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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


APULEE

L'Âne d'or ou les Métamorphoses

5. Suite et fin de l'histoire de Charité: Thrasylle
(VIII, 1, 1 - VIII, 15, 1)


(VIII, 1, 1) Le lendemain, au chant du coq, arriva de la ville un jeune homme qui me parut être au service de Charité, ma jeune compagne d'infortune dans la caverne des voleurs. (2) Sa maîtresse était morte, et d'étranges malheurs étaient venus fondre sur cette maison. Voici en quels termes il en fit le récit au coin du feu, devant un cercle de ses camarades. (3) Palefreniers, bouviers et pâtres, leur dit-il, l'infortunée Charité n'est plus: sa fin a été tragique, mais elle n'est pas descendue seule chez les Mânes. (4) Afin de me faire mieux comprendre, je vais remonter à l'origine des faits: pour un plus habile et doué du talent d'écrire, il y aurait un livre à faire de l'aventure que je vais vous conter.

(5) Il y avait à la ville un jeune homme de très bonne famille, d'un rang distingué, et jouissant d'une fortune considérable; mais gâté par la fréquentation des tavernes, le commerce des filles de joie et l'usage immodéré du vin. Conduit par ces déplorables habitudes à faire société avec des voleurs, il avait pris part à leurs actes de violence, jusqu'à tremper ses mains dans le sang; on le nommait Thrasylle. Tel était le caractère de l'homme; sa réputation était à l'avenant.

(VIII, 2, 1) À l'époque où Charité était devenue nubile, il fut des premiers à prétendre à sa main, et il montra dans sa poursuite une ardeur extrême; mais, bien qu'il éclipsât tous ses rivaux par ses avantages, et qu'il eût cherché par de riches cadeaux à se faire bien venir des parents, on s'effraya de ses moeurs, et il essuya l'affront d'un refus: (2) notre jeune maîtresse passa dans les bras du vertueux Tlépolème; mais la passion de Thrasylle ne fit que s'accroître par la préférence accordée à un autre, et le dépit de se voir éconduit lui inspira la pensée d'un crime. (3) Son plan fut médité de longue main; mais il lui fallait un prétexte pour reparaître dans la famille. (4) L'occasion s'en présenta le jour où la jeune fille, grâce à l'adresse et au courage de son fiancé, se vit tirée des mains des brigands. Thrasylle vint se mêler à la foule joyeuse, s'y fit remarquer par l'empressement de ses félicitations; (5) il complimenta les heureux époux sur leur délivrance, et leur tira l'horoscope d'une longue lignée. Par honneur pour sa noble maison, on le mit au premier rang des personnes qui étaient reçues chez nous: le traître sut dissimuler ses affreux desseins, et jouer à merveille le personnage d'ami dévoué. (6) Il multiplia ses visites, prit part à leurs entretiens, à leurs plaisirs, et même à leurs repas. De jour en jour l'intimité devenait plus étroite. C'était en aveugle se précipiter dans l'abîme. (7) Que voulez-vous? telle est la flamme de l'amour. Au premier abord ce n'est qu'une douce chaleur dont la sensation est délicieuse; mais à la longue le feu devient fournaise, et son ardeur dévorante consume l'homme tout entier.

(VIII, 3, 1) Thrasylle chercha longtemps l'occasion d'un tête-à-tête; mais une armée de surveillants excluait de plus en plus toute chance de commerce adultère. Pouvait-il lutter avec succès contre une affection récente, et qui chaque jour prenait de nouvelles forces? D'ailleurs, eût-il trouvé Charité aussi disposée qu'elle l'était peu à frauder le devoir conjugal, l'inexpérience de la jeune femme eût suffi pour lui faire obstacle. Thrasylle voit bien qu'il se perd; (2) mais la fatalité le pousse, en dépit de lui-même, à se prendre à l'impossible. (3) La difficulté dont l'amour s'effraye d'abord, si la passion va croissant, bientôt semblera peu de chose. Or, écoutez de toutes vos oreilles; vous allez savoir à quels excès l'emporta cette délirante frénésie.

