est pas moins importante. Ils doivent considérer que toutes ces sectes si différentes entre elles, et si opposées à la fois tant à nous qu’aux Protestants, conviennent avec eux du commun principe de se régler par les Ecritures : non pas comme l’Eglise les aura entendues de tout temps, car cette règle est très véritable, mais comme chacun les pourra entendre par lui-même. Voilà ce qui a produit toutes les erreurs et toutes les contrariétés que nous avons vues. Sous le nom de l’Ecriture chacun a suivi sa pensée, et l’Ecriture prise en cette sorte, loin d’unir les esprits, les a divisés, et a fait adorer à chacun les illusions de son cœur sous le nom de la vérité éternelle (L. XI, § 200 ; t. II, p. 188-189).
Comme après avoir observé les effets d’une maladie, et le ravage qu’elle a fait dans un corps, on en recherche la cause pour y appliquer les remèdes convenables, ainsi, après avoir vu cette perpétuelle instabilité des Eglises protestantes, fâcheuse maladie de la chrétienté, il faut aller au principe, pour apporter, si l’on peut, un secours proportionné à un si grand mal. La cause des variations que nous avons vues dans les sociétés séparées, est de n’avoir point connu l’autorité de l’Eglise, les promesses qu’elle a reçues d’en haut, ni en un mot ce que c’est que l’Eglise même. Car c’était là le point fixe sur lequel il fallait appuyer toutes les démarches qu’on avait à faire ; et faute de s’y être arrêtés, les hérétiques curieux ou ignorants ont été livrés aux raisonnements humains, à leur chagrin, à leurs passions particulières ce qui a fait qu’ils ne sont allés qu’à tâtons dans leurs propres Confessions de foi, et qu’ils n’ont pu éviter les deux inconvénients marqués par saint Paul dans les faux docteurs, dont l’un est de se condamner eux-mêmes par leur propre jugement (Tit. III, 11), et l’autre, d’apprendre toujours sans jamais pouvoir parvenir à la connaissance de la vérité (II Tim. III, 7) (L. XV, § 1 ; T II, p. 346-347).
T 23 ‒ Fermeté inébranlable de l’Eglise. Conclusion de cet ouvrage
Les maximes de division ont été le fondement de la Réforme, puisqu’elle s’est établie par une rupture universelle, et l’unité de l’Eglise n’y a jamais été connue ; c’est pourquoi ses Variations, dont nous avons enfin achevé l’histoire, nous ont fait voir ce qu’elle était, c’est-à-dire un royaume désuni, divisé contre lui-même, et qui doit tomber tôt ou tard, pendant que l’Eglise catholique immuablement attachée aux décrets une fois prononcés, sans qu’on y puisse montrer la moindre variation depuis l’origine du christianisme, se fait voir une Eglise bâtie sur la pierre, toujours assurée d’elle-même, ou plutôt des promesses qu’elle a reçues, ferme dans ses principes et guidée par un esprit qui ne se dément jamais.
Que celui qui tient les cœurs dans sa main, et qui seul sait les bornes qu’il a données aux sectes rebelles, et aux afflictions de son Eglise, fasse revenir bientôt à son unité tous ses enfants égarés, et que nous ayons la joie de voir de nos jours l’Israël malheureusement divisé se faire avec Juda un même chef (Osée, I, 11) (L. XV, § 176 ; T. II, p 471-472).
Œuvres diverses
Cette curiosité s'etend aux siecles passez les plus eloignez, et c'est de la que nous vient cette insatiable avidité de scavoir l'histoire. On se transporte en esprit dans les cours des anciens rois, dans les secretz des anciens peuples. On s'imagine entrer dans les deliberations du senat Romain, dans les conseils ambitieux d'un Alexandre ou d'un Cesar, dans les jalouzies politiques et rafinées d'un Tibere. Si c'est pour en tirer quelque exemple utile a la vie humaine, a la bonne heure ! il le faut soufrir et mesme louer, pourveu qu'on apporte a cette recherche une certaine sobrieté. Mais si c'est, comme on le remarque dans la plupart des curieux, pour se repaistre l'imagination de ces vains objets, qui a-t-il de plus inutile que de se tant arrester a ce qui n'est plus, que de rechercher toutes les folies qui ont passé dans la teste d'un mortel, que de rappeler avec tant de soin ces images que Dieu a detruites dans sa cité sainte, ces ombres qu'il a dissipées, tout cet attirail de la vanité qui de luy mesme s'est replongé dans le neant d'ou il estoit sorti. Enfans des hommes, jusques a quand aurez vous le cœur appesanti ? Pourquoy aimez vous tant la vanité, et pourquoy vous delectez vous a etudier le mensonge? [Ps. IV, 3] (Traité de la concupiscence, p. 24-25).
