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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


APULEE

L'Âne d'or ou les Métamorphoses

4. Lucius aux champs - Tribulations diverses
(VII, 14, 1 - VII, 28, 4)


De beaux espoirs...

(VII, 14, 1) De ce jour, la jeune mariée ne m'appela plus que son sauveur, et ne cessa de montrer la sollicitude la plus tendre pour mon bien-être. Le jour même de ses noces, ce fut elle qui fit remplir d'orge mon râtelier; par son ordre on me donna en foin la ration d'un chameau de Bactriane. (2) Mais que je maudissais de grand cœur cette Photis de ne m'avoir pas changé en chien plutôt qu'en âne, en voyant la gent canine du logis, moitié rapine, moitié largesse, s'empiffrer des reliefs d'un somptueux dîner! (3) La jeune épouse n'eut pas plutôt donné une première nuit à l'amour, que sa reconnaissance ne laissa plus de repos ni à mari, ni à parents, qu'elle n'eut obtenu la promesse pour moi du traitement le plus honorable. (4) Un conseil d'amis fut convoqué, et gravement délibéra sur un moyen de me récompenser dignement. On fit la motion de me tenir clos, sans rien faire, et de m'engraisser d'orge choisie, de vesce et de féveroles; (5) mais un autre opinant fit prévaloir son avis. Il voulait qu'on me laissât la liberté; que je pusse courir et folâtrer dans les prairies avec les chevaux; la monte des cavales par un étalon comme moi devant donner pour produit à mes maîtres une race généreuse de mulets.

(VII, 15, 1) En conséquence, l'intendant du haras fut mandé, et l'on me remit à ses soins, avec recommandation sur recommandation. La joie me faisait courir en avant. Plus de fardeaux, plus de corvées; la liberté m'était rendue. Le printemps commençait. Au milieu des prés fleuris, je ne pouvais manquer de rencontrer quelque rose. (2) Je faisais en outre cette réflexion : si l'âne est l'objet de tant de gratitude, que ne fera-t-on pas pour l'homme, quand il aura repris sa véritable figure ?

... qui n'aboutissent pas

(3) Mais une fois que cet agent m'eut emmené loin de la ville, il ne fut plus question pour moi de délices, ni même de liberté. Sa femme, la plus avare, la plus méchante des créatures, débuta par me mettre sous le joug pour servir de moteur à un moulin. Me fustigeant sans relâche avec une branche encore garnie de ses feuilles, elle fabriquait aux dépens de ma peau le pain de sa famille et le sien. (4) Et c'était peu de fournir par mes sueurs à sa subsistance, il me fallait moudre encore pour les voisins, dont elle recevait le blé moyennant salaire. Et après tout ce labeur, je ne pouvais (pauvre animal!) compter même sur la pitance de droit: (4) ma portion d'orge passait avec le reste du grain sous la meule; et quand, toujours tournant, je m'étais bien fatigué à la moudre et bluter, la voleuse vendait le tout en détail aux paysans du voisinage. Seulement, après m'avoir imposé cette pénible occupation toute une journée, vers le soir elle me gratifiait d'une mesure de son, non criblé, plein d'ordures et de pierres, et qui me restait au gosier.

(VII, 16, 1) Telles étaient les misères de ma condition, quand l'impitoyable Fortune me fit changer de supplice, sans doute afin que la mesure fût comble, et que je fusse, comme on dit, glorifié au dehors comme au dedans. À la fin, le brave intendant s'avisa, quoique un peu tard, d'exécuter l'ordre de ses maîtres, et me donna la clef des champs au milieu du haras. (2) Voilà maître baudet libre enfin; j'en trépignais d'aise, et déjà je faisais mon choix des croupes les plus à mon gré parmi les cavales; mais ce doux commencement faillit encore aboutir à une dernière catastrophe. (3) Tous ces étalons bien repus et engraissés pour les luttes de Vénus étaient de terribles rivaux dans mes amours. Quel âne eût été de force à lutter contre eux? Les voilà qui s'avisent d'être jaloux, ne veulent pas souffrir de mésalliance adultère, et, au mépris des lois de Jupiter Hospitalier, s'acharnent avec fureur sur l'intrus usurpateur de leurs droits. (4) L'un, élevant son large poitrail, droit de tête et roide d'encolure, me martèle avec ses pieds de devant; l'autre, tournant une croupe musculeuse et charnue, escarmouche de ses ruades contre moi; un autre, avec ce hennissement qui n'annonce rien de bon, accourt l'oreille couchée, et, montrant deux rangs de dents blanches et formidables, m'en déchire tout le corps impitoyablement. (5) Je me rappelai alors certain roi de Thrace dont j'avais lu l'histoire, et qui livrait ses hôtes à la rage dévorante de ses coursiers furieux. Singulière économie chez ce despote, qui repaissant ses chevaux de chair humaine, trouvait là le moyen de ménager son orge !