(VIII, 4, 1) Tlépolème un jour mena Thrasylle avec lui chasser la bête fauve, c'est-à-dire le chevreuil bête fauve très innocente; Charité ne permettait pas à son mari de courir aucun gibier à cornes ou armé de dents. (2) Les chasseurs arrivent à un tertre boisé, où l'épaisseur du fourré formait rideau devant eux. (3) On découple alors les chiens, tous de bonne race, pour relancer la bête dans son fort. La meute bien dressée se montre intelligente à se partager les quartiers, à fermer toute issue. Elle ne faisait entendre d'abord qu'un grognement sourd. Au signal donné, l'air retentit de ses aboiements sauvages: (4) quel gibier va se lever? un chevreuil? un daim timide? une biche, la plus douce des bêtes? Non, mais bien un sanglier énorme, que jamais chasseur n'avait lancé, masse de chair formidable, au cuir souillé et hérissé, dont les soies se dressent sur son dos en forme d'arête. Le monstre part, écumant de rage, faisant claquer ses redoutables dents; l'oeil en feu, terrible et prompt comme la foudre. (5) À droite, à gauche, il éventre à coups de boutoir les chiens assez hardis pour le joindre, culbute du premier choc nos toiles impuissantes, et pousse au loin une percée.

(VIII, 5, 1) Nous restâmes terrifiés; nous n'avions, tous tant que nous étions, vu que des chasses innocentes, et nul de nous n'avait arme ni défense quelconque. Aussi ce fut à qui se blottirait dans le taillis, ou grimperait au haut des arbres. (2) Le sort servait Thrasylle à souhait. Il pouvait enfin prendre son homme au piège. Voici quel insidieux langage il tint à Tlépolème: (3) Quelle peur nous a saisis? Allons-nous aussi nous jeter à plat ventre, à l'exemple de cette canaille? Laisserons-nous en vraies femmelettes une si belle proie s'échapper de nos mains? (4) Montons à cheval, suivons la trace. Armez-vous d'un épieu; je prends une lance. (5) Sans plus tarder, les voilà en selle, et suivant l'animal de tout le train de leur monture. (6) Celui-ci, fidèle à son instinct de férocité, tourne et fait tête; il semble par le mouvement de ses défenses interroger quel ennemi il assaillira d'abord. (7) Tlépolème le premier enfonce son arme dans le dos du monstre; mais Thrasylle, laissant le sanglier de côté, dirige son coup sur le cheval de son ami, et lui coupe les jarrets de derrière. (8) Le coursier ploie sur ses cuisses en perdant tout son sang, se renverse en arrière, et, malgré lui, désarçonne son cavalier. (9) Le sanglier furieux se rue sur son ennemi abattu, déchire ses vêtements, et l'atteint lui-même d'une blessure profonde au moment où il essaye de se relever. L'excellent ami n'éprouve aucun remords à cette vue sa rage féroce ne sera pas satisfaite à si bon marché. (10) Tandis que le blessé, appelant son compagnon au secours, s'efforce d'étancher ses larges plaies, le traître lui traverse la cuisse droite de sa lance, d'autant plus résolument qu'il compte mettre les coups de sa main sur le compte des dents du sanglier. (11) En attendant, il achève sans peine l'animal.

(VIII, 6, 1) Ainsi expira notre jeune maître. Nous osons enfin quitter nos retraites, et nous accourons, la mort dans le cœur. (2) Le perfide, au comble de ses voeux et débarrassé d'un rival, dissimule cependant son triomphe. Il compose ses traits, joue le désespoir; il embrasse le cadavre, triste ouvrage de ses mains, et enfin n'omet aucun des signes d'une profonde douleur, aux larmes près qui ne voulurent pas couler. (3) Il réussit, par ses grimaces, à singer assez bien notre deuil, hélas! trop réel, et à rejeter sur le sanglier le crime du chasseur.

(4) Le forfait à peine accompli, déjà la Renommée est en marche. Elle frappe d'abord à la maison de Tlépolème, et arrive aux oreilles de sa veuve infortunée. (5) Charité, à cette nouvelle, dont rien pour elle ne peut égaler l'horreur, tombe dans un désespoir frénétique. Comme une bacchante en délire, elle s'élance éperdue sur la place publique, traverse la foule agitée, court au milieu des champs, remplissant l'air de plaintes et de cris inarticulés. (6) Une foule immense la suit, se grossissant de tous ceux qu'elle rencontre. C'est toute la cité qui s'ébranle et qui veut voir. On rapportait le cadavre. Charité le voit; elle accourt, et tombe sans mouvement sur le corps de son époux, exhalant, peu s'en faut, l'âme qu'elle lui avait dévouée. (7) On la relève, non sans effort, et, malgré elle, on la rend à la vie. Le convoi funèbre, escorté de tout un peuple, s'achemine vers la sépulture.