VIe Passage. « Il est bon que je déclare maintenant les règles que j'ai observées dans ma traduction ; » il les rapporte au long dans la suite de sa préface : et l'un des approbateurs lui donne la louange d' « avoir rendu le texte sacré selon toutes les règles d'une bonne traduction, qui sont marquées fort judicieusement dans sa préface.»
Remarque. Cependant on n'y trouvera pas un seul mot de la règle du concile de Trente, qui oblige « à suivre le sens que l'Eglise a toujours tenu,» sans prendre la liberté « de l'expliquer contre le consentement unanime des saints Pères.» Dire que cette règle ne regarde pas les traductions, mais seulement les notes interprétatives, c'est une illusion trop manifeste. On a pu voir, dans les remarques précédentes, dans combien d'erreurs est tombé l'auteur pour avoir traduit l'Evangile indépendamment de la tradition de l'Eglise. Si donc il n'a pas seulement rapporté une règle si essentielle, c'est qu'en effet il ne songeait pas à la suivre.
Il en a dit quelques mots dans un carton, depuis que le livre est imprimé et débité partout : on a déjà remarqué que les cartons de l'auteur ne sont qu'une vaine cérémonie, qui ne fait plus qu'irriter une dangereuse curiosité. En effet, le livre se débite encore sans cette faible addition. Après tout, il y a sujet de s'étonner qu'on s'en soit avisé si tard, et qu'on n'en ait pas moins hasardé de dire que l'auteur avait expliqué toutes les règles, pendant qu'il ne pensait pas seulement à marquer la principale, encore que ce soit celle qui se devait présenter d'abord.
VIIe Passage et Remarque.
Le traducteur semble réduire principalement à la connaissance des langues et de la critique l'excellence d'une version. C'est ce qui paraît à la tête de sa préface dans sa lettre à M.L.J.D.R., où il se repose sur les soins de son libraire, du choix des censeurs et approbateurs de son livre, en lui disant seulement : « Ayez soin de faire revoir cet ouvrage par quelque théologien habile, et qui sache au moins les trois langues, hébraïque, grecque et latine.»
En transcrivant cette lettre, il a voulu se donner d'abord un air de savant, qui ne convient pas à un ouvrage de cette nature, où tout doit respirer la simplicité et la modestie ; et, ce qui est pis, il insinue qu'on ne doit reconnaître ici pour légitime censeur, que ceux qui savent les langues : ce qui est faux et dangereux. Il est certain que les principales remarques sur un ouvrage de cette sorte, c'est-à-dire celles du dogme, sont indépendantes de la connaissance si particulière des langues et sont uniquement attachées à la connaissance de la tradition universelle de l'Eglise, qu'on peut savoir parfaitement sans tant d'hébreu et tant de grec par la lecture des Pères et par les principes d'une solide théologie. On doit être fort attentif à cette remarque, et prendre garde à ne point donner tant d'avantages aux savants en hébreu et dans la critique ; parce qu'il s'en trouve de tels, non seulement parmi les Catholiques, mais encore parmi les hérétiques... Il faut sans doute estimer beaucoup la connaissance des langues, qui donne de grands éclaircissements : mais ne pas croire que pour censurer les licencieuses interprétations, par exemple, d'un Grotius, à qui l'on défère trop dans notre siècle, il faille savoir autant d'hébreu, de grec et de latin, ou même d'histoire et de critique, qu'il en montre dans ses écrits. L'Eglise aura toujours des docteurs qui excelleront dans tous ces talents particuliers ; mais ce n'est pas là sa plus grande gloire. La science de la tradition est la vraie science ecclésiastique ; le reste est abandonné aux curieux, même à ceux du dehors, comme l'a été durant tant de siècles, la philosophie aux païens (Œuvres complètes, t. V, p. 23-24).
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Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick.24 juin 2017
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