Le petit ânier sadique

(VII, 17, 1) Ainsi meurtri et lacéré par les assauts de ces maudits quadrupèdes, j'en étais à regretter le manège tournant du moulin. Mais la Fortune, qui ne se lassait pas de me persécuter, me suscita un bien autre fléau. (2) Il y avait du bois à aller chercher sur une montagne. On m'employa à ce transport, en me donnant pour conducteur un jeune garçon, le pire garnement de la terre. (3) C'était peu d'avoir à gravir péniblement jusqu'au sommet la plus rude des côtes, d'user jusqu'au vif la corne de mes pieds sur les souches et les cailloux dont ma route était hérissée; il me fallait encore essuyer une grêle incessante de coups de bâton dont le drôle me labourait l'échine, et dont je ressentais la douleur jusqu'à la moelle des os. (4) Il avait la méchanceté d'adresser les siens constamment à la cuisse droite; si bien que, frappant toujours à la même place, il avait fini par entamer le cuir. Puis le mal était devenu d'écorchure plaie, de plaie trou, et de trou fenêtre. Et cependant le bourreau ne cessait de frapper sur la déchirure toute saignante. Ajoutez qu'il exagérait ma charge à faire croire que cette masse de fagots était destinée non pas à un âne, mais à un éléphant. (5) Un excès de poids d'un côté faisait-il pencher la charge? au lieu de la diminuer de ce qui menaçait ruine et de me soulager d'autant, ou de faire passer du moins quelque morceau de l'autre côté, il ajoutait des pierres pour rétablir l'équilibre.

(VII, 18, 1) Ce n'est pas tout: après m'avoir si impitoyablement écrasé sous le faix, s'il arrivait que nous eussions un cours d'eau à traverser, l'enfant soigneux n'avait garde de mouiller ses guêtres; il se campait sur mes reins de plein saut. Faible addition, me direz-vous, eu égard à l'énormité de la charge. (2) Oui; mais si, rencontrant à l'autre bord une rampe tant soit peu roide, ou rendue glissante par le limon, je venais à m'abattre en essayant vainement de la franchir avec mon fardeau, croyez-vous que mon excellent guide prît la peine de me relever la tête avec la bride, de me soulever par la queue, ou enfin de soulager mon dos, pour m'aider à me remettre sur pieds? (3) Non; je n'avais aucun secours à attendre; mais armé d'un énorme bâton, il me rondinait de tête en queue, en commençant par les oreilles, tant et si bien qu'aucun cordial ne m'eût plus vite ranimé. (4) Voici encore un de ses tours. Il se procura un jour des épines très piquantes à pointes vénéneuses, qu'il tortilla en faisceau en forme de boule; et il m'attacha à la queue cet appendice aiguillonnant, que chaque pas mettait en mouvement pour mon supplice.

(VIII, 19, 1) Le mécanisme était à double fin; car dès que je prenais ma course pour échapper à mon persécuteur, cette allure accélérée redoublait l'énergie des piqûres, et dès que je m'arrêtais pour faire trêve à mon tourment, le bâton me forçait à reprendre ma course. (2) En somme, ce petit scélérat n'avait d'autre idée que de me faire périr de façon ou d'autre. Il me le jura plus d'une fois, et, (3) dans une circonstance, sa détestable malice alla encore plus loin. Un jour où la persécution avait triomphé de ma patience, je lui détachai une ruade des plus vigoureuses Or, voici de quelle vengeance il alla s'aviser: (4) il me met sur le dos un fort paquet d'étoupes, solidement assujetti avec des ficelles, et me chasse devant lui; puis il entre dans la première ferme, y dérobe un charbon, qu'il fourre tout allumé au milieu de ma charge. (5) Le feu couve quelque temps dans ce foyer combustible, et bientôt la flamme éclate, et m'enveloppe tout entier du plus formidable incendie. Où fuir? quelle chance de salut? Avec un tel ennemi à ses trousses, a-t-on le temps de la réflexion?

