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OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE XI
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2008]
Céyx et Alcyoné (I) : Unis, mais séparés (11, 410-572)
Séparation des deux époux (11, 410-473)
Céyx, suite aux prodiges récemment survenus, décide de consulter l'oracle de Claros. Cette perspective effraie Alcyoné et provoque ses pleurs et ses protestations : dans un long plaidoyer, elle cherche à dissuader son époux de partir, en invoquant tour à tour leur profond amour réciproque, le danger d'un voyage en mer, puis elle affirme parler en connaissance de cause, étant la fille d'Éole ; du reste, elle veut l'accompagner pour mourir avec lui, s'il ne renonce pas. Mais Céyx refuse d'exposer Alcyoné au danger d'une traversée et veut la rassurer en lui promettant son prochain retour. (11, 410-453)
Céyx prêt au départ laisse l'infortunée Alcyoné. Celle-ci, en proie aux pires pressentiments, lui fait des adieux déchirants, et se retrouve seule et inconsolable dans sa chambre, où tout lui rappelle l'absence de son époux. (11, 454-473)
11, 410 |
Interea fratrisque sui fratremque secutis |
Cependant, le coeur troublé et angoissé par ces prodiges, l'un concernant son frère et l'autre qui avait suivi, Céyx se dispose à aller consulter auprès du dieu de Claros les oracles sacrés, ces divertissements pour les humains, car le temple de Delphes était rendu inaccessible par Phorbas et les Phlégyens. |
Consilii tamen ante sui, fidissima, certam |
Cependant au préalable, très fidèle Alcyoné, il t'informe de son intention. Aussitôt elle sent un froid la pénétrer au plus profond de ses os, son visage devient plus pâle que le buis et d'abondantes larmes lui mouillent les joues. Trois fois elle tenta de parler, trois fois les pleurs inondèrent son visage ; |
|
11, 420 | singultuque pias interrumpente querellas : « Quae mea culpa tuam, » dixit «carissime, mentem uertit ? Vbi est, quae cura mei prior esse solebat ? Iam potes Alcyone securus abesse relicta ? Iam uia longa placet ? Iam sum tibi carior absens ? |
et ses plaintes d'épouse aimante interrompues par un hoquet, elle dit : |
11, 425 |
At, puto, per terras iter est, tantumque dolebo, non etiam metuam, curaeque timore carebunt. Aequora me terrent et ponti tristis imago ; et laceras nuper tabulas in litore uidi et saepe in tumulis sine corpore nomina legi. |
Mais, j'y pense, la voie terrestre existe, qui me fera seulement souffrir, mais sans m'effrayer, et mes soucis seront exempts de crainte. C'est la mer qui me terrifie, et la triste représentation du large. J'ai vu récemment sur le rivage des débris de planches et souvent j'ai lu des noms sur des tombes sans cadavres. |
11, 430 | Neue tuum fallax animum fiducia tangat, quod socer Hippotades tibi sit, qui carcere fortes contineat uentos et, cum uelit, aequora placet. Cum semel emissi tenuerunt aequora uenti, nil illis uetitum est incommendataque tellus |
Et que ton esprit ne se laisse pas gagner par une confiance fallacieuse, pour cette raison que ton beau-père est le descendant d'Hippotès, qui tient emprisonnés les vents violents et à son gré apaise les flots. Dès que, une fois lancés, les vents ont pris possession des ondes, rien ne les arrête et ils tiennent à leur merci la terre entière |
11, 435 |
omnis et omne fretum est ; caeli quoque nubila uexant excutiuntque feris rutilos concursibus ignes ; quo magis hos noui (nam noui et saepe paterna parua domo uidi), magis hoc reor esse timendos. Quod tua si flecti precibus sententia nullis, |
et tout l'océan. Ils bousculent même les nuages dans le ciel et, provoquant des chocs violents, font jaillir de rutilants éclairs. Plus je les connais, plus je les sais redoutables – car je les connais et, petite, je les ai vus souvent dans la maison de mon père. Et si aucune prière ne peut infléchir ta décision, mon cher époux, |
