FEC -
Folia
Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26 - juillet-décembre 2013
Le cinquième chapitre rassemble un certain nombre de notices des XIIe et XIIIe siècles, qui localisent les statues magiques au Colisée. Elles sont généralement liées à des préoccupations pseudo-étymologiques concernant des mots comme Colossus et Coliseum. Et ici, comme dans le cas des listes de « merveilles virgiliennes », il s’agit plus d’un réseau que d’une tradition.
*
Déjà Alexander Neckam (fin XIIe-début XIIIe), dans son de laudibus
divinae sapientiae, place les statues magiques au Colisée, en accompagnant
l’information d’une observation d’après laquelle le Colisée tirerait son nom
« du culte du soleil » (a cultu solis). Pareille étymologie, du
reste fausse aux yeux des Modernes, pouvait se concevoir à une époque où le
Colisée était effectivement considéré comme le temple du Soleil mais de toute
façon elle n’a rien à voir avec les statues magiques.
Un peu plus tard, Hugo de Pise (XIIIe siècle) localise lui aussi les
statues magiques dans le même bâtiment, en s’appuyant sur une autre étymologie
(quasi colens ossa). Mais, ici comme pour le cultus solis de
Neckam, le lien entre le complexe des statues et l’étymologie proposée
(colere ossa) est tout à fait artificiel : les statues magiques, qui
n’ont aucun rapport avec le Soleil, n’en ont pas davantage avec le souvenir ou
la mémoire des morts.
Dans ce dernier cas, il a toutefois été possible de montrer qu’Hugo de
Pise avait en fait utilisé le travail d’Osbern de Gloucester, un érudit de la
seconde moitié du XIIe siècle, préoccupé de « dérivations » et fort
influent. Mais ce que le moine bénédictin anglais proposait en liaison avec
l’étymologie colere ossa, ce n’était pas le Colisée mais le
Colossus de Néron-Hélios. Chez Osbern, il n’était donc question ni du
Colisée ni évidemment des statues magiques.
Ainsi, le Colisée avec la description qui lui était liée avait été
indûment « plaqué » par Hugo de Pise sur une dérivation – fantaisiste
– qui, chez son modèle Osbern, ne concernait que le Colosse. La confusion
engendrée au Moyen Âge par la proximité phonique et graphique des deux termes
est classique.
Mais il reste que, tout comme Alexander Neckam, Hugo de Pise avait
connaissance d’une notice selon laquelle le Colisée abritait les statues
magiques. Il ne semble pas que cette localisation ait été fondée à l’origine sur
une étymologie. Les étymologies proposées essayent manifestement d’expliquer le
mot Coliseus mais ne livrent aucune indication sur la raison du lien
entre le Colisée et les statues. En ce qui concerne les statues, elles sont
accessoires.
*
Dans ce même chapitre V, nous avons également exploité un texte du XIIIe
siècle, que nous avons appelé « document Codagnellus ». Ce document
entend raconter un « grand miracle qui se produisit à Rome », en
l’espèce la destruction d’un temple, auquel était liée une prédiction d’éternité
et qui s’effondrera à la naissance du Christ la nuit de Noël. Pour son auteur,
ce temple est le Colisée, qu’il écrit Colideus (avec un ou deux -l-), car
c’est là que sont « honorés les dieux » (colere deos). Cette
nouvelle étymologie, partant elle aussi de colere, est différente des
deux précédentes en ce qu’elle ne fait plus intervenir le Soleil ou les
ossa, mais les dieux en général. Mais l’intérêt de cette notice pour nous
n’est pas d’ordre étymologique.
C’est que, comme les autres, elle localise au Colisée le complexe aux
statues magiques. Mais sa caractéristique est de l’intégrer dans une
construction érudite complexe. En effet, en prétendant décrire le Colisée, elle
lie étroitement – pour ne pas dire fusionne – deux choses très
différentes : notre complexe aux statues, une construction purement
imaginaire, et le Temple de la Paix de Vespasien qui est, lui, une réalité
archéologique.
L’astuce est d’imaginer que le bâtiment, nommé Col(l)ideus, aurait
abrité dans un premier temps « les statues des dieux de toutes les
nations » et, que, dans un second temps, une fois la paix installée,
sous le nom de Temple de la Paix, il aurait aussi accueilli les dieux des
Romains. On y aurait donc effectivement vénéré toute une série de dieux
(colere deos). Ce bâtiment, censé durer « éternellement », se
serait effondré à la naissance du Christ.
Le rédacteur ne justifie pas la présence des statues magiques au Colisée, qui, pour lui, comme pour Hugo de Pise, « va de soi ». Le motif existe, et le rédacteur l’utilise « sans plus » pour élaborer sa construction, où il n’hésite d’ailleurs pas à fusionner le Colisée et le Temple de la Paix, qui sont pourtant deux choses totalement différentes aussi bien dans l’archéologie romaine classique que dans l’imaginaire médiéval. On nage évidemment en pleine fantaisie non seulement étymologique mais encore archéologique.
Le contenu du « document Codagnellus » se retrouvera quelque
deux siècles plus tard, presque à l’identique, dans un autre texte que nous
avons appelé « document Ramponi ». une légère différence toutefois les
sépare, le second rédacteur n’insistant pas aussi lourdement que le premier sur
l’identité du Colisée et du Temple de la Paix.
Mais il reste que tous ces auteurs situent le complexe des statues non pas au Capitole ou au Panthéon, mais au Colisée, et que nous ne voyons pas clairement la raison de cette localisation. Peut-être au fond cette dernière était-elle pour eux relativement secondaire. Ce qui les intéressait surtout, c’était les statues magiques elles-mêmes, leur rôle et leur fonctionnement.
*
Trois courtes études terminent ce chapitre V. La première présente une étymologie pour
ce bâtiment – la quatrième – proposée par Armannino
Giudice, dans sa Fiorita, terminée en 1325. L'autre originalité de cette
Fiorita est de doter les statues magiques d'arcs et de flèches. La
deuxième étude développe
une notice qui figure dans le Libro imperiale (XIVe siècle) et qui
n’appartient absolument pas à la tradition des Mirabilia. Elle décrit un
Colisée totalement imaginaire, que, selon les mots d’un auteur moderne, le
narrateur médiéval voyait « un peu comme le Saint-Pierre de la Rome
païenne ». Il faut probablement y voir la création personnelle d’un
rédacteur à l’imagination brillante.
Ces derniers développements nous donnent l’occasion de rappeler une fois de plus combien ces textes médiévaux, dont les narrateurs, confondant d’ailleurs parfois le Capitole, le Panthéon et le Colisée, étaient souvent déconnectés des réalités, de leur temps mais aussi de l’antiquité. Leur imagination pouvait être très fertile.
*
Nous n’irons pas plus loin. Il resterait à étudier d’une manière
approfondie l’image que les textes littéraires médiévaux véhiculent du Colisée
(et aussi du Panthéon d’ailleurs). Nous espérons le faire un jour. Il est temps
maintenant de revenir à nos statues magiques aux clochettes, que nous allons
retrouver dans une tradition tout à fait différente, celle du Roman des Sept
Sages de Rome.
Introduction -
Partie thématique
- Partie analytique
(Plan)
- Conclusion
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26 - juillet-décembre 2013