(VII, 20, 1) Dans cette extrémité toutefois, la Fortune daigna me sourire. Peut-être avait-elle pour moi d'autres épreuves en réserve: du moins m'enleva-t-elle cette fois à une mort imminente et calculée de sang-froid. (2) Il avait plu la veille dans les environs, et il s'y était formé une mare fangeuse La voir, y courir, m'y plonger tout entier, fut l'affaire d'un moment. Cette immersion éteignit le feu et me délivra de ma charge, aussi bien que d'un affreux trépas. (3) Mais, ô l'effronté petit monstre! n'alla-t-il pas tourner son méfait contre moi? Il jura ses grands dieux, à ses camarades de service, que, passant près d'un feu que des voisins avaient allumé, je m'étais volontairement laissé choir, de manière à mettre ma charge en contact avec les charbons. Puis, éclatant de rire à mon nez, il ajouta: On est bien bon de nourrir chez soi un pareil boutefeu! (4) Quelques jours ne se passèrent pas sans qu'il ourdît contre moi une machination bien autrement perfide. Il vendit le bois que je portais à la première chaumière qu'il rencontra, et, me ramenant à vide, il se met à crier, à qui veut l'entendre, qu'il ne peut plus venir à bout d'un aussi méchant animal, et qu'il renonce à un métier comme celui de me conduire. Or, voici quel tour il donnait à son accusation.

Lucius craint pour sa virilité

(VII, 21, 1) Vous voyez cette bête paresseuse, cette lâche bourrique; je ne parle pas de tous les tours qu'il me joue à moi directement, mais apprenez un peu à quels dangers il m'expose. (2) D'aussi loin qu'il aperçoit femme bien tournée, fillette en âge ou jeune garçon, zeste! la charge est de côté, et quelquefois le bât. Et voilà ce galant de nouvelle façon qui s'attaque tout en rut à des créatures humaines, qui les renverse, et qui, la gueule béante, essaye sur leurs personnes d'étranges et monstrueuses voluptés. Il vous prend une femme à revers, et brutalement la sollicite en dépit de Vénus. (3) Ce grotesque museau veut parodier les baisers; il barbouille, il blesse avec ses grandes dents. Les querelles vont nous pleuvoir, et peut être de bons procès. Qui sait? quelque action criminelle peut-être. (4) Tout à l'heure une jeune dame passait. En un clin d'oeil mon furieux jette son bois à bas, et le disperse de tous côtés. Il se rue sur la pauvre femme, la roule dans la boue, et veut, amant discret, lui monter sur le corps en pleine rue. (5) Par bonheur quelques passants, accourus aux pleurs et aux cris de la victime, l'ont arrachée aux étreintes du monstre; sans quoi, c'était fait de la malheureuse, elle était étouffée, écartelée, elle périssait d'une mort affreuse, et nous restions sous le poids d'une affaire capitale.

(VII, 22, 1) Cette insigne calomnie, assaisonnée d'autres propos du même genre que mon pudique silence rendait plus accablants, excita au plus haut degré l'animadversion de ces bonnes gens contre moi. (2) L'un d'eux finit par s'écrier: Qu'est-ce à dire? aurons-nous ici un mari de toutes nos femmes? un adultère banal? Qu'on l'immole bien vite, en expiation de ses monstrueuses amours. (3) Allons, mon garçon, coupe-lui le cou sur-le-champ, jette ses entrailles aux chiens; le reste de sa chair servira à nourrir nos ouvriers. Quant à sa peau, nous la rapporterons à nos maîtres. Nous saurons bien mettre sa mort sur le compte des loups. (4) Aussitôt mon pernicieux accusateur, ravi d'être l'exécuteur de la sentence, fait ses dispositions d'un air de triomphe insultant. Il n'a pas oublié cette ruade, hélas! de trop peu d'effet, et il se presse déjà de donner le fil à son couteau, en l'aiguisant sur la pierre.