11, 440 | care, potest, coniunx, nimiumque es certus eundi, me quoque tolle simul ! Certe iactabimur una, nec nisi quae patiar, metuam, pariterque feremus, quicquid erit, pariter super aequora lata feremur. » Talibus Aeolidis dictis lacrimisque mouetur |
si tu n'es que trop résolu à partir, prends-moi aussi avec toi ! |
11, 445 |
sidereus coniunx ; neque enim minor ignis in ipso est. Sed neque propositos pelagi dimittere cursus, nec uult Alcyonen in partem adhibere pericli multaque respondit timidum solantia pectus. Non tamen idcirco causam probat ; addidit illis |
né d'un astre ; c'est que sa passion à lui n'est pas moins ardente. Mais il ne veut ni renoncer à son intention de courir les mers ni exposer Alcyoné à partager les dangers qu'il rencontrera. Il lui parle longuement pour consoler son coeur timoré, sans la convaincre pour autant. À tout cela, il ajoute encore |
11, 450 | hoc quoque lenimen, quo solo flexit amantem : « Longa quidem est nobis omnis mora, sed tibi iuro per patrios ignes, si me modo fata remittant, ante reuersurum, quam luna bis inpleat orbem ». His ubi promissis spes est admota recursus, |
cette promesse apaisante, la seule qui puisse fléchir sa bien-aimée : « Sans doute, tout délai pour nous est long, mais par les feux de l'astre paternel, si du moins les destins le permettent, je te jure que je reviendrai avant que la lune par deux fois remplisse son disque ». Dès que se profile avec cette promesse l'espoir du retour, |
11, 455 |
protinus eductam naualibus aequore tingui armarique suis pinum iubet armamentis. Qua rursus uisa ueluti praesaga futuri, horruit Alcyone lacrimasque emisit obortas amplexusque dedit tristique miserrima tandem |
Céyx fait sortir aussitôt un navire du chantier naval, ordonne de le mettre à la mer et de l'équiper de son gréement. Devant ce spectacle, à nouveau, comme pressentant l'avenir, Alcyoné frissonna d'horreur et ne put retenir ses larmes. Elle étreignit son époux, et, finalement, dans sa grande détresse, |
11, 460 | ore « Vale » dixit conlapsaque corpore toto est. Ast iuuenes, quaerente moras Ceyce, reducunt ordinibus geminis ad fortia pectora remos aequalique ictu scindunt freta. Sustulit illa umentes oculos stantemque in puppe recurua |
elle lui dit adieu d'une voix triste, puis s'affala de toute sa hauteur. Céyx aurait voulu s'attarder encore, mais sur leurs deux rangs les jeunes marins ramènent les rames vers leurs fortes poitrines et fendent les flots d'un battement cadencé. Alcyoné leva des yeux , qui étaient pleins de larmes. La première, elle vit son époux |
11, 465 |
concussaque manu dantem sibi signa maritum prima uidet redditque notas ; ubi terra recessit longius, atque oculi nequeunt cognoscere uultus, dum licet, insequitur fugientem lumine pinum. Haec quoque ut haud poterat, spatio submota, uideri, |
debout sur la poupe recourbée, faisant des signes de la main, et elle lui renvoya ses saluts. Quand la terre se trouva trop loin, et dès que ses yeux ne purent plus distinguer les visages, elle suivit du regard le navire qui fuyait, tant que cela fut possible. Même quand, trop éloigné dans l'espace, le bateau n'est plus visible, |
11, 470 | uela tamen spectat summo fluitantia malo ; ut nec uela uidet, uacuum petit anxia lectum seque toro ponit ; renouat lectusque torusque Alcyonae lacrimas et quae pars admonet absit. |
elle continue à regarder le voiles qui flottent en haut du mât ; et lorsqu'elle ne les voit plus, anxieuse, elle regagne sa couche déserte et s'y étend ; le lit et les coussins font rejaillir les larmes d'Alcyoné, et ils lui rappellent la part d'elle-même qui est absente. |
Naufrage et mort de Céyx (11, 474-572)
Le navire qui avait pris le départ par temps calme était parvenu à mi-parcours, quand, vers le soir, une tempête se leva, surprenant l'équipage et le capitaine qui, malgré leurs efforts, furent absolument impuissants devant les éléments de plus en plus déchaînés. Le navire fut le jouet des vagues et bientôt l'eau pénétra à l'intérieur de la coque. En outre, la pluie se mit à tomber et l'obscurité fut totale. La violence des éclairs et du tonnerre, ainsi que les assauts des vagues plongèrent tout l'équipage dans l'épouvante. (11, 474-536)
