Bibliotheca Classica Selecta - Autres traductions françaises dans la BCS - Plan - vv. 976-1001 - vv. 1081-1115

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


EURIPIDE

MÉDÉE

Traduction nouvelle commentée et annotée
Danielle De Clercq, Bruxelles, 2005

TEXTE


vv. 1002 - 1080 (
Scène XVII)
(Précepteur, Médée, [enfants])

PRÉCEPTEUR (1002-1005)

Maîtresse! Ils te sont libérés de l'exil ces enfants! Et les cadeaux! La jeune princesse toute contente les a acceptés de ses mains! La paix est faite là-bas avec tes petits!

(Intrigué)

Hein! pourquoi es-tu là toute bouleversée maintenant que tu as la chance pour toi?

MÉDÉE (1008)

Aîai!

PRÉCEPTEUR (1008)

Ta réaction ne s'accorde pas avec les nouvelles!

MÉDÉE (1009)

Aîai!

Oui, je me lamente encore!

PRÉCEPTEUR (1009-1010)

Est-ce que j'annonce un malheur? Je n'en sais rien! Me suis-je trompé en croyant à une rumeur porteuse de bonnes nouvelles?

MÉDÉE (1011)

Tu n'as annoncé que ce que tu as annoncé. Je ne t'en fais pas le reproche.

LE PRÉCEPTEUR (1012)

Mais pourquoi alors fais-tu ces yeux tristes et pleures-tu à chaudes larmes?

MÉDÉE (1013 - 1014)

J'y suis bien forcée, vieillard, car tout cela ce sont les dieux et moi avec mes pensées perverses qui l'avons machiné.

PRÉCEPTEUR (1015)

Prends courage. Toi aussi, grâce à tes enfants, tu redescendras un jour dans cette terre...

MÉDÉE (1016) (En aparté)

C'est d'autres qu'auparavant j'y ferai descendre, malheureuse que je suis.

PRÉCEPTEUR (1017-1018) ( Enchaînant sententieusement sans avoir entendu Médée)

... Tu n'es certes pas la seule à être séparée de tes petits. C'est avec détachement qu'il faut endurer, quand on est mortel, les aléas.

MÉDÉE (1019-1080)

C'est ce que je vais faire! Mais entre dans la maison et pourvois à tout ce dont mes enfants auront besoin aujourd'hui.

(Le précepteur obéit. Médée (1021-1080) s'adresse tantôt à ses enfants, tantôt au choeur. Les deux enfants sont de plus en plus intrigués par son attitude)

(1021-1039) Ô mes petits, mes petits, pour vous deux il y a donc bien une cité, une demeure, où après m'avoir quittée, moi l'infortunée que je suis, pour toujours vous habiterez orphelins de votre mère. Moi, vers une autre terre je partirai, oui vers l'exil, avant même d'avoir connu de vous des joies et d'entrevoir votre bonheur, avant même de pourvoir à votre mariage, et d'avoir paré votre couche nuptiale et brandi les torches de votre hymen.

Ô malheureuse que je suis de ma propre arrogance!

C'est bien en vain, que vous, mes petits, je vous ai élevés, en vain que je me donnais tout ce mal et que j'ai été déchirée de souffrances en endurant les fortes douleurs de vos accouchements. Combien en avais-je, pauvre de moi, des espoirs de vous voir m'entourer dans ma vieillesse et, à ma mort, d'être ensevelie de vos mains! C'est ce que souhaitent à tout prix les humains.

Mais la voilà maintenant bien morte cette douce pensée. Orpheline de vous deux, je passerai une vie qui ne sera pour moi que chagrin et souffrance. Vous, votre mère, plus jamais de vos yeux aimants vous ne la verrez, vous qui la quittez pour vivre d'une autre manière.

Pheû, pheû

(1040) Pourquoi me fixez-vous de vos yeux, mes petits? Pourquoi souriez-vous, pourquoi ce tout dernier rire?

Aîai!

(S'adressant au choeur)

Mais qu'est-ce que je vais faire?... Le coeur me manque, femmes, quand je croise le regard brillant de mes enfants... Non!! Je ne pourrais pas... Je laisse tout tomber. Pourquoi faut-il qu'en chagrinant leur père par leur malheur, moi j'y gagne deux fois de tels malheurs. Non!! Pas pour moi! Je laisse tout tomber...

(Se ressaisissant)

Mais qu'est-ce qui me prend? Est-ce que je veux prêter à rire en laissant mes ennemis impunis? Il faut oser cela. Mais enfin, quelle lâcheté est la mienne! Laisser envahir mon esprit par des propos de mollesse!

Entrez dans la maison, les enfants!

(Les enfants restent figés sur place, sans que Médée ne s'en aperçoive. Elle s'adresse au choeur, arrogante)

Pour qui il ne sied pas d'assister à mes sacrifices, il le devra bien. Ma main, je ne la mettrai pas à mal!

(Soliloque)

Â! Â!

Non, pas cela, mon coeur! Toi, ne fais pas cela! Laisse-les, malheureuse, épargne tes petits. Même en ne vivant pas avec moi, ils feront ta joie!

(Se ressaisissant et s'adressant à nouveau au choeur)

Par les génies vengeurs de l'Hadès sous la terre, jamais cela ne se passera comme ça! Moi laisser mes ennemis accabler mes enfants d'outrage!...

(Soliloque)

Pas moyen de revenir en arrière! Ce ne sera pas possible d'y échapper.

(1065-1066) Maintenant, le diadème sur la tête, la jeune princesse dans les voiles se consume. Je ne le sais que trop bien!

Mais je vais prendre la plus malheureuse des voies et eux les envoyer sur une plus malheureuse encore... 

Je veux parler à mes enfants....

(Elle s'aperçoit qu'ils sont toujours là et se précipite vers eux)

Donnez mes petits, donnez votre main droite à votre mère, elle veut l'embrasser.

(1071) Comme j'aime ta main, ta bouche comme je l'aime. Quel nobles visages, quelle noble allure vous avez mes petits! Soyez heureux, tous les deux... mais là-bas. Car le bonheur d'ici, votre père vous l'a pris! Quels doux baisers! Quelle peau douce, quel souffle exquis ils ont mes petits!

Allez, allez !

(Médée détourne la tête tandis que les enfants entrent dans la maison)

Je n'ai plus la force de regarder mes enfants, mais je suis vaincue par les malheurs. Et je me rends compte du mal que je vais oser, mais l'emportement est plus fort que mes résolutions et c'est lui qui cause aux gens les plus grands malheurs.

Plan - Scène XVII -vv. 976-1001 - vv. 1081-1115


Bibliotheca Classica Selecta - FUSL - UCL (FLTR)