(VII, 23, 1) Mais un membre de la rustique assemblée prend alors la parole: Il y aurait conscience, dit-il, de mettre à mort un si bel âne et de nous priver de ses services, pour quelques escapades amoureuses. (2) Pourquoi ne pas le châtrer de préférence? Le tempérament cesserait alors de lui parler si haut, et dès lors plus de ces fâcheuses conséquences; ajoutez qu'il y gagnera d'encolure. (3) En chaleur, l'âne est plus mou, et le cheval plus fringant. J'en ai vu plus d'un devenir tout à fait rétif et intraitable. Eh bien! en un tour de main on vous le rendait habile aux transports à dos, et docile à toute espèce de service. (4) À moins de résolution contraire de votre part, je me charge de l'opération. Laissez-moi seulement le temps de faire un tour à la foire voisine; je reviens chez moi reprendre mes instruments, je vous taille ensuite cet incommode amoureux quelque part entre les cuisses, et vous le rends doux comme un agneau.

La mort du petit ânier sauve Lucius

(VII, 24, 1) Cette proposition m'arrachait au royaume de l'Orcus, mais pour me faire subir le plus dur des traitements; et je me lamentais de périr dans la plus noble partie de moi-même. (2) Déjà je cherchais quelque moyen de destruction, la faim ou quelque précipice. C'était encore mourir; mais du moins c'était mourir entier. (3) Pendant que je délibérais sur le choix d'un trépas, mon bourreau d'enfant vint me prendre pour notre voyage quotidien à la montagne. (4) Là, m'ayant attaché à la branche pendante d'un gros chêne, il se met, quelques pas en avant, à tailler avec sa hache le bois qu'il devait rapporter, quand d'une caverne voisine s'allonge soudain une formidable tête d'ours. (5) Je n'eus pas plutôt vu l'animal s'avancer d'un pas lent, qu'épouvanté de cette apparition, je me rejette de tout mon poids sur mes jarrets de derrière, et romps, en me cabrant, la courroie qui me retenait. (6) Alors je me mets à détaler ventre à terre, galopant, culbutant à travers les pentes les plus rapides. Je fus bien vite en bas de la montée, également empressé d'échapper aux griffes de l'ours et à celles de l'enfant, qui ne valait pas mieux.

(VII, 25, 1) Un passant qui me vit sans maître s'empara de moi, et, m'ayant enfourché lestement, me fit prendre à coups de bâton un chemin de traverse qui m'était inconnu. (2) Je n'avais garde toutefois de mettre obstacle à sa marche, car elle m'éloignait du lieu fatal où devait se consommer le sacrifice de ma masculinité. Du reste, je n'étais pas grandement sensible aux coups de mon nouveau propriétaire, tant j'avais su faire connaissance avec le bâton; (3) mais l'acharnement de la Fortune fit tourner tout à coup cette chance d'évasion si favorable: elle me gardait encore un de ses tours.

(4) Les pâtres du logis avaient perdu une génisse, et couraient la campagne en tous sens pour la retrouver. Le hasard fit que nous nous rencontrâmes face à face. Ils m'eurent bientôt reconnu et, saisissant mon licou, ils s'efforcent de m'emmener. (5) Mon cavalier, hardi et vigoureux compagnon, leur opposait une vive résistance, tout en prenant ciel et terre à témoin. D'où vient cette agression? pourquoi cette violence? (6) Qu'est-ce à dire? répondaient mes gens; attends, nous allons te faire des politesses, quand nous te surprenons volant notre âne. Tu ferais mieux de nous dire ce que tu as fait de l'enfant qui le conduisait, et que tu as tué sans doute et caché quelque part. (7) Et là-dessus, après l'avoir désarçonné, ils le renversent, et l'accablent de coups de pied et de poing. Le malheureux, tout meurtri, jurait ses grands dieux qu'il n'avait vu âme qui vive, et que, trouvant l'âne sans cavalier et sans guide, il l'avait arrêté dans sa course, uniquement pour le rendre à qui de droit, dans l'espoir d'une récompense. (8) Plût aux dieux, s'écria-t-il, que cet âne, que je me serais bien passé de rencontrer, eût lui-même le don de la parole! il attesterait mon innocence, et vous auriez regret du traitement que vous me faites essuyer.

(9) Mais il eut beau protester, ces brutaux lui mirent une corde au cou et nous ramenèrent ensemble vers cette montagne boisée où l'enfant avait coutume d'aller chercher des fagots.