Découragés et impuissants devant les éléments déchaînés, les hommes s'attendent à mourir, ne pouvant plus que prier et songer à leurs proches. Alcyoné occupe toutes les pensées de Céyx. Bientôt le navire se brise, et la plupart des hommes meurent. Céyx nage pendant quelque temps, tout occupé à penser à son épouse, et souhaitant que son cadavre s'échoue sur le rivage de sa patrie pour y être honoré par elle d'une sépulture. Bientôt il meurt lui aussi, et ce jour-là, Lucifer ne brille pas de son éclat habituel. (11, 537-572)
Portibus exierant, et mouerat aura rudentes ; |
Ils avaient quitté le port, et la brise avait agité les cordages ; |
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11, 475 |
obuertit lateri pendentes nauita remos cornuaque in summa locat arbore totaque malo carbasa deducit uenientesque accipit auras. Aut minus, aut certe medium non amplius aequor puppe secabatur, longeque erat utraque tellus, |
les membres de l'équipage tournent contre le flanc du navire les rames qui restent suspendues, placent les vergues en haut du mât et déroulent les voiles sur toute sa hauteur, pour capter les souffles qui se lèvent. Le navire avec son étrave fendait les flots et était plus ou moins à mi-parcours. La terre était loin, devant comme derrière lui, |
11, 480 | cum mare sub noctem tumidis albescere coepit fluctibus et praeceps spirare ualentius Eurus. « Ardua iamdudum demittite cornua » rector clamat « et antemnis totum subnectite uelum. » Hic iubet ; impediunt aduersae iussa procellae, |
lorsque, à la nuit tombante, la mer gonflée se couvre d'écume, et l'Eurus commence à souffler avec de plus en plus de force. « Amenez immédiatement les hautes vergues », cria le pilote, « et serrez toutes les voiles contre le mât ». Lui donne les ordres, mais les coups de vent contraires empêchent leur exécution, |
11, 485 |
nec sinit audiri uocem fragor aequoris ullam ; sponte tamen properant alii subducere remos, pars munire latus, pars uentis uela negare ; egerit hic fluctus aequorque refundit in aequor, hic rapit antemnas. Quae dum sine lege reguntur, |
et le fracas des vagues ne permet même pas d'entendre sa voix. Des matelots en hâte jugent bon de retirer les rames ; ici on renforce les flancs, là on soustrait les voiles aux vents ; celui-ci écope l'eau et rejette la mer dans la mer ; celui-là ramasse les antennes. Tandis que tout cela se fait dans le désordre, |
11, 490 | aspera crescit hiems, omnique e parte feroces bella gerunt uenti fretaque indignantia miscent. Ipse pauet nec se, qui sit status, ipse fatetur scire ratis rector, nec quid iubeatue uelitue ; tanta mali moles tantoque potentior arte est. |
la violence de la tempête s'accroît et les vents de toutes parts se livrent une guerre farouche et mêlent les flots déchaînés. Le pilote en personne prend peur et avoue même ignorer la position du navire et ce qu'il pourrait ordonner ou vouloir ; tant ce malheur est écrasant et le talent humain impuissant. |
11, 495 |
Quippe sonant clamore uiri, stridore rudentes, undarum incursu grauis unda, tonitribus aether. Fluctibus erigitur caelumque aequare uidetur pontus et inductas aspergine tangere nubes ; et modo, cum fuluas ex imo uertit harenas, |
On entend les cris des hommes, le grincement des câbles, le choc de la houle contre une lourde vague, le tonnerre dans l'éther. Les flots se soulèvent ; la mer semble rejoindre le ciel et toucher les nuages recouverts de l'eau qu'elle projette. Tantôt, quand des profondeurs elle fait refluer du sable fauve, |
11, 500 | concolor est illis, Stygia modo nigrior unda ; sternitur interdum spumisque sonantibus albet. Ipsa quoque his agitur uicibus Trachinia puppis et nunc sublimis ueluti de uertice montis despicere in ualles imumque Acheronta uidetur, |