(VIII, 7, 1) Thrasylle poussait des cris lamentables. Les larmes qu'il n'avait pu commander à la première explosion de sa feinte douleur coulaient alors par l'excès de sa joie. Pour rendre la comédie complète, (2) tantôt il prononçait le nom du défunt d'une voix lugubre, l'appelant son ami, son compagnon, son frère; tantôt il s'emparait des mains de Charité qui se meurtrissait le sein. Il cherchait à apaiser sa douleur, à calmer ses cris, prenait les inflexions les plus caressantes, (3) pour opposer à cette poignante affliction tous les exemples d'infortune qui lui revenaient à la mémoire. Sous ce masque d'officieuse pitié, il tâchait de s'insinuer dans le cœur de la veuve, et ces soins dangereux exaltaient de plus en plus son odieuse passion.

(4) Les devoirs funèbres accomplis, la jeune femme ne songe plus qu'à rejoindre son époux. EIle a vainement tenté divers moyens de quitter la vie; un seul lui reste: le moyen qui opère sans effort, sans apprêt, sans déchirure, et qui fait arriver le trépas comme un sommeil. (5) Elle se prive de tout aliment, abandonne le soin de sa personne, et se séquestre au fond d'un réduit ténébreux, disant adieu à la lumière du jour: (6) mais Thrasylle, par une persistance opiniâtre, et faisant intervenir amis, parents, et jusqu'au père et à la mère de Charité, parvint à l'arracher à cet oubli de son être. Elle consent à se laisser mettre au bain, puis à prendre quelque nourriture. (7) Peu à peu le respect filial triomphant de sa résolution, l'infortunée se fit violence par devoir, et se remit comme on l'exigeait au courant de la vie. La sérénité, sinon la paix, semblait lui être revenue; mais le noir chagrin vivait au fond de son coeur, et la dévorait jour et nuit; elle se consumait en regrets interminables. Elle fit représenter le défunt avec les attributs du dieu Bacchus. Vouée au culte de cette image, elle passait les jours et les nuits à lui rendre les honneurs divins; c'était sa consolation et son tourment.

(VIII, 8, 1) Cependant Thrasylle, emporté par la fougue présomptueuse que son nom indique, ne sait pas attendre que ce désespoir se soit rassasié de larmes, affaissé sous son propre excès, usé par sa violence même. (2) Charité n'a pas encore cessé de pleurer, de déchirer ses vêtements, de s'arracher les cheveux, que déjà il a risqué une proposition de mariage. (3) Le traître s'oublia, dans l'excès de son impudence, jusqu'à mettre à nu son cœur, et y laisser lire ce qu'il eût dû taire à jamais. (4) À ce seul mot, Charité, frappée d'horreur, tombe à la renverse, comme une personne atteinte d'un éclat de tonnerre, accablée par l'influence d'un astre, ou foudroyée par la main de Jupiter même. Ses yeux se couvrent d'un épais nuage. (5) Reprenant ses esprits, elle rugit comme une lionne blessée. Son oeil a percé toute la noirceur de l'âme de Thrasylle; mais il lui faut le temps de la réflexion: elle se contente d'opposer des délais à l'impatience du prétendant.

(6) Cependant l'ombre de la victime, de l'infortuné Tlépolème apparaît livide et sanglante, et s'adresse à son épouse pendant son pudique sommeil. (7) Chère moitié de moi-même, dit-il, si ma mémoire vit encore dans ton cœur, ah! n'accorde à personne le droit de te donner ce nom! mais si tu regardes nos biens comme rompus par mon funeste trépas, (8) forme, j'y consens, une union plus heureuse; mais, du moins, ne te livre pas aux mains sacrilèges de Thrasylle: qu'il ne soit pas dit qu'il ait pu jouir de ton entretien, partager ta table ou ta couche. (9) Que ta main ne touche pas l'homicide main de mon meurtrier. Point d'hymen sous les auspices du parricide. Parmi ces plaies, dont tes larmes ont lavé le sang, il en est que la dent du sanglier n'a pas faites. Le fer de Thrasylle a seul porté le coup qui nous sépare. Le fantôme ne se borne point à ces mots, l'horrible drame fut déroulé tout entier.