(VII, 26, 1) Du reste, les recherches qu'on fit de sa personne n'aboutirent qu'à retrouver pièce à pièce les lambeaux dispersés de son corps. (2) Pour moi, il était hors de doute que c'étaient les dents de l'ours qui avaient fait cette besogne, et j'aurais dit ce que j'en savais, si parler m'eût été possible; mais je me félicitai intérieurement (c'était tout ce que je pouvais faire) de ce que, bien qu'un peu tard, l'heure de la vengeance eût enfin sonné. (3) Quand les divers lambeaux du cadavre eurent été réunis et rajustés à grand-peine, on l'enterra sur les lieux mêmes. Pour mon Bellérophon, voleur convaincu, meurtrier présumé, il fut conduit au logis garrotté de la bonne manière. Leur intention était de le livrer le lendemain aux magistrats, qui sauraient bien, disaient-ils, en obtenir raison.

(4) Cependant le père et la mère du jeune garçon en étaient à sangloter, à se lamenter, quand, fidèle à sa promesse, arrive l'homme à l'opération, insistant pour qu'il y fût procédé sans plus attendre; (5) mais l'un d'eux lui dit: Nous avons aujourd'hui bien autre chose qui nous occupe. Demain, soit; que l'on coupe à cet âne maudit les génitoires, et la tête par-dessus le marché: nous ne demandons pas mieux, et chacun ici vous prêtera la main.

(VII, 27, 1) Mon supplice fut donc ainsi renvoyé au lendemain, et j'en adressai des actions de grâces à l'honnête garçon, qui, du moins par sa mort, retardait, ne fût-ce que d'un jour, ma dissection. (2) Mais on ne me laissa pas même jouir en paix de ce court ajournement; car la mère au désespoir du funeste trépas de son fils, la mère gémissante et éplorée, vêtue de deuil et arrachant à deux mains ses cheveux blancs couverts de cendre, se précipite vers mon écurie, et, se meurtrissant le sein avec violence, elle m'apostrophe en ces mots: (3) Ce glouton se dorlote ici dans sa litière; le voilà qui s'empiffre à pleine mangeoire, et jusqu'à en crever. Il se soucie, bien de ma misère et de la catastrophe de son jeune maître! (4) Sans doute il compte sur mes infirmités, sur ma vieillesse, pour échapper au châtiment qui lui est dû. On dirait à le voir que c'est l'innocence même; c'est tout simple: le crime compte toujours sur l'impunité, en dépit de la conscience; (5) mais, au nom de tous les dieux, exécrable bête, à quel niais feras-tu croire que tu ne sois pour rien dans cette horrible catastrophe? Ne pouvais-tu protéger ce malheureux enfant par tes ruades? écarter l'ennemi par tes morsures? (6) Toi, si prompt à lever la croupe contre lui, que ne te montrais-tu aussi dispos pour te défendre? (7) Du moins pouvais-tu le prendre sur ton dos, et l'enlever à des mains sanguinaires. Tu n'aurais pas fui seul, en désertant ton compagnon, ton guide, ton maître. (8) Ne sais-tu pas bien que qui dénie son secours à un mourant, outrage la morale et encourt la vindicte publique? (9) Infâme assassin, tu n'auras pas longtemps à te réjouir de mon malheur; tu vas sentir quelle force peut donner la nature au bras d'une mère au désespoir.

(VII, 28, 1) Elle dit; et, dénouant sa ceinture, elle m'attache les pieds deux à deux, en serrant de toutes ses forces, afin de paralyser en moi la résistance. (2) Puis saisissant la barre qui fermait l'étable, elle m'en frappe à coups redoublés, jusqu'à ce que ses forces la trahissent et que l'instrument du supplice échappe à ses mains par son propre poids. (3) Déplorant alors la faiblesse de son bras qui se lasse si vite, elle court à son foyer, en rapporte un tison ardent qu'elle me fourre entre les cuisses. J'eus recours alors au seul moyen de défense qui me restât. Je dardai au visage et aux yeux de cette mégère certaine déjection liquide qui la mit en fuite, (4) aveuglée et presque asphyxiée. Il était temps. Sans cette ressource extrême, je périssais, Méléagre baudet, victime de cette nouvelle Althée.

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