elle a la couleur du sable, tantôt elle est plus noire que l'eau du Styx ; parfois elle s'étale, toute blanche de l'écume des flots sonores. Le navire de Trachis lui aussi est entraîné dans cette agitation : tantôt, suspendu en l'air et comme au sommet d'une montagne, il semble regarder en bas les vallées et les profondeurs de l'Achéron ; |
11, 505 | nunc, ubi demissam curuum circumstetit aequor, suspicere inferno summum de gurgite caelum. Saepe dat ingentem fluctu latus icta fragorem, nec leuius pulsata sonat, quam ferreus olim cum laceras aries balistaue concutit arces ; |
mais,
dès qu'il est retombé, cerné au creux des vagues, on croirait qu'il contemple la voûte céleste du fond du gouffre infernal. Souvent, frappé au flanc par une lame, dans un immense fracas il résonne sous le choc aussi lourdement qu'un bélier de fer ou qu'une baliste frappant et ébranlant une citadelle. |
11, 510 | utque solent sumptis incursu uiribus ire pectore in arma feri protentaque tela leones, sic, ubi se uentis admiserat unda coortis, ibat in arma ratis multoque erat altior illis. Iamque labant cunei spoliataque tegmine cerae |
Des lions farouches d'habitude bandent leurs forces dans un élan, puis présentent leur poitrail aux armes et aux traits tendus vers eux ; ainsi, dès que la vague soulevée par le vent s'était déchaînée, elle s'abattait, bien plus haute qu'eux, sur les agrès du navire. Déjà les jointures cèdent et, dépouillée de sa cire protectrice, |
11, 515 | rima patet praebetque uiam letalibus undis. Ecce cadunt largi resolutis nubibus imbres inque fretum credas totum descendere caelum, inque plagas caeli tumefactum ascendere pontum. Vela madent nimbis et cum caelestibus undis |
une fente béante apparaît, offrant un passage à l'eau fatale. Voilà que les nuages crèvent et que tombent des torrents d'eau : on croirait que le ciel tout entier descend sur les flots et que la mer soulevée monte vers les régions célestes. Les voiles sont mouillées de pluie, et aux eaux du ciel |
11, 520 | aequoreae miscentur aquae ; caret ignibus aether, caecaque nox premitur tenebris hiemisque suisque. Discutiunt tamen has praebentque micantia lumen fulmina ; fulmineis ardescunt ignibus undae. Dat quoque iam saltus intra caua texta carinae |
se mêlent celles de la mer. L'éther est privé de ses feux et la nuit aveugle subit ses propres ténèbres et celles de la tempête. Cependant les éclairs qui scintillent dissipent l'obscurité et fournissent leur lumière ; les ondes s'embrasent aux feux de la foudre. Un paquet d'eau aussi assaille les flancs creux de la carène : |
11, 525 | fluctus et, ut miles, numero praestantior omni, cum saepe assiluit defensae moenibus urbis, spe potitur tandem laudisque accensus amore inter mille uiros murum tamen occupat unus, sic ubi pulsarunt nouiens latera ardua fluctus, |
comme un soldat, plus valeureux que le reste de la troupe, après avoir maintes fois donné l'assaut aux murailles d'une ville, arrive finalement à ses fins, et, poussé par l'amour de la gloire, seul parmi un millier d'hommes, occupe cependant le rempart, ainsi, à neuf reprises, les flots ont frappé les hauts flancs du bateau, |
11, 530 | uastius insurgens decimae ruit impetus undae nec prius absistit fessam oppugnare carinam, quam uelut in captae descendat moenia nauis. Pars igitur temptabat adhuc inuadere pinum, pars maris intus erat ; trepidant haud segnius omnes, |
puis une dixième vague, plus énorme, se soulève et donne l'assaut. Elle ne cesse d'attaquer la coque fatiguée qu'après s'y être introduite comme si elle franchissait les remparts du navire conquis. Ainsi d'une part, la mer cherchait encore à pénétrer dans le bateau, de l'autre, elle était déjà à l'intérieur. L'équipage ne s'agite pas moins |
11, 535 | quam solet urbs aliis murum fodientibus extra atque aliis murum trepidare tenentibus intus. Deficit ars, animique cadunt, totidemque uidentur, quot ueniant fluctus, ruere atque irrumpere mortes. Non tenet hic lacrimas, stupet hic, uocat ille beatos, |
que ne s'agitent les habitants d'une ville aux