(VIII, 9, 1) Charité s'était couchée la face tournée contre son lit; et, tout en dormant, elle inondait ses joues de larmes. (2) La secousse qu'elle reçut de cette vision l'arrache à ce pénible sommeil, et ses cris, ses lamentations redoublent. Elle déchire ses vêtements, et porte sur ses beaux bras des mains impitoyables. (3) Cependant elle tait l'apparition, garde en son sein les sanglantes révélations de la nuit: sa résolution est prise. Elle punira le meurtrier, et sortira ensuite d'une vie désormais insupportable. (4) Cependant, aveuglé par ses désirs, l'odieux amant revient à la charge et ne cesse de fatiguer des oreilles sourdes à jamais pour lui. (5) Avec une tranquillité qu'elle sut jouer à merveille, Charité se borne à le gronder doucement de son importunité. (6) Je vois encore, dit-elle, là devant mes yeux la noble figure de votre frère, de mon époux chéri. Je savoure encore le parfum d'ambroisie qu'exhalait sa personne divine. Enfin le charmant Tlépomène est encore vivant dans mon coeur. (7) Il serait généreux à vous, il serait méritoire d'accorder à mon amère douleur un temps de deuil légitime. Laissez écouler quelques mois encore, laissez l'année s'accomplir. (8) C'est au nom de la pudeur, c'est dans votre intérêt que je vous le demande. Craignons, par un hymen prématuré, d'exciter à votre perte les mânes indignés d'un époux.

(VIII, 10, 1) L'impatient Thrasylle ne tient compte de ces paroles, ni de la perspective assurée de son bonheur: toujours sa langue profane assiège l'oreille de Charité de coupables insinuations. (2) Charité feint de se rendre. Eh bien, mon cher Thrasylle, lui dit-elle, je ne vous demande qu'une grâce. Couvrons pour un temps nos privautés de mystère: (3) que le soupçon n'en puisse même venir à aucun de mes domestiques, tant que l'année n'aura vu son cours accompli. (4) Thrasylle se laissa prendre à cette insidieuse proposition: leurs amours seront furtifs. Il invoque la nuit, la nuit et ses épaisses ténèbres. Qu'il tienne Charité dans ses bras, le reste n'est rien pour lui. (5) Écoutez, lui dit-elle, ayez soin de vous envelopper de manière à bien cacher vos traits, et, à la première veille, présentez-vous devant ma porte sans vous faire accompagner de personne. Sifflez une fois, et attendez. Ma nourrice que voici sera là, postée en sentinelle et guettant votre arrivée; (6) c'est elle qui vous ouvrira la porte: elle vous introduira sans lumière, et vous conduira jusqu'à ma chambre à coucher.

(VIII, 11, 1) Thrasylle sourit à ce sinistre cérémonial d'hyménée. Nul soupçon n'effleure son esprit; l'attente seule le trouble. Le jour lui semble bien long à passer la nuit bien lente à venir. (2) Aussi la lumière n'a pas plutôt fait place à l'ombre, qu'il arrive déguisé, suivant les instructions de Charité; trouve au rendez-vous la nourrice, et, sur les pas de son guide insidieux, se glisse, le cœur palpitant, dans le mystérieux réduit. (3) La vieille, fidèle aux ordres de sa maîtresse, se montre aux petits soins. Elle apporte, d'un air discret, une amphore et des coupes. On avait mêlé au vin une drogue soporifique. Tandis qu'il boit à longs traits, la rusée parle de soins donnés par sa maîtresse à son père malade: c'est la cause qui la retient. La sécurité de Thrasylle est entière, et bientôt il tombe en un sommeil profond. (4) Voilà Thrasylle étendu sans mouvement, et sa personne livrée à toutes les entreprises. Charité avertie accourt. Ce n'est plus une femme. Elle s'empare de sa proie, en frémissant de rage. Debout près du corps de l'assassin:

(VIII, 12, 1) Le voilà donc, dit-elle, ce fidèle ami! le voilà cet honnête chasseur! le voilà ce précieux époux! c'est là cette main qui répandit mon sang! ce cœur où tant de trames s'ourdirent pour ma perte! Ces yeux à qui j'ai eu le malheur de plaire, les voilà faisant connaissance avec les ténèbres, avant-goût de ce qui les attend. (2) Dors bien, berce-toi d'heureux songes; ce n'est ni le glaive ni le fer qui me feront raison de toi. Aux dieux ne plaise que je t'assimile en rien à mon mari, même par le genre de mort! Tu vivras, tes yeux mourront; tu ne verras plus rien, si ce n'est en songe. Douce te semblera la mort de ta victime, auprès de la vie que je t'aurai faite. (3) Dis adieu au jour. Plus un pas pour toi sans une main qui te guide; plus de Charité, plus d'hymen. La mort, moins le repos; la vie, sans ses jouissances; voilà ton lot. Va-t'en errer, douteux simulacre, entre la lumière du soleil et la nuit de l'Érèbe. Vainement chercheras-tu la main qui a détruit ta prunelle; et, pour combler la mesure de tes maux, tu ne sauras à qui t'en prendre. (4) Moi, du sang de tes yeux, j'irai faire une libation sur le tombeau de mon Tlépolème, et je les offrirai à ses mânes sacrés comme victime expiatoire. (5) Mais chaque instant qui s'écoule me fait tort d'une de tes souffrances. Et peut-être en ce moment rêves-tu le plaisir dans mes bras: elles sont mortelles, mes faveurs! Allons, passe de la nuit du sommeil à la nuit de ton châtiment. (6) Lève ta face vide de lumière, sens ma vengeance, comprends ton infortune, compte tes souffrances. Voilà tes yeux comme ma pudeur les aime; ils seront les flambeaux de ta couche nuptiale. Ajoutez-y les Furies pour témoins, et, pour assistants de noces, la cité et l'incessante torture de ta conscience.

(VIII, 13, 1) Après cette imprécation, elle tire une aiguille à coiffer de sa chevelure, perce de mille coups les yeux de Thrasylle, et ne cesse pas qu'elle ne les ait anéantis. Une incompréhensible douleur dissipe à l'instant chez lui le sommeil et l'ivresse. (2) Charité saisit alors et tire du fourreau l'épée que portait habituellement Tlépolème, et se précipite à travers la ville d'une course furibonde. Sans doute elle médite encore quelque exécution sanglante. Elle va droit au tombeau de son époux. (3) Nous quittons le logis pour la suivre, et toute la ville en fait autant. On s'exhortait l'un l'autre à arracher le fer de ses mains forcenées. (4) Charité est debout près du cercueil de Tlépolème. De son glaive étincelant elle écarte tout le monde, et voyant la foule qui pleure et se lamente: Assez, dit-elle , de ce deuil déplacé! ma vertu n'a que faire de vos larmes. (5) Je suis vengée du meurtrier de mon époux; mes mains ont puni le détestable ravisseur de ma félicité domestique. Il est temps de rejoindre là-bas mon Tlépolème, et ce fer va m'ouvrir le chemin.

(VIII, 14, 1) Elle raconte alors tout ce que son mari lui avait révélé en songe, et dans quel piège Thrasylle vient de tomber. Puis elle se plonge le fer sous la mamelle droite, se renverse baignée dans son sang, (2) et, proférant encore quelques mots inarticulés, exhale son âme héroïque. (3) Aussitôt le corps de l'infortunée est soigneusement lavé par sa famille, et religieusement confié au même tombeau qui rejoint pour toujours ces malheureux époux. (4) Quant à Thrasylle, quand il fut instruit de cette fin tragique, il comprit qu'il n'y avait pas de châtiment proportionné au mal dont il était la cause, et que le glaive ne pouvait expier suffisamment son forfait. Il se fait transporter à leur tombeau. (5) Mânes irrités, s'écria-t-il à plusieurs reprises, la victime s'offre à vous. Puis, refermant sur lui les portes du monument, il se condamne à y périr de faim.

(VIII, 15, 1) Tel fut le récit du jeune homme, récit fréquemment interrompu par ses soupirs, et dont son rustique auditoire se montra très affecté. Leurs coeurs se serrent à ce désastre de la famille de leurs maîtres.

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