murs sapés de l'extérieur par des ennemis, quand d'autres ennemis déjà sont à l'intérieur. L'art est désormais impuissant ; les hommes découragés croient voir la mort se ruer et faire irruption à chaque vague qui survient. L'un ne contient pas ses larmes, un autre reste figé, un autre envie |
11, 540 | funera quos maneant ; hic uotis numen adorat bracchiaque ad caelum, quod non uidet, inrita tollens poscit opem ; subeunt illi fraterque parensque, huic cum pignoribus domus et quodcumque relictum est. Alcyone Ceyca mouet, Ceycis in ore |
ceux qui attendent leurs funérailles. L'un fait des offrandes à la divinité et, tendant des bras impuissants vers le ciel qu'il ne voit pas, lui demande son aide. Celui-ci revoit en pensée un frère et un père, un autre sa maison avec ses enfants chéris et tout ce qu'il a délaissé. C'est Alcyoné qui émeut Céyx, Céyx n'a d'autre nom à la bouche, |
11, 545 | nulla nisi Alcyone est ; et cum desideret unam, gaudet abesse tamen. Patriae quoque uellet ad oras respicere inque domum supremos uertere uultus ; uerum, ubi sit, nescit ; tanta uertigine pontus feruet, et inducta piceis e nubibus umbra |
qu'Alcyoné ; elle est la seule qu'il regrette, mais il se réjouit cependant de son absence. Il voudrait aussi tourner ses regards vers les rivages de sa patrie et vers sa maison, à l'instant suprême. Mais il ne sait où il est. Un énorme tourbillon agite la mer ; l'ombre des nuages, noirs comme la poix, cache tout le ciel |
11, 550 | omne latet caelum duplicataque noctis imago est. Frangitur incursu nimbosi turbinis arbor, frangitur et regimen, spoliisque animosa superstes unda, uelut uictrix, sinuataque despicit undas ; nec leuius, quam siquis Athon Pindumue reuolsos |
et fait paraître deux fois plus épaisse l'obscurité de la nuit. L'assaut d'une trombe d'eau brise le mât, ainsi que le gouvernail. Fière la vague se dresse sur son butin, tel un vainqueur, et formant une spirale, elle toise de haut les autres vagues. Et comme si l'on avait arraché l'Athos et le Pinde de leur base |
11, 555 | sede sua totos in apertum euerterit aequor, praecipitata cadit pariterque et pondere et ictu mergit in ima ratem ; cum qua pars magna uirorum, gurgite pressa graui neque in aera reddita, fato functa suo est ; alii partes et membra carinae |
avant de les renverser tout entiers au large de la mer, cette vague lourdement retombe, et tant par son poids que sous le choc, le bateau s'enfonce dans l'abîme. Avec lui la plupart des matelots, écrasés par le poids de la lame, ne remontent pas à la surface et y perdent la vie ; les autres s'agrippent aux fragments |
11, 560 | trunca tenent ; tenet ipse manu, qua sceptra solebat, fragmina nauigii Ceyx socerumque patremque inuocat heu ! frustra ; sed plurima nantis in ore Alcyone coniunx ; illam meminitque refertque ; illius ante oculos, ut agant sua corpora fluctus, |
de l'épave fracassée. Céyx, habitué à tenir un sceptre, tient en sa main des débris de son navire, invoquant, en vain hélas !, son beau-père et son père. Mais en nageant, il a surtout à la bouche le nom d'Alcyoné son épouse ; il se souvient d'elle, il l'appelle. Son voeu est que les flots poussent son corps sous ses yeux à elle, |
11, 565 | optat, et exanimis manibus tumuletur amicis. Dum natat, absentem, quotiens sinit hiscere fluctus, nominat Alcyonen ipsisque inmurmurat undis. Ecce super medios fluctus niger arcus aquarum frangitur et rupta mersum caput obruit unda. |
et que, mort, il reçoive un tombeau dressé par ses mains aimantes. |
11, 570 | Lucifer obscurus nec quem cognoscere posses, illa luce fuit, quoniamque excedere caelo non licuit, densis texit sua nubibus ora. |
Lucifer ce jour-là resta sombre, et il était méconnaissable : comme il n'avait pas la permission de quitter le ciel, il dissimula son visage sous d'épaisses nuées. |
NOTES
prodiges (11, 410-411). La métamorphose de Daedalion, frère de Céyx, racontée en 11, 289-345, et l'épisode du loup de Pélée, raconté en 11, 346-409.
dieu de Claros (11, 412-413). Claros, ville de Lydie en Ionie (cfr 1, 515-516, avec note), célèbre par un temple d'Apollon, où se rendaient des oracles, tout comme à Delphes, mais pour Céyx Claros était beaucoup plus accessible que Delphes.
Phlégyens (11, 414). Les Phlégyens étaient une peuplade de Thessalie, déjà mentionnée chez Homère (Iliade, 13, 301) et présentée par Pausanias (9, 36, 2, et 10, 7) comme pillarde et belliqueuse, particulièrement hostile à Delphes.
Phorbas (11, 414). Le nom de Phorbas désigne plusieurs personnages. La mention faite par Ovide est simplement destinée à expliquer le projet de départ de Céyx pour l'Asie Mineure.
Alcyoné (11, 415). Fille d'Éole, le roi des vents, et épouse de Céyx, roi de Trachis. C'est la première mention de celle qui occupera une bonne partie de la suite du livre 11. Elle est présentée d'emblée comme une épouse parfaite. On pourra comparer la présentation qu'en donne Ovide, et notamment la plainte de cette amoureuse inquiète (vers 421-443), à celle d'une autre héroïne ovidienne, Laodamie (Héroïdes, 13).
beau-père (11, 431). Éole, fils ou descendant d'Hippotès, est le père d'Alcyoné et donc le beau-père de Céyx. Il est le roi des vents.Voir 4, 663, avec divers renvois, dont celui à Virgile (Én., 1, 50-80), qui l'a immortalisé.
né d'un astre (11, 445). Céyx était fils de Lucifer. Voir 11, 270-271.
lune par deux fois (11, 453). Nouvelle manière d'indiquer l'avancement dans le temps : après une durée de deux mois lunaires. Voir par exemple 7, 179-181 ; 10, 296 ; 11, 97-98.
Naufrage et mort de Céyx (11, 474-572). Ce long passage constitue le récit épique d'une tempête, que l'on pourra comparer par exemple à Homère, Odyssée, 5, 291-332 (Ulysse qui s'échoue sur l'île des Phéaciens), et surtout à Virgile, Én., 1, 81-123 (Énée qui s'échoue sur le rivage de Libye) ; 3, 192-209 (les Troyens déportés vers les îles Strophades) ; 5, 8-22 (Énée menacé par une tempête quand il quitte Carthage). Ovide développe aussi ailleurs le motif de la tempête, celle qu'Anna essuie avant d'arriver chez les Laurentes (Fastes, 3, 581-602).
Eurus (11, 481). Vent d'Est, qui soufflait de face, puisque le navire se dirigeait depuis la Grèce en direction de l'Asie Mineure.
Styx (11, 500). Fleuve des Enfers, associé à la couleur sombre. Voir 4, 434 avec d'autres liens.
Trachis (11, 502). Le navire de Céyx, roi de Trachis. Voir n. à 11, 269.
Achéron (11, 504). Principal fleuve des enfers. Voir 5, 541 ; et Virgile, Én., 5, 99 ; 6, 107 et 295 ; 7, 91, 312, 569.
Athos et Pinde (11, 554). Le mont Athos est une montagne de Macédoine, en Chalcidique (2, 217). Le Pinde est une montagne de Thessalie, consacrée à Apollon et aux Muses (1, 570 ; 2, 225 ; 7, 225).
son beau-père et son père (11, 561-562). Respectivement Éole, père d'Alcyoné (11, 415 et 431), et Lucifer (11, 445).
Lucifer resta sombre (11, 570-572). La tristesse de Lucifer (Héôsphoros ou Étoile du Matin), père de Céyx, rappelle celle de Phébus à la mort de Phaéton (2, 329-332).
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